Mot de clôture

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Nous avons eu une journée productive qui nous a poussés à la réflexion. Une chose est claire : nous avons bien avancé dans notre travail et je suis heureuse de voir que vous appuyez notre approche. Cela dit, il est évident qu’il reste des points de vue à prendre en considération et qu’il faudra faire valider les résultats obtenus à partir de nos modèles.

Au lieu de résumer tous les sujets que nous avons abordés aujourd’hui, j’aimerais souligner quelques points saillants et vous donner mon avis quant aux aspects sur lesquels nos chercheurs devront porter leur attention. Notre régime de ciblage de l’inflation actuel a reçu beaucoup d’appuis au fil des ans, ce qui est remarquable, mais nous savons qu’il n’est pas parfait. Ce régime simple et flexible nous amène à rendre des comptes, et la crédibilité qu’il nous donne a été durement acquise et est des plus précieuses.

Lors de la séance matinale, nous avons surtout discuté de notre évaluation comparative des cadres envisageables. Les résultats que Rhys Mendes a présentés sont très informatifs, et je tiens à féliciter nos chercheurs qui y ont travaillé. Ayant souvent participé au processus de renouvellement de notre cadre de politique monétaire, je sais bien que la pratique a une longueur d’avance sur la théorie.

Les modèles dont se servent les chercheurs ne sont pas encore parfaits, mais ils sont plus étoffés sous des aspects importants. Par exemple, nous pouvons modéliser des différences de comportement en ce qui concerne les attentes d’inflation, et formaliser le fait que les revenus et la richesse ne sont pas les mêmes d’un individu à l’autre. En outre, nous utilisons de plus en plus de moyens autres que les modèles pour voir comment différents cadres fonctionneraient concrètement.

Nous avons constaté qu’aucun des cadres que nous avons évalués ne se démarque sur l’ensemble des critères considérés. Toutefois, il y en a qui, dans certaines circonstances, donnent de bien meilleurs résultats que le ciblage de l’inflation. Par exemple, le ciblage du niveau des prix permet de mieux stabiliser les prix que notre cadre actuel, surtout en ce moment où nos taux d’intérêt sont à leur valeur plancher. En revanche, les tests effectués avec des individus ont montré que cet avantage pourrait ne pas se concrétiser dans la réalité, car les gens extrapolent souvent à partir de leurs expériences passées. De plus, lorsqu’il est question de la stabilité de la production, ainsi que de la distribution des revenus et de la richesse, le ciblage du niveau des prix donne de moins bons résultats.

Tout cela indique clairement qu’on ne peut pas tout avoir. Nous devrons faire des compromis lorsque nous nous entendrons avec le gouvernement fédéral pour choisir le cadre de politique monétaire en 2021. En tant que décideuse, je n’insisterai jamais assez sur ce point : nous devons être transparents quant aux raisons des compromis qui sont finalement adoptés. C’est justement ce que nous aidera à faire notre approche axée sur l’évaluation comparative, conjuguée à des critères clairs. D’ores et déjà, nous arrivons à mieux savoir comment notre cadre actuel fonctionne dans la pratique. Nous n’avons qu’une cible, l’inflation, mais nous tenons aussi compte explicitement de l’écart de production quand nous établissons les taux d’intérêt. Pierre Fortin en a d’ailleurs parlé dans son allocution sur la réaction de la Banque à la pandémie. L’évaluation comparative cela montre également que notre régime flexible de ciblage de l’inflation est presque assorti d’un double mandat, qui nous amènerait à cibler l’inflation et l’emploi. Il n’est donc pas surprenant que la différence entre les deux cadres soit relativement mince.

Par ailleurs, les participants trouvent les résultats de nos recherches plausibles et compatibles avec ceux d’autres études.

Il existe néanmoins différents points de vue sur le cadre que nous devrions choisir au bout du compte. J’ai trouvé les discussions sur la façon de composer avec la valeur plancher des taux d’intérêt et le contexte de faible inflation particulièrement intéressantes. On nous a fait valoir que nous devrions hausser le niveau de la cible d’inflation si nous nous trouvons dans une trappe de bas taux d’inflation. Nous y avions déjà pensé en 2016 et avions alors constaté que les gains ne contrebalançaient pas assez les effets négatifs sur les inégalités et sur la crédibilité de notre cible. On nous a aussi suggéré de penser à « sonder le terrain », c’est-à-dire de prendre davantage le risque de voir l’inflation dépasser la cible lorsque le taux d’inflation est bas. Sans m’engager formellement dans cette voie, je trouve qu’il vaut la peine de se pencher sur cette approche, surtout que nous ne savons pas jusqu’où le taux de chômage peut descendre avant que la baisse n’entraîne des tensions inflationnistes.

Les participants ont aussi soulevé plusieurs aspects techniques utiles qu’il convient d’étudier. Joseph Gagnon et Pierre Fortin nous ont tous deux invités à chercher d’autres relations entre le taux de chômage et l’inflation, au moyen d’une courbe de Phillips non linéaire, par exemple, et du degré de rigidité à la baisse des salaires nominaux. Stephanie Schmitt-Grohé nous a quant à elle suggéré d’examiner comment les moyennes de variables clés comme l’écart de production pourraient changer selon différents cadres de politique monétaire. Bien sûr, savoir si à long terme la politique monétaire a un réel effet sur d’autres variables que le niveau des prix est sujet à débat. Stephanie nous a aussi demandé si nos résultats sur l’inégalité résistent à différentes hypothèses relatives à la politique budgétaire.

La séance de l’après-midi était consacrée à la coordination des politiques et aux leçons que la crise de la COVID-19 nous a apprises. Nous avons vu que l’arme de la politique budgétaire, si elle est dégainée rapidement, pouvait donner des résultats très probants en aidant l’économie à se stabiliser lorsque les taux d’intérêt sont à la valeur plancher ou s’en approchent. Ricardo Reis et Marty Eichenbaum n’ont pas manqué de souligner à quel point il faudra étudier l’efficacité des cadres de politique monétaire dans un contexte où les taux sont à la valeur plancher, et face à une nouvelle réalité budgétaire marquée par un fort endettement. Voilà pourquoi l’interaction de la politique budgétaire et de la politique monétaire fait partie des questions importantes que nous étudions en collaboration avec Finance Canada. J’ai trouvé très éclairantes les observations de Ricardo et Marty sur Ies mesures budgétaires et monétaires déployées en réponse à la pandémie. Ils ont bien décrit certains des défis potentiels pour les décideurs. Nous devons en effet réfléchir ensemble aux implications qu’aura un nouvel environnement pour la conduite de notre politique monétaire.

La reprise actuelle est encourageante, il va sans dire, mais il faudra – on le sait – du temps et des efforts concertés sur de multiples fronts pour regagner le terrain perdu. Je pense que le moment est tout indiqué pour s’intéresser à la façon dont nous pourrions bâtir une économie forte dans le monde de l’après-COVID-19, surtout au vu des difficultés présentées par l’aggravation de l’endettement. Coordonner nos politiques est très utile. Cette coordination crée toutefois des problèmes de gouvernance pour les dirigeants de banques centrales, qui disposent à juste titre d’une indépendance opérationnelle. L’histoire nous a du reste appris que les banques centrales indépendantes réussissent mieux que les autres à maîtriser l’inflation.

Heureusement, nous avons su tirer les leçons qui s’imposent. Au Canada, nous bénéficions maintenant de l’entente sur la maîtrise de l’inflation signée entre la Banque du Canada et le gouvernement fédéral et renouvelée tous les cinq ans. Son succès depuis presque 30 ans et en dépit de nombreux changements de gouvernement témoigne du sérieux de notre double engagement quant au respect du cadre de la politique monétaire et au bien-être économique des Canadiens. Marty estime que notre entente de 2021 devrait nous donner l’occasion de préciser le rôle que les autorités budgétaires pourraient jouer dans le maintien de la cible d’inflation, entre autres à travers des stabilisateurs automatiques.

La dernière séance nous a permis de nous pencher sur les leçons tirées de la crise de la COVID-19 et de l’emploi d’outils non traditionnels de politique monétaire. Comme nous, Ed Devlin en arrive à la conclusion que les nouvelles mesures adoptées par la Banque ont contribué à améliorer le fonctionnement des marchés et l’intermédiation du crédit. Nous nous accordons sur le fait qu’il est trop tôt pour évaluer si ces outils seront efficaces pour nous aider à atteindre notre cible d’inflation.

L’expérience de certaines banques centrales dans d’autres crises révèle que les instruments mis en œuvre lorsque les taux sont à la valeur plancher concourent au soutien de l’économie et à la hausse de l’inflation. Cependant, compte tenu de tout ce qui se passe au même moment, il n’est pas facile d’obtenir de bonnes estimations. Comme le fait remarquer Anil Kashyap, il est plus difficile de créer de la croissance si des composantes importantes des marchés financiers sont désarticulées. Pour une petite économie ouverte comme celle du Canada, l’effet de l’assouplissement quantitatif à travers le taux de change, qui a été relevé par Anil, est corroboré par nos travaux. Je partage son avis : il faudra résoudre des problèmes d’identification non négligeables avant d’essayer d’estimer à terme les incidences économiques.

Annette Vissing-Jørgensen a présenté une partie des défis que pourrait nous réserver le retrait des mesures d’assouplissement quantitatif, défis qu’il serait bon de mieux comprendre et appréhender. Les difficultés que créeraient les achats d’obligations de sociétés pour les fonds à gestion passive de titres à revenu fixe s’ajoutent au lot, comme le souligne Ed. Les effets d’annonce peuvent être très forts. Et sur ce point, je suis d’accord avec elle. Vous comprendrez alors que je ne m’attarderai pas sur les remarques apportées aujourd’hui au sujet de la stratégie suivie par la politique monétaire.

Je noterai toutefois que la discussion n’a fait que confirmer combien il importe d’expliquer sans détour notre action, de respecter notre engagement à l’égard de la cible d’inflation et de poursuivre l’étude ainsi que le perfectionnement de nos instruments afin de les rendre aussi efficaces que possible.

Permettez-moi de conclure. Nos échanges ont clairement montré aujourd’hui que nous en savons plus maintenant qu’au départ en 2018, mais qu’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Cet atelier nous a aidés à mieux cerner ce qu’il reste à faire en 2021.

Nous poursuivrons nos consultations et continuerons à solliciter l’avis d’un nombre beaucoup plus important d’interlocuteurs qu’auparavant. Nous aurons d’autres événements et d’autres communications dans les prochains mois, soyez-en assurés. Je vous invite à consulter régulièrement dans notre site Web la page que nous consacrons aux travaux menés sur le renouvellement du cadre de conduite de la politique monétaire canadienne.

Merci encore une fois de la part de mes collèges et de moi-même pour une discussion aussi riche.

Je vous remercie de nous avoir exposé vos points de vue aujourd’hui. Malgré tout le travail des deux dernières années, il est évident que de nombreuses pistes doivent être examinées. Votre présence parmi nous a été un apport inestimable.

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Vers le renouvellement en 2021 du cadre de conduite de la politique monétaire de la Banque du Canada (Diffusions)

L’atelier se déroulera en ligne et sera diffusé en direct. Il s’organisera autour d’une série de réunions-débats dynamiques et stimulantes. Les participants invités sont des universitaires, des économistes du secteur privé, des spécialistes des marchés financiers et des représentants de groupes de réflexion et des médias.