Le résumé qui suit rend compte des délibérations du Conseil de direction de la Banque du Canada ayant mené à la décision de politique monétaire annoncée le 25 janvier 2023.
Il reflète les discussions et les délibérations qu’ont tenues les membres du Conseil de direction à la troisième étape du processus entourant les décisions de politique monétaire, soit après avoir reçu toutes les informations et recommandations pertinentes du personnel.
Les réunions concernées ont débuté le mercredi 18 janvier. Étaient présents le gouverneur Tiff Macklem (qui a présidé les réunions), la première sous-gouverneure Carolyn Rogers, le sous-gouverneur Paul Beaudry, le sous-gouverneur Toni Gravelle et la sous-gouverneure Sharon Kozicki.
Économie internationale
Le Conseil de direction (le Conseil) a entamé ses discussions avec un survol de l’évolution récente de la conjoncture internationale. Parmi les faits saillants dont ont discuté les membres, mentionnons :
- la baisse marquée des prix mondiaux de l’énergie
- la poursuite du désengorgement des chaînes d’approvisionnement mondiales
- la levée soudaine des restrictions liées à la COVID-19 en Chine
Dans l’ensemble, l’activité économique mondiale se chiffrait légèrement au-dessus des prévisions de la Banque dans le Rapport sur la politique monétaire (RPM) d’octobre, en particulier aux États-Unis, dans la zone euro et en Chine. Le Conseil anticipait encore un ralentissement important de la croissance mondiale en 2023, à mesure que la demande refoulée serait satisfaite et que les taux d’intérêt plus élevés freineraient l’activité.
L’inflation demeurait élevée et généralisée, mais elle avait reculé dans de nombreux pays par rapport à son sommet, et le Conseil a discuté assez longuement de la façon dont les scénarios de marché concernant l’économie et l’inflation à l’échelle du globe étaient en train de changer.
Les membres du Conseil ont analysé les nouvelles perspectives de l’économie américaine. Ils ont noté que les consommateurs avaient fait preuve de résilience, mais que la croissance devrait être à peu près nulle en 2023. Le marché du travail était encore tendu. L’inflation était en train de diminuer, surtout en raison des prix plus bas de l’énergie, et les signes d’une modération plus généralisée commençaient à se manifester. Les négociations imminentes portant sur le plafond de la dette pourraient être longues et poser des risques de volatilité financière si un accord n’était pas conclu.
Le Conseil s’attendait encore à ce que la zone euro se dirige vers une légère récession, malgré la résilience surprenante dont elle avait fait preuve jusque-là. Les risques associés à la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine étaient toujours une source d’incertitude et les taux d’intérêt plus élevés pesaient sur la croissance.
Les membres du Conseil ont longuement discuté de la situation en Chine. Ils ont considéré que le revirement rapide de stratégie sanitaire des autorités chinoises face à la COVID-19 était une nouvelle source d’incertitude. Un risque à la hausse pesait notamment sur les perspectives d’évolution des prix du pétrole en raison de la réouverture de la Chine. Si la demande chinoise venait à rebondir plus fortement que prévu, les prix du pétrole pourraient augmenter considérablement, ce qui exercerait à nouveau des pressions à la hausse sur l’inflation au Canada et dans le monde.
Les membres ont analysé les conditions financières, notant que malgré la poursuite du resserrement monétaire par les banques centrales, les conditions s’étaient quelque peu assouplies depuis octobre. Selon eux, cela s’expliquait par un déclin des primes de risque dans diverses catégories d’actifs découlant de la diminution de l’inflation globale par rapport à son sommet et du risque perçu d’une profonde récession. Le taux de change Canada–États-Unis demeurait relativement stable, se chiffrant autour de 74 cents.
Évolution de l’économie et perspectives d’inflation au Canada
Le Conseil a examiné les données canadiennes récentes ainsi que les résultats d’enquêtes, les analyses du personnel de la Banque et les projections. Le produit intérieur brut (PIB) du Canada avait augmenté de 2,9 % au troisième trimestre, ce qui dépassait les attentes de la Banque. Les membres ont noté que la vigueur des exportations de produits de base contrebalançait la réduction des dépenses des ménages, y compris les baisses marquées du côté de la consommation et de l’activité sur le marché du logement. Les données obtenues jusque-là semblaient néanmoins indiquer que la croissance du PIB au quatrième trimestre allait aussi probablement être un peu supérieure à ce que la Banque avait prévu. Donc, l’économie ralentissait bel et bien, mais la demande excédentaire était plus importante qu’escompté.
Le marché du travail restait tendu. L’Enquête sur la population active (EPA) de décembre indiquait des gains étonnamment solides au chapitre de l’emploi. Les données de l’EPA portant sur les derniers mois et un plus large éventail d’indicateurs démontraient clairement que les tensions sur le marché du travail se maintenaient. Les membres du Conseil y ont vu un symptôme de demande excédentaire persistante au sein de l’économie. Dans l’ensemble, ils ont conclu que la croissance des salaires se stabilisait entre 4 et 5 % et qu’il ne serait pas possible d’atteindre la cible d’inflation de 2 % si elle demeurait dans cette fourchette, à moins d’une hausse de la productivité bien supérieure à la moyenne historique.
L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) s’était établie à 6,3 % en décembre, soit un taux inférieur au pic de 8,1 % atteint durant l’été. Le Conseil a convenu que l’inflation était en train de perdre de l’élan, les taux annualisés sur trois mois étant inférieurs à ceux sur un an pour l’inflation mesurée par l’IPC global et, à un moindre degré, pour les mesures de l’inflation fondamentale.
Les membres du Conseil ont reconnu que le récent recul de l’inflation globale tenait en grande partie aux prix plus bas de l’essence. Mais ils ont aussi jugé que la baisse de l’inflation des biens durables était une preuve que les effets des taux d’intérêt plus élevés se propageaient au sein de l’économie et ralentissaient la demande. Ils ont également convenu que l’inflation des services allait probablement être persistante, et souligné que celle des aliments et du logement demeurait particulièrement élevée.
Le Conseil s’est ensuite penché sur les nouvelles perspectives d’inflation. On prévoyait alors que l’inflation mesurée par l’IPC allait descendre à 3 % au milieu de 2023, ce qui était inférieur à la projection du RPM d’octobre. Cette baisse s’expliquait surtout par la chute des prix de l’énergie, la faible augmentation des prix des biens due à la progression plus lente de la demande, et l’amélioration des chaînes d’approvisionnement. Les membres étaient d’accord avec la prévision selon laquelle l’inflation allait baisser davantage en 2024 et atterrir à la cible de 2 %. Ils ont reconnu qu’il faudrait pour cela que l’inflation des services diminue, et que les attentes d’inflation et la croissance des coûts de main-d’œuvre se modèrent. Ils ont considéré que les risques entourant ces perspectives d’inflation étaient relativement équilibrés, mais que les risques à la hausse continuaient d’être plus préoccupants, car l’inflation demeurait trop élevée.
Considérations pour la politique monétaire
Tous les membres du Conseil partageaient la même opinion lorsqu’ils ont abordé cette décision : la Banque avait jusque-là pris des mesures de politique monétaire vigoureuses et les effets de ces mesures allaient se faire pleinement sentir dans les prochains trimestres. Les secteurs de l’économie les plus sensibles aux taux d’intérêt avaient manifestement réagi au resserrement de la politique monétaire et on pouvait observer les premiers signes que d’autres secteurs de l’économie commençaient aussi à réagir.
Les membres ont considéré qu’il s’agissait là d’indications que la stabilité des prix était en voie de se rétablir et les ont prises en compte, ainsi que d’autres évolutions importantes :
- L’inflation était en train de baisser au Canada et dans le monde en raison du recul considérable des prix de l’énergie, et elle allait sans doute baisser encore si ces prix restaient près des niveaux actuels.
- Les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales étaient en train de se résoudre.
- De plus en plus, les marchés percevaient qu’il était moins probable que des problèmes bien plus graves – comme une inflation encore plus élevée ou des contractions importantes de l’activité économique – se produisent.
Avec ces évolutions comme toile de fond, les membres du Conseil ont examiné plusieurs des hypothèses sur lesquelles repose la projection de la Banque.
Ils ont discuté des raisons qui pourraient faire que la consommation soit plus lente que prévu. Tout d’abord, de nombreux ménages ayant contracté un prêt hypothécaire pour un terme de cinq ans allaient devoir le renouveler dans à peu près un an. Pour la plupart, les versements hypothécaires allaient être beaucoup plus élevés, ce qui pourrait réduire plus que prévu les autres types de dépenses. Les taux d’intérêt plus élevés allaient aussi encourager les ménages à épargner davantage. Les membres ont de plus noté que les mesures de la confiance des consommateurs avaient diminué, ce qui indiquait que les ménages étaient susceptibles de reporter les gros achats.
En même temps, les membres ont également constaté qu’au Canada et dans d’autres pays, l’emploi avait été vigoureux et les ménages avaient accumulé un surplus d’épargne durant la pandémie. Ce sont là des facteurs qui favorisent la consommation.
En ce qui concerne le marché du logement, des préoccupations ont été soulevées quant au fait que le resserrement de la politique monétaire pourrait avoir des répercussions plus importantes que prévu. Cela pourrait se produire si le recul des prix des logements devait s’accélérer. Le Conseil a toutefois aussi reconnu que l’afflux constant d’immigrants et le rythme soutenu de formation de ménages appuieraient le marché du logement. Et les attentes relatives à des assouplissements monétaires à venir pourraient également inciter les acheteurs à réintégrer le marché.
Les membres ont par ailleurs noté qu’un risque à la baisse pourrait peser sur la projection de la Banque concernant les investissements des entreprises, puisque ceux-ci sont influencés par le niveau d’activité. Une activité économique plus faible pourrait en effet modérer les projets d’investissement. Par contre, étant donné les pénuries de main-d’œuvre, les entreprises pourraient vouloir investir davantage pour accroître leur capacité.
En ce qui a trait aux tensions sur le marché du travail, les membres du Conseil se sont demandé à quel point celles-ci allaient se relâcher à mesure que les effets de la réouverture s’estomperaient, que l’économie ralentirait et que l’immigration accroîtrait l’offre de main-d’œuvre. Ils ont avancé que les tensions sur le marché du travail pourraient persister. En effet, rééquilibrer ce marché pourrait être plus long qu’à l’habitude, les entreprises étant confrontées à des pénuries de travailleurs et la population active vieillissante réduisant la progression de l’offre de main-d’œuvre.
Les membres ont aussi parlé du risque que l’inflation dans le secteur des services se maintienne au même niveau si les coûts de main-d’œuvre et la demande restaient élevés.
Enfin, même si plusieurs facteurs combinés exerçaient une pression à la baisse sur l’inflation globale, les membres du Conseil ont évoqué le risque que celle-ci reste considérablement supérieure à la cible de 2 %. Les problèmes continus du côté des chaînes d’approvisionnement, l’inflation des prix des services, la croissance des salaires et les attentes d’inflation sont tous des facteurs qui pourraient contribuer à ce que l’inflation se maintienne au-dessus de la cible. En outre, un rebond des cours pétroliers pourrait de nouveau faire monter l’inflation.
La décision de politique monétaire
Les membres du Conseil étaient parfaitement conscients de l’incertitude persistante, mais l’évolution des données depuis la parution du RPM d’octobre 2022 a largement renforcé leur conviction que l’inflation allait baisser tout au long de 2023.
Dans leur décision, ils ont évalué s’ils devaient :
- maintenir le taux directeur au même niveau ou le relever de 25 points de base
- fournir les mêmes indications prospectives que dans le communiqué précédent sur le taux directeur ou les modifier pour signaler une mise en pause des hausses de taux
Les arguments en faveur du maintien du taux directeur à 4,25 % étaient que l’économie et l’inflation commençaient à évoluer dans la bonne direction et que les interventions de politique monétaire avaient jusque-là été énergiques – il fallait simplement plus de temps pour qu’elles produisent leurs effets.
Ceux en faveur d’une augmentation de 25 points de base comportaient deux volets. Le premier était qu’une telle hausse refléterait l’évolution assez vigoureuse de l’économie réelle depuis décembre :
- les données sur le marché du travail continuaient à signaler des tensions
- la croissance du PIB au troisième trimestre avait dépassé les prévisions, et l’activité économique au quatrième trimestre s’annonçait plus forte que dans la projection précédente
Autrement dit, les données sur le marché du travail et l’activité économique laissaient supposer que la demande excédentaire dans l’économie au quatrième trimestre de 2022 était plus grande qu’on l’avait estimé auparavant.
Le deuxième argument en faveur d’une augmentation de taux de 25 points de base avait trait au risque que l’inflation reste coincée au-dessus de 2 % plus tard durant la période de projection. Opter pour un resserrement additionnel pourrait donc contribuer à éviter un tel dénouement.
Le large consensus parmi les membres du Conseil était qu’il serait approprié de mettre en pause tout resserrement supplémentaire afin de laisser évoluer l’économie. La Banque avait jusque-là resserré sa politique monétaire avec force et même si les mesures passées n’avaient pas encore produit leurs pleins effets, on commençait à observer suffisamment de signes de progrès. Donner le temps à l’économie de progresser davantage permettrait de tenir compte des délais inhérents à la transmission de la politique monétaire et de mettre en balance les risques liés à un resserrement trop fort ou trop faible.
Les membres ont discuté de la façon de communiquer cette nécessité de faire une pause. Ils sont revenus sur le message communiqué en décembre, dans lequel ils indiquaient que le Conseil évaluerait la nécessité de relever encore le taux directeur. Dans ce communiqué, ils avaient aussi souligné qu’ils analyseraient trois choses :
- l’efficacité du resserrement de la politique monétaire pour ralentir la demande
- la résolution des problèmes d’approvisionnement
- la réaction de l’inflation et des attentes d’inflation aux hausses de taux
Les membres du Conseil ont convenu que le message véhiculé en décembre laissait entendre que la décision d’augmenter de nouveau le taux ou pas reposait davantage sur les données et était prise au cas par cas. Ils se sont demandé si ce message convenait toujours. Après plus amples discussions, ils en sont arrivés aux conclusions suivantes :
- Ils voulaient communiquer que la barre pour décider de relever le taux était maintenant plus élevée. Ils se sont entendus sur le fait que si l’économie et l’inflation devaient évoluer en gros conformément à la projection, ils n’auraient probablement pas à relever de nouveau le taux directeur.
- Les membres voulaient également indiquer clairement qu’ils allaient se baser sur une accumulation de données afin de déterminer si des hausses supplémentaires de taux seront nécessaires pour ramener l’inflation à la cible de 2 %.
- Ils étaient aussi d’avis qu’il fallait mentionner explicitement que toute pause serait conditionnelle. Comme l’inflation était toujours bien au-dessus de la cible, ils restaient davantage préoccupés par les risques à la hausse. Étant déterminé à ramener l’inflation à la cible de 2 %, le Conseil serait prêt à augmenter encore le taux directeur si ces risques à la hausse devaient se matérialiser.
Les membres ont convenu par consensus de relever le taux directeur de 25 points de base et de modifier leurs communications afin de signaler qu’ils mettaient conditionnellement en pause tout resserrement additionnel de la politique monétaire. Ils ont également discuté du programme de resserrement quantitatif de la Banque et se sont mis d’accord pour poursuivre la politique actuelle qui consiste à réduire la taille du bilan en ne remplaçant pas les obligations qui arrivent à échéance.