Ces dernières années, des dirigeants du monde entier ont exprimé le besoin de passer à une économie sobre en carbone. Bien que la transition climatique puisse ouvrir des possibilités d’investissement qui favorisent la croissance verte, elle peut aussi présenter des risques pour le système financier et ses participants.
Un cadre pour mieux comprendre les risques de transition
L’abandon des combustibles fossiles en tant que principale source d’énergie va remettre en cause le modèle d’affaires de certaines entreprises. La vitesse de la transition et la façon dont celle-ci se déroulera vont influencer la mesure dans laquelle les investisseurs réviseront leurs attentes à l’égard des bénéfices futurs de ces entreprises. Il pourrait s’ensuivre une réévaluation soudaine de certains actifs financiers. Les entités financières (comme des banques, des caisses de retraite et des fonds d’investissement) qui contribuent actuellement au financement de ces entreprises pourraient se ressentir de ces réévaluations soudaines et, compte tenu des interconnexions au sein du système financier, la détresse financière d’une entité pourrait s’étendre à d’autres entités.
Ces questions sont complexes à analyser et à modéliser. Le personnel de la Banque du Canada a récemment élaboré un cadre d’analyse afin de recenser les canaux par lesquels les risques de transition vers une économie sobre en carbone pourraient se transmettre d’une entité à l’autre et avoir des conséquences sur l’ensemble du système financier.
Les répercussions directes et systémiques des risques de transition
La transition vers la carboneutralité aura des effets variables sur les différents secteurs de l’économie. Pour comprendre la portée des changements à venir, les banques centrales ont élaboré des scénarios climatiques, soit un ensemble d’avenirs possibles qui résultent de différentes mesures de politiques publiques visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre. En s’appuyant sur des scénarios similaires, les entités financières peuvent évaluer l’évolution probable des divers types de risques auxquels elles sont exposées, notamment les risques de crédit, de marché et de liquidité. Ces risques représentent les répercussions directes de la transition vers une économie sobre en carbone sur le système financier.
En même temps, une entité financière directement exposée aux secteurs pénalisés par la transition pourrait prendre des mesures pour protéger son bilan. Ces mesures pourraient avoir un effet domino sur d’autres entités en raison du niveau d’interconnexion entre les participants au système financier. Par exemple, bon nombre d’entités ont une exposition commune et pourraient donc être exposées au même ensemble d’entreprises ou secteurs touchés par la transition. Cette exposition commune est susceptible d’accentuer les pressions à la vente s’exerçant sur les prix des actifs et d’engendrer des ventes en catastrophe. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’une entité financière détienne des parts d’une autre entité financière. Ces participations croisées font en sorte que les pertes financières d’une entité pourraient causer des pertes à d’autres. En dernier lieu, puisque certains types d’entités financières ont souvent un modèle d’affaires similaire (p. ex., les banques), il est possible que les marchés ne fassent pas suffisamment de distinction entre ces entités et qu’ils leur réservent le même traitement.
La figure 1 illustre la manière dont les répercussions directes et systémiques des risques pourraient se produire.
Figure 1 : La nature interconnectée du système financier implique que les répercussions directes des risques de transition peuvent entraîner des conséquences dans l’ensemble du système
Figure 1 : La nature interconnectée du système financier implique que les répercussions directes des risques de transition peuvent entraîner des conséquences dans l’ensemble du système
L’application du cadre au système financier canadien
Pour comprendre les répercussions directes et systémiques des risques de transition au Canada, le personnel de la Banque a réalisé une étude en se fondant sur un nouvel et vaste ensemble de données. Celui-ci contient notamment des renseignements sur :
- les expositions directes d’entités financières canadiennes à des secteurs susceptibles d’être touchés par la transition climatique;
- des interconnexions dans et entre les divers types d’entités au sein du système financier.
L’équipe de recherche a pu recueillir ces renseignements pertinents en faisant appel aux organismes de réglementation provinciaux et fédéraux ainsi qu’à des participants aux marchés financiers.
Elle a ensuite appliqué un cadre d’analyse à ces données sur le système financier canadien pour recenser les répercussions directes des risques de transition. Elle a constaté que ces dernières étaient généralement modestes. Ce résultat s’explique en partie par l’exposition limitée des entités financières canadiennes aux secteurs de l’économie enclins à subir les contrecoups négatifs de la transition climatique. Malgré cette exposition limitée, l’étude montre que les interconnexions existantes contribuent à propager les répercussions des risques de transition dans l’ensemble du système financier. L’étude révèle, en particulier, que les expositions communes, les ventes en catastrophe et les participations croisées sont d’importants canaux de transmission.
Les leçons à tirer
Cette étude a considérablement amélioré la compréhension de la Banque à l’égard des risques de transition qui pèsent sur le système financier canadien. Les données recueillies permettent de mieux évaluer les liens entre les entités financières et les secteurs de l’économie susceptibles d’être touchés par la transition. Les données fournissent aussi un éclairage appréciable quant aux réactions possibles des différentes entités aux risques de transition. Il serait notamment probable que certaines entités, comme les fonds d’investissement, contribuent à propager et à amplifier les chocs liés à la transition climatique dans le système financier, tandis que d’autres, comme les caisses de retraite, pourraient aider à les contenir.
L’étude a aussi été l’occasion pour le personnel de la Banque de participer à des discussions sur les risques de transition climatique avec diverses entités du système financier canadien, dont des représentants des caisses de retraite. La collaboration avec ces intervenants a permis de mieux comprendre les perspectives à long terme des investisseurs et leur façon d’évaluer et de gérer les risques et les possibilités liés à la transition climatique.
Enfin, l’étude a mis en lumière les nombreux défis analytiques qui se posent pour l’évaluation des effets des risques de transition sur le système financier. Parmi ces défis, notons l’absence de données facilement accessibles en ce qui a trait aux expositions directes ou aux interconnexions dans le système financier. Ces travaux soulignent la nécessité de parvenir à une mesure et une divulgation standardisées et systématiques des expositions aux risques de transition climatique. L’évaluation de ces risques comporte un autre défi majeur : l’élaboration d’un cadre d’analyse, à la fois simple et exhaustif, qui permette une recension des risques liés à la transition vers une économie sobre en carbone. La présente étude constitue un jalon important dans la réalisation de cet objectif.