Le résumé qui suit rend compte des délibérations du Conseil de direction de la Banque du Canada ayant mené à la décision de politique monétaire annoncée le 12 avril 2023.
Il reflète les discussions et les délibérations qu’ont tenues les membres du Conseil de direction à la troisième étape du processus entourant les décisions de politique monétaire, soit après avoir reçu toutes les informations et recommandations pertinentes du personnel.
Les réunions concernées ont débuté le mardi 4 avril. Étaient présents le gouverneur Tiff Macklem (qui a présidé les réunions), la première sous-gouverneure Carolyn Rogers, le sous-gouverneur Paul Beaudry, le sous-gouverneur Toni Gravelle, la sous-gouverneure Sharon Kozicki et le sous-gouverneur Nicolas Vincent.
Économie internationale
Le Conseil de direction (le Conseil) a entamé ses discussions avec un survol de l’évolution récente de la conjoncture internationale. Parmi les questions abordées, mentionnons :
- les signes d’un regain de vigueur en Europe et aux États-Unis
- la baisse de l’inflation globale qui continuait de se conjuguer avec l’accélération de la cadence de l’inflation fondamentale en Europe et aux États-Unis
- les tensions récentes dans le secteur bancaire aux États-Unis et en Europe et leur incidence sur les perspectives mondiales
- l’évolution des prix du pétrole
Le Conseil a noté que même si la croissance économique mondiale était demeurée faible, elle avait encore été plus forte qu’anticipé, notamment dans la zone euro et aux États-Unis. Du côté américain, la consommation de biens avait été étonnamment forte au cours des deux premiers mois de 2023, portée par la solidité soutenue du revenu disponible. La guerre que la Russie mène à l’Ukraine avait pesé lourd sur l’économie européenne, mais cette dernière s’était avérée plus résiliente que prévu, en raison notamment de l’hiver clément et des nouvelles sources d’énergie non russes. Le taux de chômage était resté faible et l’amélioration des perspectives pour l’approvisionnement énergétique avait renforcé la confiance des consommateurs et des entreprises.
L’inflation fondamentale avait pris de l’élan dans la zone euro et aux États-Unis durant les deux premiers mois de 2023. Le Conseil a convenu que même si on s’attendait à ce que la politique monétaire restrictive fasse baisser l’inflation, la persistance des taux élevés d’inflation fondamentale et d’inflation des services allait peut-être rendre le retour à la stabilité des prix plus difficile que prévu.
Le Conseil a discuté des épisodes de tensions dans le secteur bancaire aux États-Unis et en Europe causés par les retraits massifs de dépôts dans certaines banques régionales américaines et, peu après, l’effondrement de Credit Suisse. Il a estimé que les mesures rapides et décisives prises par les autorités concernées avaient limité la propagation à d’autres institutions financières. Néanmoins, les conditions de crédit s’étaient encore resserrées, et le risque de tensions additionnelles avait accentué l’incertitude globale. Le Conseil s’est demandé comment allait évoluer le système financier mondial.
Les membres du Conseil ont convenu que leur scénario de référence prévoyait que le système financier mondial allait demeurer stable, mais que les coûts de financement plus élevés des banques allaient se traduire par un resserrement des conditions de crédit. Cela allait exercer un effet modérateur sur la croissance économique mondiale et, ultimement, sur l’inflation.
Selon un scénario plus pessimiste, de vives tensions allaient ressurgir et s’enraciner, s’étendant potentiellement dans d’autres parties du système financier et d’autres pays. Dans un tel contexte, les conditions de crédit mondiales allaient peut-être se resserrer considérablement, provoquant un ralentissement beaucoup plus marqué à l’échelle du globe. De même, des problèmes de liquidité allaient possiblement survenir, obligeant peut-être les banques centrales à déployer leurs outils pour assurer le fonctionnement efficace des marchés essentiels.
Le Conseil a examiné l’évolution des prix des produits de base, notamment celle des prix du pétrole dans le mois précédent. Ceux-ci avaient nettement reculé dans la foulée des tensions accrues sur le système financier mondial, mais avaient ensuite rebondi à mesure que les tensions s’étaient apaisées. De plus, plusieurs membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et certains pays producteurs non membres de l’OPEP avaient annoncé, de façon inattendue, leur intention de réduire volontairement leur production entre mai et décembre 2023, faisant monter davantage les prix. Malgré cette volatilité, les hypothèses de la Banque concernant les prix du pétrole demeuraient les mêmes que dans le Rapport de janvier.
Évolution de l’économie et perspectives d’inflation au Canada
Le Conseil a passé en revue les données et les développements récents au Canada, les jugeant généralement conformes à sa projection de janvier. L’inflation globale était en baisse, et on commençait à voir des signes que l’offre et de la demande se rééquilibraient. Le Conseil a toutefois reconnu que le marché du travail état encore tendu et que le ralentissement de la croissance allait probablement s’amorcer un peu plus tard. Les membres étaient généralement d’avis que la nouvelle projection économique ressemblait à celle de janvier, mais avaient le sentiment que l’économie s’avérait un peu plus forte que prévu.
Du côté du marché du travail, les indicateurs continuaient de pointer vers des tensions générales :
- Le nombre de postes vacants avait commencé à baisser, mais demeurait élevé.
- L’embauche demeurait robuste.
- Le taux de chômage était encore proche des creux historiques.
- La croissance des salaires se situait dans la fourchette de 4 à 5 %.
Les membres du Conseil ont de nouveau parlé de leur crainte de ne pouvoir ramener l’inflation à 2 % si le rythme de croissance des salaires devait se maintenir, à moins d’une hausse substantielle de la productivité (qui était en déclin ces derniers trimestres). Ils ont également discuté des réponses à la plus récente enquête sur les perspectives des entreprises, indiquant que même si le marché du travail demeurait tendu, les pressions sur celui-ci commençaient à s’atténuer. Les entreprises considéraient que les pénuries de main-d’œuvre avaient perdu en intensité par rapport à l’an dernier, et qu’il était un peu moins difficile de pourvoir les postes vacants.
Le Conseil a discuté longuement de l’incidence de la croissance démographique rapide sur l’interprétation des données récentes et les prévisions. La population canadienne a augmenté d’environ un million de personnes en 2022, en raison du fort afflux de nouveaux résidents permanents et non permanents. Les membres du Conseil ont reconnu que cela aidait à atténuer les pressions induites par le manque de main-d’œuvre, mais faisait aussi croître à la fois l’offre et la demande, puisque les nouveaux arrivants sont aussi des consommateurs.
Dans ce contexte, il n’y avait peut-être pas lieu de s’étonner du nombre élevé d’embauches dans les mois précédents, révélé par l’Enquête sur la population active. Une croissance démographique plus rapide allait peut-être se traduire par une progression de l’emploi plus forte que la tendance historique, sans pour autant nourrir les tensions sur le marché du travail.
Le Conseil a discuté de l’importance de prendre en compte le fait que la consommation globale était stimulée par la croissance démographique globale, tandis que la consommation par habitant s’affaiblissait, reflétant les effets modérateurs du resserrement de la politique monétaire. Les membres ont indiqué s’attendre, dans l’ensemble, à ce que les dépenses de consommation soient modérées au cours de la seconde moitié de 2023 et en 2024, les effets du resserrement monétaire se faisant de plus en plus sentir dans l’économie.
Le Conseil a aussi parlé des répercussions des récents budgets des gouvernements fédéral et provinciaux sur les dépenses publiques. Les dépenses globales avaient été plus élevées que la Banque ne l’avait prévu précédemment, ce qui allait accentuer la croissance du produit intérieur brut au cours des deux années à venir. Selon les prévisions, la croissance future des dépenses publiques devait correspondre à peu près à la croissance de la production potentielle, alors on ne s’était pas attendu à ce que les plans budgétaires des gouvernements fédéral et provinciaux contribuent à atténuer les pressions inflationnistes. En même temps, comme la croissance des dépenses publiques ne dépassait pas de manière significative la croissance potentielle, elle ne contribuait pas non plus à intensifier ces pressions outre mesure. Le Conseil a noté la recommandation du Fonds monétaire international, selon laquelle il est important que les nouvelles mesures de dépenses visant à alléger le fardeau imposé par l’inflation élevée soient ciblées et temporaires.
Le Conseil a convenu que les effets des récentes tensions dans le secteur bancaire mondial avaient été modérés au Canada. Les banques canadiennes n’avaient subi qu’une hausse modeste de leurs coûts de financement, et les conditions de crédit s’étaient légèrement resserrées. La principale répercussion anticipée était que le resserrement des conditions de crédit aux États-Unis allait probablement ralentir les dépenses des entreprises américaines, entraînant des conséquences pour les exportations canadiennes.
Le marché du logement au Canada continuait de tourner au ralenti, parce que la politique monétaire restrictive faisait monter substantiellement les coûts hypothécaires. On s’attendait à ce qu’il ralentisse davantage à court terme, mais que la croissance démographique soutienne la demande sous-jacente de logements.
Le Conseil a noté que l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation global, qui s’établissait à 5,2 % en février, diminuait conformément aux attentes de la Banque. Tous les membres ont convenu qu’elle devrait descendre à 3 % avant l’été, à moins de nouveaux chocs. En effet, tant les baisses passées des prix de l’énergie que le désengorgement des chaînes d’approvisionnement et la politique monétaire restrictive se reflétaient dans la diminution de l’inflation des biens.
Les membres du Conseil ont observé que les mesures de l’inflation fondamentale sur 12 mois privilégiées par la Banque avaient continué de fléchir légèrement pour s’établir au-dessous de 5 %, tandis que les mesures sur 3 mois s’étaient maintenues autour de 3,5 %. L’inflation des services intégrés à l’indice de référence au Canada demeurait plus élevée que l’inflation globale et s’avérait persistante. L’inflation des aliments continuait d’afficher une croissance supérieure à 10 %. Les taux d’inflation élevés touchant les dépenses essentielles, comme l’épicerie et le logement, sont particulièrement éprouvants pour les ménages canadiens à faible revenu.
Considérations pour la politique monétaire
Les membres du Conseil ont ensuite discuté des nouvelles perspectives de croissance et d’inflation formulées par la Banque. Ils ont convenu qu’elles pouvaient être considérées comme largement conformes à celles de janvier. Cela dit, même s’ils avaient davantage confiance que l’inflation au Canada continuerait à baisser dans les mois à venir pour s’établir autour de 3 %, ils ont signalé que la deuxième phase de désinflation – celle marquant le retour à la cible de 2 % – pourrait s’avérer plus difficile. Le Conseil était encore préoccupé par ce qui suit :
- La demande des consommateurs au Canada pourrait s’avérer plus robuste.
- La progression des dépenses publiques pourrait être plus forte que prévu, ce qui stimulerait la demande intérieure.
- L’inflation élevée des services au Canada pourrait être plus persistante, surtout si le marché du travail reste tendu et la productivité, faible.
- Les prix de l’énergie pourraient monter si d’autres chocs d’offre se produisent ou si la demande mondiale augmente.
- Les attentes d’inflation à court terme pourraient demeurer élevées plus longtemps
- Les pratiques de fixation des prix pourraient prendre plus de temps à se normaliser.
Les membres du Conseil se sont toutefois entendus pour dire que la politique monétaire restrictive donnait des résultats et que ses effets allaient continuer à se propager. Ils ont discuté plus particulièrement des incidences qu’allait avoir le resserrement rapide de la politique monétaire sur certains propriétaires de logement. Étant donné la prévalence des prêts hypothécaires à taux fixe de cinq ans au Canada, on pouvait s’attendre à ce que la plupart des emprunteurs hypothécaires renouvellent leur prêt à un taux beaucoup plus élevé au cours des prochaines années. Toutes choses égales par ailleurs, leurs remboursements seraient alors plus élevés, et la part de leur revenu disponible pouvant être consacrée aux dépenses discrétionnaires, moindre.
Le Conseil restait davantage préoccupé par les risques à la hausse entourant la projection que par ceux à la baisse, étant donné l’inflation encore au-dessus de la cible.
La décision de politique monétaire
Prenant en considération l’évolution récente de l’économie mondiale et de l’économie canadienne, la trajectoire attendue de l’inflation à court terme et les nouvelles perspectives, y compris les risques liés à ces dernières, les membres du Conseil ont discuté des mesures de politique à prendre pour faire en sorte que l’inflation retourne durablement à la cible.
Dans l’immédiat, leur décision consistait à déterminer s’il convenait de relever le taux directeur ou de le maintenir à 4½ %. Dans le cadre de leurs échanges, ils se sont aussi demandé combien de temps le taux allait devoir rester élevé pour ramener l’inflation à la cible.
Dans leurs discussions entourant la possibilité de relever encore le taux, les membres ont cherché à établir si la politique monétaire était assez restrictive et s’il était préférable d’augmenter le taux directeur tout de suite ou d’attendre des signes plus probants. Les principales raisons de ne pas attendre étaient les suivantes :
- la résilience de la croissance économique et la persistance de l’inflation fondamentale élevée jusque-là
- les préoccupations liées au fait qu’il pourrait s’avérer plus difficile que prévu de faire passer l’inflation de 3 à 2 % durant la seconde moitié de 2023 et en 2024
- la nécessité d’avoir une approche prospective et de ne pas attendre trop longtemps pour s’assurer que la politique monétaire est assez restrictive
Le raisonnement justifiant le maintien du taux directeur à 4½ % reflétait quant à lui le point de vue du Conseil selon lequel l’inflation globale baissait rapidement – conformément aux prévisions de la Banque – et qu’il fallait davantage de données pour évaluer si la politique monétaire est assez restrictive. Les principaux arguments en faveur de cette approche étaient les suivants :
- Les perspectives de croissance et d’inflation au Canada restaient essentiellement inchangées.
- Il y avait des signes que les pressions sur la demande, l’inflation et les marchés du travail allaient vraisemblablement se relâcher au cours des trimestres à venir.
- Le Conseil aurait avantage à accumuler plus de données pour s’assurer qu’un taux directeur plus élevé est bel et bien nécessaire.
Les membres du Conseil ont évoqué la possibilité que la politique monétaire doive rester restrictive plus longtemps. À cet égard, ils ont parlé des attentes du marché selon lesquelles le taux directeur allait être abaissé dès la seconde moitié de cette année. Les membres ont discuté des raisons pouvant expliquer les prix sur les marchés. Une de ces raisons était que la probabilité d’une contraction marquée de l’économie et d’une chute abrupte des taux d’intérêt continuait à être prise en compte dans la fixation des prix. Une autre était que les marchés s’attendaient à ce que le taux directeur descende naturellement à mesure que l’inflation baisse et que l’équilibre entre l’offre et la demande se rétablit.
Les membres se sont entendus pour dire que même si un risque de ralentissement plus marqué subsistait, d’après leurs perspectives actuelles, une réduction de taux plus tard cette année ne semblait pas être le scénario le plus plausible.
Le Conseil a donc décidé de maintenir le taux cible du financement à un jour à 4½ % et de continuer à évaluer si la politique monétaire est assez restrictive pour permettre le retour de l’inflation à la cible de 2 %. Les membres ont également discuté du programme de resserrement quantitatif de la Banque et se sont mis d’accord pour poursuivre la politique en vigueur consistant à normaliser le bilan en ne remplaçant pas les obligations arrivant à échéance.
Une fois la décision prise, le Conseil a en outre convenu que les communications prospectives sur la politique monétaire devaient rester essentiellement inchangées. En particulier, les membres se sont entendus sur l’importance de continuer à indiquer qu’ils étaient disposés à relever encore le taux directeur si cela est nécessaire.