Introduction
Je suis ravie d’être ici aujourd’hui. J’ai déjà fait en 2019 un discours sur le marché hypothécaire devant l’Economic Club of Canada. Je présentais alors le point de vue d’un organisme de réglementation bancaire. Me revoici, cinq ans plus tard, pour parler du même sujet, mais du point de vue de la banque centrale.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces cinq dernières années ont été mouvementées. Il y a eu la pandémie, le plus grave ralentissement économique en cent ans, la plus rapide reprise de l’histoire, et la flambée de l’inflation.
Parlant d’inflation, on s’est réjoui de la voir revenir à la cible de 2 % récemment. C’est signe que la politique monétaire a fonctionné. Cela n’a pas été sans peine, mais on a réussi à maîtriser la hausse des prix sans causer le ralentissement brutal que plusieurs craignaient. Les taux d’intérêt ont commencé à baisser, et on s’attend à ce que la situation continue de se normaliser.
Malgré tout, pour un large pan de la population canadienne, ce n’est pas un vrai retour à la normale. Oui, l’inflation est revenue à la cible, mais beaucoup de produits essentiels coûtent plus cher qu’avant la pandémie. Et oui, les salaires ont augmenté, mais les revenus de nombreuses personnes n’ont pas suivi le rythme des prix.
Ce qui m’amène au coût du logement, qui reste un défi de taille. C’est le cas pour les acheteurs potentiels, mais aussi pour les locataires. Quant à ceux qui ont un prêt hypothécaire, ce qui les préoccupe vraiment, c’est le taux qu’ils obtiendront au renouvellement.
On a beaucoup parlé de la fameuse « vague de renouvellements hypothécaires ». Plus de quatre millions de prêts, soit environ 60 % de ceux en cours, seront renouvelés d’ici deux ans. Une bonne partie de ces prêts n’ont pas encore été renouvelés depuis le début des hausses de taux en 2022. Même si les taux d’intérêt ont commencé à baisser, la plupart de ces emprunteurs verront leurs versements augmenter considérablement.
À la Banque du Canada, on a beaucoup réfléchi aux risques entourant le renouvellement de ces prêts.
Les ménages pourraient limiter leurs dépenses plus que prévu pour pallier l’augmentation de leurs versements, ce qui ralentirait l’économie. Cette augmentation des versements pourrait aussi causer des tensions financières pour les emprunteurs, voire des pertes pour les prêteurs et les assureurs hypothécaires. Et comme beaucoup de prêts sont titrisés – c’est-à-dire qu’ils sont regroupés et cédés à des investisseurs sous forme de titres –, une multiplication des pertes dans le marché hypothécaire pourrait peser sur le niveau de liquidité et la stabilité financière globale. En plus, étant donné que l’assurance hypothécaire au Canada est garantie par l’État, il pourrait y avoir des répercussions budgétaires si les pertes sont importantes.
C’est un portrait très sombre, j’en conviens. Mais je vous rassure : il s’agit de risques extrêmes, et non de nos prévisions.
Concernant la politique monétaire, nos prévisions supposent que les ménages continueront d’ajuster leurs habitudes d’épargne et de consommation pour absorber l’augmentation de leurs versements hypothécaires. Et avec les baisses de taux d’intérêt, l’effet de cette augmentation s’atténuera et la consommation reprendra graduellement.
Sur le plan de la stabilité financière, les gens au Canada sont connus pour payer leurs prêts hypothécaires. Même durant la crise financière mondiale de 2008-2009, le taux d’arriérés n’a jamais dépassé 0,5 %. Plus récemment, ni les turbulences économiques ni les fortes hausses de taux d’intérêt n’ont ébranlé le marché hypothécaire canadien. Le taux des prêts en souffrance a augmenté, mais il reste près de ses plus bas niveaux de l’histoire.
Après ce qu’on vient de traverser, c’est un bon moment pour faire le point. Même si l’économie est en train de retrouver une certaine forme de normalité, les prochaines années nous réservent une plus grande volatilité et des taux d’intérêt généralement plus élevés que ce qu’on a connu une bonne partie des 20 dernières années.
Se pencher sur les règles du financement hypothécaire est d’autant plus pertinent que les décideurs politiques les utilisent parfois comme levier pour trouver des solutions au problème de l’abordabilité des logements. Le prix des maisons repose essentiellement sur l’offre et la demande. Mais comme la plupart des gens empruntent pour accéder à la propriété, le coût et la disponibilité du crédit à l’habitation jouent aussi pour beaucoup. Bien sûr, ce coût et cette disponibilité dépendent du taux directeur établi par la banque centrale, mais aussi des politiques et de la réglementation des pouvoirs publics.
Mon exposé d’aujourd’hui portera donc sur ce sujet. Pour commencer, je vais présenter quelques concepts clés. Ensuite, je brosserai un bref portrait historique des changements importants apportés au marché du financement hypothécaire au Canada. Pour finir, je comparerai ce qui se fait ici avec ce qui se fait ailleurs. L’objectif est de voir quelles leçons nous pouvons en tirer et quelles occasions de changement s’offrent à nous.
Prêts hypothécaires 101
On s’entend généralement pour dire que l’accession à la propriété est bénéfique à la société. C’est pourquoi la plupart des États veillent à faciliter l’accès au crédit à l’habitation et à le rendre abordable. Parallèlement, comme un prêt hypothécaire représente souvent la dette la plus importante qu’une personne contracte dans sa vie, on adopte aussi des lois visant à protéger les consommateurs et à s’assurer qu’ils comprennent bien les risques liés au crédit hypothécaire.
Les organismes de réglementation des banques portent eux aussi une attention particulière aux prêts hypothécaires, étant donné leur poids important dans le secteur bancaire. Au Canada, par exemple, les prêts hypothécaires à l’habitation représentent près de la moitié des actifs du système bancaire. Voilà pourquoi la santé des banques dépend en grande partie de celle du marché hypothécaire. Et cette santé est nécessaire à la stabilité économique.
Les grandes orientations fixées par les gouvernements et les organismes de réglementation peuvent évoluer au fil du temps, en réaction à la conjoncture. Qui dit changement dans les politiques, dit changement dans l’équilibre et la distribution des risques.
Pour comprendre cet exercice d’équilibre, il faut garder en tête les principes de base du financement hypothécaire, notamment son fonctionnement et ses parties prenantes.
En quelques mots, un prêt hypothécaire est un contrat assorti de conditions qui définissent les obligations du prêteur et de l’emprunteur – comme le taux d’intérêt, la durée, la période d’amortissement et le calendrier des paiements.
Une fois le prêt consenti, le prêteur peut soit le conserver en tant qu’actif, ou investissement, soit le transformer en titre hypothécaire et le céder à un investisseur. Si le prêteur ne vend pas le prêt, il doit avancer les fonds. Pour réduire le risque de taux d’intérêt, il lui faut alors un dépôt d’un montant et d’une durée à peu près identiques à ceux du prêt accordé.
Les prêteurs cèdent des créances hypothécaires afin d’avoir diverses sources de financement et de ne pas être limités par la disponibilité des dépôts qu’ils détiennent. C’est pourquoi les investisseurs jouent un rôle important : ils donnent aux prêteurs accès à des capitaux qui leur permettent de financer encore plus de prêts.
Peu importe l’objectif stratégique, avant d’apporter des changements au marché du financement hypothécaire, il faut penser à ces trois groupes : les emprunteurs, les prêteurs et les investisseurs. Ils sont tous les trois indispensables au bon fonctionnement du marché.
Le défi réside, bien entendu, dans le fait que chacun a ses préférences quant aux caractéristiques du marché. Parfois, quand on essaie d’améliorer les choses pour un groupe, on cause du tort à un autre. Ce qui intéresse l’emprunteur, c’est l’abordabilité. Pour l’investisseur, c’est plutôt le taux de rendement rajusté en fonction du risque. Les dispositions qui réduisent le risque ou la flexibilité de l’emprunteur peuvent, au contraire, accroître le risque ou la flexibilité du prêteur ou de l’investisseur, et vice versa.
En résumé, le marché hypothécaire se révèle un exercice d’équilibre entre divers objectifs stratégiques et diverses parties prenantes. Pour vous montrer l’évolution de cet équilibre au Canada, je vous propose maintenant un bref portrait des changements qui ont été apportés au marché du financement hypothécaire.
Des choix qui ont forgé l’histoire
La première intervention de l’État dans le marché du financement des habitations au Canada remonte avant la Confédération. À l’époque, très peu de gens avaient un prêt hypothécaire. Ceux qui en avaient un devaient verser une mise de fonds de 50 % et, en règle générale, n’avaient d’autre choix qu’une durée de cinq ans. Les sociétés d’assurance et de fiducie étaient les principaux prêteurs, et le rôle de l’État se limitait à établir des règles générales concernant les emprunts.
La Loi sur l’intérêt est un bon exemple de ces interventions. Datant des années 1880, cette loi est toujours en vigueur et façonne encore aujourd’hui le marché hypothécaire au Canada. J’y reviendrai un peu plus tard.
À compter des années 1930, le gouvernement fédéral a commencé à intervenir davantage dans le marché hypothécaire. L’objectif étant alors de stimuler l’activité économique, les politiques étaient axées sur la construction de logements. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays a connu une pénurie de logements pour les militaires de retour au pays. Le gouvernement de l’époque a alors créé la société d’État Wartime Housing Limited, qui avait pour mandat d’offrir du financement hypothécaire à taux avantageux. La Wartime Housing Limited allait ensuite devenir la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Puis, en 1954, le gouvernement adopte la Loi nationale sur l’habitation. C’est à ce moment qu’on commence à assurer les prêts hypothécaires contre le défaut de paiement. L’assurance hypothécaire garantie par l’État est, depuis, un élément fondamental du marché canadien du financement aux habitations1.
Au fil des ans, les dispositions de l’assurance prêt hypothécaire ont considérablement varié. La mise de fonds minimale a fluctué entre 0 et 25 %, et la période d’amortissement maximale, entre 25 et 40 ans. Au début, seules les nouvelles constructions pouvaient être assurées contre le défaut de paiement, les taux d’intérêt étaient plafonnés et le terme le plus court était de 25 ans. Vers la fin des années 1960, les habitations revendues sont devenues admissibles à l’assurance, les plafonds ont été levés et des termes plus courts ont été offerts. Ces réformes ont fait en sorte d’attirer les banques dans le secteur du financement hypothécaire.
On a assisté à un autre changement important sur le marché du financement hypothécaire en 1987, à l’instauration du programme de titres hypothécaires de la Loi nationale sur l’habitation. Ensuite, il y a eu celui des Obligations hypothécaires du Canada en 2001. Les deux programmes visaient à alimenter le bassin de financement en élargissant le marché secondaire des placements hypothécaires.
Avec ces deux programmes, les investisseurs profitent du fait que tous les prêts sous-jacents sont assurés et que cette assurance est soutenue par l’État2. Cela attire les investisseurs et permet aux prêteurs de financer leurs prêts hypothécaires à des taux proches de ceux auxquels emprunte le gouvernement fédéral. En réduisant le coût du financement pour les prêteurs, ces programmes contribuent à faire baisser les coûts hypothécaires assumés par les emprunteurs.
C’est après l’effondrement du marché hypothécaire américain en 2008, et la crise financière mondiale qui a suivi, que les politiques ont à nouveau subi des changements importants au Canada. L’État a apporté des changements visant à diminuer les risques qui s’étaient accumulés dans le secteur financier avec l’élargissement de l’accès au crédit et à l’assurance hypothécaire. C’est là qu’est arrivé le plafonnement du prix des maisons admissibles à l’assurance, par exemple, en plus de certaines exigences de financement renforcées comme celle du test de résistance.
Les mêmes événements ont aussi conduit à un renforcement de la réglementation des prêts hypothécaires non assurés. En 2012, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a publié la ligne directrice B-20, qui venait resserrer les exigences entourant l’approbation des prêts hypothécaires et la gestion des risques par les banques. En 2018, il l’a d’ailleurs bonifiée en ajoutant un test de résistance semblable à celui exigé pour les prêts hypothécaires assurés.
Durant la pandémie de COVID-19, il y a eu d’autres changements au test de résistance applicable aux prêts hypothécaires assurés et à la ligne directrice B-20. Le but était de préserver la rigueur des normes de financement à un moment de profonds bouleversements économiques où les taux d’intérêt étaient extraordinairement bas. Enfin, plus récemment, le gouvernement a ajusté les règles de l’assurance hypothécaire pour mieux soutenir les emprunteurs qui subissent des problèmes d’abordabilité, et le BSIF a laissé entrevoir une autre révision de sa ligne directrice B-20.
C’était notre petite incursion dans l’histoire du marché des prêts hypothécaires au Canada. Vous pouvez voir comment les changements d’orientations au fil des ans ont influencé la distribution et l’équilibre des risques pour façonner le marché tel qu’on le connaît aujourd’hui. Maintenant, voyons quelles leçons tirer en regardant comment d’autres pays composent avec des objectifs et des défis similaires.
Y a-t-il un meilleur système ailleurs dans le monde?
On a beaucoup entendu parler de la vague de renouvellements hypothécaires dernièrement, ce qui attire les regards vers les États-Unis, où les prêts hypothécaires sont souvent signés pour 30 ans. Imaginez avoir bloqué un taux sur 30 ans dans les deux dernières années, pendant que les taux étaient au plus bas. Le rêve, n’est-ce pas?
En fait, pour les prêteurs et les investisseurs en titres hypothécaires, il y a moins de quoi se réjouir. Le risque de taux d’intérêt ne pèse plus sur l’emprunteur, mais sur eux. Quelques banques américaines ont d’ailleurs fait faillite ces dernières années à cause de leur incapacité à gérer ce risque. Toutefois, les prêts hypothécaires sur 30 ans existent depuis longtemps aux États-Unis. Les banques ont donc eu amplement le temps d’adapter leurs pratiques de gestion des risques, et la grande majorité d’entre elles le font bien.
Aux États-Unis, une façon de gérer les risques consiste pour les prêteurs à titriser en grande partie leurs prêts hypothécaires. En conséquence, la plupart des prêts accordés par les banques américaines ne figurent pas à leur bilan, contrairement aux banques canadiennes. C’est une particularité du marché américain qui est généralement vue comme un facteur ayant contribué à l’effondrement du marché en 2008. Étant donné que les prêteurs américains ne gardaient pas les créances qu’ils contractaient, ils étaient moins portés à appliquer des normes d’examen rigoureuses.
On trouve une assurance prêt hypothécaire garantie par l’État sur le marché américain également. Même si elle n’est pas obligatoire pour les prêts hypothécaires à ratio élevé comme ici, beaucoup de prêteurs en font une condition d’approbation. Il y a aussi aux États-Unis des montants plafonds pour les prêts assurables, mais ils dépendent des conditions des marchés locaux.
Par ailleurs, les prêts hypothécaires américains ont des taux d’intérêt plus élevés. Au Canada, les prêts hypothécaires à taux fixe sont généralement basés sur les rendements des obligations d’État à 5 ans, tandis qu’aux États-Unis, on se base sur les bons du Trésor à 10 ans.
Même si les pénalités pour remboursement anticipé sont plus restrictives aux États-Unis, la flexibilité des autres conditions est elle aussi limitée. Par exemple, les prêts hypothécaires américains ne sont pas transférables. Quelqu’un qui a obtenu un bon taux, mais qui se fait offrir un plus gros salaire dans une autre ville, pourrait donc devoir faire une croix sur ce taux s’il veut accepter l’offre.
À l’autre bout du spectre, dans des pays comme l’Australie et la Norvège, la plupart des prêts hypothécaires ont un taux d’intérêt variable. C’est donc l’emprunteur qui assume tout le risque de taux d’intérêt.
Dans la plupart des pays, les périodes d’amortissement s’étendent sur 20 à 40 ans, mais il en existe aussi – surtout en Europe – de 50 ou 60 ans, voire de 100 ans pour les prêts qui se veulent intergénérationnels.
Les prêts hypothécaires dont on paie seulement les intérêts sont relativement courants, surtout dans les pays où les intérêts donnent droit à une déduction fiscale, comme au Danemark, en Norvège et aux Pays-Bas.
Et enfin, depuis quelques années, les contrats sont de plus en plus flexibles dans la plupart des pays. Je parle ici des clauses qui permettent de sauter ou d’ajouter un versement, par exemple, ou des marges de crédit hypothécaires qui permettent aux emprunteurs de retirer des fonds sur la valeur acquise de leur maison. Les États-Unis font exception, car la flexibilité a été grandement limitée par la Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act qui est entrée en vigueur à la suite de la crise financière mondiale.
Le beurre et l’argent du beurre
Alors, quelles sont les leçons qu’on peut tirer de ce retour sur l’histoire des prêts hypothécaires? Permettez-moi d’en suggérer quelques-unes.
D’abord, les règles du financement hypothécaire au Canada ont changé pour toutes sortes de raisons au fil des ans, que ce soit pour encourager la construction résidentielle et l’accession à la propriété, pour élargir le bassin d’investisseurs, pour limiter le risque ou pour améliorer la stabilité du système financier. Le marché hypothécaire actuel est le résultat de nombreuses motivations différentes.
Ces changements ont eu une incidence importante sur la distribution des risques. Aujourd’hui, environ un prêt hypothécaire sur quatre est assuré dès le début et environ 590 milliards de dollars, soit à peu près le quart de l’encours des dettes hypothécaires au Canada, qui s’élève à 2,4 billions de dollars, sont garantis par l’État. On voit bien pourquoi la solidité et le bon fonctionnement du marché du financement des habitations sont essentiels à l’économie canadienne.
Ensuite, les changements de politiques exigent des compromis. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. En prenant des mesures pour réduire le coût à court terme des prêts hypothécaires, on risque d’augmenter le coût à long terme assumé par les emprunteurs. Si on fait un calcul rapide à partir des taux d’intérêt actuels et du prêt hypothécaire moyen au Canada, on constate qu’un emprunteur peut réduire ses versements de 200 $ par mois en faisant passer sa période d’amortissement de 25 à 30 ans. Par contre, il paiera 50 000 $ de plus en frais d’intérêt à son prêteur en fin de compte.
Même si les longues périodes d’amortissement et les petites mises de fonds augmentent le rendement des prêteurs, elles augmentent le risque assumé tant par le prêteur que par l’emprunteur, parce qu’elles réduisent la marge de manœuvre en cas de difficulté du côté de l’emprunteur. Les organismes de réglementation peuvent gérer ce risque en élevant leurs attentes de capital, et les investisseurs, leurs attentes de rendement. Les prêteurs doivent alors assumer des coûts plus élevés, et ce sont souvent les emprunteurs qui en paient le prix sous la forme de taux d’intérêt plus élevés.
Maintenant, revenons à la vague de renouvellements hypothécaires que j’ai mentionnée au début de mon discours. C’est un excellent exemple de l’influence des politiques sur le marché des prêts hypothécaires.
Au Canada, le prêt hypothécaire typique est signé sur cinq ans avec une période d’amortissement de 25 ans. C’est donc dire que l’emprunteur s’expose quatre fois au risque de taux d’intérêt sur toute la période de son prêt, soit chaque fois qu’il le renouvelle. Entre les renouvellements, c’est le prêteur qui assume ce risque, à moins qu’il cède le prêt.
S’il y a davantage de prêts hypothécaires sur cinq ans, c’est en grande partie à cause de la Loi sur l’intérêt dont j’ai parlé plus tôt, qui date des années 1880. Selon cette loi, un emprunteur qui contracte un prêt hypothécaire de plus de cinq ans a le droit de rembourser ce prêt en entier après cinq ans, sous réserve d’une pénalité maximale de trois mois d’intérêts. Mais pour les cinq premières années d’un prêt hypothécaire, il n’y a pas de limite. Les prêteurs facturent donc ce qu’on appelle la pénalité de l’écart de taux d’intérêt. Le calcul de cette pénalité varie d’un prêteur à l’autre, mais généralement, il en résulte que l’emprunteur paie une somme semblable au montant d’intérêt que le prêteur s’attendait à percevoir sur la durée du prêt.
On peut comprendre pourquoi les prêteurs préfèrent les prêts hypothécaires de cinq ans et moins. Rien ne les empêche d’offrir des prêts à plus long terme, et certains le font. Mais puisqu’ils assument un plus grand risque de taux d’intérêt, ils imposent généralement un taux plus élevé, ce qui semble avoir limité la popularité de ces prêts pour le moment. En avril 2021, par exemple, il était possible d’obtenir au Canada un prêt hypothécaire de dix ans à 3,14 % d’intérêts ou de cinq ans à 2,29 % d’intérêts. Environ 80 000 emprunteurs ont choisi le prêt de cinq ans, contre seulement 400 celui de dix ans.
Depuis, bien sûr, la population canadienne a traversé une période de hausses rapides des taux d’intérêt. On a donc des motifs de croire que les préférences peuvent avoir changé. Mais pour que les prêts à long terme soient plus accessibles au Canada, il pourrait être nécessaire de modifier les politiques.
Conclusion
J’aimerais conclure en passant trois messages.
Premièrement, le marché canadien des prêts hypothécaires nous a grosso modo bien servi sur deux aspects importants : la stabilité financière et la disponibilité d’un crédit abordable pour l’accession à la propriété. Parmi les économies avancées, le Canada a l’un des plus hauts taux d’accession à la propriété et l’un des plus bas taux de défaillance sur les prêts hypothécaires3.
L’effet des taux d’intérêt plus élevés a été difficile pour les emprunteurs récemment, et continuera de l’être pour les gens qui renouvelleront leur prêt au cours des deux prochaines années. Mais les politiques qui décourageaient l’endettement excessif et encourageaient les pratiques de financement solides et dynamiques, comme le test de résistance, ont fait leurs preuves ces dernières années4.
Deuxièmement, quand il s’agit du marché des prêts hypothécaires, aucun changement n’est simple. La distribution des risques entre les différentes parties sur le marché a de nombreuses ramifications, notamment le coût et la disponibilité du crédit ainsi que les options et la flexibilité dont disposent les emprunteurs.
Troisièmement, nous devons résister à la tentation de trop intervenir sur le marché des prêts hypothécaires pour essayer de résoudre le problème d’abordabilité des logements. Ce problème est bien réel pour notre économie. C’est encourageant de voir les gouvernements de tous les niveaux se pencher sur ce problème et se montrer créatifs en proposant diverses solutions. Pour que les logements soient plus abordables, il faut atteindre un meilleur équilibre entre l’offre et la demande, ce qui prendra du temps. D’ici là, si on se fie trop aux mesures qui réduisent le coût à court terme du financement, on risque de compromettre à long terme la santé financière des ménages, le marché des prêts hypothécaires et l’économie.
Cela ne veut pas dire qu’il est impossible d’apporter un changement, mais certainement qu’il faut user de prudence. C’est toujours bon de chercher des occasions d’amélioration, et le monde est rempli d’exemples inspirants. L’idée est de trouver le bon équilibre.
Je tiens à remercier Brian Peterson et Yasuo Terajima de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.
Information connexe
Discours : Economic Club of Canada
Le marché hypothécaire canadien — La première sous-gouverneure Carolyn Rogers prononce une allocution devant l’Economic Club of Canada. (vers 12 h 40, heure de l’Est).