L'ajustement de l'économie canadienne aux forces économiques mondiales
Bonjour. Je suis heureux de vous rencontrer aujourd'hui. C'est toujours un grand plaisir pour moi de prononcer un discours à Ottawa et de pouvoir en quelque sorte « jouer à domicile ». Cette occasion est d'autant plus appréciée, cette année, que nous célébrons l'anniversaire de la ville d'Ottawa et celui de la Banque du Canada.
L'année 2005 marque le 150e anniversaire de la fondation d'Ottawa. Le 1er janvier 1855, en effet, la petite ville forestière de Bytown était officiellement constituée en municipalité et adoptait le nom d'Ottawa.
Nous fêtons aussi cette année le 70e anniversaire de la Banque du Canada, qui a ouvert ses portes le 11 mars 1935.
La ville d'Ottawa et la Banque du Canada ont toutes deux évolué et pris de l'expansion depuis leur création. Mais s'il est une chose qui n'a pas changé à la Banque, c'est notre engagement à promouvoir la prospérité économique et financière du Canada.
Notre travail, à la Banque du Canada, se divise en quatre grandes fonctions. Permettez moi de les passer brièvement en revue. Premièrement, la Banque émet et distribue les billets de banque du pays et les protège de la contrefaçon. L'an passé, nous avons lancé de nouvelles coupures de 100, de 50 et de 20 dollars dotées d'éléments de sécurité améliorés. Nous intégrons maintenant ces mêmes éléments à un billet de 10 dollars amélioré, qui sera mis en circulation le 18 mai.
La deuxième fonction de la Banque du Canada consiste à gérer la dette publique ainsi que les fonds du gouvernement fédéral, à titre de banquier de ce dernier. Troisièmement, la Banque s'attache à promouvoir la fiabilité et l'efficience du système financier du pays. Elle offre des services bancaires aux banques commerciales et assume la surveillance générale des systèmes qu'utilisent les institutions financières pour transférer des fonds et régler leurs comptes. Enfin, la Banque mène la politique monétaire en maîtrisant l'inflation, pour ainsi préserver la confiance des Canadiens et des Canadiennes dans la valeur de leur monnaie. Elle contribue de cette façon à la stabilité et au dynamisme à long terme de notre économie.
Ce matin, je me propose de vous parler surtout de cette dernière fonction, à savoir la politique monétaire. Selon la Loi sur la Banque du Canada, notre institution a été créée « pour atténuer, autant que possible par l'action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour y arriver, nous nous efforçons de garder l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible. Plus précisément, notre objectif consiste à maintenir le taux d'accroissement annuel des prix à la consommation à 2 %, soit le point médian d'une fourchette cible qui va de 1 à 3 %.
Pour atteindre cet objectif, nous visons à faire en sorte que l'économie tourne à son plein potentiel, en veillant à ce que l'offre et la demande globales restent en équilibre. En termes simples, si la demande de biens et de services pousse l'économie canadienne aux limites de sa capacité et menace de faire monter l'inflation au-dessus de la cible, la Banque majorera son taux d'intérêt directeur. Cette mesure entraînera un relèvement des autres taux d'intérêt et contribuera à ralentir le rythme d'expansion de l'activité. À l'inverse, si l'économie fonctionne en deçà de sa capacité et que l'inflation risque de glisser sous la cible, la Banque abaissera son taux directeur en vue de faire fléchir les taux d'intérêt et de stimuler la croissance. Ainsi, en maintenant l'inflation à un niveau bas et stable, la politique monétaire favorise du même coup une plus grande stabilité de la production.
Le régime de changes flottants est un élément essentiel de notre cadre de conduite de la politique monétaire. Nous n'avons pas de cible ou de niveau préféré en ce qui concerne le taux de change du dollar canadien, mais celui-ci est néanmoins un prix relatif important au sein de notre économie. Une monnaie flottante nous aide à atteindre notre cible d'inflation, et le rôle d'amortisseur qu'elle joue peut permettre à l'économie d'absorber les chocs externes.
Le rôle de la politique monétaire dans l'ajustement de l'économie
J'aimerais maintenant dire quelques mots sur le contexte dans lequel nous menons la politique monétaire. De puissantes forces sont actuellement à l'oeuvre dans l'économie mondiale, notamment la concurrence grandissante livrée par des économies de marché émergentes telles que la Chine et l'Inde, ainsi que les déséquilibres financiers imposants et croissants aux États-Unis et en Asie. L'essor des économies de marché émergentes alimente la demande de produits de base, ce qui pousse à la hausse les cours mondiaux du pétrole et de nombreuses matières premières non énergétiques. Parallèlement, les gains de productivité enregistrés dans certains pays et la concurrence qui s'exerce à l'échelle du globe font diminuer les prix de certains biens de consommation, services de communication et équipements informatiques. Toutes ces forces entraînent des variations marquées des taux de change des principales monnaies. Elles ont aussi contribué à la vive appréciation du dollar canadien par rapport à son pendant américain ces deux dernières années.
Certains des ajustements que nous observons actuellement au sein de l'économie canadienne sont liés directement au jeu de ces forces. Notre politique monétaire facilite ces ajustements, en visant à maintenir la demande intérieure à un niveau élevé. Dans notre dernier Rapport sur la politique monétaire, publié en avril, nous prévoyons que la demande intérieure augmentera de près de 4 % en 2005. Cette progression compensera le tassement de la demande étrangère et la plus faible contribution des exportations à l'expansion de l'économie cette année. Il s'agit d'un facteur important pour la région d'Ottawa, sur lequel je reviendrai dans un moment.
Comme je l'ai mentionné précédemment, la politique monétaire est axée sur la maîtrise de l'inflation. Un taux d'inflation bas et stable permet aux entreprises et aux consommateurs de mieux décoder les signaux que transmettent les prix sur les marchés, ce qui les aide à prendre de meilleures décisions à long terme lorsque d'importants événements économiques surviennent. Devant ces signaux, les secteurs en décroissance du fait d'une faible demande sont incités à libérer des ressources que pourront absorber les secteurs en expansion, qui bénéficient d'une demande vigoureuse. Naturellement, ce genre d'ajustement ne se fait jamais simplement ni sans peine. Des travailleurs peuvent devoir déménager ou se recycler, et les entreprises en croissance peuvent mettre un certain temps à se doter des biens d'équipement dont elles ont besoin. Mais, du point de vue macroéconomique, les coûts sociaux et économiques liés aux ajustements seront moins élevés si les attentes d'inflation sont solidement ancrées, si l'économie fonctionne près des limites de sa capacité et si un taux de change flottant aide à absorber les chocs externes.
Les stratégies d'adaptation des entreprises
Examinons maintenant les façons dont l'économie canadienne s'adapte à l'évolution de l'économie mondiale. Ces deux dernières années, les cours des produits de base ont très fortement augmenté. Les termes de l'échange du Canada — c'est-à-dire le ratio des prix que les Canadiens obtiennent de leurs exportations à ceux qu'ils paient pour leurs importations — se sont améliorés de plus de 16 % depuis la fin de 2001. Par suite de ce relèvement des prix et de la demande, nous avons observé une hausse marquée des dépenses d'investissement dans les domaines de l'extraction pétrolière et gazière, des activités minières et de la fabrication de produits du bois.
On assiste également à un essor des investissements dans des secteurs peu ouverts aux échanges internationaux, tels que ceux de la production d'électricité, de la finance et des assurances, ainsi que de l'information et de la culture. En l'occurrence, les entreprises réagissent aux gains substantiels qui ont été enregistrés au chapitre de la demande intérieure. Je dois ajouter que le raffermissement de l'activité dans l'industrie de la construction découle d'une progression de la demande à la fois au pays et à l'étranger.
Il y a toutefois d'autres secteurs qui sont largement tributaires du commerce international et qui n'ont pas connu de hausse des prix de leurs produits. Je parle ici des industries productrices de biens, comme celles des pièces automobiles, du textile et de la confection, ainsi que de certaines branches du secteur des services, dont celle du tourisme. Les entreprises de ces secteurs se ressentent de l'appréciation du dollar canadien et doivent, de surcroît, faire face à une intensification de la concurrence provenant d'autres pays.
Ce qui est rassurant, c'est que bon nombre d'entreprises canadiennes procèdent à des ajustements. Elles investissent pour élever leur degré de spécialisation et leur productivité ainsi que pour abaisser leurs coûts. Dans le secteur de la production de biens, où la majorité des machines et du matériel destinés à améliorer la productivité sont fabriqués à l'étranger et facturés en dollars É.-U., l'appréciation de notre monnaie est venue réduire substantiellement les coûts de ces équipements, ce qui a incité les entreprises canadiennes à acheter des outils en vue d'augmenter leur productivité. Dans le secteur des services, la concurrence accrue les encourage à se spécialiser davantage et à offrir des services à plus forte valeur ajoutée et sur mesure.
Il se produit également d'autres types d'ajustements. Ainsi, un nombre croissant d'entreprises cherchent à comprimer leurs coûts en important plus d'intrants. C'est manifestement le cas des fabricants de matériel de télécommunication. D'autres firmes encore préfèrent délaisser la production de biens et de services peu rentables pour se tourner vers ceux qui offrent de meilleures perspectives de profits.
La politique monétaire facilite ce processus d'ajustement en maintenant à un niveau élevé la croissance de la demande intérieure. Les bas taux d'intérêt en vigueur stimulent en effet les dépenses des ménages et des entreprises, ce qui contribue à faire tourner l'économie près des limites de sa capacité. Cette forte demande intérieure est certes importante à l'échelle du pays, mais elle le sera tout particulièrement à Ottawa cette année et l'an prochain, car il est probable que la croissance du secteur de l'administration publique marquera le pas. Bien que la Banque n'étudie pas de manière détaillée la situation des villes, il ressort de notre analyse globale que l'expansion de l'industrie manufacturière devrait se tasser sous l'effet de l'appréciation de notre monnaie, qui comprime la demande de produits fabriqués au Canada, dont les produits technologiques d'Ottawa. Cette appréciation avive en outre la concurrence que subit le secteur de l'hôtellerie et du tourisme, ici comme ailleurs au pays. En revanche, on peut s'attendre à ce que la vigueur persistante de la demande des ménages et des entreprises stimule l'industrie du logiciel ainsi que les secteurs des services aux entreprises et du commerce de détail d'Ottawa.
L'efficience du système financier
Avant de conclure, j'aimerais dire quelques mots au sujet du système financier et du rôle que la Banque du Canada joue dans la promotion de son efficience. Comme je l'ai déjà souligné, un système financier efficient est indispensable pour maintenir la compétitivité du Canada à l'échelle internationale et garantir la bonne tenue de son économie à longue échéance. Le système est dit efficient lorsqu'il contribue à ce que des ressources économiques limitées soient employées aux fins les plus productives possible, et ce, au meilleur coût. L'objectif final est de faire en sorte que les institutions financières et les marchés financiers du Canada canalisent l'épargne des investisseurs vers des investissements appropriés et productifs.
Dans d'autres discours, j'ai traité des façons de favoriser la concurrence, la transparence et l'efficience des institutions et des marchés financiers du pays. Je ne reviendrai pas sur ce sujet aujourd'hui, mais je réitère qu'il est essentiel que le Canada fasse des progrès dans cette voie. Si les Canadiens et les Canadiennes souhaitent jouir d'une croissance économique et d'une prospérité durables, il faut que notre système financier soit aussi efficient que possible.
Une des initiatives qui ont été lancées à cet égard — la Loi uniforme sur le transfert des valeurs mobilières — bénéficie de l'attention du ministre des Services aux consommateurs et aux entreprises, Jim Watson, ainsi que du gouvernement de l'Ontario. L'efficience de nos marchés financiers y gagnerait si les gouvernements provinciaux et territoriaux adoptaient des lois qui remplaceraient l'actuelle mosaïque de règles dans ce domaine et qui procureraient une assise juridique plus solide pour la possession et le transfert de droits à l'égard de titres détenus sous forme d'écritures comptables.
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres des initiatives encourageantes que l'on observe actuellement. Pour sa part, la Banque du Canada continuera d'appuyer ces efforts en étudiant des moyens d'améliorer le fonctionnement des institutions et des marchés financiers ainsi que la fiabilité et la solidité du système financier au pays, et en encourageant les discussions à ce sujet. Il convient de noter que nous communiquons les résultats de ces recherches aux organismes de réglementation, aux opérateurs des marchés et au public, notamment par la publication semestrielle de notre Revue du système financier.
Conclusion
Permettez-moi de conclure. Comme je le disais au début, de puissantes forces économiques sont à l'oeuvre dans le monde, et il appartient à chaque pays de s'y adapter. Les entreprises d'Ottawa et du reste du Canada procèdent aux ajustements nécessaires pour pouvoir faire face aux enjeux de l'heure et tirer parti des nouveaux débouchés.
De notre côté, à la Banque du Canada, nous continuerons à surveiller ces forces de près et à évaluer leur incidence. Nous continuerons à mettre en oeuvre la politique monétaire de telle sorte que l'inflation se maintienne près de la cible visée et que l'économie canadienne fonctionne à plein régime. Nous poursuivrons nos efforts en vue de promouvoir la fiabilité et l'efficience du système financier, et, comme toujours, nous nous efforcerons de soutenir la confiance du public dans la valeur de sa monnaie et la stabilité de l'économie. C'est ainsi que nous faciliterons les ajustements auxquels se livrent les entreprises canadiennes face aux transformations que subit l'économie mondiale.