Croissance de la production potentielle mondiale
Cette note présente la mise à jour annuelle des estimations préparées par le personnel de la Banque du Canada en ce qui concerne la croissance de la production potentielle mondiale. Ces estimations font partie des principaux éléments de l’analyse sous-jacente au Rapport sur la politique monétaire d’avril 2024.
On estime que la croissance de la production potentielle mondiale s’est largement rétablie depuis son creux atteint pendant la pandémie de COVID-19, passant de 2,1 % en 2020 à un taux estimé de 3,0 % en 20241. Cette augmentation vient en grande partie d’une reprise dans les pays émergents importateurs de pétrole, où s’atténuent peu à peu les pressions à la baisse exercées par la pandémie sur l’accumulation du capital et la croissance de la productivité totale des facteurs (graphique 1 et graphique 2). La croissance de la production potentielle a essentiellement retrouvé ses moyennes d’avant la pandémie dans toutes les régions sauf la Chine, où l’on estime qu’elle a constamment reculé.
Pour la suite, on s’attend à ce que la croissance de la production potentielle mondiale faiblisse pour tendre vers 2,9 % en 2027 (tableau 1). Ce repli modeste reflète principalement un ralentissement de la croissance du facteur travail tendanciel (FTT), compte tenu du vieillissement rapide de la population mondiale. On s’attend d’ailleurs à ce que le vieillissement pèse sur la productivité du travail, même si dans certains pays l’effet pourrait être atténué par la place grandissante qu’occuperont les groupes d’âge plus productifs au sein de la population active (Guénette et Shao, à paraître)2.
Par rapport à l’évaluation de l’an dernier, la croissance de la production potentielle mondiale a été revue à la hausse de 0,2 point de pourcentage, en moyenne, pour 2023-2026. Cette révision reflète surtout l’accumulation de capital plus forte que prévu dans les pays exportateurs de pétrole, ainsi qu’un ajustement positif des taux d’activité tendanciels aux États-Unis et dans les pays émergents importateurs de pétrole.
Graphique 1 : La croissance de la production potentielle mondiale s’est redressée
Graphique 2 : Les améliorations de l’approfondissement du capital alimentent la croissance de la production potentielle mondiale
Tableau 1 : Croissance projetée de la production potentielle
Part du PIB mondial réel* (%) | Croissance projetée† (%) | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
2022 | 2023 | 2024 | 2025 | 2026 | 2027 | ||
États-Unis | 16 | 2,0 (1,7) | 2,3 (1,8) | 2,3 (1,8) | 2,2 (1,8) | 2,1 (1,7) | 2,1 |
Zone euro‡ | 12 | 0,9 (0,8) | 1,3 |
1,2 |
1,1 |
1,1 |
1,1 |
Japon | 4 | 0,6 |
0,6 |
0,6 (0,7) | 0,7 (0,8) | 0,7 |
0,7 |
Chine | 19 | 4,8 |
4,6 (4,7) | 4,3 (4,5) | 4,1 (4,3) | 3,9 (4,2) | 3,8 |
Pays émergents importateurs de pétrole§ | 33 | 3,3 |
3,6 (3,5) | 3,9 (3,7) | 4,1 (3,7) | 4,1 (3,9) | 4,1 |
Autres pays◊ | 17 | 1,3 (0,7) | 1,9 (1,3) | 2,1 (1,7) | 2,1 (1,7) | 2,0 (1,8) | 2,0 |
Monde | 100 | 2,7 (2,5) | 2,9 (2,7) | 3,0 (2,8) | 3,0 (2,8) | 2,9 (2,8) | 2,9 |
* La part de chaque pays ou groupe de pays est calculée d’après les estimations du Fonds monétaire international concernant les produits intérieurs bruts (PIB) mesurés en parité des pouvoirs d’achat pour 2022, publiées en octobre 2023 dans les Perspectives de l’économie mondiale. Parce que les chiffres sont arrondis, il se peut que la somme des pourcentages ne soit pas égale à 100.
† Les chiffres entre parenthèses correspondent aux projections présentées dans le Rapport sur la politique monétaire d’avril 2023 et n’apparaissent que s’ils sont différents de la projection actuelle.
‡ La Croatie est entrée dans la zone euro le 1er janvier 2023. La projection actuelle et les données historiques incluent l’adhésion de ce pays.
§ Le groupe des pays émergents importateurs de pétrole n’inclut pas la Chine. Il est composé des grands pays émergents d’Asie, d’Amérique latine, du Moyen-Orient, d’Europe et d’Afrique – comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud –, et de nouveaux pays industrialisés comme la Corée du Sud.
◊ Le groupe « Autres pays » rend des économies qui ne font pas partie des cinq premières régions. Il est composé des pays émergents exportateurs de pétrole (p. ex., Russie, Nigéria et Arabie saoudite) et des autres économies avancées (p. ex., Canada, Royaume-Uni et Australie).
Estimations régionales de la croissance de la production potentielle
États-Unis
La croissance de la production potentielle des États-Unis devrait progresser en passant de 2,0 % en 2022 à 2,3 % en 2024, avant de ralentir à 2,2 % en 2025 et à 2,1 % en 2026 (graphique 3). L’accélération prévue entre 2022 et 2024 vient d’une hausse de la croissance du FTT, stimulée par la forte immigration nette projetée. Après 2024, la diminution graduelle tient surtout au fait que la croissance du FTT sera freinée par un ralentissement de l’immigration. Sur la même période, la croissance de la productivité totale des facteurs (PTF) tendancielle devrait toutefois se redresser vers sa moyenne à long terme, ce qui compensera en partie la baisse de croissance du FTT. La hausse de l’immigration devrait d’ailleurs stimuler très légèrement la croissance de la PTF tendancielle d’ici 2027. Les nouveaux immigrants sont, en moyenne, plus scolarisés et probablement plus dans la force de l’âge que les personnes nées aux États-Unis, ce qui vient augmenter la contribution des groupes d’âge plus productifs (Guénette et Shao, à paraître).
Graphique 3 : La croissance de la production potentielle aux États-Unis devrait atteindre un sommet en 2024, stimulée par la vigueur du facteur travail tendanciel
Voici ce qui a changé par rapport à l’évaluation d’avril 2023 :
- La croissance de la production potentielle a été révisée à la hausse d’environ 0,5 point de pourcentage en moyenne pour 2023 et 2024, et de 0,4 point de pourcentage pour 2025 et 2026. La production potentielle serait plus élevée de 2 % en 20263. Cette révision à la hausse reflète surtout la croissance démographique plus forte et le taux d’activité tendanciel plus élevé au cours de la période de projection.
- La croissance démographique a été relevée de 0,3 point de pourcentage en moyenne de 2023 à 2026, étant donné la plus forte immigration nette projetée en raison de l’augmentation notable du nombre d’immigrants sans papier sur cette période4. Compte tenu de l’incertitude entourant l’immigration, nous présentons d’autres scénarios pour illustrer l’effet de ce facteur démographique sur nos perspectives de croissance de la production potentielle (encadré 1).
- Le taux d’activité tendanciel a été révisé à la hausse de 1,2 point de pourcentage en moyenne pour 2023-2026, car on l’estime maintenant plus élevé chez les travailleurs nés à l’étranger et les femmes dans la force de l’âge. En effet, en 2023, le taux d’activité de ces deux groupes avait augmenté respectivement de 0,6 et 0,8 point de pourcentage par rapport à 20195. On s’attend à ce que cette résilience persiste, puisque la part des travailleurs nés à l’étranger augmente et que la flexibilité améliorée des conditions de travail retient davantage les femmes dans la population active6.
- Le quart de la révision à la hausse pour 2026 vient d’une plus forte croissance de la PTF tendancielle, qui devrait augmenter graduellement sous l’effet prolongé d’une hausse de l’immigration7.
Encadré 1 : Autres scénarios d’immigration pour les perspectives de croissance de la production potentielle aux États-Unis
Encadré 1 : Autres scénarios d’immigration pour les perspectives de croissance de la production potentielle aux États-Unis
Nous présentons ici deux autres scénarios pour évaluer la sensibilité de nos prévisions aux données d’immigration (tableau 1-A). Ils sont basés sur ±1 écart-type entre l’immigration nette annuelle enregistrée de 1984 à 2019, qui est estimée à environ 0,4 million, et notre hypothèse de référence, qui est de 2,2 millions en moyenne pour la période de 2024 à 2027.
- Notre scénario de référence suppose que l’immigration nette passera de 0,8 million en 2020 à 3,3 millions en 2023 et 2024, puis à une moyenne d’environ 1,8 million par année de 2025 à 2027 (graphique 1‑A). La croissance démographique annuelle tendancielle serait ainsi de 1,1 % en moyenne entre 2024 et 20278.
- Dans le scénario de faible immigration, la croissance démographique tendancielle suit une moyenne de 1,0 %, donc légèrement inférieure au scénario de référence. Dans le scénario de forte immigration, elle est plutôt de 1,2 % en moyenne, donc légèrement supérieure au scénario de référence.
- La plus forte immigration nette devrait favoriser le taux d’activité tendanciel, puisque le taux d’activité est plus élevé chez les personnes nées à l’étranger que chez celles nées aux États-Unis (graphique 1‑B). Depuis le début de la pandémie, cet écart s’est creusé parce que les travailleurs plus âgés nés aux États-Unis ont été proportionnellement plus nombreux qu’auparavant à quitter la population active. Dans notre scénario de référence, le taux d’activité tendanciel atteint en moyenne 62,4 % de 2024 à 2027. Dans le scénario de faible immigration, il descend légèrement à 62,3 %, tandis que dans le scénario de forte immigration, il remonte un peu plus haut à 62,5 %.
- Dans notre scénario de référence, on estime que la croissance de la PTF tendancielle suivra une moyenne d’environ 1,1 % entre 2024 et 2027. L’immigration accrue devrait alimenter cette croissance de quelque 0,04 point de pourcentage d’ici 2027. Puisqu’il s’agit d’une contribution minime, la croissance de la PTF tendancielle reste de 1,1 % en moyenne dans les deux autres scénarios.
- En tout, selon les variations de croissance démographique tendancielle et le taux d’activité envisagés dans ces scénarios, la croissance de la production potentielle serait contenue entre 2,1 % et 2,3 %.
Graphique 1-A : L’immigration nette devrait rester élevée en 2023 et en 2024
Graphique 1-B : Le taux d’activité est plus élevé chez les personnes nées à l’étranger que chez celles nées aux États-Unis, et l’écart se creuse
Tableau 1-A
Croissance de la production potentielle | Taux d’activité tendanciel | Croissance démographique tendancielle | Croissance de la productivité totale des facteurs tendancielle | |||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Référence | Faible immigration | Forte immigration | Référence | Faible immigration | Forte immigration | Référence | Faible immigration | Forte immigration | Référence | Faible immigration | Forte immigration | |
2024-2027 | 2,2 % | 2,1 % | 2,3 % | 62,4 % | 62,3 % | 62,5 % | 1,1 % | 1,0 % | 1,2 % | 1,1 % | 1,1 % | 1,1 % |
Zone euro
La croissance de la production potentielle dans la zone euro devrait s’être redressée en 2023, puisque l’effet modérateur des prix énergétiques élevés sur la croissance de la PTF tendancielle s’est dissipé. On estime que la croissance de la production potentielle se modérera pendant la période de projection, passant de 1,3 % en 2023 à environ 1,1 % pour 2024-2027 (graphique 4). Cette prévision reflète le ralentissement de la croissance du FTT causé par le vieillissement de la population. Toutefois, ce ralentissement est partiellement contrebalancé par un approfondissement continu du capital, qui est soutenu par l’accroissement des investissements privés et publics liés en partie à la décarbonation. Selon les estimations, la croissance de la PTF tendancielle a fortement ralenti entre 2018 et 2022, en raison de la persistance des pressions baissières liées au Brexit, à la pandémie de COVID-19 et à la crise énergétique causée par l’invasion russe en Ukraine. À plus long terme, la croissance de la PTF tendancielle devrait se redresser graduellement, soutenue en partie par les réformes structurelles mises en œuvre dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience de la Commission européenne.
Comparativement à l’estimation d’avril 2023, la croissance de la production potentielle dans la zone euro reste à peu près la même de 2023 à 2027. La contribution plus grande du FTT – qui est liée aux projections démographiques plus élevées de la Commission européenne – est compensée par une plus faible croissance de la PTF tendancielle. La révision à la baisse de la PTF tendancielle est attribuable à une réévaluation de différents vents contraires touchant la productivité dans la zone euro, dont la forte incertitude économique, les frictions sur le marché du travail et le lourd fardeau réglementaire. L’effet modérateur des prix de l’énergie est plus faible que ce qui avait été postulé l’an passé, ce qui fait partiellement contrepoids à cette révision9.
Graphique 4 : La croissance de la production potentielle dans la zone euro devrait se modérer à mesure que le facteur travail tendanciel s’amoindrira
Chine
En Chine, la croissance de la production potentielle devrait décélérer progressivement au cours de la période de projection et passer de 4,6 % en 2023 à 4 % en moyenne pour 2024-2027 (graphique 5). On s’attend à une baisse continue du FTT en 2024-2027, ce qui reflète le déclin de la population active en conséquence du vieillissement de la population. On prévoit aussi que l’approfondissement du capital diminuera, en contrecoup de la conjoncture immobilière et vu la capacité limitée à effectuer des investissements en raison des niveaux élevés de la dette publique. Enfin, l’incertitude entourant les politiques nationales, les tensions géopolitiques avec les économies avancées et les changements démographiques devraient peser sur la croissance de la PTF tendancielle au cours des prochaines années. En effet, les perspectives de croissance de la PTF en Chine sont particulièrement empreintes d’incertitude (voir encadré 2).
Par rapport à l’évaluation d’avril 2023, la croissance de la production potentielle en Chine a ralenti de 0,1 point de pourcentage en moyenne en 2020-2023. En outre, elle devrait être plus faible de 0,3 point de pourcentage en moyenne pour 2024-2026. On s’attend globalement à ce que le niveau de la production potentielle soit 1,2 % plus bas en 2026. Ces révisions à la baisse pour la période de projection découlent surtout d’une décélération de la croissance de la PTF tendancielle qui est causée par des pressions baissières attribuables aux politiques nationales et aux changements démographiques.
Les politiques nationales chinoises et la dissociation actuelle du pays avec les économies occidentales ont probablement contribué à la baisse plus abrupte que prévu des investissements directs étrangers en 2023. On s’attend à ce que ces vents contraires persistent et freinent ainsi le rythme des diffusions technologiques au cours de la période de projection.
De même, la distribution moins favorable des groupes d’âge dans la population active et l’augmentation du ratio des personnes âgées inactives par rapport à la population en âge de travailler devraient plomber davantage la croissance de la PTF tendancielle (Guénette et Shao, à paraître). La croissance du FTT a quant à elle été revue à la baisse pour tenir compte des estimations démographiques plus faibles dans le recensement de 2020. Cela dit, pendant la période de projection, l’effet négatif de cette révision sur le produit intérieur brut (PIB) potentiel est entièrement compensé par les révisions à la hausse de l’approfondissement du capital. Ces révisions positives découlent de politiques qui favorisent la réaffectation d’investissements publics et privés à des secteurs industriels plus productifs (comme les chaînes d’approvisionnement des véhicules électriques), plutôt que dans le secteur immobilier chancelant.
Graphique 5 : La croissance de la production potentielle en Chine devrait continuer de se modérer suivant l’apport décroissant de l’approfondissement du capital
Encadré 2 : Risques pesant sur la croissance de la productivité totale des facteurs en Chine
Encadré 2 : Risques pesant sur la croissance de la productivité totale des facteurs en Chine
Les perspectives de croissance en Chine sont empreintes d’une grande incertitude et dépendent en grande partie de l’évolution de la croissance de la PTF10. Par conséquent, de part et d’autre du scénario de référence, nous évaluons deux autres possibilités pour la croissance de la PTF tendancielle chinoise (graphique 2-A). Le premier scénario présente un risque à la hausse, dans lequel des améliorations des politiques stoppent le ralentissement de cette croissance. Le deuxième scénario expose un risque à la baisse, dans lequel des pressions baissières touchant la productivité s’intensifient. Afin d’évaluer ces scénarios, nous nous servons d’une partie du cadre de comptabilité de la croissance qu’utilisent Bailliu et autres (2016) pour la Chine11.
- Dans le scénario de risque à la hausse, nous supposons que malgré les tensions géopolitiques et celles liées aux politiques qui pourraient créer des vents contraires à court terme, la dynamique de rattrapage soutiendra la croissance de la PTF. Plus précisément, les gains obtenus des investissements croissants dans les secteurs plus productifs et des dépenses en recherche et développement stimuleront cette dynamique à court terme. L’atténuation des vents contraires découlant de l’incertitude afférente aux politiques permettrait quant à elle un redressement de la productivité à long terme. Dans ce scénario, la croissance de la PTF monte à 2,3 % en 2030 (graphique 2-A, ligne jaune), ce qui porte la croissance potentielle à 3,7 % (graphique 2-B, ligne jaune).
- Dans le scénario de risque à la baisse, nous supposons que les diffusions technologiques provenant des entrées d’investissements directs étrangers sont amoindries en totalité et que les dépenses en recherche et développement ne réussissent pas à stimuler la croissance de la PTF. Résultat, les gains de productivité endogènes disparaissent12. Les sources restantes de croissance de la productivité proviennent de la réaffectation de la main-d’œuvre d’un secteur à l’autre et de l’accumulation du capital humain13. La croissance de la PTF tendancielle descendrait à 1,4 % d’ici 2030 (graphique 2-A, ligne verte) et la croissance potentielle, à 2,8 % (graphique 2-B, ligne verte).
Graphique 2-A : La croissance projetée de la PTF tendancielle en Chine est sujette à des risques haussiers et baissiers
Graphique 2-B : La croissance potentielle projetée en Chine dépend en partie des perspectives de croissance de la PTF
Pays émergents importateurs de pétrole
Après s’être effondrée en raison de la pandémie, en 2020, la croissance de la production potentielle dans les pays émergents importateurs de pétrole devrait poursuivre sa reprise graduelle jusqu’en 2025, grâce à d’autres améliorations de l’approfondissement du capital et du FTT (graphique 6). On estime que l’investissement s’accroîtra à mesure que les conditions monétaires nationales s’assoupliront et que certains de ces pays émergents bénéficieront de la réorientation des chaînes d’approvisionnement des économies avancées aux dépens de la Chine14. La croissance du FTT devrait aussi s’accélérer davantage en 2024 et rester forte, alimentée par une amélioration légère mais soutenue du taux d’activité. En parallèle, on prévoit que la croissance de la PTF tendancielle se stabilisera aux alentours de 1,4 % par année, ces pays émergents bénéficiant d’une participation croissante aux chaînes de valeur mondiales, d’investissements dans la numérisation et de certains progrès dans la mise en œuvre de réformes structurelles. Dans l’ensemble, la croissance de la production potentielle devrait s’élever à 4,1 % en moyenne par année pour 2024-2027.
La croissance de la production potentielle dans les pays émergents importateurs de pétrole a été légèrement revue à la hausse pour 2023-2026 comparativement à l’évaluation d’avril 2023, du fait d’une croissance du FTT plus vigoureuse et d’une plus grande accumulation de capital15. Cette croissance du FTT plus forte découle d’un modeste changement à nos projections du taux d’activité tendanciel, résultat de l’étonnante résilience des marchés de l’emploi des pays émergents ces dernières années16. L’accumulation de capital a été revue à la hausse, notamment en raison du niveau plus élevé des investissements en Inde et des meilleures perspectives de croissance des investissements dans plusieurs pays asiatiques.
Graphique 6 : La croissance de la production potentielle des pays émergents devrait se redresser graduellement
Autres régions
Au Japon, la croissance de la production potentielle devrait rester assez stable à environ 0,7 % par année pendant la période de projection. Cette projection est basée sur les modestes améliorations de l’approfondissement du capital, qui ont contrebalancé l’aggravation du déclin du FTT. Même si on s’attend à ce que le taux d’activité continue d’augmenter, le vieillissement de la population exercera de plus en plus de pressions baissières sur le FTT. La croissance de la production potentielle a été quelque peu revue à baisse sur l’horizon de projection par rapport à l’évaluation d’avril 2023, étant donné le ralentissement de la croissance du FTT, qui découle surtout d’une baisse croissante du nombre moyen d’heures travaillées.
Dans les autres pays, on prévoit que la croissance de la production potentielle se redressera et s’établira à 2 % en moyenne en 2024-2027, alimentée par l’accumulation rapide de capital et la résorption des pressions baissières qu’exerçait la pandémie sur la croissance de la PTF tendancielle. Comparativement à l’évaluation de l’an dernier, la croissance de la production potentielle a été revue à la hausse de 0,6 point de pourcentage en 2023 et de 0,3 point de pourcentage par année en moyenne pour 2024-2026. Ce changement résulte principalement d’une plus grande accumulation de capital, surtout dans les secteurs non pétroliers de l’Arabie saoudite17.
Incertitudes entourant les perspectives de croissance du PIB mondial potentiel
Un vaste ensemble d’incertitudes entoure l’évaluation de cette année.
Du côté des risques à la baisse, la persistance des tensions géopolitiques en Europe, en Asie et au Moyen-Orient compte parmi les incertitudes qui planent à l’échelle internationale. Ces tensions sont associées aux risques de fragmentation géoéconomique, les grandes économies cherchant à simplifier leurs chaînes d’approvisionnement et à accroître leur autonomie stratégique. Dans plusieurs pays, mais surtout aux États-Unis, les futures politiques d’immigration et l’évolution du taux d’activité sont incertaines. En même temps, les conditions monétaires restrictives partout dans le monde pourraient exacerber les risques que pose la dette souveraine de beaucoup de pays émergents. Cette situation pourrait accroître l’incertitude économique et faire baisser les niveaux d’investissement.
Pour ce qui est des risques à la hausse, l’adoption rapide de nouvelles technologies numériques – notamment les nouveaux outils flexibles d’intelligence artificielle – pourrait faire augmenter les investissements des entreprises, stimuler la croissance de la PTF tendancielle et accélérer le rattrapage du retard de croissance dans les pays émergents. De plus, les possibilités accrues de travail à distance pourraient faciliter la réaffectation de la main-d’œuvre vers des secteurs plus productifs. Enfin, la mise en œuvre plus rapide de réformes structurelles pourrait relever durablement le taux de croissance potentielle des pays émergents, entre autres en favorisant un rythme plus rapide d’adoption des technologies.
Références
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Aiyar, S., C. Ebeke et X. Shao. 2016. « The Impact of the Workforce Aging on European Productivity ». Document de travail no 2016/238 du Fonds monétaire international.
Aksoy, Y., H. S. Basso, R. P. Smith et T. Grasl. 2019. « Demographic Structure and Macroeconomic Trends ». American Economic Journal: Macroeconomics 11 (1) : 193-222.
Bailliu, J., M. Kruger, A. Toktamyssov et W. Welbourn. 2016. « How Fast Can China Grow? The Middle Kingdom’s Prospects to 2030 ». Document de travail du personnel 2016-15 de la Banque du Canada.
Baur, L. et S. Y. Wang. 2023. « Prime-Age Women Are Going Above and Beyond in the Labor Market Recovery ». Brookings Research.
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Congressional Budget Office. 2024b. « The Demographic Outlook: 2024 to 2054 ».
Fang, H. 2023. « Where is China’s Economy Headed? ». Aspen Economic Strategy Group, Aspen Institute.
Favero, C. et V. Galasso. 2015. « Demographics and the Secular Stagnation Hypothesis in Europe ». CEPR Discussion Paper no DP10887.
Feyrer, J. 2007. « Demographics and Productivity ». Review of Economics and Statistics 89 (1) : 100-109.
Guénette, J.-D. et L. Shao. À paraître. « Assessing the Impact of Demographic Composition on Productivity ». Document d’analyse du personnel de la Banque du Canada.
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Lee, H., J. Lee et H. Kim. 2011. « Foreign Direct Investment, Technology Diffusion, and Host Country Productivity Growth ». Banque asiatique de développement, ADB Economics Working Paper Series no 272.
Ohnsorge, F. L. et L. Quaglietti. 2023. « Trade as an Engine of Growth: Sputtering but Fixable ». Document de travail consacré à la recherche sur les politiques no WPS10356 de la Banque mondiale.
Banque mondiale. 2020. « World Development Report 2020: Trading for Development in the Age of Global Value Chains ».
Annexe : Méthodologie utilisée pour estimer la production potentielle
Nous estimons la croissance de la production potentielle pour chaque région au moyen d’un cadre de comptabilité de la croissance axé sur une fonction de production Cobb-Douglas agrégée. Ce cadre pose l’hypothèse que la relation entre la production globale d’un pays et les différents facteurs de production est exprimée par l’équation suivante (où \(\displaystyle\, \%\Delta x \) représente la variation en pourcentage de la variable \(\displaystyle\, x\)) :
\(\displaystyle\, \%\Delta Y_{t} \) \(\displaystyle=\, \alpha \%\Delta \left(\frac{K_t} {L_t}\right) \) \(\displaystyle+\, \%\Delta L_{t} \) \(\displaystyle+\, \%\Delta TFP_t \) \(\displaystyle,\)
où \(\displaystyle\, Y\) correspond au PIB réel; \(\displaystyle\, \frac{K} {L} \) correspond au stock de capital réel par travailleur; \(\displaystyle\, L\) correspond au facteur travail; \(\displaystyle\, TFP\) correspond à la productivité totale des facteurs; et \(\displaystyle\, \alpha\) correspond à la part du revenu du capital dans la production.
Les stocks de capital des pays sont établis à l’aide de la méthode de l’inventaire perpétuel (MIP), et sont basés soit sur les données des comptes nationaux sur la formation brute de capital fixe, soit sur des données d’investissement détaillées sur les actifs sous-jacents, combinées à des données sur les taux de dépréciation moyens et les prix moyens des actifs de diverses catégories18. Le potentiel est mesuré en fonction des stocks de capital observés parce qu’ils déterminent les limites de la capacité de production d’une économie en date d’aujourd’hui. Le facteur travail, soit le nombre total d’heures travaillées dans l’économie, correspond au produit du nombre moyen d’heures travaillées par personne employée, de la taille de la population en âge de travailler et du taux d’activité, multiplié par un moins le taux de chômage. Enfin, la croissance de la productivité totale des facteurs correspond au résidu de Solow calculé par l’équation (1) à partir des données des comptes nationaux sur la croissance du PIB réel. Ainsi, la croissance de la productivité totale des facteurs tient compte des contributions individuelles à la productivité de divers facteurs, dont les suivants : progrès technologiques à l’échelle mondiale, gains d’efficience résultant d’innovations à l’échelle nationale, réformes structurelles, modification des termes de l’échange, crises financières et géopolitiques, et accumulation du capital humain19.
Pour neutraliser l’effet du cycle conjoncturel, les valeurs tendancielles du facteur travail et de la productivité totale des facteurs servent à calculer la croissance du PIB potentiel, lequel correspond à la somme des contributions respectives des facteurs en fonction de la décomposition dans l’équation (1). La notion de production potentielle correspond à la production au maximum de sa capacité, c’est-à-dire le niveau correspondant à des conditions de plein emploi et à la projection de la productivité totale des facteurs à long terme.
Notes
- 1. La croissance de la production potentielle est estimée à l’aide d’un cadre de comptabilité de la croissance qui décompose la production potentielle en trois éléments : la productivité totale des facteurs tendancielle, l’approfondissement du capital et le facteur travail tendanciel. Voir l’annexe pour obtenir des précisions à ce sujet.[←]
- 2. Le vieillissement de la population est associé à une baisse de la croissance tendancielle et de la productivité (Favero et Galasso, 2015; Aiyar, Ebeke et Shao, 2016; Aksoy et autres, 2019). Cependant, Feyrer (2007) propose que certains groupes d’âge – surtout les personnes de 40 à 49 ans – contribuent disproportionnellement au niveau de productivité. En analysant une mise à jour des estimations de Feyrer ainsi que les projections démographiques des Nations Unies, Guénette et Shao (à paraître) constatent que la distribution des groupes d’âge dans la population active pourrait évoluer d’une façon qui, vers la fin de la décennie, favoriserait la croissance de la productivité tendancielle du travail aux États-Unis, au Canada et dans plusieurs pays émergents d’importance.[←]
- 3. Cela exclut l’effet qu’ont eu les révisions du niveau de la production potentielle jusqu’en 2022, découlant principalement des révisions complètes des comptes nationaux en septembre 2023, et l’ajustement à la hausse de la croissance démographique pendant la pandémie selon les données démographiques du Congressional Budget Office.[←]
- 4. La vigueur renforcée de l’immigration nette vient des données du Congressional Budget Office (2024a).[←]
- 5. Ces chiffres sont atténués par le faible taux d’activité des personnes de 55 ans et plus, qui ne cessent de quitter la population active depuis le début de la pandémie. Leur taux d’activité est passé de 40,2 en 2019 à 38,6 % en 2023, et on s’attend à ce qu’il reste inférieur aux niveaux prépandémiques pour l’ensemble de la projection.[←]
- 6. Baur et Wang (2023) constatent que ce sont les femmes dans la force de l’âge qui ont le plus contribué au rebond du taux d’activité depuis le début de la pandémie. Cela découle du télétravail qui, en se généralisant, a permis à des femmes s’occupant d’un proche à continuer de travailler.[←]
- 7. Nous estimons cet apport à environ 0,04 point de pourcentage sur la croissance de la PTF tendancielle d’ici 2027. Par ailleurs, le Congressional Budget Office (2024a) estime que 2 % des nouveaux immigrants font partie de la main-d’œuvre hautement qualifiée des secteurs des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques, et contribuent à l’innovation.[←]
- 8. Pour estimer la tendance démographique, nous appliquons le filtre de Hodrick-Prescott aux données passées et projetées sur la population civile hors institution âgée de 16 ans et plus. Notre projection se fonde sur les taux de croissance prévus par le Congressional Budget Office (2024b).[←]
- 9. Pour un aperçu de l’effet qu’exercent les prix intérieurs de l’énergie sur le niveau de productivité totale des facteurs dans la zone euro, voir l’encadré 2 de Ahmed et autres (2023).[←]
- 10. Pour une analyse plus approfondie des diverses perspectives de croissance en Chine, voir Fang (2023).[←]
- 11. Bailliu et autres (2016) décrivent les relations sous-jacentes entre les investissements directs étrangers, les dépenses en recherche et développement, et la productivité totale des facteurs tendancielle dont nous nous servons pour nos scénarios. Les auteurs concluent que la croissance de la productivité totale des facteurs s’accélère de 0,02 point de pourcentage quand le stock réel d’investissements directs étrangers augmente de 1 %, et de 0,7 point de pourcentage quand les dépenses en recherche et développement augmentent de 1 %.[←]
- 12. Dans nos scénarios, les changements d’entrées d’investissements directs étrangers n’ont pas d’effets sur l’approfondissement du capital parce que ces entrées ne représentent qu’une part minime des investissements des entreprises (2,5 % de la formation brute de capital fixe en 2022). Cela dit, on s’attend à ce que les entrées d’investissements directs étrangers aient un effet disproportionné sur la croissance de la productivité totale des facteurs tendancielle par l’intermédiaire de plusieurs canaux, dont la concurrence entre les entreprises étrangères et nationales, et le mimétisme d’entreprises étrangères plus productives (voir, par exemple, Lee, Lee et Kim, 2011).[←]
- 13. On suppose que la croissance du stock réel d’investissements directs étrangers et des dépenses en recherche et développement sera de 0 % pendant la période de projection de ce scénario.[←]
- 14. Par exemple, la Banque mondiale (2020) constate que les chaînes de valeur mondiales peuvent continuer de stimuler la croissance, de créer de meilleurs emplois et de réduire la pauvreté – tant que les pays en développement mettent en œuvre des réformes plus profondes et que les pays industrialisés mènent des politiques ouvertes, inclusives et prévisibles. Cela dit, les perspectives de diversification seront probablement limitées par les coûts élevés des échanges, qui comprennent les coûts de transport, les barrières non tarifaires et les coûts réglementaires (Ohnsorge et Quaglietti, 2023).[←]
- 15. La croissance de la production potentielle a été revue nettement à la baisse pour 2020, à la suite d’une révision à la hausse de l’estimation des conséquences négatives de la pandémie de COVID-19.[←]
- 16. Les projections à court terme de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant le marché du travail dans les pays émergents ont été revues à la hausse ces dernières années, ce qui laisse entrevoir une plus grande résilience ainsi qu’une légère inversion des conséquences négatives causées par la pandémie. Qui plus est, nous pensons que la mise en œuvre continue de réformes structurelles dans les grands pays émergents comme l’Inde favorisera la hausse graduelle des taux d’activité. L’OIT laisse toutefois entendre que les risques entourant les taux d’activité des pays émergents sont orientés à la baisse (OIT, 2024).[←]
- 17. En Arabie saoudite, pays qui représente 21 % du groupe « Autres pays », la croissance des investissements privés hors pétrole a bondi de 32,2 % en 2022. Cette hausse est en grande partie attribuable aux montants élevés d’investissements privés dans les gigaprojets saoudiens, notamment ceux d’infrastructure à grande échelle.[←]
- 18. Lorsque des données d’investissement des comptes nationaux sont utilisées, on calcule les taux de dépréciation géométrique pour le stock de capital total comme la moyenne pondérée des taux de dépréciation propres aux catégories d’actifs sous-jacentes.[←]
- 19. Pour les régions où le capital humain est estimé séparément du résidu de Solow – dont la Chine, les pays émergents importateurs de pétrole et les autres pays –, la contribution de l’accumulation du capital humain est incluse dans les estimations présentées pour la croissance potentielle de la productivité totale des facteurs.[←]
Remerciements
Nous remercions Harriet Jackson, José Dorich, Subrata Sarkar, Michael Francis et Fotios Raptis pour leurs observations et suggestions judicieuses. Nous tenons aussi à remercier Meredith Fraser-Ohman, Jordan Press et Carole Hubbard pour leur excellente aide à la rédaction, ainsi que Patricia Marando et Laurent Lavallée pour la traduction française.
Avis d’exonération de responsabilité
Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.
DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-10