Mesurer les capacités excédentaires sur le marché du travail est essentiel pour les banques centrales : quand le plein emploi n’est pas atteint dans une économie, l’inflation ne reste pas durablement proche de la cible. Cette relation fondamentale nous amène à nous pencher sur différentes façons d’évaluer ces capacités.
La pandémie de COVID‑19 a mis en relief la diversité et la segmentation du marché du travail1. Or, les mesures traditionnelles peuvent :
- masquer la présence de capacités excédentaires étant donné la faiblesse du marché du travail chez certains groupes durement touchés;
- faire abstraction des faiblesses liées à la qualité des emplois et aux postes offerts aux travailleurs – soit des signes d’une faible demande de main-d’œuvre.
Dans cette étude, nous proposons une façon d’évaluer la santé du marché du travail de manière plus exhaustive que par le passé. En dressant un tableau plus net des points de retournement clés de la reprise économique post-pandémie, cette nouvelle approche détaillée pourrait contribuer à atténuer les risques qui pèsent sur l’inflation en raison du maintien prolongé des taux directeurs à de bas niveaux. Elle nous permet de voir où se concentre la faiblesse (ou la vigueur) du marché du travail. Cette approche pourrait aussi nous permettre de mieux comprendre si la faiblesse du marché du travail découle de facteurs cycliques ou de tendances structurelles à long terme comme la numérisation, même si ce n’est pas l’élément central du présent document.
Nous répondons de deux façons au besoin de recourir à une évaluation plus exhaustive.
Tout d’abord, nous concevons l’indicateur élargi du marché du travail. Bien qu’il soit semblable à l’indicateur du marché du travail de la Banque du Canada – une mesure agrégée des conditions du marché du travail –, il est fondé sur une méthodologie quelque peu différente et une gamme élargie de variables permettant de tenir compte de davantage de sources de capacités excédentaires. De plus, au lieu de l’utiliser comme indicateur agrégé, nous nous en servons pour observer le degré de divergence entre chaque mesure afin de suivre et de quantifier de façon plus systématique les déséquilibres du marché du travail.
Comme l’indicateur élargi du marché du travail est basé sur un plus grand nombre d’éléments du marché du travail que ses prédécesseurs, il nous fournit une évaluation plus exhaustive d’où le marché est faible. Il montre que beaucoup de mesures donnent des signaux très différents à propos de la santé du marché du travail. Ces fortes variations d’une série de données à l’autre semblent indiquer que les mesures traditionnelles, comme le taux de chômage, ne peuvent à elles seules expliquer pleinement l’écart de capacités excédentaires entre différents groupes sur le marché du travail ni témoigner de la qualité des emplois créés.
En second lieu, afin de pallier les lacunes des mesures traditionnelles, nous proposons un cadre selon lequel la reprise du marché du travail est évaluée en fonction de trois dimensions :
- les conditions globales du marché du travail;
- l’inclusivité du marché du travail;
- les caractéristiques d’emploi.
Nous présentons et analysons les principales mesures liées à ces trois dimensions.
Nous examinons également la façon d’utiliser le cadre proposé pour faire des analyses comparatives de la reprise. Il est difficile de connaître exactement le moment où le marché du travail se sera complètement rétabli. Cette incertitude est particulièrement élevée du fait que l’économie canadienne se remet d’un choc inégal et de grande envergure. Ainsi, pour déterminer le moment où le marché de l’emploi se sera redressé, nous proposons de recourir à des indications probables plutôt qu’à une cible fixe, notamment :
- le retour de la plupart des mesures des trois dimensions au moins à leurs niveaux prépandémie;
- la baisse des inégalités ou du degré de divergence entre la plupart des mesures comprises dans l’indicateur élargi du marché du travail à leurs niveaux prépandémie, soit à environ un écart-type (signal d’une reprise inclusive).
Nous utilisons ce cadre pour cerner les facteurs préoccupants dans l’économie canadienne, alors qu’elle se relève de la pandémie, soit :
- la prévalence du chômage de longue durée;
- le rétablissement plus lent du taux de chômage chez les 55 ans et plus;
- la baisse du taux de participation des travailleurs sans diplôme universitaire.
En complément à la présente étude, des recherches approfondies sur les obstacles auxquels sont confrontés les groupes sous-représentés dans la population active canadienne pourraient améliorer l’évaluation de la santé du marché du travail. Les banques centrales ne peuvent pas faire tomber les obstacles structurels à l’emploi. Mais en les comprenant, elles peuvent avoir une meilleure idée des limites de la capacité de la politique monétaire à stimuler l’emploi.
DOI : https://doi.org/10.34989/sdp-2021-15