Séance de réflexion des cadres supérieurs de la GRC

Disponible en format(s) : PDF

Merci et bonsoir. Lorsque le commissaire Zaccardelli m'a demandé de prendre la parole à la présente journée de réflexion, j'ai accepté avec plaisir. En fait, c'est un honneur pour moi de participer au lancement de cette nouvelle priorité stratégique de la GRC — l'intégrité de l'économie.

Il n'est pas surprenant que la Banque du Canada s'intéresse à la promotion de l'intégrité de l'économie. Après tout, la Loi sur la Banque du Canada nous confère le mandat de « favoriser la prospérité économique et financière du Canada » autant que possible par l'action monétaire.

Nous sommes déterminés à promouvoir le bien-être économique de notre pays et de ses citoyens, et ce, au moyen de notre politique monétaire, de l'exercice de notre fonction de banquier du gouvernement fédéral et de l'émission des billets de banque canadiens. De plus, nous nous efforçons constamment de favoriser la confiance dans la solidité et la fiabilité du système financier.

Il y a quelques années, votre commissaire inaugurait le thème « la sécurité des foyers et des collectivités ». Avec l'établissement de votre nouvelle priorité stratégique, un troisième élément s'ajoute à ce thème : « l'économie ». Les forces policières ont désormais un rôle primordial à jouer pour renforcer et préserver la sécurité et les intérêts économiques du Canada. Aujourd'hui plus que jamais, la Banque du Canada, la GRC et d'autres services de police d'un peu partout au pays travaillent tous ensemble à l'atteinte de cet objectif.

La surveillance économique, partie intégrante de bonnes pratiques policières

La promotion de la sécurité de l'économie n'est pas une nouvelle priorité pour la GRC et les corps de police en général. Elle fait partie de leur quotidien, qui est de veiller à ce que les gens puissent vivre et travailler en toute sécurité.

Mais qu'entend-on au juste par « sécurité de notre économie »? Pour ceux d'entre nous qui s'occupent des finances de la nation, cela signifie empêcher les activités qui minent la confiance des Canadiens et des Canadiennes envers leur économie. Il s'agit notamment de lutter contre la contrefaçon de la monnaie et des biens, la fraude par carte de crédit, le vol d'identité, le blanchiment d'argent et bien d'autres choses encore. C'est aussi empêcher l'effritement de la confiance dans nos marchés financiers.

Les sociétés cotées en bourse ont besoin de capitaux pour investir et créer de l'emploi, et les gouvernements, pour construire des infrastructures. Les investisseurs qui fournissent ces capitaux s'attendent à ce que ceux-ci soient utilisés à bon escient et qu'ils rapportent de bons rendements. Ces investisseurs comptent notamment sur ces rendements pour financer leurs propres besoins, leur maison, leur retraite et les études de leurs enfants. Cette activité ne peut se dérouler que si tous les acteurs sont convaincus qu'ils seront traités équitablement et soumis aux mêmes règles que les autres.

Nous savons qu'aucun placement n'est à l'abri du risque — c'est la nature des marchés qui le veut. Lorsque les marchés financiers fonctionnent bien, le prix des placements est fixé en fonction du degré de risque que ces placements représentent et de leur valeur économique. Mais ces marchés ne peuvent bien fonctionner et fixer les prix de façon appropriée que si l'information à laquelle ils se fient est correcte. Les renseignements erronés, l'abus de confiance — ou les soupçons de fraude — compromettent l'efficacité des marchés.

Je m'explique. Lorsqu'il y a fraude, le marché fonctionne à partir d'informations incorrectes. De toute évidence, les particuliers qui ont investi sur la foi de renseignements erronés risquent de subir des pertes. Mais une telle situation peut aussi être à l'origine d'une perte de confiance généralisée, qui touche l'ensemble de l'économie. Lorsque les gens doutent de la justesse de l'information, le marché ne peut pas fonctionner, et c'est toute la société qui en souffre. C'est pourquoi nous disposons de normes comptables, de règlements en matière de valeurs mobilières et de lois contre les crimes économiques. Le bon fonctionnement des marchés génère des avantages considérables pour la collectivité. En revanche, des marchés qui fonctionnent mal entraînent de lourds coûts sur le plan social.

Les crimes économiques sapent la confiance des investisseurs canadiens et étrangers à l'égard de l'intégrité de nos systèmes financiers, de notre monnaie, de nos gouvernements, de nos entreprises et de nos produits. Ces crimes nuisent à la santé financière et à la réputation de notre pays. Ils ne sont pas sans victimes, loin de là. Au bout du compte, nous en pâtissons tous, car ils ébranlent la confiance dans le système financier. Et il faut beaucoup de temps, d'efforts et d'investissements pour rétablir la confiance de la population une fois qu'elle a été perdue.

C'est pour cette raison que les crimes économiques doivent être considérés comme étant tout aussi graves que certains crimes violents. Certes, la fraude est moins dangereuse physiquement qu'un vol à main armée, mais les dommages qu'elle cause sur le plan social sont tout aussi importants. Ces deux types de crime minent la confiance des gens dans la société. Un pirate informatique qui vole les données d'une entreprise est un criminel au même titre qu'un voleur de banque. De même, l'auteur d'un délit d'initié qui dérobe un million de dollars à des investisseurs n'est pas moins un criminel qu'un individu qui commet un vol à main armée. Dans tous ces cas de figure, la perte matérielle est aggravée par une perte de confiance généralisée.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui touche de près la Banque du Canada — le papier-monnaie, notre seul produit concret. Quelqu'un qui se retrouve avec un faux billet ne perd, en général, que peu d'argent. Là encore, c'est l'accumulation des répercussions qui importe. Les transactions au comptant représentent toujours une large part des opérations au sein de notre économie, et la demande de billets ne cesse de croître d'année en année. La perte de confiance dans la monnaie entraîne des coûts sociaux et économiques considérables. Les conséquences de l'histoire des faux billets de Windsor de 100 $ il y a quelques années sont encore présentes pour nous le rappeler. Maintenir la confiance du public dans la monnaie canadienne est une responsabilité que la Banque du Canada prend très au sérieux.

De nombreux services de police travaillent déjà, implicitement ou explicitement, à préserver l'intégrité de l'économie. Vous vous attaquez aux composantes économiques des crimes conventionnels, telles que le blanchiment des recettes du trafic de drogues, ainsi qu'aux crimes économiques mêmes, comme la fraude, la contrefaçon et le piratage informatique. En vous perfectionnant dans la lutte contre ces crimes spécifiquement économiques, vous développez votre capacité de combattre tous les crimes.

En ce qui concerne la sécurité personnelle et publique, les organisations policières savent depuis longtemps que les lois ne peuvent être appliquées efficacement sans la coopération active des citoyens et des collectivités. L'application de la loi ne peut à elle seule améliorer la sécurité dans nos foyers et dans nos villes. La prévention, l'éducation et les initiatives communautaires ont toutes un rôle à jouer. Les policiers comptent également sur l'aide d'un large éventail d'experts de disciplines complémentaires : psychologues, avocats, travailleurs communautaires, agents de santé publique, et bien d'autres.

Cet esprit de coopération est tout aussi important quand vient le temps de protéger l'intégrité de l'économie. Aucun corps policier ne peut lutter seul contre le financement des activités terroristes, le blanchiment d'argent, la contrefaçon ou la fraude sur les marchés financiers. Cela est particulièrement vrai depuis quelques années, en raison de la complexité grandissante des instruments financiers et des technologies de négociation. De nos jours, il est beaucoup plus aisé de cacher son identité ou de voler celle d'un autre en se servant d'Internet et d'autres réseaux anonymes. Et il est encore plus facile de tromper les gens avec des montages financiers dont la complexité augmente sans cesse.

La bonne nouvelle, c'est que nous avons déjà vu à quel point la police peut être efficace lorsqu'elle déploie des efforts soutenus et concertés dans le but de faire diminuer ces types de crime. Grâce aux Unités mixtes des produits de la criminalité, les criminels ont de plus en plus de mal à tirer profit de leurs activités illégales. Le lancement, en 2002, des Équipes intégrées d'application de la loi dans les marchés a aidé à accroître la confiance du public dans nos marchés de capitaux. Bien que ces initiatives soient toutes récentes, le travail de ces équipes attire déjà l'attention.

La Banque est très favorable à cette approche intégrée d'application des lois régissant les crimes économiques. Les équipes spéciales ont les compétences et les ressources qu'il faut pour mener des enquêtes complexes aboutissant à l'inculpation de ces soi-disant « criminels professionnels ». Cette année, vous avez élaboré une stratégie nationale en matière de répression de la contrefaçon. Cette initiative devrait, semble-t-il, donner bientôt lieu à la mise en place d'Équipes intégrées chargées de la répression de la contrefaçon afin de contrer cette grave menace. Sachez que mes collègues et moi applaudissons à ces efforts importants, que nous appuyons sans réserve.

Je sais combien il est difficile toutefois d'obtenir des appuis et du financement pour ces nouvelles initiatives. J'imagine à quel point ce doit être irritant d'avoir à enquêter sur des crimes compliqués lorsqu'on manque de personnel qualifié ou de soutien approprié. Je comprends aussi la frustration de la police qui consacre du temps et des ressources à la réalisation de telles enquêtes, pour finalement voir les criminels s'en sortir avec des peines mineures, l'importance des coûts sociaux de leurs crimes n'étant pas toujours reconnue comme il se doit. C'est pourquoi la Banque collabore avec les organismes d'application de la loi à la mise au point de documents de formation et d'outils juridiques qui devraient aider les procureurs à présenter leurs causes plus efficacement.

Pour progresser davantage, des efforts coordonnés et une approche multidisciplinaire seront nécessaires. Des dirigeants des secteurs public et privé devront exprimer avec force leur appui à cet égard si l'on veut que la population et les administrations gouvernementales canadiennes reconnaissent l'utilité d'investir dans des équipes spéciales chargées de l'application de la loi, ainsi que dans l'amélioration de l'efficacité des poursuites judiciaires et des condamnations, et qu'elles appuient de tels investissements. À titre de gouverneur de la banque centrale du Canada, j'ai la responsabilité de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sensibiliser davantage la population à l'importance de préserver l'intégrité de l'économie et j'ai bien l'intention de m'atteler à la tâche. C'est pour cette raison que la Banque du Canada tenait et tient toujours à s'associer aux autorités chargées de l'application de la loi et à d'autres acteurs du système juridique.

Les défis posés par la préservation de l'intégrité de l'économie

Vous et la Banque du Canada avez en commun un objectif prioritaire : faire du Canada un endroit où l'on peut gagner sa vie, faire des affaires et investir en toute sécurité. À quels défis sommes-nous donc confrontés à ce chapitre?

Le Canada jouit d'un système financier robuste, d'un taux d'inflation bas et stable ainsi que d'une économie vigoureuse. Nos structures de réglementation et de gouvernance sont solides, et elles évoluent de façon à relever les défis posés par les nouvelles technologies. Il en va de même pour les billets de banque canadiens, qui sont maintenant dotés de certains des meilleurs éléments de sécurité au monde.

Par contre, il semble que notre pays risque de devenir un endroit où les criminels en col blanc peuvent sévir en toute impunité. Cette situation est peut-être attribuable à un manque de ressources adéquates au sein du système d'application de la loi et à une insuffisance de précédents en matière de peines lourdes. On peut aussi mettre en cause une perception selon laquelle nos marchés ne sont pas aussi sûrs et nos modes de répression pas aussi rigoureux qu'ils le devraient. Notre lutte se joue donc sur deux plans : nous devons tenir en échec ces criminels et cela doit être manifeste.

Notre économie ouverte, considérée habituellement comme un atout, constitue un autre défi. Grâce à cette ouverture, le Canada figure parmi les principales nations commerçantes et est un modèle en matière de multiculturalisme. Notre pays est perçu comme un endroit où les gens veulent vivre, investir et faire des affaires, et avec lequel on peut avoir des échanges commerciaux intéressants. Toutefois, comme je l'ai déjà dit, cette économie ouverte fait de nous une cible pour les auteurs de crimes économiques internationaux. C'est pourquoi nous avons besoin de mécanismes de gouvernance plus efficaces dans les secteurs public et privé et de saines pratiques en matière de réglementation et d'application des lois, pour que les entreprises deviennent plus fortes et les systèmes financiers, plus solides.

Actualiser nos lois et bien informer les magistrats représentent un troisième défi. La simple détection d'un crime — sans parler de la poursuite qu'il entraîne — est devenue une activité très sophistiquée, qui nécessite la mise à contribution de comptables, d'actuaires, d'avocats spécialisés en droit commercial et d'experts en finance et en informatique. Mais plus important encore, il faut des enquêteurs qualifiés capables de recueillir, d'analyser et de rassembler des éléments de preuve complexes. Enfin, les procureurs doivent disposer de l'information appropriée pour être en mesure de présenter cette preuve adéquatement dans une salle d'audience.

Pour relever ces trois défis, nous devons continuer de travailler de façon efficiente tous ensemble, en favorisant la coopération entre les divers domaines d'expertise et les institutions. Aucune organisation ne peut à elle seule réunir et gérer tous les experts qui doivent collaborer dans ce nouvel environnement.

La police sait quelles sont ses responsabilités dans la lutte contre les crimes économiques. Mais les fabricants, les émetteurs d'instruments de grande valeur (tels que la monnaie, les valeurs mobilières et les passeports) et les institutions financières ont aussi un rôle important à jouer. Nous devons rendre nos produits et nos services les plus sûrs possible, tout en étant rentables ou, dans le cas des institutions du secteur public, efficients. Aujourd'hui plus que jamais, cela suppose d'engager des dépenses considérables dans la création et la fourniture de produits et de services très perfectionnés, fiables et faciles à utiliser. Notre nouvelle série de billets de banque L'épopée canadienne est un bon exemple des efforts que nous déployons à cet égard.

En effectuant ces investissements, les organismes doivent accorder davantage d'importance à la sécurité, à la qualité et au service. Les vérifications et la supervision dont ils font l'objet doivent se conformer aux normes les plus élevées qui soient. Les organismes de réglementation et de supervision, les utilisateurs, les conseils d'administration, les gens de loi et la population ont tous intérêt à ce que ces investissements soient profitables.

La GRC et d'autres organismes d'application de la loi sont chargés de trouver les malfaiteurs et de recueillir les preuves. Les procureurs, eux, ont la responsabilité de présenter une accusation solide devant les tribunaux. En travaillant tous ensemble, nous pouvons espérer en arriver à des peines qui reflètent l'importance des crimes. Toutefois, l'atteinte de cet objectif nécessite une collaboration active. C'est facile à dire, mais incroyablement difficile à réaliser. Si l'échange d'information n'est pas une mince affaire à l'intérieur même d'une organisation homogène, la mise en commun de renseignements et de compétences entre organismes distincts l'est encore moins. Mais le succès en dépend.

En faisant de l'intégrité de l'économie une priorité stratégique, la GRC fait un grand pas vers la réalisation de cet objectif, et ce, pour deux raisons. Premièrement, cette initiative vous donne le moyen de mobiliser vos ressources internes. Les Équipes intégrées d'application de la loi dans les marchés en sont un excellent exemple, et je suis persuadé qu'il en sera de même avec les Équipes intégrées chargées de la répression de la contrefaçon. Deuxièmement, elle contribuera à la mise en commun des connaissances, de l'information et des ressources avec d'autres partenaires, dont la Banque du Canada. Grâce à un partenariat bien organisé, nous pouvons atteindre notre objectif d'améliorer et de préserver l'intégrité de l'économie au pays. Au nom de la Banque du Canada, et je suis sûr que je peux parler aussi au nom des commissions des valeurs mobilières et d'autres organismes de réglementation des marchés à ce sujet, je vous remercie de vos efforts et vous assure que vous pouvez compter sur notre appui entier et enthousiaste.

Conclusion

Tout le monde ici présent est déterminé à veiller à la sécurité des Canadiens et des Canadiennes dans leurs foyers et leurs collectivités, ainsi que dans leurs activités économiques et professionnelles. Ce faisant, nous ne devons jamais perdre de vue que les crimes ne sont pas uniquement physiques. Les crimes économiques sont plus difficiles à élucider, et il est plus ardu de traduire leurs auteurs en justice, mais ils nuisent tout autant au bien-être de la population canadienne, et il est très important de déployer tous les efforts possibles pour lutter contre eux.

C'est pourquoi je vous félicite de faire de l'intégrité économique une priorité stratégique. De plus, la Banque du Canada s'engage à poursuivre sa collaboration avec la GRC et tous les services de police dans le but de rendre l'économie canadienne plus sûre pour les investisseurs, les gens d'affaires et l'ensemble des citoyens.