Rapport sur la politique monétaire – Janvier 2025 – Point de mire
La nouvelle administration américaine envisage d’imposer des droits de douane à grande échelle sur les importations. Même si bon nombre d’éléments importants demeurent inconnus, ces mesures pourraient grandement perturber les économies du Canada et des États-Unis.
Le président américain Donald Trump a déclaré que son gouvernement compte imposer des droits de douane de 25 % sur les biens en provenance du Canada et du Mexique. Il a également menacé d’appliquer des droits de douane aux produits importés d’autres pays. Cela pourrait pousser les partenaires commerciaux des États-Unis à adopter des contre-mesures, comme imposer à leur tour des droits de douane.
Les droits de douane sont des taxes sur les importations qui font augmenter les prix que les consommateurs et les entreprises paient pour des biens et des services1. Ils se répercutent sur les dépenses, les flux commerciaux, les recettes de l’État, les taux de change, l’emploi, le produit intérieur brut (PIB) et l’inflation. Ils pourraient perturber considérablement les chaînes d’approvisionnement au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
En général, l’ampleur des répercussions économiques dans un pays qui impose des droits de douane sur les importations dépend fortement de la capacité des entreprises et des ménages à trouver des biens de substitution qui ne sont pas visés par des droits de douane. Quand il n’y en a pas, ou qu’ils ne peuvent pas être facilement produits en plus grande quantité à cause de contraintes de capacité, les droits de douane perturbent davantage l’économie réelle et entraînent une inflation plus élevée. En revanche, les effets sont plus modérés quand des biens de substitution similaires sont facilement disponibles.
À tout le moins, un droit de douane permanent provoque une augmentation unique permanente du niveau des prix. Les changements dans les attentes d’inflation des ménages et des entreprises à la suite des hausses du niveau des prix lié aux droits de douane déterminent si ces droits vont alimenter l’inflation. Si les attentes sont bien ancrées à la cible d’inflation, la montée des prix liée aux droits de douane aura moins d’effet sur les autres prix et les salaires. Par conséquent, la hausse de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) sera temporaire.
L’ampleur et la portée des droits de douane, le moment où ils seront imposés et la durée pendant laquelle ils le seront demeurent très incertains. On ne sait pas non plus comment les pays touchés, y compris le Canada, réagiront.
Scénario tarifaire explicatif
Étant donné l’incertitude entourant actuellement les futures politiques tarifaires des différents pays, la Banque a choisi un scénario simple pour illustrer comment les économies mondiale et canadienne pourraient être touchées par un conflit commercial. Il ne s’agit pas d’une prévision, mais plutôt d’un scénario fondé sur les hypothèses suivantes :
- Les États-Unis imposent des droits de douane permanents de 25 % sur tous les biens qu’ils importent, y compris ceux provenant du Canada.
- Les partenaires commerciaux des États-Unis, dont le Canada, réagissent en imposant à leur tour des droits de douane de 25 % sur les biens importés des États-Unis.
- L’effet des droits de douane sur les prix des biens finaux est faible au départ, mais s’intensifie graduellement avec le temps. Entretemps, les marges bénéficiaires des entreprises se rétrécissent, celles-ci servant à absorber une partie des augmentations de coûts.
- La moitié des recettes provenant des droits de douane de chaque pays, dont le Canada, est redistribuée aux ménages, tandis que le reste est utilisé pour rembourser la dette.
Une croissance du PIB plus faible et une inflation plus forte tant au Canada qu’aux États-Unis
Aux États-Unis :
- Les droits de douane du gouvernement américain font augmenter les prix payés par les consommateurs américains pour des biens importés, ce qui entraîne une inflation plus élevée. L’appréciation du dollar américain a un effet compensatoire partiel.
- La croissance du PIB des États-Unis ralentit parce que les droits imposés par les autres pays, Canada y compris, provoquent un remplacement important des produits d’exportation américains2.
Les droits de douane font aussi augmenter les coûts des entreprises américaines qui importent des biens intermédiaires pour produire des biens finaux. Ces coûts plus élevés sont habituellement répercutés sur les consommateurs. Ces hausses sont particulièrement problématiques pour les industries dont les chaînes d’approvisionnement sont fortement intégrées à l’échelle mondiale, comme le secteur automobile, de même que pour les industries qui ne peuvent pas facilement se tourner vers des intrants produits dans leur pays.
Par exemple, les pièces et les composants nécessaires pour fabriquer des véhicules automobiles traversent plusieurs fois la frontière entre le Canada et les États-Unis. Si des taxes étaient imposées chaque fois, elles amplifieraient l’augmentation des coûts de production et feraient monter les prix pour les consommateurs des deux côtés de la frontière (figure 1).
Figure 1 : Les droits de douane sur les biens intermédiaires amplifient l’effet des droits de douane sur les coûts de production et les prix
Au Canada, un conflit commercial aurait des conséquences négatives tant sur les exportations que sur les importations :
- Les droits de douane du gouvernement américain rendraient les exportations canadiennes vers les États-Unis – le plus grand partenaire commercial du Canada – moins compétitives, ce qui se traduirait par une diminution sensible du volume des exportations.
- Dans la mesure où les États-Unis appliqueraient des droits de douane aux biens provenant de l’ensemble de leurs partenaires commerciaux, les exportations dans le monde se contracteraient ainsi que le PIB mondial. Le recul de la demande mondiale causerait alors un repli des prix des produits de base, notamment du pétrole, qui est l’une des principales exportations du Canada.
- Le ralentissement de l’activité mondiale aurait un effet modérateur accru sur la demande de produits canadiens.
- Du fait des mesures de rétorsion tarifaires du Canada contre les produits américains, les importations canadiennes reculeraient, ce qui amènerait les ménages et les entreprises canadiennes à acheter des biens exemptés des droits de douane au lieu de biens américains.
De façon générale, la balance commerciale du Canada se dégraderait. Conjuguée à la détérioration des termes de l’échange, la baisse du volume net des exportations provoquerait une dépréciation du dollar canadien.
Les investissements des entreprises canadiennes enregistreraient également un affaiblissement marqué dû à un amoindrissement de l’activité des entreprises exportatrices et à une augmentation du coût des biens d’équipement importés des États-Unis.
- Le coût des machines et du matériel importés des États-Unis monterait en raison des mesures de rétorsion tarifaires prises par le Canada et de la dépréciation du dollar canadien. Environ la moitié des investissements que les entreprises font en machines et matériel au Canada porte sur des biens en provenance des États-Unis.
- La baisse des profits des entreprises pèserait aussi sur leurs investissements pendant la période où elles absorberaient une partie des hausses de coûts associées aux droits de douane mis en place par le Canada.
Face au ralentissement de la demande, les exportateurs canadiens réduiraient leur production et feraient des mises à pied. Ces décisions auraient des retombées négatives pour le reste de l’économie en abaissant la demande de biens et services non échangeables comme les logements ou les repas au restaurant. Des transferts accrus de l’État aux ménages, financés par les recettes tirées des droits de douane, permettraient d’amortir partiellement les effets négatifs.
Au fil du temps, le recul des investissements des entreprises ferait considérablement diminuer le PIB potentiel du Canada et entraînerait alors une perte permanente de croissance du PIB.
En règle générale, l’inflation augmenterait, conséquence de l’incidence nette de deux facteurs contradictoires :
- Le PIB baisserait en raison de l’affaiblissement tant des exportations nettes que de la demande intérieure. Il s’ensuivrait à court terme une offre excédentaire importante. Les prix des produits de base diminueraient également. Ensemble, ces facteurs pèseraient sur l’inflation mesurée par l’IPC.
- Les mesures de rétorsion tarifaires que le Canada appliquerait à tous les biens importés des États-Unis auraient des effets directs et indirects sur les prix à la consommation.
- Les biens finaux de consommation en provenance des États-Unis et les intrants qui entrent dans la fabrication de biens finaux représentent environ 13 % des biens du panier de l’IPC.
- Les prix payés par les entreprises axées sur le secteur de la consommation pour d’autres intrants, comme des machines et du matériel, augmenteraient aussi du fait des droits de douane.
- Combinés à la dépréciation du dollar canadien, ces effets directs et indirects sur les prix contrebalanceraient largement la pression baissière que l’offre excédentaire et les prix plus bas des produits de base causeraient sur l’inflation. L’inflation mesurée par l’IPC connaîtrait alors une hausse.
Exemple quantitatif
Les modèles peuvent être très utiles pour comprendre les nombreux canaux par lesquels les droits de douane sont susceptibles d’influencer la croissance et l’inflation. Pour créer ce scénario, la Banque a utilisé ses modèles standards de projection pour les économies canadienne et mondiale, combinés à un modèle spécialisé de simulation des échanges commerciaux3. Cette approche axée sur plusieurs modèles aide à mieux saisir les conséquences qu’aurait pour des variables macroéconomiques clés l’imposition de droits de douane sur de nombreux produits et à de nombreux pays en même temps.
En l’absence d’une situation similaire par le passé, il est difficile de quantifier avec précision les incidences qu’auraient au sein de l’économie des droits de douane élevés et généralisés. C’est pourquoi, en plus de la principale calibration, la Banque a simulé un certain nombre de variantes basées sur des hypothèses différentes au sujet de la manière dont les ménages et les entreprises réagissent aux droits de douane. Quoi qu’il en soit, le scénario est le même pour chaque variante. Dans tous les cas, on présume que les États-Unis relèveraient à 25 % leurs droits de douane sur l’ensemble des biens importés et que leurs partenaires commerciaux feraient aussi passer leurs droits de douane sur les biens importés des États-Unis à 25 %. Tous les résultats sont présentés en comparaison d’un scénario sans droits de douane.
Calibration principale
La calibration principale suppose deux moyennes historiques concernant :
- la réaction de la demande américaine de produits canadiens à des variations de prix
- le temps qu’il faut généralement pour que les variations de coûts soient entièrement restituées dans l’IPC canadien (3 ans)
Dans la calibration principale, la croissance annuelle moyenne du PIB, la première année, se situerait à environ 2,5 points de pourcentage de moins que dans le scénario sans droits de douane (graphique 27, barres rouges). La deuxième année, elle serait à quelque 1,5 point de pourcentage de moins. La troisième année, la croissance du PIB serait grosso modo revenue à la normale. En d’autres termes, si la croissance annuelle moyenne du PIB prévue était de 2 % durant la première et la deuxième année sans de nouveaux droits de douane, cette croissance passerait à -0,5 % la première année et à 0,5 % la deuxième année sous l’effet des nouveaux droits de douane.
Cette incidence sur le taux de croissance serait passagère, mais le niveau du PIB, lui, serait abaissé de manière permanente en raison d’un fléchissement du niveau à long terme de la productivité canadienne causé par les effets de distorsion des droits de douane.
Comme le scénario prévoit que les hausses de coûts associées aux mesures de rétorsion tarifaires du Canada seront reportées graduellement sur les prix à la consommation pendant trois ans, l’inflation selon l’IPC serait soumise à des pressions haussières constantes durant cette période (graphique 28, barres rouges). L’offre excédentaire importante et les prix des produits de base à la baisse contrebalanceraient essentiellement l’impact direct des droits de douane la première année, mais l’inflation augmenterait à mesure que l’offre excédentaire se résorberait les années suivantes.
Analyse de sensibilité concernant la calibration principale
Dans notre scénario, des droits de douane à grande échelle de 25 % imposés par les États-Unis et des mesures de rétorsion de même ampleur adoptées par les autres pays représentent un choc substantiel sur les prix relatifs pour une économie comme celle du Canada qui a de forts liens commerciaux avec les États-Unis. Les droits de douane auraient des effets complexes sur l’offre et la demande, certains prix étant plus touchés que d’autres. Les salaires ainsi que les autres coûts des entreprises s’adapteraient également. Les entreprises, de leur côté, modifieraient probablement ce qu’elles produisent et leur mode de production, tandis que les consommateurs remplaceraient certains biens et services. Évaluer l’incidence nette de ce choc sur les capacités excédentaires et sur l’inflation n’est pas facile. En particulier, l’influence relative des différentes forces qui agissent sur l’inflation au Canada dépend fortement de plusieurs choses :
- l’ampleur de la baisse des volumes des exportations canadiennes ainsi que les retombées négatives connexes sur les investissements des entreprises
- le niveau de réactivité de l’inflation au Canada face aux droits de douane mis sur les exportations américaines vers le Canada, notamment sur les exportations de biens de consommation
Pour illustrer cette réactivité, la Banque a créé différentes variantes dans la calibration principale (tableau 4). L’incidence de ces variantes sur la croissance du PIB et l’inflation est montrée dans les graphiques 27 et 28.
Variante | Hypothèse quant aux exportations | Effets sur les prix à la consommation |
---|---|---|
Calibration principale | L’impact des changements de prix sur les exportations canadiennes cadre avec ce qui est observé historiquement | Le coût des droits de douane est considéré comme étant entièrement reflété dans les prix à la consommation après trois ans |
Recul plus prononcé de la demande de produits canadiens aux États-Unis | Le recul de la demande de produits canadiens aux États-Unis est environ 40 % supérieur à la moyenne historique | Même que dans la calibration principale |
Effets plus modérés des droits de douane sur les prix à la consommation | Même que dans la calibration principale | La moitié du coût des droits de douane est reflétée dans les prix à la consommation après trois ans |
Effets plus rapides des droits de douane sur les prix à la consommation | Même que dans la calibration principale | Le coût des droits de douane est considéré comme étant entièrement reflété dans les prix à la consommation après un an et demi |
Un recul plus prononcé de la demande de produits canadiens aux États-Unis
Les estimations de la sensibilité des exportations canadiennes face à des variations de prix s’appuient sur des données passées et elles se sont révélées assez faibles. Cependant, un choc de prix aussi grand pourrait entraîner une chute des exportations beaucoup plus importante que celle obtenue par nos modèles de projection. Un plus fort degré de sensibilité des exportations de produits de base et hors produits de base face aux droits de douane du gouvernement américain aboutirait à une baisse plus marquée des exportations et des investissements des entreprises et, par conséquent, à une croissance plus faible du PIB (graphique 27, barres jaunes). Il conduirait aussi à une dépréciation plus nette du dollar canadien, parce que la balance commerciale du Canada se dégraderait davantage par rapport à ce que décrit la calibration principale.
Les effets d’une demande plus faible et ceux d’un dollar déprécié contrebalanceraient partiellement les prix à la consommation. Résultat, l’inflation mesurée par l’IPC se situerait juste en dessous du niveau obtenu avec la calibration principale (graphique 28, barres jaunes).
Des effets plus modérés sur les prix à la consommation
Dans la calibration principale, il est présumé que le surcoût associé aux droits de douane est entièrement reflété dans les prix à la consommation au bout de trois ans. Autrement dit, les entreprises n’auraient plus à absorber la hausse de coûts après ces trois années. Si ce surcoût était reporté sur les consommateurs à hauteur de seulement 50 % après trois ans, l’inflation baisserait la première année. Cette baisse surviendrait, car l’effet désinflationniste engendré par l’offre excédentaire et le repli des prix des produits de base aurait alors plus de poids que l’impact des hausses de prix découlant des droits de douane (graphique 28, barres vertes). Dans les années suivantes, les pressions inflationnistes seraient également plus faibles que dans la calibration principale.
La croissance du PIB ne diminuerait pas autant que ce qui ressort de la calibration principale (graphique 27, barres vertes), parce que les prix monteraient dans de moindres proportions et que le pouvoir d’achat des consommateurs en serait donc touché d’autant moins.
Des effets plus rapides sur les prix à la consommation
Depuis l’adoption du ciblage de l’inflation au Canada, les variations du coût des intrants n’entraînent généralement pas de hausses majeures de l’inflation. Cela laisse à penser que les entreprises utilisent leurs marges bénéficiaires pour absorber dans un premier temps une grande part de ces variations de coûts. Cependant, la pandémie a clairement montré que de fortes variations de coûts pouvaient être reportées sur les prix bien plus rapidement qu’avant. Étant donné que des droits de douane de 25 % provoqueraient une augmentation sensible des coûts des entreprises, celles-ci pourraient ajuster leurs prix plus vite qu’elles ne le font habituellement. Dans ce cas de figure, c’est en l’espace d’un an et demi plutôt que de trois ans (graphique 28, barres bleues) que les entreprises passeraient intégralement aux consommateurs le surcoût de leurs importations causé par les droits de douane canadiens.
Si les droits de douane se répercutaient plus rapidement sur les prix, l’inflation s’accroîtrait davantage dans un premier temps, mais elle redescendrait également plus vite que dans la calibration principale. Les conséquences pour la croissance du PIB seraient modérées par rapport aux résultats de la calibration principale (graphique 27, barres bleues).
Notes
- 1. La spécialisation et le commerce entre pays peuvent accroître les revenus et offrir aux consommateurs une sélection plus vaste de biens et de services à des prix plus bas. L’imposition de droits de douane biaise la structure des échanges, réduisant du même coup ces avantages. Pour une analyse, voir S. Murchison et A. Chernoff, « Les bienfaits de l’ouverture du commerce », L’économie claire et simple, Banque du Canada (28 septembre 2018).[←]
- 2. Les mesures de rétorsion tarifaires adoptées par les partenaires commerciaux des États-Unis touchent seulement leurs importations en provenance des États-Unis. Les autres pays pourraient éviter en partie l’impact des droits de douane en important moins de biens des États-Unis et davantage d’autres pays. Cela amplifierait la baisse des exportations américaines. Les entreprises et les consommateurs américains ne pourraient pas éviter l’impact des droits de douane de la même façon, parce qu’aux États-Unis, ceux-ci viseraient l’ensemble des importations.[←]
- 3. Pour simuler les effets des droits de douane sur les échanges internationaux, la Banque utilise une version du modèle multisectoriel à plusieurs pays développé par Baqaee et Farhi. Voir, D.R. Baqaee et E. Farhi, « Networks, Barriers, and Trade », Econometrica, 92: 505-541 (mars 2024).[←]