Le mécanisme de transmission et l'efficacité des mesures de politique monétaire
Déclaration de Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce
Monsieur le Président, les variations brusques et importantes des écarts de taux d'intérêt, que l'on observe depuis le début des récentes turbulences sur les marchés financiers, ont amené de nombreux analystes à se demander si la politique monétaire permet encore efficacement de maîtriser l'inflation. En un mot, la réponse à cette question est : oui. J'aimerais, si vous le voulez bien, prendre quelques minutes pour vous expliquer ce qu'il en est.
La Banque du Canada a pour objectif de maintenir l'inflation mesurée par l'indice global des prix à la consommation au taux visé de 2 %. L'outil que nous utilisons pour réaliser cet objectif est le taux du financement à un jour, c'est-à-dire le taux d'intérêt auquel les principales institutions financières se prêtent des fonds pour une durée d'un jour, ou jusqu'au lendemain. Nous fixons une cible pour le taux du financement à un jour, et nous pouvons atteindre cette cible grâce à notre capacité d'accorder des prêts à un jour en nous servant de notre bilan.
Lorsque la Banque du Canada modifie sa cible pour le taux du financement à un jour, elle déclenche une chaîne complexe de réactions qui touchent d'abord les prix sur les marchés financiers, puis la dépense, la production et l'emploi et, finalement, l'inflation. Les économistes appellent cette chaîne le mécanisme de transmission de la politique monétaire. Je m'intéresserai ici au premier maillon de cette chaîne.
Toute modification du taux du financement à un jour a tendance à se répercuter sur les autres taux d'intérêt assortis d'échéances plus longues. Intuitivement, c'est logique. S'il coûte plus ou moins cher d'emprunter de l'argent pour une période d'un jour, et qu'on s'attend à ce que ce changement persiste, alors le coût d'un emprunt à 30 jours, à 90 jours ou à un an, par exemple, devrait changer lui aussi. De plus, les taux d'intérêt administrés, comme le taux préférentiel, ainsi que les prix de nombreux autres actifs financiers, dont la valeur du dollar canadien et le cours des actions, sont touchés.
Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, une modification du taux du financement à un jour, dont la persistance est attendue, influera sur le niveau général des taux d'intérêt à court et à long terme et sur les prix de nombreux autres actifs financiers. Mais, en règle générale, les choses ne sont pas égales par ailleurs, et la situation à laquelle nous faisons face aujourd'hui – qui met en jeu une réévaluation fondamentale des risques – en est un bon exemple.
Les taux d'intérêt applicables à diverses obligations financières comportent une prime de risque qui rend compte de la solvabilité des emprunteurs et du degré de liquidité de l'instrument financier. Les obligations de sociétés, qu'elles soient émises par des entreprises financières ou non financières, sont assorties d'un taux d'intérêt qui tient compte de ces deux considérations. Les institutions de crédit, comme les banques, établissent leurs taux débiteurs en fonction du coût qu'elles assument pour se procurer des fonds et de la solvabilité de leurs clients.
Les primes de risque (ou écarts de crédit, comme on les appelle souvent) sont déterminées par le marché. La politique monétaire n'a aucune influence sur l'accroissement ou la diminution des primes de risque. Mais elle peut tenir compte des mouvements des primes de risque dans l'influence qu'elle exerce sur le niveau général des taux d'intérêt en faisant varier le taux cible du financement à un jour. Et c'est ce qu'elle fait d'ailleurs.
Permettez-moi de vous donner un exemple en me fondant sur la situation actuelle. Étant donné l'incertitude accrue sur les marchés financiers mondiaux et la hausse des primes de risque, le coût du financement a augmenté pour les banques canadiennes. Cette augmentation est répercutée sur le coût du crédit aux entreprises et aux ménages. Les emprunteurs moins solvables font également face à des primes de risque de crédit plus élevées qui sont incorporées aux taux d'intérêt qu'ils doivent payer pour obtenir des prêts auprès des banques. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que le coût absolu des emprunts des entreprises et des ménages a crû.
La raison en est que la Banque du Canada peut prendre en considération les mouvements des primes de risque (ou écarts de crédit) au moment d'établir le taux cible du financement à un jour à un niveau qu'elle juge approprié pour l'atteinte de la cible d'inflation de 2 %. C'est ce type de jugement qui a incité la Banque à abaisser le taux cible du financement à un jour de 150 points de base depuis décembre.
En bref, Monsieur le Président, le point principal que j'essaie de faire ressortir ici, c'est la différence entre les écarts et le niveau absolu des taux d'intérêt. Les écarts de taux sont déterminés sur des marchés financiers concurrentiels. Mais c'est sur le niveau absolu que la politique monétaire peut agir efficacement, et c'est ce qu'elle fait. Les événements récents n'ont rien changé à cet état de choses.