Le résumé qui suit rend compte des délibérations du Conseil de direction de la Banque du Canada ayant mené à la décision de politique monétaire annoncée le 24 janvier 2024.
Il reflète les discussions et les délibérations qu’ont tenues les membres du Conseil de direction à la troisième étape du processus entourant les décisions de politique monétaire, soit après avoir reçu toutes les informations et recommandations pertinentes du personnel.
Les réunions concernées, présidées par le gouverneur Tiff Macklem, ont débuté le 16 janvier. La première sous-gouverneure Carolyn Rogers, le sous-gouverneur Toni Gravelle, la sous-gouverneure Sharon Kozicki, le sous-gouverneur Nicolas Vincent et le sous-gouverneur Rhys Mendes y ont participé.
Économie internationale
Le Conseil de direction (le Conseil) a entamé ses discussions en faisant le point sur l’évolution récente de l’économie internationale. La croissance mondiale avait ralenti, mais pas autant qu’anticipé dans le Rapport sur la politique monétaire d’octobre, en raison surtout de la croissance plus forte que prévu aux États-Unis. L’inflation avait continué à descendre dans la plupart des économies.
Aux États-Unis, les dépenses de consommation avaient été d’une résilience surprenante. Néanmoins, les membres du Conseil ont dit s’attendre à ce qu’elles ralentissent au cours des trimestres subséquents à mesure que les consommateurs, ayant déjà utilisé une bonne partie de leur épargne accumulée durant la pandémie, allaient s’ajuster aux taux d’intérêt plus élevés. Les membres ont cependant estimé qu’il y avait un risque que les dépenses de consommation demeurent plus fortes que prévu.
Dans la zone euro, la croissance était demeurée faible, et les membres s’attendaient à ce que l’économie se contracte légèrement avant de recommencer à progresser graduellement au cours des deux années à venir. La lenteur de la croissance s’expliquait notamment par les hausses passées de taux d’intérêt, la faible demande d’exportations de la zone euro et les prix plus élevés de l’énergie. En Chine, on s’attendait à ce que l’activité économique reste morose en raison de l’incertitude entourant les politiques économiques, du faible niveau de confiance des consommateurs et des problèmes persistants dans le secteur immobilier.
On s’attendait à ce que l’inflation continue de baisser dans la plupart des grandes économies, pour atteindre les cibles des banques centrales en 2025. Les membres ont parlé des risques d’élargissement du conflit au Moyen-Orient, y compris celui d’une escalade des attaques perpétrées contre des navires marchands dans la mer Rouge. Ils ont noté que de tels développements pourraient provoquer de nouvelles perturbations importantes des chaînes d’approvisionnement ou une hausse des prix du pétrole, ce qui avait le potentiel d’accentuer les pressions inflationnistes.
Les cours mondiaux du pétrole avaient diminué d’environ 10 $ le baril depuis le Rapport d’octobre, en raison de l’offre plus vigoureuse qu’anticipé et de la demande mondiale de pétrole plus faible que prévu. Les conditions financières s’étaient aussi assouplies depuis octobre. Les rendements des obligations étaient redescendus de leurs sommets d’octobre et se situaient près de leurs niveaux de l’été 2023. Cette baisse reflétait la prime de terme moins élevée attribuable à une diminution de l’incertitude entourant la croissance et la persistance de l’inflation élevée, ainsi que les attentes des marchés selon lesquelles les taux directeurs des banques centrales avaient atteint leur maximum.
Économie canadienne et perspectives d’inflation au pays
Le Conseil a passé en revue l’évolution de l’économie canadienne et la dynamique de l’inflation depuis octobre. La croissance économique avait stagné depuis le milieu de 2023 au pays. Les hausses passées de taux d’intérêt avaient continué de peser sur la demande. La progression des dépenses de consommation avait ralenti, et les entreprises avaient modéré leurs intentions d’investissement et d’embauche. Enfin, divers indicateurs donnaient à penser que l’économie affichait une modeste offre excédentaire.
Lors de leurs discussions sur les perspectives de croissance, les membres ont convenu que davantage de données montraient que les hausses passées de taux d’intérêt contribuaient à ralentir la demande dans l’économie. Il était clair que l’inflation élevée et les hausses de taux avaient poussé les ménages à limiter leurs dépenses. De plus, la confiance des consommateurs avait été fragile. Au cours des quatre trimestres précédents, la croissance de la consommation par habitant avait été négative. Les membres s’attendaient à ce que la consommation demeure faible dans les mois à venir. D’autres ménages allaient renouveler leur prêt hypothécaire à des taux plus élevés en 2024, ce qui réduirait leur revenu disponible pouvant être consacré à d’autres biens et services. Les locataires peinaient aussi à joindre les deux bouts en raison des hausses de coûts et limitaient leurs dépenses. Même si elles demeuraient dans l’ensemble inférieures aux niveaux d’avant la pandémie, les mesures des tensions financières avaient continué à augmenter au cours des mois précédents, en particulier les taux de défaillance sur les dettes non hypothécaires. On s’attendait à ce que les dépenses des ménages s’accélèrent plus tard en 2024 et au début de 2025, à mesure que les effets des hausses passées des taux d’intérêt allaient se dissiper et que les conditions financières allaient s’assouplir.
D’autres secteurs de l’économie avaient été moroses. On s’attendait à ce que l’activité dans le secteur résidentiel se redresse au début de 2024, après une année où la construction de logements avait diminué et la revente d’habitations était demeurée faible. On s’attendait aussi à ce que les investissements et les exportations des entreprises restent modestes jusqu’au milieu de 2024, avant de s’accélérer dans la deuxième moitié de l’année.
Le Conseil a discuté des conditions du marché du travail. Le nombre de postes vacants était pratiquement revenu à son niveau d’avant la pandémie, et le rythme de la création d’emplois avait ralenti jusqu’à devenir inférieur à celui de la croissance de la population active. Certains secteurs restaient aux prises avec des pénuries de main-d’œuvre qualifiée, mais dans l’ensemble, le marché du travail était mieux équilibré. Cependant, la croissance des salaires était demeurée généralisée et s’était maintenue entre 4 et 5 %. Les membres ont estimé que cette croissance reflétait principalement un rattrapage par rapport au coût de la vie, et qu’elle n’alimenterait pas l’inflation si elle s’accompagnait d’une croissance de la productivité. Toutefois, ils ont dit craindre que, en l’absence d’une croissance exceptionnelle de la productivité, une telle croissance des salaires fasse obstacle à la baisse de l’inflation. Puisque le nombre d’entreprises signalant des pénuries de main-d’œuvre était revenu près de la normale et que l’offre dépassait la demande dans l’économie, les membres s’attendaient à ce que la croissance des salaires ralentisse progressivement. Ils ont noté que les entreprises pourraient retenir plus longtemps les travailleurs étant donné les difficultés de recrutement passées. Cependant, les membres ont reconnu que, vu la diminution du nombre de postes vacants, il était possible que ce soient plutôt des hausses du chômage qui déterminent d’éventuels ajustements du marché du travail à l’avenir.
Le Conseil a examiné les récentes données sur l’inflation. Il a convenu que, même si le ralentissement de l’économie avait contribué à alléger les pressions sur les prix, les progrès vers la stabilité des prix étaient lents. L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) s’établissait à 3,4 % à la fin de 2023, tandis que les mesures de l’inflation fondamentale étaient demeurées dans une fourchette de 3,5 à 4 %. Les membres ont discuté longuement de plusieurs sous-composantes de l’IPC et indicateurs de l’inflation sous-jacente. Les prix d’un peu plus de la moitié des composantes de l’IPC progressaient à un rythme supérieur à 3 %, indiquant que les moteurs de la trop forte inflation restaient généralisés. Le rythme de l’augmentation des prix des biens hors aliments et énergie avait ralenti, mais demeurait supérieur à la moyenne prépandémique. La croissance des prix des aliments avait aussi ralenti, mais était encore trop élevée, s’étant établie à près de 5 %. L’inflation dans le secteur des services, excluant le logement, suivait une tendance à la baisse. Cette tendance semblait toutefois découler en partie de la faiblesse de quelques composantes particulières, et des pressions sous-jacentes sur les prix subsistaient.
Comme lors des réunions précédentes, les membres ont discuté de l’incidence de la croissance des frais de logement sur l’inflation globale. La hausse des frais de logement – qui comprennent les intérêts hypothécaires, les loyers et les composantes liées au prix des habitations – demeurait le facteur contribuant le plus au fait que l’inflation dépassait la cible. Les membres ont dit craindre que la hausse des frais de logement continue de maintenir l’inflation globale à un niveau élevé. Ils ont parlé du risque que cette hausse maintienne l’inflation mesurée par l’IPC bien au-dessus de la cible advenant un rebond plus fort que prévu du marché du logement au printemps 2024, et ce, en dépit d’un apaisement des pressions sur les prix dans d’autres secteurs de l’économie.
Dans l’ensemble, le Conseil s’attendait à ce que la croissance économique reste faible jusqu’à la mi-2024, avant de se redresser au deuxième semestre. Cette projection était largement conforme aux perspectives présentées en octobre. En outre, on s’attendait à ce que l’inflation demeure aux alentours de 3 % dans la première moitié de 2024, avant de baisser graduellement pour atteindre la cible de 2 % en 2025. Les membres ont dit craindre que la persistance de la forte inflation fondamentale ralentisse les progrès vers la stabilité des prix par rapport aux prévisions.
Les membres ont aussi discuté des facteurs à l’origine de la hausse récente du taux du financement à un jour (taux CORRA) l’ayant fait dépasser le taux cible. Ils ont convenu que la cause la plus probable des pressions sur le taux de financement à un jour était une augmentation de la demande d’obligations d’État sur les marchés financiers – et le financement de ces positions sur le marché des pensions –, attribuable à l’opinion très répandue selon laquelle les rendements obligataires mondiaux avaient atteint leur sommet. Les membres ont indiqué clairement que la nécessité des opérations de prise en pension à un jour était un enjeu opérationnel lié à la mise en œuvre de la politique monétaire, et non un changement dans l’orientation de celle-ci ou une réponse à des considérations de stabilité financière. Ils ont convenu de continuer à surveiller les marchés du financement à un jour et de se servir d’outils opérationnels pour maintenir le taux du financement à un jour près du taux cible établi par le Conseil aux dates préétablies pour l’annonce des décisions de politique monétaire.
Considérations pour la politique monétaire
Les membres du Conseil ont dit s’attendre à une économie anémique à court terme. Ils ont convenu que la réalisation de cette projection se traduirait probablement par une nouvelle atténuation des pressions inflationnistes. Les risques entourant les perspectives d’inflation – en particulier la persistance de la forte inflation sous-jacente – continuaient toutefois de les préoccuper. Ils ont passé en revue les indicateurs qu’ils surveillaient pour évaluer la trajectoire des pressions sous-jacentes sur les prix.
La politique monétaire fonctionnait essentiellement comme prévu en ce qui a trait à l’équilibre entre l’offre et la demande. Les taux d’intérêt plus élevés avaient ralenti la progression de l’économie, permettant à l’offre de rattraper la demande. Puisqu’on s’attendait à une croissance à peine supérieure à zéro à court terme et que l’offre augmentait en raison principalement de la croissance démographique, l’écart de production allait vraisemblablement se creuser. Les membres ont conclu que cette hausse des capacités excédentaires aurait sans doute pour effet d’atténuer encore les pressions inflationnistes.
Les entreprises semblaient en voie de revenir à leurs pratiques normales d’établissement des prix. La fréquence et l’ampleur des variations de prix signalées avaient baissé de façon constante.
Cependant, la diminution des attentes d’inflation à court terme avait ralenti et celles-ci demeuraient élevées. Les membres ont noté que c’était probablement dû à l’expérience récente des consommateurs en ce qui concerne l’inflation, surtout les augmentations fortes et soutenues des prix à l’épicerie et les frais de logement en hausse. Ils ont estimé qu’il fallait que l’inflation diminue davantage pour que les attentes des consommateurs baissent.
La croissance des salaires restait élevée par rapport à celle de la productivité. Les membres ont souligné que la croissance des salaires étant un indicateur tardif de l’activité sur le marché du travail, il n’était pas étonnant de constater un certain délai de rattrapage du côté des salaires réels. Dans l’ensemble de l’économie, les coûts unitaires réels de main-d’œuvre dépassaient maintenant leurs niveaux prépandémie. Des enquêtes de la Banque avaient révélé que les entreprises étaient moins préoccupées par la recherche de personnel et qu’elles s’attendaient à ce que la croissance des salaires se modère. Les membres se sont entendus pour dire que malgré les divers moyens à la disposition des entreprises pour absorber des salaires plus élevés, les pressions inflationnistes pourraient s’accroître si les salaires réels continuaient à progresser sensiblement plus vite que la productivité.
Dans l’ensemble, les membres ont convenu que ces indicateurs brossaient un portrait contrasté de l’inflation sous-jacente. Plus de temps était nécessaire pour que les hausses passées du taux directeur allègent les pressions sur les prix.
Les membres ont aussi discuté des risques pesant sur les perspectives de croissance économique et d’inflation, et de la façon dont ces risques allaient potentiellement influer sur les décisions de politique monétaire.
Ils ont parlé du risque que les répercussions de la politique monétaire sur les dépenses de consommation soient plus grandes que prévu, surtout étant donné la confiance déjà faible des consommateurs. Cela pourrait entraîner une contraction marquée de l’activité économique, une hausse plus importante et plus rapide du taux de chômage et davantage de pressions désinflationnistes que prévu. Advenant ce scénario, il faudrait probablement assouplir la politique monétaire plus tôt et plus rapidement qu’on s’y attendait.
Le Conseil a également noté le risque que l’inflation soit plus persistante que prévu, malgré un ralentissement de la croissance économique et un accroissement des capacités excédentaires. Cela pourrait se produire si les attentes d’inflation à court terme restaient élevées et que la progression des coûts unitaires de main-d’œuvre et des frais de logement ne se modérait pas. Le cas échéant, la politique monétaire devrait rester restrictive pendant plus longtemps.
En résumé, les membres du Conseil ont convenu qu’ils devaient continuer à bien doser le resserrement monétaire. Ils ne souhaitaient pas rendre les conditions économiques plus difficiles que nécessaire, mais étaient particulièrement préoccupés par la persistance de la forte inflation. Leur intention était donc d’éviter d’abaisser les taux d’intérêt prématurément et d’avoir à les relever encore pour ramener l’inflation à la cible de 2 %.
La décision de politique monétaire
Compte tenu de l’offre excédentaire dans l’économie, de l’assouplissement des conditions du marché du travail et des pratiques d’établissement des prix des entreprises qui se normalisaient, les membres ont conclu que la politique monétaire était probablement assez restrictive pour atteindre la cible d’inflation. La politique monétaire appliquée allégeait les pressions sur les prix, mais plus de temps était nécessaire pour rétablir la stabilité des prix. Les attentes d’inflation à court terme et la croissance des salaires restaient élevées, et l’inflation fondamentale tournait encore autour de 3½ %. Le Conseil a donc décidé de maintenir le taux directeur à 5 %.
Les membres ont estimé que de nouvelles hausses du taux directeur ne pouvaient pas être exclues advenant de nouvelles poussées inflationnistes imprévues. Ils étaient toutefois d’avis que leurs discussions futures sur la politique monétaire viseraient probablement davantage à déterminer pendant combien de temps encore le taux directeur devrait être maintenu à 5 % pour soutenir le processus de désinflation. Ils ont reconnu que, d’après l’information disponible, il était difficile de prévoir à quel moment il serait opportun de commencer à abaisser les taux d’intérêt.
Comme l’inflation était encore trop élevée et trop généralisée, les membres voulaient communiquer clairement qu’ils restaient préoccupés par la persistance de la forte inflation sous-jacente.
Les membres ont convenu qu’ils devaient constater davantage de progrès vers la stabilité des prix. Ils ont dit souhaiter voir un clair mouvement à la baisse de l’inflation sous-jacente. Ils entendaient surveiller de près l’évolution de l’inflation fondamentale et de plusieurs indicateurs clés, notamment :
- l’équilibre entre l’offre et la demande dans l’économie
- les pratiques d’établissement des prix des entreprises
- les attentes d’inflation
- la progression des salaires par rapport à celle de la productivité
Enfin, les membres se sont mis d’accord pour poursuivre la politique consistant à normaliser le bilan en ne remplaçant pas les obligations arrivant à échéance.