Communiquer : quoi, quand et comment

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Introduction

C’est un plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui pour parler de la communication d’indications sur l’orientation future de la politique monétaire.

Puisque ce type de communication vise fondamentalement à gérer les attentes, permettez-moi d’entrée de jeu de gérer les vôtres. Mon discours a principalement pour thème la communication sur l’orientation de la politique monétaire; il ne fournira pas en soi de nouvelles indications à cet égard.

Nous avons tous besoin, à un moment ou à un autre, d’indications sur la voie à suivre, et nous nous adressons à nos parents, nos professeurs, notre conjoint et nos pairs pour nous aider à prendre des décisions de la vie courante ou d’ordre professionnel ou encore des décisions financières importantes. Mais, en définitive, c’est à nous qu’il revient de prendre ces décisions, ainsi que de vivre avec les conséquences.

Ce désir d’assumer vos responsabilités vous a attirés vers le métier d’analyste financier agréé. Vous avez voulu apprendre comment analyser l’information, prendre des décisions difficiles en matière d’évaluation et de crédit, ainsi qu’accepter les risques et tirer les bénéfices qui en découlent. Vous devez pouvoir compter sur des informations exactes et complètes de la part des entreprises que vous analysez. Sans ces informations, vous ne pourriez pas faire votre travail, pas plus d’ailleurs que les marchés financiers ne pourraient faire le leur, c’est-à-dire de mettre en rapport les épargnants et les investisseurs afin de répartir les capitaux de façon efficiente. Le Canada, qui compte davantage d’analystes financiers agréés par habitant que tout autre grand pays, est avantagé par une telle importance accordée à l’analyse fondamentale au centre de son système.

Que peut-il être utile de communiquer par ailleurs? Faire connaître les attentes des entreprises quant à leurs résultats sert-il à quelque chose? Qu’en est-il des attentes de la banque centrale au sujet de l’orientation future de la politique monétaire?

Dans mon discours, je me pencherai sur les circonstances où il peut être efficace de donner de telles indications et celles où il peut être justifié de le faire. Ce qu’il faut retenir de mes propos est que, si la transparence est essentielle au bon fonctionnement des marchés de capitaux et à l’efficacité de la politique monétaire, il vaut mieux recourir avec parcimonie à la communication d’indices sur la trajectoire future de la politique en temps normal. Dans une conjoncture exceptionnelle, toutefois, on peut faire appel à des déclarations conditionnelles pour résoudre des incohérences temporelles et placer l’économie sur un meilleur sentier d’évolution.

Si vous le voulez bien, j’aborderai dans un premier temps l’utilisation que fait le secteur privé de la communication d’informations et son incidence sur les marchés financiers.

La communication d’informations par les entreprises

L’une des tâches à laquelle se consacrent sans relâche les autorités de réglementation est de veiller à ce que les entreprises fournissent en temps opportun des informations complètes et exactes.

La crise a démontré la nécessité d’une meilleure communication d’informations de la part des institutions financières. L’insuffisance et l’incohérence des informations fournies par celles-ci ont contribué à l’incertitude et miné la confiance des marchés. Il s’en est suivi une nette réduction de la liquidité du marché, une baisse des valeurs et une aggravation des difficultés de financement.

Les autorités de réglementation et les participants aux marchés s’attachent à combler ces lacunes. Un groupe de travail sur le renforcement des obligations d’information a été mis sur pied en mai dernier à l’instigation du Conseil de stabilité financière. Ce groupe de travail du secteur privé est une initiative unique en son genre réunissant des dirigeants du secteur bancaire, des investisseurs, des analystes, des agences de notation et des cabinets d’audit, en consultation avec des instances de normalisation internationales et des autorités de réglementation nationales. Dans son rapport d’octobre, il énonce des principes et des recommandations visant à améliorer la communication d’informations sur les risques, qui cadrent davantage avec la gestion des risques et les stratégies d’affaires des banques. Conjuguées aux initiatives en matière de réglementation et à l’augmentation des fonds propres, ces mesures contribueront à raffermir la confiance des marchés envers les institutions financières.

La communication d’indications sur les résultats à venir

L’idée que les entreprises doivent communiquer des faits importants sur leurs activités, et les transmettre à tous au même moment, ne suscite plus de controverse 1. Il n’existe cependant pas de consensus sur la question de savoir si elles devraient aussi faire connaître leurs attentes quant à leurs résultats futurs.

Selon la plupart des études sur le sujet, il ne semble pas que l’annonce des prévisions de résultats améliore systématiquement la valeur des entreprises, augmente les gains des actionnaires ou réduise la volatilité des marchés 2. Certains avancent même que de telles indications prospectives peuvent être nuisibles, puisqu’elles font porter l’attention des marchés financiers et de la direction des sociétés sur un « jeu de chiffres » à court terme aux dépens des fondements commerciaux à long terme 3. En conséquence, un certain nombre d’entreprises ont cessé de fournir des indications quant à leurs résultats à venir, et les chercheurs ont constaté à leur sujet une augmentation subséquente de la dispersion des prévisions des analystes et une diminution de l’exactitude des prévisions, mais aucune variation de la volatilité des marchés 4.

En va-t-il autrement des communications des banques centrales?

D’abord et avant tout, les banques centrales s’emploient à faire preuve de transparence afin de s’acquitter de l’obligation de rendre compte qui leur incombe dans une société démocratique. En outre, les recherches et l’expérience montrent que des communications claires et ouvertes améliorent également l’efficacité de la politique monétaire. En particulier, pour atteindre ses objectifs de politique monétaire, la banque centrale doit être transparente relativement à ce qu’elle cherche à accomplir et à la façon dont elle s’y prend pour y parvenir.

En ce qui concerne le premier aspect, le Canada bénéficie d’un objectif de politique monétaire clair depuis l’adoption d’une cible d’inflation explicite en 1991. Les Canadiens ayant compris l’objectif poursuivi par la Banque et pris confiance dans sa capacité de l’atteindre au fil du temps, les attentes d’inflation se sont fermement ancrées autour de la cible de 2 %.

Cette confiance permet aux ménages et aux entreprises de formuler des projets à long terme avec plus d’assurance, en prenant leurs décisions en matière d’épargne, de placements et de dépenses en fonction d’un objectif commun de maîtrise de l’inflation. Ces mesures servent collectivement à amener la cible d’inflation à se renforcer elle-même. Elles procurent également à la Banque une latitude accrue pour réagir énergiquement aux chocs économiques sans crainte d’ébranler les attentes d’inflation à long terme. Bref, la compréhension commune de l’objectif de politique monétaire en facilite la réalisation.

Bien entendu, ce serait plutôt étonnant si le simple fait de communiquer l’objectif de politique monétaire suffisait à en garantir l’atteinte. La conduite de la politique a, évidemment, elle aussi son importance. La Banque du Canada met en œuvre la politique monétaire en modifiant le taux cible du financement à un jour, lequel a une incidence directe limitée sur les décisions d’épargne, de placements et de dépenses. Les mesures de la Banque ont en revanche une incidence beaucoup plus grande sur la vaste gamme des taux d’intérêt du marché, les prix des actifs nationaux et le taux de change.

Ce qui compte pour ces prix des actifs, toutefois, n’est pas tant le niveau actuel du taux directeur que sa trajectoire attendue au fil du temps. Ainsi, la politique monétaire agit sur l’économie principalement par l’intermédiaire des attentes associées au taux directeur 5. Plus ces attentes cadrent avec la trajectoire du taux directeur nécessaire pour réaliser l’objectif de politique monétaire, plus grande est la probabilité que cet objectif sera atteint 6.

La Banque du Canada est devenue beaucoup plus transparente. Elle explique maintenant ses décisions huit fois l’an et fournit une analyse détaillée dans les livraisons trimestrielles du Rapport sur la politique monétaire 7. Ces communications visent à la fois à rendre compte du point de vue de la Banque à propos des forces à l’œuvre au sein de l’économie canadienne et à aider les ménages, les entreprises et les participants aux marchés financiers à comprendre comment l’institution compte réagir à ces forces au fil du temps. L’objectif est, en l’occurrence, de donner la possibilité aux marchés et à la population d’être au diapason de la banque centrale, non seulement pour favoriser la formation d’attentes appropriées au sujet de la politique monétaire compte tenu de l’information actuelle, mais aussi pour permettre à ces attentes d’évoluer efficacement à mesure que de nouveaux renseignements deviennent disponibles.

Ce serait chose aisée pour nous de communiquer notre « fonction de réaction » s’il suffisait de suivre une simple règle mécanique. La vie serait en effet plus facile si nous pouvions procéder avec une telle rigidité. Mais pour atteindre notre cible, nous devons adopter une approche flexible en matière de politique monétaire, une approche qui repose sur une analyse réfléchie et un jugement éclairé. C’est l’une des raisons pour lesquelles la transparence et, parfois, la communication d’indications prospectives ont de l’importance.

La communication d’indications en temps normal afin de faciliter l’atteinte de l’objectif de politique monétaire

Dans un monde parfait, la communication d’indications ne serait pas nécessaire. L’incertitude inhérente aux résultats économiques et, partant, à la trajectoire de la politique monétaire serait comprise par tous. Comme les gens disposeraient de toute l’information voulue et que les marchés seraient efficients, les attentes liées à la politique se formeraient en réalité d’elles-mêmes : la connaissance de l’objectif d’inflation de la banque centrale et de la fonction de réaction de celle-ci suffirait aux marchés et au public pour former leurs attentes et les modifier sans que la banque centrale soit forcée de fournir d’indications directes.

Dans le monde réel, la communication d’indications concernant la politique monétaire peut être utile pour fournir des renseignements additionnels. Ce n’est pas assuré, toutefois. La formulation appropriée de telles indications fait toujours l’objet d’un vif débat.

Une approche consiste à fournir des signaux précoces aux marchés en se servant d’expressions consacrées ou de langage codé. Comme on peut s’y attendre, ce type de signal aide les participants aux marchés à prévoir les décisions à court terme en matière de politique monétaire 8. Toutefois, il n’est pas évident que le fait que la banque centrale remplisse ses promesses les aide à comprendre pourquoi ces décisions sont prises 9. Sans cette compréhension, ils sont peut-être encore moins en mesure de former des attentes rationnelles au fil du temps, ce qui les amène à se fier davantage aux indications explicites fournies par la banque centrale. En définitive, on court le risque que les marchés deviennent une chambre de résonance, ce qui ne profiterait à personne.

D’autres banques centrales communiquent directement leur prévision quant à l’évolution de leur taux directeur. Jouer cartes sur table est, à première vue, une approche séduisante. Elle permet d’éviter le défi de tenter de formuler parfaitement les indications verbales. Elle aide également à expliquer l’interaction de la politique monétaire avec l’économie 10.

En pratique, toutefois, il ne semble pas que les marchés tiennent compte systématiquement des indications fournies par la diffusion d’une trajectoire au-delà du très court terme. Dans l’ensemble, les recherches n’ont généralement pas démontré que la diffusion d’une trajectoire donne de meilleurs résultats 11.

À la Banque du Canada, nous avons recours à une approche différente. Nous cherchons à fournir le degré approprié de transparence sur les moyens que nous prenons pour atteindre notre objectif de politique monétaire, en communiquant régulièrement notre opinion sur les forces à l’œuvre au sein de l’économie et en aidant les marchés et le public à comprendre la réaction de la politique monétaire.

En temps normal, la Banque donne à l’occasion une indication de l’imminence et de l’ampleur des mesures de politique envisagées. Elle cherche à placer cette indication dans le contexte des facteurs économiques et financiers les plus importants, qui détermineront si celle-ci est prophétique. Cette indication n’est jamais une promesse, cependant. En réalité, la politique monétaire réagira toujours à l’évolution des perspectives économiques et financières. Les attentes des marchés liées à cette politique devraient faire de même, en reflétant les différences observées dans les points de vue et une compréhension commune de notre objectif.

Voici quelques exemples de circonstances précises où la communication, en temps normal, d’indications additionnelles sur la trajectoire des taux d’intérêt pourrait s’avérer utile.

Vents contraires et taux directeur neutre

Premièrement, au cours du printemps et de l’été 2011, il est devenu manifeste que certains participants canadiens aux marchés faisaient l’hypothèse hâtive que le taux directeur devait se situer à son niveau neutre quand l’inflation atteignait la cible et que l’écart de production était résorbé 12. Ils ne saisissaient pas tout à fait que, dans un contexte où soufflent de forts vents contraires extérieurs, ces deux dernières conditions ne seraient remplies que si le taux directeur demeurait à un niveau plus expansionniste, pour neutraliser les effets de la faiblesse de la demande étrangère sur l’économie intérieure. Afin de préciser notre approche et d’éclairer les participants aux marchés, nous avons inséré une note technique dans la livraison de juillet 2011 du Rapport sur la politique monétaire (Graphique 1 et Graphique 2). Ce faisant, nous avons contribué à réduire les attentes irréalistes au sujet du rythme auquel les conditions monétaires seraient resserrées dans l’avenir.

Communiquer les liens entre la stabilité des prix et la stabilité financière

Mon second exemple a trait aux liens entre la stabilité des prix et la stabilité financière. Notre régime flexible de ciblage de l’inflation exige que nous réévaluions - et communiquions - la trajectoire optimale pour ramener l’inflation à la cible, en prenant dûment en compte les conséquences pour la volatilité de la production et les marchés financiers. La variation de cette trajectoire optimale s’est traduite par un horizon de la cible d’inflation allant de deux trimestres seulement jusqu’à onze trimestres depuis que la Banque a commencé à publier ses projections en matière d’inflation en 1998.

La crise économique qui a sévi dans le monde a rappelé de manière percutante que la stabilité économique et la stabilité financière sont intimement liées et que si l’on vise la première sans égard à la deuxième, on risque fort de ne réaliser ni l’une ni l’autre. Les principaux outils servant à assurer la stabilité financière consistent dans la réglementation et la surveillance microprudentielles et macroprudentielles, mais dans certaines circonstances, il peut s’avérer approprié pour la politique monétaire de soutenir directement la stabilité financière en complétant la politique macroprudentielle employée 13.

Plus particulièrement, comme les conséquences des excès financiers sont susceptibles de se faire sentir pendant une période plus étendue que les autres perturbations économiques, il peut exister des tensions entre les préoccupations concernant les prix et la stabilité financière sur l’horizon habituel de la politique monétaire. Dans les circonstances actuelles, la Banque peut envisager d’établir les taux d’intérêt à un niveau plus élevé que la situation ne le justifierait autrement pour ramener l’inflation à la cible à l’horizon habituel de six à huit trimestres.

Mais cette flexibilité n’existe pas en vase clos, et ne devrait jamais être exercée à la dérobée.

La plus récente livraison de la Revue du système financier traite en détail des risques liés aux déséquilibres observés dans le secteur canadien des ménages. Leur évolution pourrait influer sur le moment et le degré de toute réduction de la détente monétaire en place. Si la Banque devait contrer ces déséquilibres, elle l’annoncerait clairement et indiquerait combien de temps encore elle estime qu’il faudrait avant que l’inflation retourne à la cible de 2 %.

L’indication donnée à l’heure actuelle par la Banque à cet égard est qu’« au fil du temps, une réduction modeste de la détente monétaire sera probablement nécessaire, de façon à atteindre la cible d’inflation de 2 %. Le moment et le degré de toute réduction seront évalués avec soin, en fonction de l’évolution économique à l’échelle internationale et nationale, y compris l’évolution des déséquilibres dans le secteur des ménages ».

Cette indication laisse entrevoir que des mesures de politique pourraient être nécessaires, ce qui doit inciter les ménages à exercer une certaine prudence dans les emprunts qu’ils contractent. La part des nouveaux prêts hypothécaires à taux d’intérêt fixe a presque doublé pour atteindre 90 % cette année, sous l’effet conjugué de prêts hypothécaires assortis de taux d’intérêt fixes intéressants et de la possibilité d’un resserrement évoquée par la Banque du Canada.

La communication d’indications comme outil de politique non traditionnel

Même si la Banque est d’avis qu’il convient de recourir avec parcimonie à la communication d’indications quant à l’orientation future de la politique monétaire dans des circonstances normales, la donne change dans des circonstances exceptionnelles. Lorsque l’on a épuisé les possibilités de recourir à la politique monétaire traditionnelle une fois que les taux d’intérêt nominaux avoisinent la borne du zéro, il est impossible de fournir l’impulsion additionnelle qui sera probablement nécessaire à l’aide de l’outil de politique monétaire traditionnel qu’est le taux directeur.

La communication d’indications prospectives extraordinaires est l’un des instruments de politique non traditionnels, en plus de l’assouplissement quantitatif et de l’assouplissement direct du crédit 14.

La Banque du Canada a communiqué des indications prospectives extraordinaires en avril 2009, lorsque le taux directeur se situait à son plus bas niveau possible et qu’une impulsion additionnelle était requise. À l’époque, elle s’est engagée à maintenir le taux à ce niveau jusqu’à la fin du deuxième trimestre de 2010, sous réserve des perspectives en matière d’inflation. De fait, elle a substitué la durée et la certitude accrue entourant les perspectives liées au taux d’intérêt à l’établissement d’un taux d’intérêt négatif qui aurait été justifié mais ne pouvait être réalisé. Grâce à son engagement conditionnel, la Banque a réussi à modifier les attentes des marchés concernant la trajectoire future des taux d’intérêt, ce qui a fourni l’impulsion souhaitée et ainsi favorisé une remontée de la croissance et de l’inflation au Canada (Graphique 3) 15. Lorsque les perspectives en matière d’inflation - la condition explicite - ont changé, la trajectoire des taux d’intérêt s’est modifiée en conséquence.

L’engagement conditionnel a donné les résultats escomptés du fait qu’il était exceptionnel, explicite et arrimé à un régime de ciblage de l’inflation très crédible. Son succès repose également sur le fait que la Banque a joint le geste à la parole en prolongeant la durée des programmes exceptionnels de soutien à la liquidité de près de 30 milliards de dollars qui étaient en place jusqu’à la fin de son engagement conditionnel. La réussite de cet engagement découle aussi du fait que dans ses déclarations claires et simples, la Banque s’adressait directement aux Canadiens et non seulement aux observateurs de l’institution.

De toute évidence, la trajectoire optimale de la politique monétaire des banques centrales varie en fonction de leur situation et de leur mandat. Par exemple, la Réserve fédérale a indiqué lors de sa réunion de septembre que le taux directeur aux États-Unis devrait se maintenir à des niveaux extrêmement bas jusqu’au milieu de 2015, et elle a procuré une plus grande certitude à l’égard de sa fonction de réaction en liant d’éventuelles mesures de politique monétaire non traditionnelles à des améliorations substantielles des perspectives d’évolution du marché du travail dans ce pays. En outre, elle a fait savoir qu’elle laissera la politique très expansionniste en place « longtemps après que la reprise économique se sera renforcée ». La Réserve fédérale a aussi accru ses achats massifs d’actifs, stratégie surnommée QE3 (ou troisième programme d’assouplissement quantitatif), qui va de pair avec ce renforcement des indications prospectives 16.

La communication d’indications et l’incohérence temporelle

Pour faire plus, il faudra peut-être relever le défi bien connu en matière de politique monétaire qu’est l’incohérence temporelle, mais pas dans le sens traditionnel du terme 17.

De nos jours, pour réussir à placer l’économie sur un meilleur sentier d’évolution au fil du temps, une banque centrale peut se voir forcée de s’engager de façon crédible à laisser la politique très expansionniste en place même après que l’économie et, éventuellement, l’inflation se seront redressées. Les participants aux marchés pourraient mettre en doute la volonté d’une banque centrale dotée d’un régime de ciblage de l’inflation de respecter cet engagement si l’inflation se hisse temporairement au-dessus de la cible. Ces doutes atténuent l’efficacité de l’impulsion fournie par l’engagement et retardent la reprise.

Pour « se lier les mains », une banque centrale pourrait annoncer publiquement des seuils numériques précis pour l’inflation et le chômage, qui devront être atteints avant qu’elle réduise la détente monétaire 18. Cette approche pourrait renforcer l’engagement de la banque centrale à mettre en œuvre une politique expansionniste dans l’avenir et, partant, intensifier l’effet expansionniste qu’ont déjà ses politiques, ce qui contribuerait à sortir l’économie de la trappe à liquidité.

Un nouveau renforcement des indications pourrait nécessiter un changement du cadre de conduite de la politique monétaire

À notre avis, l’établissement de seuils épuise les possibilités en matière de communication d’indications qui s’offrent à une banque centrale dotée d’un régime flexible de ciblage de l’inflation.

Si des impulsions additionnelles s’avéraient encore nécessaires, le cadre de conduite de la politique monétaire lui-même devrait probablement être modifié 19. Par exemple, l’adoption d’une cible fondée sur le niveau du PIB nominal pourrait à de nombreux égards avoir plus de poids que l’utilisation de seuils numériques en régime flexible de ciblage de l’inflation, car elle conférerait à la politique monétaire un degré supérieur de « dépendance à l’égard du passé ». En régime de ciblage du niveau du PIB nominal, le passé n’appartient pas au passé et la banque centrale est forcée de compenser les écarts antérieurs par rapport à la trajectoire du PIB nominal (Graphique 4).

Les recherches menées à la Banque du Canada montrent que, en temps normal, une meilleure exploitation du canal des attentes au moyen d’un cadre caractérisé par une dépendance à l’égard du passé ne saurait produire que des gains modestes, qui pourraient être encore plus dilués si des conditions clés ne sont pas respectées. En particulier, les gens doivent comprendre de façon générale les mesures prises par la banque centrale, ce qui constitue un critère pour le moins élevé 20.

Toutefois, lorsque le taux directeur avoisine la borne du zéro, le régime de ciblage du niveau du PIB nominal pourrait s’avérer plus approprié. Du fait du caractère exceptionnel de la situation et de l’ampleur des écarts, un tel régime pourrait se révéler plus crédible et plus facile à comprendre 21.

Bien entendu, les avantages d’un changement de régime de cet ordre devraient être évalués avec soin en fonction de l’efficacité d’autres mesures de politique monétaire non traditionnelles prises dans le contexte d’un régime flexible de ciblage de l’inflation qui a fait ses preuves.

Conclusion

Les entreprises peuvent parler de leurs résultats futurs, mais elles ne peuvent pas les garantir.

Les banques centrales peuvent parler de l’orientation future de la politique monétaire et elles peuvent, du moins au premier abord, tenir parole.

Toutefois, en temps normal, la banque centrale doit, pour atteindre son objectif, imprimer une orientation à la politique monétaire qui s’adapte à l’évolution des conditions économiques. Par conséquent, cette orientation ne peut être prévue avec certitude à l’avance. De l’avis de la Banque, c’est pourquoi l’efficacité des indications fournies se limite aux circonstances relativement spéciales.

Dans des circonstances exceptionnelles, la communication d’indications au sujet de la politique monétaire peut être plus appropriée et, comme la Banque l’a démontré à l’aide de son engagement conditionnel, elle peut être très efficace. Cependant, dans des circonstances plus extrêmes, même un engagement conditionnel de cette nature peut s’avérer insuffisant. Afin d’accentuer encore plus la détente monétaire lorsque les taux avoisinent la borne du zéro, la banque centrale peut « circonscrire » davantage la trajectoire future de sa politique monétaire au moyen d’un engagement préalable ou d’une dépendance à l’égard du passé.

Dans tous les cas, la banque centrale doit garder à l’esprit l’incidence, sur la stabilité financière, de ce qui équivaut à une période prolongée de taux d’intérêt. D’où l’importance d’une concertation entre les autorités compétentes pour assurer une gestion macroprudentielle active.

Son objectif, comme toujours, est de faire en sorte que les ménages, les entreprises et les investisseurs puissent prendre leurs décisions dans une conjoncture macroéconomique stable.

De cette manière, on peut être assuré que les analyses fondamentales réalisées chaque jour par les analystes financiers agréés jouent un rôle déterminant dans l’allocation du capital, les investissements des entreprises et, en définitive, les emplois et la croissance.

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  1. 1. La réglementation intitulée Regulation Fair Disclosure a été adoptée par la Securities and Exchange Commission des États-Unis en 2000 afin de remédier au problème de la communication sélective d’informations par les sociétés cotées en bourse et d’autres émetteurs. Elle prévoit que lorsqu’un émetteur communique des informations privilégiées importantes à certaines personnes ou entités, il doit les communiquer intégralement au public.[]
  2. 2. J. L. Rogers, D. J. Skinner et A. Van Buskirk (2009), « Earnings Guidance and Market Uncertainty », Journal of Accounting and Economics, vol. 48, no 1, p. 90-109.[]
  3. 3. P. Hsieh, T. Koller et S. R. Rajan (2006), « The Misguided Practice of Earnings Guidance », Perspectives on Corporate Finance and Strategy, no 19, The McKinsey Quarterly.[]
  4. 4. S. Chen, D. Matsumoto et S. Rajgopal (2011), « Is Silence Golden? An Empirical Analysis of Firms that Stop Giving Quarterly Earnings Guidance », Journal of Accounting and Economics, vol. 51, nos 1-2, p. 134-150.[]
  5. 5. J. Boivin (2011), Le mode de pensée des gens et son importance, discours prononcé devant l’Association canadienne de science économique des affaires, Kingston (Ontario), 23 août.[]
  6. 6. Soulignons ici le contraste avec la communication d’indications sur les résultats futurs de l’entreprise, où les attentes ne jouent pour ainsi dire aucun rôle dans les résultats que celle-ci enregistre, si ce n’est indirectement, par l’effet qu’elles ont sur la valeur de l’entreprise et, partant, sur ses conditions de financement.[]
  7. 7. J. Murray (2012), La prise de décision en matière de politique monétaire à la Banque du Canada, discours prononcé devant la Mortgage Brokers Association of B.C., Vancouver (Colombie-Britannique), 7 mai.[]
  8. 8. Voir C. Rosa et G. Verga (2008), « The Impact of Central Bank Announcements on Asset Prices in Real Time », International Journal of Central Banking, vol. 4, no 2, p. 175-217.[]
  9. 9. C. Fay et T. Gravelle (2010), Has the Inclusion of Forward-Looking Statements in Monetary Policy Communications Made the Bank of Canada More Transparent?, document d’analyse no 2010-15, Banque du Canada.[]
  10. 10. La diffusion de la trajectoire prévue du taux directeur en fonction des prévisions de la banque centrale au sujet de la croissance et de l’inflation aide à communiquer le point de vue dominant de la banque centrale sur l’économie et la fonction de réaction de la politique monétaire, ce qui devrait à son tour favoriser l’évolution efficace des attentes concernant cette politique à mesure que de nouveaux renseignements deviennent disponibles.[]
  11. 11. Voir, par exemple, M. Andersson et B. Hofmann (2009), Gauging the Effectiveness of Quantitative Forward Guidance Evidence from Three Inflation Targeters, document de travail no 1098, Banque centrale européenne; C. E. Walsh (2007), « Optimal Economic Transparency », International Journal of Central Banking, vol. 3, no 1, p. 5-36; et G.-A. Detmers et D. Nautz (2012), The Information Content of Central Bank Interest Rate Projections: Evidence from New Zealand, document d’analyse no 2012/03, Banque de réserve de Nouvelle-Zélande.[]
  12. 12. Le niveau du taux neutre fait, naturellement, l’objet d’un certain débat. Voir, par exemple, D. Laidler (2011), Natural Hazards: Some Pitfalls on the Path to a Neutral Interest Rate, bulletin de recherche no 140, Institut C.D. Howe.[]
  13. 13. Banque du Canada (2011), Reconduction de la cible de maîtrise de l’inflation, novembre.[]
  14. 14. Banque du Canada (2009), « Cadre de conduite de la politique monétaire en contexte de bas taux d’intérêt », Rapport sur la politique monétaire, avril.[]
  15. 15. Voir Z. He (2010), Evaluating the Effect of the Bank of Canada’s Conditional Commitment Policy, document d’analyse no 2010-11, Banque du Canada, et M. Woodford (2012), Methods of Policy Accommodation at the Interest-Rate Lower Bound, communication présentée au symposium de Jackson Hole ayant pour thème « The Changing Policy Landscape », 31 août-1er septembre.[]
  16. 16. Réserve fédérale des États-Unis (2012), communiqué publié par le Comité de l’open market de la Réserve fédérale, 13 septembre.[]
  17. 17. À l’époque où les banques centrales n’étaient pas indépendantes, les gouvernements ne pouvaient pas s’engager de façon crédible à maintenir l’inflation à un niveau bas et stable, car ils étaient encouragés par la suite à ne pas respecter cet engagement en provoquant une variation soudaine de l’inflation destinée à stimuler la croissance. Cette incohérence temporelle a entraîné un équilibre de stagflation défavorable dans les années 1970 et l’indépendance opérationnelle généralisée des banques centrales que l’on connaît aujourd’hui. Voir F. Kydland et E. Prescott (1977), « Rules Rather Than Discretion: The Inconsistency of Optimal Plans », Journal of Political Economy, vol. 85, no 3, p. 473-492.[]
  18. 18. Voir, par exemple, C. L. Evans (2012), Perspectives on Current Economic Issues, discours prononcé au petit-déjeuner de la Bank of Ann Arbor, Ann Arbor (Michigan), 18 septembre.[]
  19. 19. Dans la plupart des pays, dont le Canada, un changement de cadre de conduite de la politique monétaire devrait être approuvé par les autorités politiques. Dans d’autres, ce changement nécessiterait des modifications constitutionnelles.[]
  20. 20. En particulier, pour tirer profit des avantages d’un cadre de conduite de la politique monétaire caractérisé par une dépendance à l’égard du passé, comme le régime de ciblage du niveau du PIB nominal, il faut que les agents aient un comportement prospectif, qu’ils soient parfaitement au courant des implications du régime et qu’ils comptent sur les décideurs pour respecter leurs engagements. Comme les recherches de la Banque l’ont montré, si ces conditions ne sont pas réunies, ces approches pourraient en fait déstabiliser l’économie et nuire à la crédibilité de la banque centrale.[]
  21. 21. En tenant compte de la gravité et de la durée des épisodes où les taux d’intérêt se rapprochent de la borne du zéro, nos calculs indiquent que l’adoption d’une cible (temporaire) de niveau des prix, si elle est bien comprise et crédible, pourrait contribuer à éliminer plus de la moitié des pertes associées à l’impossibilité d’accentuer la détente monétaire au moyen d’une baisse du taux directeur. Voir R. Amano et M. Shukayev (2010), « La politique monétaire et la borne inférieure des taux d’intérêt nominaux », Revue de la Banque du Canada, été; et C. I. Evans (2010), Monetary Policy in a Low-Inflation Environment: Developing a State-Contingent Price-Level Target, discours prononcé au 55e colloque économique de la Banque fédérale de réserve de Boston, Boston (Massachusetts), 16 octobre.[]