Annexe : La production potentielle et le taux d’intérêt nominal neutre

Rapport sur la politique monétaire – Avril 2025

Au Canada, la croissance de la production potentielle devrait ralentir en raison de l’atténuation de la croissance démographique et du fait du conflit commercial en cours. Le taux d’intérêt neutre se situe dans une fourchette allant de 2,25 à 3,25 %.

Les hypothèses et scénarios définitifs ont été établis le 11 avril 2025.

Production potentielle du Canada

L’incertitude qui entoure la politique commerciale des États-Unis rend les perspectives de croissance de la production potentielle moins claires que d’habitude. Le présent rapport expose deux estimations qui correspondent à deux scénarios sur les perspectives (Hypothèses des scénarios de perspective et tableau A-1).

Dans les deux scénarios, la forte baisse de la croissance démographique, qui résulte du Plan des niveaux d’immigration 2025–2027 du gouvernement fédéral, est un facteur important dans le ralentissement de la croissance de la production potentielle. Le conflit commercial joue aussi un rôle dans ce repli. Dans le scénario 1, la faiblesse des investissements des entreprises est un frein modeste pour la croissance de la production potentielle. Dans le scénario 2, les pertes d’efficience à long terme causées par la baisse des échanges et une affectation moins efficiente des ressources réduisent davantage la croissance de la production potentielle1.

Tableau A-1 : Croissance de la production potentielle au Canada et dans le monde durant la période considérée dans les scénariosCroissance estimée (%)
2024 2025 2026 2027 2028
Canada Scénario 1 2,9 1,8 1,3 1,4 1,7
Scénario 2 2,9 1,2 0,4 1,0 1,6
Rapport d’avril 2024 2,5 1,7 1,5 1,7 -
États-Unis Scénario 1 2,7 2,4 2,3 2,2 2,2
Scénario 2 2,7 2,3 1,7 1,9 2,2
Rapport d’avril 2024 2,3 2,2 2,1 2,1 -
Zone euro Scénario 1 1,1 1,1 1,0 1,0 1,0
Scénario 2 1,1 1,0 0,9 0,9 1,0
Rapport d’avril 2024 1,2 1,1 1,1 1,1 -
Chine Scénario 1 4,6 4,4 4,2 4,0 3,9
Scénario 2 4,6 4,4 4,2 4,0 3,9
Rapport d’avril 2024 4,3 4,1 3,9 3,8 -
Monde Scénario 1 3,1 3,0 3,0 2,9 2,9
Scénario 2 3,1 3,0 2,8 2,8 2,9
Rapport d’avril 2024 3,0 3,0 2,9 2,9

Nota : Les hypothèses et scénarios définitifs ont été établis le 11 avril 2025.
Source : calculs et estimations de la Banque du Canada

Ralentissement de la croissance de la production potentielle au Canada

La production potentielle est le niveau maximal que la production peut atteindre à long terme sans que l’inflation se détache de la cible de 2 %. Elle est influencée par des facteurs structurels, comme la démographie, l’éducation, la technologie et l’innovation. Les politiques commerciales intérieures et extérieures influencent également la production potentielle. En effet, leur impact sur l’allocation des ressources entre les secteurs a une incidence sur la productivité totale à long terme.

Dans les deux scénarios, la croissance de la production potentielle freine sensiblement du fait de l’atténuation de la croissance du facteur travail tendanciel (graphique A-1). Cette baisse est essentiellement attribuable à une croissance plus lente de la population. La baisse des cibles d’immigration et les mesures destinées à réduire le flux de résidents non permanents modèrent la croissance démographique de 3,3 % en 2024 à 0,5 % en moyenne en 2026 et 2027. Ce taux se redresse ensuite légèrement et passe à 0,9 % en 2028.

Graphique A-1 : La croissance de la production potentielle auCanada ralentitDonnées annuelles
Nota : Les hypothèses et scénarios définitifs ont été établis le 11 avril 2025.
Source : calculs et estimations de la Banque du Canada
Dernières valeurs du graphique : 2028

Scénario 1

Au Canada, la croissance de la production potentielle passe de 2,9 % en 2024 à 1,6 % en moyenne de 2025 à 2028 (graphique A-1 et tableau A-2). Cette dynamique de croissance est globalement semblable à celle du Rapport d’avril 2024.

La croissance de la productivité tendancielle du travail passe de -0,5 % en 2024 à une moyenne de 1,2 % de 2025 à 2028. Cette hausse est nourrie par une croissance améliorée de la productivité totale des facteurs tendancielle et par l’augmentation du ratio capital/travail qu’induit le ralentissement de la croissance démographique. Ces deux éléments contrecarrent largement l’incidence négative causée sur les investissements des entreprises par l’incertitude liée au commerce. Par comparaison avec le Rapport d’avril 2024, la croissance de la production potentielle est un peu plus basse.

Scénario 2

La croissance de la production potentielle au Canada ralentit plus abruptement que dans le scénario 1 : elle tombe à 0,9 % en moyenne de 2025 à 2027 avant de remonter à 1,6 % en 2028 (graphique A-1 et tableau A-2). Malgré ce rebond progressif, le niveau de la production potentielle est durablement réduit sous l’effet des droits de douane.

La croissance de la productivité tendancielle du travail est plus graduelle que dans le scénario 1 : elle passe de -0,5 % en 2024 à une moyenne de 0,4 % en 2025 et 2026, puis à une moyenne de 0,9 % en 2027 et 2028.

Deux facteurs sont à l’origine de cette situation :

  • L’investissement est d’autant plus faible que la demande étrangère s’est amoindrie durablement.
  • Les droits de douane généralisés entraînent des changements structurels importants et amoindrissent la croissance de la productivité totale des facteurs tendancielle.

À long terme, les droits de douane imposés par les États-Unis provoquent une réduction des échanges internationaux et une réorientation de la production hors des secteurs où le Canada a un avantage comparatif, ce qui entraîne des pertes d’efficience. À court terme, les droits de douane ont un effet encore plus prononcé sur la productivité, car les entreprises touchées par la contraction des échanges commerciaux réduisent leur production. Cela les conduit à réaffecter leurs machines et matériel à des usages moins efficients et à mettre à pied des travailleurs qui auraient alors à se recycler.

Risques

Une forte incertitude entoure les estimations de la production potentielle, car certaines de ses composantes sont inobservables et leur trajectoire est donc difficile à prévoir. Les perspectives de la production potentielle dans chaque scénario sont sujettes à des risques haussiers et baissiers, parmi lesquels figurent :

  • un rythme futur plus élevé ou plus faible de l’immigration au Canada
  • une croissance plus affermie de la productivité tendancielle du travail résultant de l’adoption générale de l’intelligence artificielle (IA)2
  • des réformes structurelles, comme la réduction des barrières commerciales entre les provinces
Tableau A-2 : Production potentielle au Canada – comparaison avec les estimations d’avril 2024Taux annuels (%)
2024 2025 2026 2027 2028
Croissance annuelle Scénario 1 2,9 1,8 1,3 1,4 1,7
Scénario 2 2,9 1,2 0,4 1,0 1,6
Rapport d’avril 2024 2,5 1,7 1,5 1,7
Croissance du facteur travail tendanciel Scénario 1 3,3 0,7 0,2 0,2 0,6
Scénario 2 3,3 0,7 0,2 0,2 0,6
Rapport d’avril 2024 3,0 0,9 0,6 0,6
Croissance de la productivité tendancielle du travail Scénario 1 -0,5 1,2 1,2 1,2 1,1
Scénario 2 -0,5 0,5 0,2 0,8 1,0
Rapport d’avril 2024 -0,5 0,8 0,9 1,0
Révisions du niveau (en pourcentage) Scénario 1 1,0 1,1 0,9 0,6
Scénario 2 1,0 0,5 -0,7 -1,3

Nota : Les hypothèses et scénarios définitifs ont été établis le 11 avril 2025. Les révisions du niveau sont présentées en comparaison avec celles du Rapport d’avril 2024.
Source : calculs et estimations de la Banque du Canada

Production potentielle mondiale

La croissance de la production potentielle mondiale ralentit dans les deux scénarios en raison des changements démographiques et du conflit commercial (graphique A-2).

Graphique A-2: La croissance de la production potentielle mondialeralentitDonnées annuelles
Nota : Les hypothèses et scénarios définitifs ont été établis le 11 avril 2025.
Source : calculs et estimations de la Banque du Canada
Dernières valeurs du graphique : 2028

Scénario 1

La croissance de la production potentielle mondiale passe d’environ 3,1 % en 2024 à 2,9 % en 2027. Cette baisse s’explique principalement par le vieillissement de la population mondiale. L’incertitude entourant les politiques commerciales fait aussi légèrement baisser le niveau de la production potentielle de l’économie mondiale de 0,1 % d’ici 2027. Toutefois, les investissements dans l’IA et la croissance de la productivité totale des facteurs soutiennent la production potentielle dans de nombreuses économies. Les États-Unis enregistrent les gains les plus importants, suivis de la Chine, de la zone euro et du Japon. Dans l’ensemble, le scénario 1 est assez semblable aux perspectives de croissance de la production potentielle mondiale présentées dans le Rapport d’avril 2024.

  • La croissance de la production potentielle aux États-Unis ralentit. Le vieillissement de la population et le resserrement des politiques d’immigration pèsent sur la croissance du facteur travail tendanciel. L’incidence de ces facteurs n’est que partiellement contrebalancée par les investissements dans l’IA et les gains d’efficience qui en découlent. Par conséquent, les perspectives sont revues à la hausse par rapport à celles figurant dans le Rapport d’avril 2024.
  • En Chine, la croissance de la production potentielle décline puisque les investissements des entreprises se modèrent par rapport à leur rythme actuellement élevé. Cette modération est en partie compensée par le relèvement de l’âge de la retraite et l’adoption de l’IA. C’est principalement en raison de ces facteurs que les perspectives de croissance sont révisées à la hausse par rapport à celles du Rapport d’avril 2024.
  • La production potentielle de la zone euro connaît une croissance modeste d’environ 1 %. Les effets persistants de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les défis de compétitivité dans le secteur manufacturier de la zone euro entraînent un ralentissement du rythme des investissements des entreprises, ce qui freine la croissance. Les investissements publics en hausse dans la défense et les infrastructures ont un effet compensatoire partiel.

Scénario 2

Le conflit commercial majeur déclenché par les États-Unis affaiblit la croissance de la production potentielle mondiale, qui avoisine 2,8 % en 2026. Le niveau de la production potentielle diminue d’environ 0,5 % d’ici 2027 comparativement au niveau figurant dans le scénario 1. Les lourds droits de douane se répercutent sur toutes les régions, réduisant considérablement la productivité, car ils causent une réaffectation de ressources qui auraient pu être utilisées de façon plus productive. Le ralentissement cyclique des investissements se traduit par un stock de capital plus bas dans toutes les régions comparativement au scénario 1. Les répercussions sont plus importantes pour les États-Unis et ses principaux partenaires commerciaux :

  • La croissance de la production potentielle aux États-Unis recule pour s’établir à 1,7 % en 2026 et reste inférieure à 2 % en 2027. Globalement, la production potentielle affiche 1 % de moins d’ici 2027 que dans le scénario 1 en raison de la diminution de la productivité du travail (expliquée par la baisse de l’approfondissement du capital et celle de la croissance de la productivité totale des facteurs).
  • La production potentielle est également plus faible pour d’autres régions dans ce scénario, mais les conséquences sont moins graves.

Risques

Les perspectives de la production potentielle dans chaque scénario sont sujettes à des risques haussiers et baissiers, parmi lesquels figurent :

  • Les nombreuses annonces de l’administration américaine (de la réduction de l’impôt sur le revenu des entreprises et des particuliers à la déréglementation en passant par les droits de douane) comportent des risques aussi bien à la hausse qu’à la baisse.
  • Les pays pourraient adopter des politiques budgétaires plus expansionnistes pour aider à atténuer l’incidence des droits de douane. Si les dépenses sont consacrées à des mesures visant à améliorer la productivité ou à des investissements, la production potentielle pourrait augmenter.

Taux neutre

Dans les deux scénarios, le taux neutre canadien se situe dans une fourchette allant de 2,25 à 3,25 %, soit la même fourchette que lors de l’évaluation d’avril 20243.

Le Canada étant une petite économie ouverte, son taux neutre est lié au taux neutre mondial, qui est approximé par le taux neutre américain. Ce dernier se situe dans une fourchette de 2,25 à 3,25 % dans les deux scénarios, comme dans le Rapport d’avril 2024 :

  • Dans le scénario 1, le resserrement des politiques d’immigration et la hausse de l’incertitude macroéconomique neutralisent les effets de la croissance plus forte de la productivité.
  • Dans le scénario 2, la croissance de la production potentielle est plus faible que dans le scénario 1 et le ratio de la dette publique au produit intérieur brut est plus bas4. Ces deux facteurs pèsent sur le taux neutre américain, mais pas assez pour modifier la fourchette.

Comme le taux neutre américain reste inchangé et que les facteurs internes se compensent, le taux neutre canadien demeure le même dans les deux scénarios. La croissance atténuée du facteur travail tendanciel à long terme est partiellement contrebalancée dans les deux scénarios par un rebond de la croissance de la productivité tendancielle du travail à long terme. Même dans le scénario 2, la croissance de la production potentielle au Canada rebondit essentiellement après trois ans environ, une fois que l’économie s’adapte à la diminution des échanges commerciaux. Bien que les pertes d’efficience abaissent de manière permanente le niveau de la productivité tendancielle du travail, les répercussions sur son taux de croissance à long terme sont limitées.

Risques

Il existe des risques importants entourant les estimations.

  • Les changements structurels, comme les effets d’un plus grand isolement de l’économie américaine, peuvent influer sur le lien entre les taux neutres canadien et américain. Si les emprunteurs canadiens sont moins enclins ou ont plus de difficulté à accéder à du financement sur les marchés de capitaux américains, ils devront se tourner vers d’autres marchés. Comme les marchés de capitaux américains sont les plus importants et les plus liquides au monde, ce changement pourrait causer une hausse des taux d’intérêt pour les emprunteurs canadiens. Cette situation ferait monter le taux neutre canadien.
  • Le faible niveau de confiance et le risque accru qui pèse sur la croissance de la consommation pourraient entraîner une hausse de l’épargne de précaution à long terme, ce qui exercerait une pression baissière sur le taux neutre canadien.

Tout comme la production potentielle, le taux neutre n’est pas observable et il peut être évalué seulement à partir de l’évolution de facteurs observés. L’estimation du taux neutre est donc de fait très incertaine, ce qui reflète l’incertitude autour de la prévision des facteurs considérés, comme la production potentielle et l’équilibre entre l’épargne et l’investissement à l’échelle mondiale.

  1. 1. Pour en savoir plus, voir S. Abraham, D. Brouillette, A. Chernoff, C. Hajzler, S. Houle, M. Kim et T. Taskin, « La production potentielle au Canada : évaluation de 2025 », note analytique du personnel de la Banque du Canada (à paraître).[]
  2. 2. Bien que le Canada se classe parmi les meilleurs en matière d’innovation en IA et de concentration des talents, il continue d’être à la traîne par rapport aux autres économies avancées en ce qui concerne l’adoption de l’IA par les entreprises. Cela pourrait limiter l’impact de l’IA sur la croissance de la productivité. L’augmentation de la croissance à long terme de la productivité tendancielle du travail que provoquerait l’adoption de l’IA est donc présentée comme un risque haussier, au lieu d’être incluse dans les scénarios.[]
  3. 3. Pour en savoir plus, voir F. Adjalala, F. Alves, W. Beaudoin, H. Desgagnés, W. Dong, I. Krohn et J. D. Schneider, « Évaluation des taux neutres aux États-Unis et au Canada : mise à jour de 2025 », note analytique du personnel de la Banque du Canada (à paraître).[]
  4. 4. La moitié des recettes tirées des droits de douane dans le scénario 2 servent à rembourser la dette publique.[]