Un système financier stable et efficient est essentiel pour soutenir la croissance économique et améliorer le niveau de vie. Dans notre Revue du système financier, nous analysons les principales vulnérabilités et les principaux risques pesant sur la stabilité financière au Canada et nous expliquons leur évolution au cours de la dernière année.
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Sommaire
Progrès concernant deux vulnérabilités principales
Les vulnérabilités associées à l’endettement élevé des ménages et aux déséquilibres sur le marché du logement ont légèrement diminué, mais restent importantes.
- Les tests de résistance appliqués aux prêts hypothécaires et les hausses passées des taux d’intérêt ont eu pour effet combiné de ralentir les emprunts des ménages et d’améliorer la qualité des nouveaux prêts hypothécaires. La proportion de Canadiens accusant du retard dans le remboursement de leurs dettes demeure relativement faible et stable.
- Les reventes de logements et la croissance des prix ont nettement ralenti à Toronto et à Vancouver au cours des deux dernières années. Les mesures des provinces en matière de logement, les tests de résistance appliqués aux prêts hypothécaires et les hausses passées des taux d’intérêt ont permis de réduire les excès sur ces marchés. Les difficultés dans le secteur pétrolier continuent de peser sur les marchés du logement dans les provinces productrices de pétrole.
Malgré ces progrès, nous devons rester vigilants. En effet, le niveau global d’endettement reste élevé et une grande part de cette dette est détenue par les ménages fortement endettés.
De nouvelles mesures ont ralenti l’emprunt, modéré les comportements spéculatifs sur les marchés de l’habitation et rendu le système financier plus résilient. Bien que les facteurs fondamentaux dans le secteur du logement restent globalement robustes, et que l’on s’attende à ce que celui-ci se remette à croître plus tard cette année, nous continuons de surveiller ces vulnérabilités de près.
Stephen S. Poloz, gouverneur
La précarité du financement par emprunt des sociétés : une nouvelle vulnérabilité
Dans bon nombre de pays, y compris au Canada, la dette des entreprises a augmenté. Cette hausse s’est surtout concentrée chez les entreprises ayant une faible cote de crédit. L’intérêt des investisseurs pour les obligations à rendement élevé et les prêts à effet de levier a été à l’origine de cette augmentation de l’emprunt, rendant ainsi l’activité future vulnérable au revirement de la confiance des investisseurs. Nous allons suivre ces questions de près.
Les autres vulnérabilités relevées dans la Revue du système financier de 2019 sont les suivantes :
- les cyberincidents qui pourraient avoir des répercussions dans l’ensemble du système financier;
- l’évolution rapide des secteurs des cryptoactifs et des technologies financières;
- les changements climatiques.
L’évaluation des risques liés au climat
Nous voulons mieux comprendre les risques que les changements climatiques font peser sur l’économie et le système financier. Pour ce faire, nous entreprenons un programme de recherche sur plusieurs années et nous avons l’intention :
- de collaborer avec des partenaires étrangers et canadiens pour renforcer notre capacité d’analyse;
- d’intégrer les risques liés au climat dans l’analyse de la stabilité financière.
La Banque du Canada publiera ces travaux dans le portail sur le système financier et dans sa Revue du système financier.
Le niveau de risque est légèrement plus élevé, mais le système reste résilient
Le risque global auquel est exposé le système financier canadien a légèrement augmenté depuis notre dernière évaluation, en juin 2018. Cette hausse est due à un ralentissement de la croissance économique, causé en partie par l’incertitude entourant les politiques commerciales à l’échelle mondiale, la chute des prix du pétrole de l’an dernier, les difficultés persistantes dans le secteur de l’énergie et la prise de risques accrue sur les marchés financiers mondiaux.
Les risques les plus importants pour le système financier canadien demeurent une profonde récession à l’échelle du pays, une correction notable des prix des logements et une réévaluation marquée du risque sur les marchés financiers. D’après un test de résistance effectué récemment par notre personnel, les grandes banques canadiennes seraient bien placées pour gérer ces risques s’ils se matérialisaient, ce qui atténuerait les effets sur le système financier en général. Parallèlement, un autre test de résistance montre qu’un scénario de vive hausse des taux d’intérêt exposerait les fonds communs de placement en obligations de sociétés à d’importantes demandes de remboursement, entraînant un élargissement considérable des écarts de taux sur les obligations de sociétés, ce qui pourrait aggraver les conditions de liquidité.
Globalement, le système financier reste résilient, et la confiance des participants au marché demeure élevée.
L’incertitude mondiale est en hausse, et les risques planant sur la stabilité financière ont légèrement augmenté au cours de la dernière année. Malgré tout, la confiance dans la résilience du système financier canadien reste forte, et nous constatons des améliorations pour certaines des principales vulnérabilités qui nous préoccupent depuis plusieurs années.
Stephen S. Poloz, gouverneur
Conditions macrofinancières
- Les conditions financières mondiales restent expansionnistes, après un bref resserrement à la fin de 2018. L’endettement élevé rend le système financier mondial vulnérable aux importants chocs négatifs.
Les conditions financières mondiales sont revenues aux niveaux expansionnistes observés à la mi-2018. Les faibles taux d’intérêt et l’optimisme à l’égard de la croissance mondiale ont soutenu le goût du risque et l’évaluation des actifs pendant une bonne partie de l’an dernier. Cependant, l’intensification des tensions commerciales et le ralentissement de la croissance mondiale à la fin de l’année ont avivé les préoccupations des investisseurs au sujet des perspectives de l’activité économique et des bénéfices des entreprises à l’échelle du globe. Dans ce contexte, l’inquiétude des marchés concernant le rythme du resserrement monétaire dans certaines économies a aussi contribué à la détérioration de la confiance des marchés. Les prix des actions et d’autres grandes catégories d’actifs risqués ont reculé (graphique 1). Aux États-Unis, les émissions sur les marchés des prêts à effet de levier et des obligations de sociétés ont baissé considérablement à mesure que les écarts se sont élargis, alors que les fonds obligataires et les fonds d’investissement ont connu une vague de demandes de remboursement importantes. Les rendements des obligations d’État à long terme ont chuté (graphique 2).
Au début de 2019, bon nombre de grandes banques centrales ont cessé d’indiquer qu’elles penchaient pour un durcissement de leur politique monétaire, en réaction aux risques baissiers grandissants pesant sur la croissance économique. L’incertitude accrue quant aux négociations commerciales et le resserrement des conditions du marché ont été cités parmi les sources de risque à la baisse. Le changement de ton a contribué à faire rebondir les prix des actifs risqués et à faire fléchir davantage les rendements des obligations d’État à long terme. Ainsi, le rendement des obligations du gouvernement du Canada à cinq ans est retombé au niveau observé il y a deux ans. Parallèlement à ce recul, les coûts de financement des banques canadiennes ont diminué, et les taux des prêts hypothécaires à taux fixe de cinq ans sont descendus jusqu’à environ 3,2 %.
Les conditions financières mondiales expansionnistes favorisent la croissance à court terme, mais pourraient aussi intensifier les vulnérabilités :
- le ratio de la dette globale des sociétés non financières au produit intérieur brut (PIB) avoisine des sommets historiques dans les économies avancées;
- les emprunts publics restent élevés à la suite des mesures de relance budgétaire prises par le passé;
- dans de nombreux pays, le secteur des ménages est fortement endetté;
- la prise de risques financiers a généralement augmenté, et la solvabilité de certains emprunteurs s’est détériorée.
Dans ces conditions, une réévaluation soudaine et marquée du risque de crédit pourrait exercer une pression sur les emprunteurs. Cette situation rend le système financier mondial vulnérable aux importants chocs économiques et financiers1.
Vulnérabilités du système financier canadien
Vulnérabilité 1 : le niveau élevé d’endettement des ménages
- Les ménages fortement endettés sont ceux qui ont accumulé une dette élevée par rapport à leur revenu. Ils disposent d’une moins grande marge de manœuvre pour faire face à des changements soudains, par exemple une baisse de leur revenu ou du prix de leur logement. Lorsque beaucoup de ménages sont lourdement endettés, les effets des chocs négatifs sur le système financier et l’économie se trouvent amplifiés.
- De façon générale, la vulnérabilité associée au fort endettement des ménages reste importante, même si elle a légèrement diminué. Alors que les ménages s’adaptent aux modifications touchant les règles du financement hypothécaire et aux hausses passées des taux d’intérêt, le rythme de croissance des emprunts a ralenti et la qualité des nouveaux prêts hypothécaires s’est améliorée. Néanmoins, une grande part de la dette au Canada est détenue par les ménages fortement endettés.
La croissance du crédit a sensiblement ralenti depuis 2017, touchant récemment un plancher d’environ 3,3 %. Ce ralentissement s’observe à la fois dans les prêts immobiliers et les prêts à la consommation (graphique 3). Les prêts immobiliers comprennent les marges de crédit hypothécaires, qui se sont contractées en 2018, selon de nouvelles données des banques2.
L’endettement des ménages, mesuré par le ratio de la dette au revenu disponible, reste élevé. Il a été relativement stable du fait que la croissance du revenu a ralenti de pair avec celle du crédit (graphique 4). Par contre, après avoir reculé pendant presque une décennie, la dette des ménages en pourcentage de la valeur nette a récemment augmenté en raison du ralentissement de la croissance des prix des logements. L’encadré 1 apporte des précisions sur les tendances à long terme en ce qui a trait à la valeur nette, à l’endettement et aux vulnérabilités des ménages.
La qualité des nouveaux prêts hypothécaires s’est améliorée, mais une part importante de la dette au Canada est détenue par les ménages fortement endettés. La proportion des nouveaux crédits hypothécaires accordés à des ménages dont le ratio de prêt au revenu dépasse 450 % a chuté pour se situer à un nouveau niveau inférieur (graphique 5). Cette diminution s’explique en partie par le resserrement des règles hypothécaires, dont l’imposition d’un test de résistance plus strict fondé sur un scénario de taux hypothécaires3. Certains ménages ont réagi :
- en achetant un logement moins cher;
- en reportant leur achat afin d’épargner davantage pour une mise de fonds;
- en obtenant des emprunts auprès d’un prêteur n’appliquant pas le test de résistance.
Ces modifications réglementaires renforcent la résilience du système financier en augmentant les chances que les nouveaux emprunteurs puissent assumer leurs paiements hypothécaires malgré un relèvement des taux d’intérêt ou une baisse de revenus. La dette des ménages lourdement endettés reste cependant élevée, et devrait diminuer lentement, au rythme de son remboursement et de la croissance des revenus.
Les ménages s’adaptent aux hausses passées des taux d’intérêt. La sensibilité de l’économie à l’augmentation des taux s’est accentuée en raison de l’accroissement de l’endettement des ménages et des tests de résistance plus stricts fondés sur un scénario de taux hypothécaires. Lorsque les taux ont monté en 2018, un plus grand nombre de ménages ont été contraints par les limites imposées au ratio du service de la dette que si les tests de résistance n’avaient pas été renforcés.
Jusqu’à récemment, le ratio moyen du service de la dette avait été relativement stable en raison des effets compensateurs de la diminution constante des taux d’intérêt et de l’alourdissement de l’endettement (graphique 6). Les taux d’intérêt ont commencé à monter vers la mi-2017. Le taux d’intérêt moyen de la dette existante (le taux effectif) a atteint 4,4 % vers la fin de 2018, selon les données disponibles les plus récentes. Cette situation a entraîné une hausse du ratio moyen du service de la dette, qui se trouve à son sommet historique. L’augmentation des taux d’intérêt a un effet plus marqué sur les ménages fortement endettés, puisque ceux-ci consacrent déjà une plus grande part de leur revenu au remboursement de leurs dettes.
Cela dit, depuis le quatrième trimestre de 2018, les taux d’intérêt du marché pour les nouveaux prêts et les prêts renouvelés ont baissé, ce qui représente une adaptation moins importante pour les Canadiens. Par exemple, la plupart des emprunteurs ayant récemment renouvelé un prêt hypothécaire à taux fixe de cinq ans n’ont pas constaté d’augmentation de leurs versements.
L’évaluation des vulnérabilités associées aux prêts hypothécaires se trouve compliquée par des difficultés persistantes sur le plan des données. Dans le cas des banques et des assureurs hypothécaires, la Banque utilise un ensemble exhaustif de données sur les prêts individuels pour évaluer les vulnérabilités. En ce qui concerne l’octroi d’autres types de prêts hypothécaires, par contre, il est plus difficile d’avoir un portrait complet. Des améliorations récentes, notamment de nouvelles données provenant de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) et de Statistique Canada, ont aidé la Banque à mieux comprendre les prêts accordés par les coopératives de crédit et les sociétés de placement hypothécaire (tableau 1)4. Malgré ces améliorations, il reste des lacunes importantes. Par exemple, la Banque dispose de données sur les prêts privés pour la région de Toronto, mais pas pour celle de Vancouver.
Tableau 1 : De nombreuses sources de données facilitent l’évaluation des vulnérabilités touchant le crédit hypothécaire
Source | Portée des données | Type de données (toutes anonymisées) |
---|---|---|
Relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes | Prêteurs sous réglementation fédérale | Données sur les prêts individuels précisant les caractéristiques des émissions et des renouvellements de prêts hypothécaires, y compris le revenu et la valeur des actifs des ménages |
Assureurs hypothécaires | Prêts hypothécaires assurés consentis par tous les prêteurs | Données sur les prêts individuels comme ci-dessus |
Teranet | Tous les prêteurs, y compris les prêteurs privés, pour les propriétés en Ontario | Données du registre foncier, y compris le montant des prêts, la valeur des propriétés et les taux d’intérêt |
Nouvelles sources de données depuis la parution de la Revue du système financier de juin 2018 | ||
Statistique Canada | Sociétés de placement hypothécaire | Données nationales agrégées, actuellement disponibles jusqu’à 2017 |
Société canadienne d’hypothèques et de logement | Tous les prêts hypothécaires des participants aux programmes de titrisation publique, y compris les prêts hypothécaires non assurés des coopératives de crédit | Données sur les prêts individuels comme ci-dessus |
Les organismes de réglementation fédéraux ont resserré les conditions de souscription au cours des dernières années, en incluant notamment des tests de résistance plus rigoureux fondés sur un scénario de taux hypothécaires. Les emprunteurs qui ont recours aux prêts non assurés plus risqués sont ainsi plus susceptibles de se tourner vers les coopératives de crédit et les prêteurs privés, y compris les sociétés de placement hypothécaire.
L’analyse initiale par la SCHL de ses nouvelles données ne montre pas de migration importante des prêts hypothécaires non assurés présentant un ratio élevé de prêt au revenu des banques vers les coopératives de crédit5. Les prêts hypothécaires non assurés octroyés par des coopératives de crédit représentent à peu près 9 % de l’encours hypothécaire au pays. Environ la moitié de ce volume provient des caisses populaires du Québec, qui doivent imposer un test de résistance équivalent à celui qu’appliquent les banques. Ailleurs, environ 60 % des prêts hypothécaires à taux fixe de cinq ans accordés par les coopératives de crédit ont été soumis à un test de résistance comparable. L’octroi de prêts à des emprunteurs dont le ratio de prêt au revenu est élevé par ces coopératives de crédit a diminué, comme dans le cas des banques.
Les sociétés de placement hypothécaire détiennent une petite part du marché hypothécaire résidentiel canadien, soit moins de 1 % de l’encours hypothécaire6. Elles ont toutefois connu une croissance d’environ 12 % par an au cours de la période de dix ans terminée en 2017, leurs actifs totaux atteignant 13,5 milliards de dollars. Ces sociétés financent leurs activités principalement au moyen d’offres publiques d’actions. Le levier d’endettement de ces sociétés est en hausse, mais reste encore faible; en effet, le multiplicateur de fonds propres (1/action participante) se chiffre à 1,7, soit bien en deçà de leur limite légale d’entre 3 et 6, et nettement sous celui des six grandes banques canadiennes, qui s’établit à 15 ou 16. De plus, une grande part de l’emprunt est destinée à répondre à leurs besoins opérationnels plutôt qu’à financer leurs portefeuilles hypothécaires.
Les sociétés de placement hypothécaire ne sont qu’un exemple de prêteur privé. D’autres formes de sociétés et des particuliers accordent aussi de nombreux prêts hypothécaires. Les prêts privés ont beaucoup augmenté dans le Grand Toronto, le volume des nouveaux prêts ayant doublé entre 2015 et 2017. Au cours de la dernière année, cependant, ce volume est resté relativement stable par rapport à celui d’autres prêteurs hypothécaires, lequel a quant à lui nettement reculé. Par conséquent, la part de marché des prêteurs privés a continué d’augmenter (graphique 7). Cela dit, elle surévalue l’importance des prêteurs privés, puisque leurs prêts sont assortis de termes plus courts comparativement à ceux d’autres prêteurs. Tant que leur accès aux capitaux et au levier d’endettement restera limité, il sera difficile pour les prêteurs privés de se substituer à une grande partie du marché hypothécaire traditionnel.
La proportion de Canadiens accusant du retard dans le remboursement de leurs dettes est faible et relativement stable. Hors des provinces productrices de pétrole, le pourcentage de ménages cumulant un retard de 60 jours ou plus pour au moins un de leurs paiements de crédit reste stable à environ 3 %7. L’Alberta et la Saskatchewan, toutefois, affichent une faible, mais constante hausse qui s’est amorcée en 2015 après le choc des prix du pétrole (graphique 8). Les conséquences sur l’économie albertaine de l’ajustement qui se poursuit dans le secteur pétrolier aggravent une situation déjà difficile pour certains ménages.
Encadré 1 : Valeur nette, endettement des ménages et vulnérabilité du système financier
La hausse du ratio de la dette au revenu a été bien analysée dans les précédentes livraisons de la Revue du système financier. La majeure partie de cette dette a servi à acquérir des actifs, surtout des logements, dont la valeur a augmenté. Les ménages ont ainsi vu leur bilan se renforcer, la médiane de leur valeur nette passant de 148 000 $ en 1999 à 296 000 $ en 2016, en dollars constants de 2016, d’après les données de l’enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada8.
Cet accroissement de la valeur nette est un signe que la situation financière du ménage canadien médian s’est améliorée. Cela dit, les vulnérabilités du système financier peuvent s’accentuer même si la richesse s’accroît. En effet :
- la dette et les actifs ne sont pas distribués également parmi les ménages et les régions – le détenteur de la dette qui finance les actifs des ménages a de l’importance;
- le ratio de la dette aux actifs ne reflète pas la capacité des ménages à honorer leurs obligations financières existantes à même leur revenu;
- la dette perdure, tandis que les valeurs des actifs fluctuent selon les conditions du marché, et le propriétaire pourrait être dans l’incapacité d’obtenir la juste valeur sur un marché en difficulté.
Bien qu’approximativement 30 % des ménages canadiens n’aient aucune dette, à peu près 11 % d’entre eux ont un ratio de la dette au revenu supérieur à 350 %9. Collectivement, ces derniers détiennent environ les deux cinquièmes de l’encours de la dette des ménages, soit plus du double qu’en 1999.
La richesse de ces ménages dépend en très grande partie de leurs actifs résidentiels, ce qui ressort clairement quand on compare les indicateurs financiers des différentes régions. Ainsi, les ménages en Colombie-Britannique et en Ontario ont la valeur nette médiane la plus élevée, et cette valeur nette est davantage concentrée dans le logement (graphique 1-A). C’est aussi dans ces provinces que les déséquilibres sur les marchés de l’habitation sont les plus marqués, en raison notamment de l’activité des investisseurs, et que se trouvent les ménages les plus endettés d’après le ratio de la dette au revenu.
Dans un scénario de risque macrofinancier défavorable, les revenus pourraient être soumis à des tensions en même temps que surviendrait une baisse rapide des prix des logements. Un ratio élevé de la dette au revenu diminue la capacité des ménages de faire face financièrement à une perte de revenu ou à un relèvement des taux d’intérêt. En outre, les ménages ayant une lourde dette par rapport à leur revenu sont en général plus jeunes et plus susceptibles de perdre leur emploi en cas de ralentissement économique.
Les actifs résidentiels n’offrent une protection utile contre les risques que s’ils peuvent être convertis en actifs liquides pendant une période de tensions, par le refinancement du prêt hypothécaire ou la vente du logement. Mais cela pourrait être difficile en cas de baisse prononcée des prix des logements. Par exemple, si les prix au pays chutaient de 20 %, environ 42 % des emprunteurs ayant un ratio de la dette au revenu supérieur à 350 % seraient inadmissibles à un refinancement en raison de la valeur nette insuffisante de leur propriété. Il devient particulièrement difficile de vendre un logement si beaucoup d’autres personnes font de même, et d’autant plus si le nombre de défauts de paiement augmente et que les créanciers écoulent les propriétés saisies à des prix dérisoires. Cette situation peut entraîner des ventes en catastrophe engendrant des effets négatifs sur le système financier.
Vulnérabilité 2 : les déséquilibres sur le marché du logement
- Lorsque les prix des logements augmentent avec une rapidité que les facteurs fondamentaux ne peuvent expliquer, la probabilité que se produise une correction des prix donnant lieu à des tensions financières augmente. Cette situation peut être préoccupante si les acheteurs sont fortement endettés.
- Dans l’ensemble, les déséquilibres sur le marché du logement ont diminué, mais restent une vulnérabilité majeure. L’effervescence découlant de la montée des attentes relatives à la croissance des prix des logements s’est estompée sur les marchés des régions de Toronto et de Vancouver ces deux dernières années. À Toronto, le marché semble se stabiliser, tandis qu’à Vancouver les prix et l’activité de revente continuent de baisser. Par ailleurs, les difficultés qui persistent dans le secteur pétrolier pèsent sur les marchés du logement dans les provinces productrices de pétrole.
Au Canada, l’activité de revente a diminué d’environ 20 % par rapport au sommet atteint en 2016. La progression des prix des logements a aussi fortement ralenti. Pour la première fois depuis 2013, elle est moins rapide que celle des revenus. Les données nationales masquent toutefois des tendances divergentes entre les régions.
La progression des prix des logements et l’activité de revente ont commencé à s’accélérer en 2015 dans les régions de Toronto et de Vancouver (graphique 9). Cette accélération a été alimentée en partie par la forte croissance de l’emploi et de l’immigration, de faibles taux d’intérêt et l’offre restreinte de logements neufs. Par ricochet, les attentes quant à la croissance des prix ont aussi augmenté, ce qui est venu stimuler encore la demande, y compris de la part des spéculateurs. Parallèlement, l’intérêt manifesté par les acheteurs étrangers pour ces marchés s’est accru. Tous ces facteurs ont contribué à renforcer les attentes voulant que les prix continuent de monter rapidement, une situation qui n’aurait pas pu durer10.
Dans les deux marchés, les attentes ont depuis évolué en faveur d’un ralentissement de la hausse des prix, et l’activité de revente a diminué (encadré 2). Ces changements ont coïncidé avec les mesures adoptées par les provinces pour atténuer l’incidence de l’activité des acheteurs non résidents et de la spéculation. Les augmentations des taux d’intérêt qui ont suivi et le resserrement des critères de souscription de prêts hypothécaires ont également contribué à modérer les anticipations à l’égard des hausses des prix et à freiner le renchérissement et l’activité.
Les deux marchés semblent être à des stades différents de leur processus d’ajustement. Après avoir amorcé un net ralentissement en 2017, le marché de Toronto paraît se stabiliser, tandis que les reventes et les prix continuent de reculer dans celui de Vancouver. Dans les deux régions, les prix sont encore de 40 à 60 % plus élevés qu’ils l’étaient il y a quatre ans, lorsqu’ils ont commencé à s’accélérer, ce qui laisse supposer que les déséquilibres sur le marché du logement constituent toujours une importante vulnérabilité macrofinancière. Par contre, la robustesse des facteurs fondamentaux, y compris la croissance de l’emploi et les contraintes d’offre, contribue à soutenir les prix.
Dans les autres régions, les tendances observées précédemment se maintiennent. Les reventes et les prix dans les centres urbains de l’Alberta et de la Saskatchewan sont restés à la baisse. Les prix des logements sont maintenant environ 10 % plus bas qu’il y a quatre ans lorsqu’ils ont atteint un sommet, en raison de l’incidence économique de la faiblesse des cours du pétrole dans ces régions.
En revanche, la vigoureuse progression de l’emploi et, selon certains rapports, l’intérêt accru manifesté par les acheteurs étrangers ont concouru à la hausse des prix des logements dans la région de Montréal. Le marché de Montréal et plusieurs autres, comme ceux d’Ottawa et d’Halifax, reposent toujours sur des bases solides.
Le budget fédéral de 2019 a introduit de nouvelles mesures visant l’abordabilité des logements11. La principale initiative proposée est l’Incitatif à l’achat d’une première propriété. Il reste encore de nombreux détails à communiquer. Toutefois, selon le plan qui prévoit une somme de 1,25 milliard de dollars sur trois ans, les ménages dont le revenu annuel est inférieur à 120 000 $ seront admissibles à l’obtention d’un prêt hypothécaire avec participation de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) correspondant à 5 % de la valeur de leur propriété dans le cas d’une habitation existante, ou à 10 % s’il s’agit d’une construction. La souscription d’un tel prêt permettra de réduire les coûts d’emprunt, puisqu’aucun versement d’intérêt ni de capital ne sera exigé. Au moment de la vente de la propriété, l’acheteur d’une première habitation partagera avec la SCHL ses gains ou pertes en capital.
D’autres mesures ont été instaurées, dont les suivantes :
- le montant maximal qu’un accédant à la propriété peut retirer de son régime enregistré d’épargne-retraite (REER) passe de 25 000 $ à 35 000 $;
- une somme additionnelle de 10 milliards de dollars a été affectée à l’initiative Financement de la construction de logements locatifs, un programme servant à financer la construction d’unités locatives abordables;
- le Défi d’offre de logements, qui prévoit un financement de 300 millions de dollars;
- le Groupe d’experts sur l’offre de logements et l’abordabilité, établi conjointement avec la Colombie-Britannique.
Ces nouvelles mesures aideront à améliorer l’abordabilité du logement et elles ne devraient pas avoir d’incidence notable sur les vulnérabilités. Leur ampleur et leur nature ciblée exerceront un effet modérateur sur la demande de logements, tandis que d’autres aspects sont conçus pour stimuler l’offre. Toute hausse des prix devrait donc être faible12. L’imposition d’un plafond de 400 % du ratio de prêt au revenu autorisé permettra également de limiter le nombre de nouveaux cas de ménages lourdement endettés. De plus, les prêts hypothécaires avec participation pourraient contribuer à amortir un peu les chocs sur l’économie et le système financier en favorisant la résilience des bilans des ménages face à un recul des prix des logements.
Encadré 2 : les reventes de logements et les attentes relatives aux prix dans la région de Toronto
La montée des attentes relatives à la croissance des prix des logements pourrait avoir contribué à accroître l’activité des investisseurs et incité les consommateurs à devancer leurs achats par crainte de rater leur chance13.
En 2015 et en 2016, l’activité de revente de logements à Toronto était beaucoup plus vigoureuse que ce que les facteurs économiques fondamentaux permettaient de justifier14. Cette vigueur inexpliquée présente cependant une forte corrélation avec les anticipations de hausse des prix des logements, mesurées dans l’enquête de la Banque du Canada sur les attentes des consommateurs (graphique 2-A).
Les anticipations de hausse des prix des logements ont commencé à diminuer au début de 2017, sous l’effet des modifications des politiques de logement annoncées par le gouvernement ontarien (y compris l’institution d’une taxe de 15 % sur les achats effectués par des non-résidents). À Toronto, l’activité de revente a connu une baisse cumulative de 38 % dans les trois mois qui ont suivi, même si les logements achetés par des non-résidents représentaient moins de 10 % de l’ensemble des achats. L’augmentation des taux d’intérêt et les changements apportés par la suite aux lignes directrices sur la souscription des prêts hypothécaires ont également pesé sur les attentes relatives aux prix et sur l’activité de revente à partir du milieu de 2017. On peut observer une relation semblable entre les attentes à l’égard des prix et les reventes de logements dans les données concernant la Colombie-Britannique15.
La période de vigueur du marché de la revente en Ontario a coïncidé avec un accroissement de l’activité des investisseurs. Selon les données compilées par l’agence immobilière Realosophy Realty Inc. sur la part des achats effectués par des investisseurs (définis comme des logements en propriété absolue mis en location peu après leur acquisition) dans la région du Grand Toronto, en 2016, jusqu’à une revente sur cinq était attribuable à l’activité des investisseurs dans certains quartiers, et environ une sur dix dans l’ensemble de la région. En 2018, les attentes à l’égard des prix des logements ont fléchi, l’activité des investisseurs a fortement chuté et la part des reventes découlant de cette activité a diminué pratiquement de moitié (graphique 2-B).
Graphique 2-B : La part de l’activité attribuable aux investisseurs a nettement diminué en 2018
Part des reventes de logements en propriété absolue mis en location ultérieurement
Part des investisseurs à Toronto, en 2016 (%)
Part des investisseurs à Toronto, en 2018 (%)
- 0-5
- 5-10
- 10-15
- >15
Source : Realosophy
Vulnérabilité 3 : les cybermenaces et les interconnexions financières
- Une cyberattaque réussie ou tout autre cyberincident grave touchant une institution financière pourrait avoir des répercussions dans l’ensemble du système financier interconnecté, et ainsi interrompre la prestation de services financiers cruciaux et miner la confiance des investisseurs.
- Les cybermenaces restent une grande vulnérabilité structurelle. Les autorités fédérales et les institutions financières investissent beaucoup pour renforcer la cyberrésilience du système financier, en améliorant notamment la coordination, la collaboration et la mise en commun de l’information. Elles doivent faire preuve d’une vigilance continue pour assurer la sécurité.
Les participants au marché sont d’avis que les cyberincidents demeurent le plus grand risque pesant sur le système financier canadien, selon les données de l’enquête de la Banque sur le système financier. Les données internationales sur les cyberincidents recueillies par la société Advisen auprès de sources publiquement vérifiables indiquent que le nombre d’incidents qui ont entraîné ou auraient pu entraîner des pertes financières substantielles a augmenté de façon soutenue au cours de la dernière décennie (graphique 10). Le secteur de la finance et des assurances est le plus touché, comptant pour plus d’un cinquième des incidents.
Les participants au système financier sont particulièrement préoccupés par les cyberincidents chez les fournisseurs de services externes (graphique 11). La forte interconnexion entre les institutions financières figure parmi les principaux facteurs soulevant des préoccupations quant aux cybermenaces. Cette interconnexion s’étend aux services essentiels fournis par des tiers, y compris les services infonuagiques et les services publics. Dans les cas où de nombreuses institutions financières dépendent du même fournisseur externe, un cyberincident paralysant pourrait avoir des répercussions systémiques. La Banque, le ministère des Finances et le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) sont membres du groupe d’experts du G7 sur la cybersécurité, qui s’intéresse à la gestion des cyberrisques liés à des tiers16. Individuellement, la Banque surveille les infrastructures de marchés financiers, y compris leurs pratiques de gestion des risques. Elle a notamment raffermi ses attentes à l’égard de la gestion des risques associés aux tiers et fait en sorte que les normes appliquées limitent la propagation des risques dans l’ensemble du système.
Les institutions financières, les gouvernements et les autorités investissent massivement pour contrer les cybervulnérabilités. La Banque a récemment mis à jour sa stratégie de cybersécurité pour la période de 2019 à 2021. Outre les mesures visant à renforcer sa propre cyberrésilience, la Banque a inclus dans sa stratégie plusieurs initiatives touchant l’ensemble du système financier. Par exemple, elle compte préciser les attentes à l’endroit des infrastructures de marchés financiers quant au respect de ses normes de gestion des cyberrisques. De plus, la Banque poursuit son partenariat avec Paiements Canada et les six grandes banques canadiennes en vue de rendre le système canadien de paiement de gros plus résilient aux cyberincidents. De son côté, le gouvernement fédéral a également pris des mesures. Il a créé le Centre canadien pour la cybersécurité, l’Unité nationale de coordination de la lutte contre la cybercriminalité de la Gendarmerie royale du Canada ainsi que deux nouvelles équipes fédérales de cyberenquête, et adoptera des dispositions législatives pour renforcer la cyberrésilience des infrastructures essentielles du Canada.
La coordination et la mise en commun de l’information parmi les entités des secteurs public et privé sont essentielles au renforcement de la cyberrésilience. Comme le montre le graphique 10, plusieurs années peuvent s’écouler avant qu’un cyberincident ne soit visible dans les sources publiques. Cela s’explique par le fait que les entreprises tardent parfois à détecter les incidents, dont les effets peuvent être longs à évaluer. Les entreprises sont aussi réticentes à signaler les incidents. En effet, les données de l’Enquête canadienne sur la cybersécurité et le cybercrime menée par Statistique Canada en 2017 révèlent que, parmi les entreprises du secteur de la finance et des assurances qui ont été victimes d’un cyberincident, seulement 29 % ont signalé le cas à la police, 21 % l’ont signalé au Centre canadien de réponse aux incidents cybernétiques17, et 3 % à l’organisme de réglementation dont elles relèvent.
Sans une bonne compréhension des cyberincidents qui surviennent de nos jours, il est plus difficile de mettre en place des stratégies efficaces pour s’en protéger et assurer la reprise des activités. Les autorités canadiennes de réglementation du secteur financier travaillent à préciser les exigences relatives à la communication qui sont déjà établies et à en introduire de nouvelles. Ces exigences visent notamment les institutions financières fédérales, les marchés, les chambres de compensation et les courtiers. La Banque s’emploie également à revoir ses propres exigences de communication des cyberincidents s’appliquant aux infrastructures de marchés financiers d’importance systémique. Ces changements permettront aux autorités d’assurer une meilleure surveillance et contribueront aussi à protéger d’autres participants au système financier qui pourraient être victimes d’incidents semblables.
Les institutions financières canadiennes et les autorités dont elles relèvent s’attachent également à renforcer les relations avec leurs partenaires en matière de sécurité et à améliorer les protocoles de communication au pays et à l’étranger. Parmi les grandes initiatives mises en œuvre, mentionnons l’établissement d’un nouveau partenariat public-privé au Canada pour se préparer aux incidents opérationnels systémiques, y compris les cyberincidents, et pouvoir intervenir en conséquence. Ce partenariat a pour but d’améliorer la coordination entre les institutions financières, les infrastructures de marchés financiers et les autorités publiques. Il est également propice à la collaboration aux initiatives visant à accroître la résilience à l’échelle du secteur financier.
Vulnérabilité 4 : la précarité du financement par emprunt des sociétés sur certains marchés
- Les entreprises fortement endettées qui disposent de peu d’avoirs liquides et ont de lourdes obligations au titre du service de leurs dettes ont moins de marge de manœuvre que les autres pour faire face à une baisse soudaine de leurs recettes ou à une brusque hausse des taux d’intérêt. En outre, si leurs prêteurs sont eux-mêmes des sociétés à fort levier financier ou sont vulnérables à un retournement de la confiance des investisseurs, un choc défavorable pourrait avoir d’importantes répercussions sur le système financier.
- L’endettement des sociétés non financières canadiennes est élevé et principalement alimenté par la situation des branches liées aux produits de base. La forte demande des investisseurs et la détérioration de la solvabilité des entreprises canadiennes dans certains secteurs ont accru le recours aux émissions d’obligations à rendement élevé et aux prêts à effet de levier sur le marché américain. Les emprunteurs sur ce marché sont de plus en plus vulnérables au revirement de la confiance des investisseurs, et cette vulnérabilité naissante doit être surveillée.
L’endettement des sociétés au Canada est élevé. Le ratio d’endettement des sociétés non financières, qui était de 315 % en 2018, dépasse de loin la moyenne historique18. De plus, la proportion de l’encours de la dette contractée par des entreprises qui disposent de peu d’avoirs liquides et ont de lourdes obligations au titre du service de leurs dettes (dette à risque) se situe elle aussi au-dessus de la moyenne historique (graphique 12)19. Selon une analyse sectorielle, ce sont principalement les entreprises évoluant dans des branches liées aux produits de base qui sont à l’origine de cette hausse de l’endettement et de la dette à risque, celles-ci ayant à la fois davantage emprunté et vu leurs recettes diminuer abruptement dans le sillage de la baisse des prix des produits de base qui s’observe depuis 2014. En revanche, l’entreprise canadienne moyenne a suffisamment d’actifs liquides et de trésorerie pour faire face à une montée rapide des taux d’intérêt ou à un recul prononcé de ses recettes dans le court terme, ce qui porte à croire qu’elle profite d’une marge de manœuvre financière suffisante.
Les sociétés dans de nombreuses autres économies avancées s’endettent aussi de plus en plus20. Cette tendance se dessine dans le contexte d’un resserrement des exigences réglementaires imposées aux banques, lesquelles financent désormais une part plus réduite de la dette des sociétés. Les prêteurs non bancaires ont pris le relais, en partie dans l’optique de trouver de meilleurs rendements compte tenu du contexte de bas taux d’intérêt21. En particulier, le marché mondial des titres d’emprunt à rendement élevé, qui comprennent les obligations à rendement élevé et les prêts à effet de levier, s’est fortement développé et a même gagné en importance par rapport à la période d’avant la crise financière mondiale (encadré 3). Mentionnons également que les conditions d’octroi de prêts se sont assouplies ces dernières années et que la qualité de la dette des sociétés s’est dégradée dans de nombreux pays. Par conséquent, les investisseurs sont davantage exposés au risque de crédit22, tandis que les entreprises, en moyenne, seraient plus vulnérables à une réévaluation subite du risque. Cela dit, les prêteurs non bancaires ont ouvert aux entreprises des possibilités de financement plus diversifiées, qui favorisent la stabilité et l’efficacité du système financier.
Encadré 3 : Le marché mondial des prêts à effet de levier est plus important, plus risqué et plus complexe
Les prêts à effet de levier sont des prêts syndiqués à rendement élevé consentis à des sociétés non financières généralement considérées comme des emprunteurs de catégorie spéculative. Ces crédits permettent de financer des entreprises à risque plus élevé qui, sinon, auraient de la difficulté à obtenir du financement à des conditions souples. Les prêts à effet de levier se distinguent des obligations à rendement élevé du fait qu’ils occupent un rang supérieur dans la structure du capital de l’entreprise et qu’ils ont, pour la plupart, un taux d’intérêt variable.
La majorité des prêts à effet de levier sont souscrits par les banques, qui les émettent sur les marchés américains et européens. Ils sont ensuite vendus à divers participants au système financier (fonds d’investissement, fonds de pension, etc.), et un grand nombre sont titrisés sous forme de titres garantis par des prêts, autrement dit, des titres individuels adossés à un portefeuille de prêts à effet de levier. Les structures régissant ces prêts doivent respecter une réglementation plus rigoureuse qu’avant la crise financière mondiale, y compris un resserrement des exigences sur la hiérarchisation des créances et des restrictions relatives à la détention d’actifs.
On estime que la taille du marché mondial des prêts à effet de levier a doublé entre 2011 et 201823. La qualité de crédit s’est dégradée ces dernières années, ainsi les prêts assortis de clauses moins strictes représentent désormais plus de 80 % des nouveaux prêts. Comme ces contrats de prêt renferment moins de clauses de sauvegarde destinées à protéger le prêteur, l’emprunteur jouit d’une plus grande flexibilité. Cependant, en périodes de tensions marquées, tant les défaillances que les pertes en cas de défaillance pourraient être plus élevées que ce que les rendements passés pourraient laisser croire à certains investisseurs.
La dégradation de la qualité du crédit pourrait amener les investisseurs à vendre leurs actifs en masse dans les situations de tensions. Le marché mondial des prêts à effet de levier est opaque : il y a peu d’information disponible sur l’identité de ceux qui supportent en dernier ressort le risque des créances. De plus, la plupart des prêts à effet de levier et des titres garantis par des prêts sont relativement illiquides. Ainsi, si les prix devaient chuter rapidement, les fonds négociés en bourse et les fonds de placement à capital variable seraient vraisemblablement contraints à vendre leurs actifs sur des marchés peu favorables pour répondre aux demandes croissantes de remboursement. Les banques pourraient elles aussi transmettre les risques issus de ces marchés. Comme elles souscrivent des prêts à effet de levier et pourraient avoir d’autres expositions provenant d’emprunteurs et d’investisseurs, il est important qu’elles intègrent ces risques dans leur cadre de gestion des risques.
Comme dans beaucoup d’autres pays, le secteur des sociétés non financières au Canada dépend énormément des prêteurs non bancaires. À preuve, l’encours des obligations émises par les sociétés non financières canadiennes est passé de 270 milliards de dollars en 2008 à 580 milliards de dollars en 201824, cette augmentation étant manifeste dans toutes les branches d’activité (graphique 13).
Les sociétés canadiennes, surtout celles ayant une faible cote de crédit, se financent de plus en plus aux États-Unis. Lors des quatre dernières années, la hausse de l’encours des obligations de sociétés émises par des sociétés non financières canadiennes a été surtout causée par des émetteurs ayant une faible cote de crédit (graphique 14). Compte tenu de la très petite taille du marché canadien des obligations à rendement élevé, ces entreprises, dont un grand nombre évoluent dans des branches d’activité liées aux produits de base, ont surtout effectué leurs émissions aux États-Unis. Cela a contribué à faire passer la part des obligations émises en dollars américains par des sociétés canadiennes de 40 % en 2007 à près de 60 % en 2018.
Un nombre croissant d’entreprises canadiennes de différents secteurs se tournent aussi vers le marché américain des prêts à effet de levier. L’encours de ces prêts octroyés à des sociétés non financières canadiennes est passé en quatre ans de 80 à 175 milliards de dollars canadiens. Près du tiers de ces prêts sont assortis de clauses moins strictes, comparativement à un cinquième il y a quatre ans seulement. À l’échelle mondiale, la part des prêts à effet de levier assortis de clauses moins strictes a augmenté de manière encore plus marquée.
Ensemble, les fonds provenant du marché des prêts à effet de levier et du marché des obligations à rendement élevé représentent au moins 12 % de la dette totale des sociétés non financières au Canada (graphique 15)25, ce qui correspond à une augmentation de six points de pourcentage en dix ans. En raison de la nature de leurs activités, certaines entreprises canadiennes qui contractent des prêts en dollars américains profitent d’une couverture naturelle. C’est le cas notamment des sociétés du secteur pétrolier et gazier qui fixent le prix de leurs produits dans cette devise.
Les emprunteurs sur les marchés des prêts à effet de levier et des obligations à rendement élevé sont vulnérables aux fluctuations de la confiance des investisseurs. Des chocs importants de nature à accentuer l’incertitude ou l’aversion pour le risque sont susceptibles de perturber le financement, tout particulièrement si le marché connaît une quête de rendements, comme ce peut être le cas en contexte de bas taux d’intérêt. L’épisode de décembre 2018, qui a vu une vague de demandes de remboursement importantes adressées aux fonds d’investissement et aux fonds obligataires, montre la fragilité de ces marchés (la section « Analyse de la résilience du système financier » examine l’effet de ces demandes sur les fonds d’obligations de sociétés). Cet épisode a donné lieu à un élargissement des écarts de crédit et à une baisse des émissions d’obligations et de prêts. De plus, la persistance de problèmes sur ces marchés pourrait entraîner de plus larges répercussions sur la stabilité financière au Canada en raison des effets macroéconomiques qu’aurait une diminution de la disponibilité des fonds sur le marché américain destinés au financement des entreprises. L’évolution de la situation sur ces marchés sera particulièrement importante, étant donné qu’un plus grand volume de prêts à effet de levier et d’obligations à rendement élevé arriveront à échéance à partir de 2019.
Vulnérabilité 5 : les changements climatiques
- Les changements climatiques continuent d’être une source de risques pour l’économie et le système financier, en raison à la fois des risques physiques découlant des phénomènes météorologiques extrêmes et des risques liés à la transition vers une économie mondiale sobre en carbone.
- La Banque met en place un plan de recherche pluriannuel en vue de mieux évaluer les risques issus des changements climatiques qui ont une influence sur l’exécution de son mandat. Dans cet effort, elle collaborera avec des partenaires canadiens et étrangers, entre autres par l’intermédiaire du Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS).
La Banque intègre les risques liés aux changements climatiques dans son analyse de l’économie et du système financier du pays. L’activité économique et l’environnement sont étroitement liés. La plupart des experts s’accordent à dire que le climat mondial change et que cette situation a des implications croissantes pour l’économie. Mais l’étendue des effets possibles est vaste.
Les changements climatiques créent d’importants risques physiques à l’échelle nationale et mondiale. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, en 2017, la température moyenne mondiale se situait près de 1 °C au-dessus des niveaux préindustriels et devrait continuer de gagner 0,2 °C tous les dix ans. L’une des conséquences du réchauffement est l’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations, les ouragans et les sécheresses sévères. En moyenne, les dommages assurés (biens et infrastructure) au Canada se sont chiffrés à environ 1,7 milliard de dollars par année de 2008 à 2017, une augmentation par rapport aux 200 millions de dollars enregistrés annuellement de 1983 à 199226. Le Canada est particulièrement touché : on estime qu’il se réchauffe nettement plus vite que le reste du monde27.
Le passage à une économie sobre en carbone implique des ajustements structuraux complexes qui ouvriront la voie à de nouvelles possibilités, mais aussi à des risques de transition. Les investisseurs et les consommateurs montrent une préférence de plus en plus marquée pour les sources d’énergie et les procédés de production à faibles émissions de carbone, ce qui laisse supposer que la transition a déjà commencé. Les coûts de cette transition seront particulièrement élevés dans les secteurs qui produisent beaucoup d’émissions de carbone, notamment le secteur pétrolier et gazier. En effet, si certaines réserves de combustibles fossiles demeurent inexploitées, les actifs de ce secteur pourraient se transformer en actifs échoués, perdant ainsi une bonne partie de leur valeur. En revanche, la transition devrait bénéficier à d’autres secteurs, comme ceux des technologies vertes et des énergies de remplacement.
Tant les risques physiques que les risques liés à la transition devraient avoir de vastes répercussions sur l’économie. Le déplacement de la main-d’œuvre et du capital vers des secteurs qui produisent moins d’émissions de carbone est un processus coûteux et de longue haleine. La structure des échanges mondiaux pourrait elle aussi subir des changements au fur et à mesure que les coûts de production et la valeur des ressources évoluent. Les ajustements nécessaires sont complexes et s’imposent partout. Aussi, ils pourraient accroître les risques pour le système financier. Au-delà des compagnies d’assurance, beaucoup d’autres participants au système financier sont exposés aux risques liés aux changements climatiques en raison de leurs activités. Ainsi, les banques accordent des crédits à des entreprises de secteurs qui produisent beaucoup d’émissions de carbone et à des acteurs de secteurs connexes, par exemple ceux qui interviennent en amont et en aval des chaînes d’approvisionnement. Quant aux gestionnaires d’actifs, ils détiennent des actifs à forte intensité carbonique au Canada et à l’étranger. Le Groupe d’experts sur la finance durable du gouvernement du Canada étudie ces enjeux.
Une compréhension limitée et une mauvaise appréciation des risques liés au climat pourraient faire augmenter les coûts de la transition vers une économie sobre en carbone. Pour gérer le plus efficacement possible les risques qui menacent le système financier en raison des changements climatiques, les investisseurs et les autorités doivent connaître les risques encourus par les entreprises et la façon dont ils sont gérés. Le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques du Conseil de stabilité financière recommande aux entreprises de publier de l’information financière sur les changements climatiques. Cette recommandation n’est toutefois pas universellement suivie. Peu d’entreprises communiquent dans les informations financières qu’elles publient les répercussions des changements climatiques sur leurs actifs et leurs activités. De plus, les méthodes utilisées pour déclarer les risques liés au climat varient selon les secteurs et les régions.
Il faut aussi souligner la possibilité que le prix des actifs ne reflète pas nécessairement toute l’ampleur des risques liés au carbone, ce qui pourrait contribuer à l’augmentation des coûts de la transition vers une économie sobre en carbone. Différents facteurs peuvent expliquer une mauvaise appréciation des actifs. Par exemple, un manque d’information sur l’exposition aux risques liés au carbone ou des incitations mal adaptées. Mentionnons également qu’il est difficile pour les décideurs de tenir compte d’événements incertains et complexes qui pourraient se produire dans un avenir lointain. Si les actifs sont mal évalués, les mesures incitatives appropriées ne seront pas en place pour permettre de gérer et d’atténuer les risques. Une réévaluation précipitée pourrait entraîner des ventes en catastrophe et avoir des interactions avec d’autres vulnérabilités, comme un recours excessif à l’effet de levier, déstabilisant ainsi le système financier. Une meilleure transparence pourrait aider à atténuer le risque qu’une telle situation se produise.
La Banque mène des recherches et collabore avec ses partenaires pour mieux comprendre les risques liés au climat touchant à l’exécution de son mandat. Elle travaille avec les membres du NGFS. Le premier rapport complet de ce réseau a été publié en avril 2019. Il contient quatre recommandations non contraignantes adressées aux banques centrales, dont à la Banque du Canada :
- Intégrer les risques liés au climat dans le suivi de la stabilité financière et la surveillance microprudentielle. La Banque concevra les outils nécessaires pour surveiller et analyser les risques liés au climat en vue d’obtenir une évaluation satisfaisante des risques. L’utilisation d’analyses de scénarios est l’une des approches qu’elle envisage.
- Intégrer des facteurs liés au développement durable dans la gestion des portefeuilles pour compte propre. La Banque cherche les moyens d’intégrer les facteurs touchant à l’environnement, aux questions sociales et à la gouvernance au sein du cadre d’investissement de son Fonds de pension.
- Remédier aux lacunes en termes de données. De pair avec les divers groupes auxquels elle participe, dont les groupes de travail du NGFS, la Banque contribuera au recensement de ces lacunes. Ce faisant, elle aidera les parties prenantes concernées, tant au Canada qu’à l’étranger, à bien orienter leurs efforts pour améliorer la disponibilité des données.
- Renforcer la sensibilisation et les capacités d’analyse, encourager l’assistance technique et le partage des connaissances. La Banque renforcera sa capacité analytique dans le cadre d’un plan de recherche pluriannuel. Afin d’en accélérer l’élaboration, elle travaille avec le NGFS et d’autres groupes. Elle prévoit de publier ses travaux dans le portail sur le système financier ainsi que dans la Revue du système financier.
Les deux autres recommandations du NGFS ne concernent pas directement les banques centrales, mais leur faciliteront grandement la tâche :
- Parvenir à la publication d’informations financières en rapport avec le climat et l’environnement sur des bases solides et homogènes au plan international.
- Favoriser le développement d’une taxonomie des activités économiques.
Vulnérabilité 6 : l’évolution rapide des marchés de cryptoactifs
- En raison de leur diversité et de leur évolution rapide, les cryptoactifs présentent des risques pour la sécurité financière des consommateurs et des investisseurs.
- Les cryptoactifs ne constituent pas à l’heure actuelle une vulnérabilité importante pour le système financier canadien. En effet, ils ne possèdent ni la taille ni, surtout, les liens avec le système financier traditionnel nécessaires pour que des chocs graves se propagent ou s’intensifient. Mais puisque les cryptoactifs sont susceptibles d’entraîner des changements au sein du système financier, la surveillance dont ils font l’objet par les autorités tant canadiennes qu’internationales est cruciale.
Du fait de leur diversité, les cryptoactifs engendrent tout un éventail de risques. Certains cryptoactifs, comme le bitcoin, étaient destinés à l’origine à régler des achats. Bien qu’on les appelle souvent « cryptomonnaies », ils sont dépourvus de bon nombre des caractéristiques essentielles de la monnaie : ils constituent un moyen d’échange, une réserve de valeur et une unité de compte peu fiables28. Un autre type de cryptoactif, nommé « jeton de titres financiers », permet à l’acheteur d’acquérir une participation dans un actif. Par exemple, les premières émissions de cryptomonnaies sont parfois conçues pour permettre à l’acheteur d’acquérir des actions dans une entreprise. Quant à eux, les « jetons utilitaires » donnent à leurs titulaires le droit de consommer un produit ou un service associé à une plateforme.
Le fait d’étudier les caractéristiques économiques sous-jacentes des différents types de cryptoactifs permet aux autorités de mieux surveiller et gérer les risques dans l’ensemble de ce secteur. À l’étranger comme au Canada, les autorités s’intéressent aux questions liées à la protection des consommateurs et des investisseurs, à l’intégrité des marchés, à la fraude fiscale, au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Ainsi, le Groupe d’action financière intergouvernemental fournit des indications sur la manière dont ses exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme s’appliquent aux cryptoactifs29. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a publié ses attentes concernant la façon dont les banques devraient gérer les risques liés à leur exposition aux cryptoactifs30. De son côté, l’Organisation internationale des commissions de valeurs se concentre sur les plateformes de négociation de cryptoactifs et les fonds de placement exposés à cette catégorie d’actifs. Enfin, au pays, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières mènent des consultations sur un projet d’encadrement des plateformes de négociation de cryptoactifs31.
Les marchés de cryptoactifs menacent encore peu la stabilité du système financier. Une chute marquée du prix des cryptoactifs a eu pour effet de réduire la taille globale de ces marchés, et le recours aux premières émissions de cryptomonnaies afin de lever des capitaux a nettement diminué au cours de la dernière année. De plus, l’exposition des institutions financières aux marchés de cryptoactifs demeure limitée.
Cela dit, les marchés de cryptoactifs et d’autres utilisations de la technologie du grand livre distribué à la base de ces derniers continuent d’évoluer à un rythme accéléré. Des conséquences pour la stabilité financière pourraient se manifester rapidement. Le CSF a mis au point un cadre de surveillance des marchés de cryptoactifs afin de repérer la formation possible de risques pour la stabilité financière32. Au Canada, les autorités fédérales et provinciales ont mis sur pied un groupe de travail pour surveiller les marchés de cryptoactifs. Ce groupe est présidé par la Banque du Canada et se compose de représentants des Responsables des organismes de réglementation, de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières et de l’Agence du revenu du Canada33.
Les pertes subies récemment par les investisseurs dans des crypto-entreprises, au Canada et ailleurs, renforcent la nécessité pour les investisseurs d’être informés et prudents. La faillite de QuadrigaCX, une bourse de cryptoactifs, et l’enquête pour fraude visant une première émission de cryptomonnaie lancée par l’entreprise Vanbex sont révélatrices d’une gouvernance déficiente. Cette situation crée des risques considérables pour ceux qui investissent dans les cryptoactifs. Les investisseurs et les consommateurs doivent assumer la responsabilité première de comprendre l’éventail complet des risques avant de participer à ces marchés.
Autres vulnérabilités
La Banque du Canada examine de manière générale le système financier pour repérer, surveiller et évaluer d’autres vulnérabilités. À cette fin, elle s’entretient avec les participants au marché, recueille des données et effectue des analyses. Les vulnérabilités mises en lumière dans les livraisons précédentes de la Revue continuent de retenir l’attention de la Banque, notamment la dépendance des banques canadiennes à l’égard du financement en devises et les effets possibles des fonds négociés en bourse sur la résilience de la liquidité des marchés.
Dans les livraisons précédentes de la Revue, la Banque s’est penchée sur le profil de financement de certaines banques de petite et moyenne taille, et en particulier sur leur grande dépendance à l’égard du financement au moyen de dépôts intermédiés par des courtiers, c’est-à-dire des dépôts bancaires investis par des tiers. Ce type de dépôt ne bénéficie pas d’un lien étroit avec le déposant et risque donc davantage d’être l’objet de retraits en période de tensions. Le BSIF a récemment révisé ses normes de liquidité et exige désormais des réserves de liquidité plus importantes pour les banques qui ont recours au financement par les dépôts exposés à ce genre de risque34. Cette nouvelle ligne directrice devrait aider à maîtriser cette vulnérabilité.
La Banque porte aussi son attention sur l’évolution des technologies financières. Ces technologies novatrices ont le potentiel d’améliorer les services financiers, d’accroître la concurrence et de renforcer l’efficacité. Mais elles peuvent également créer de nouvelles vulnérabilités susceptibles d’être difficiles à comprendre et à évaluer. À cet égard, la Banque contribue à l’examen des avantages d’un cadre de système bancaire ouvert, où les consommateurs peuvent autoriser l’accès à leurs données bancaires afin de tirer parti de nouveaux produits et services financiers35. De plus, elle participe au réseau d’innovation financière du CSF, qui étudie les risques potentiels découlant de l’entrée des grandes entreprises technologiques dans le secteur des services financiers et du recours accru à l’infonuagique par les institutions financières. Ces travaux s’ajoutent aux activités de surveillance des cryptoactifs présentées plus haut.
Risques et résilience
- Les vulnérabilités sont susceptibles d’amplifier les chocs défavorables et de les propager, ce qui pourrait nuire à l’économie et menacer la stabilité financière. Le risque systémique est analysé selon quatre axes :
- croissance exposée au risque : ensemble des risques à la baisse pesant sur l’économie réelle liés aux vulnérabilités du système financier;
- principaux risques pesant sur la stabilité financière : scénarios comportant les risques à la baisse les plus importants;
- analyse de la résilience : capacité du système financier à absorber les chocs et à faire face à des scénarios de risque particuliers;
- opinion des marchés : perception des participants quant aux risques planant sur le système financier et à la résilience de ce dernier.
- Le risque global qui menace le système financier reste important et est légèrement plus élevé qu’au moment de la parution de la livraison de juin 2018 de la Revue du système financier.
- Les résultats des tests de résistance concernant les grandes banques canadiennes montrent qu’elles sont résilientes. Par ailleurs, les gestionnaires de fonds communs de placement obligataires prennent davantage de risques dans un contexte marqué par le bas niveau des taux d’intérêt. Les participants à l’enquête sur le système financier menée par la Banque continuent d’estimer que le système canadien est très résilient.
Croissance exposée au risque
- Le cadre de la croissance exposée au risque a pour objet de quantifier les risques macrofinanciers globaux au regard de la croissance économique future.
- Les risques à la baisse associés aux vulnérabilités financières demeurent importants.
Le cadre de la croissance exposée au risque vise à quantifier les risques à la baisse pesant sur l’économie en estimant le taux de croissance futur du PIB qui devrait être dépassé dans tous les cas, sauf dans les 5 % représentant les pires issues36, 37. La croissance exposée au risque ne dépend pas d’un scénario de risque particulier; elle incorpore plutôt l’incidence, sur la croissance attendue du PIB, des vulnérabilités financières et des tensions qui s’exercent sur les marchés financiers. Comme elle repose sur l’analyse statistique d’un ensemble d’indicateurs internationaux, la croissance exposée au risque ne rend pas totalement compte de l’évolution des vulnérabilités présentée dans les sections précédentes. Par exemple, faute de données suffisantes, elle n’intègre pas de mesures de la qualité de la dette.
La croissance exposée au risque a augmenté depuis juin 2018, surtout du fait que le rythme d’expansion économique a fléchi (graphique 16)38. Les vulnérabilités financières et les tensions sur les marchés financiers amplifient le risque à la baisse.
Principaux risques pesant sur la stabilité financière
- Au-delà de l’évaluation globale des risques mesurés dans le cadre de la croissance exposée au risque, le Conseil de direction jauge les scénarios les plus défavorables pour le système financier canadien (tableau 2).
- Les principaux risques restent les mêmes que ceux énoncés en juin 2018. Ils ont augmenté quelque peu au cours de la dernière année en raison du ralentissement de l’activité économique au pays et ailleurs dans le monde, ainsi que de la prise de risque accrue dans les marchés financiers mondiaux. À ce sujet, mentionnons que certaines entreprises canadiennes dépendent davantage de sources de financement qui pourraient se révéler fragiles. Le risque le plus important demeure une profonde récession à l’échelle du pays entraînant une intensification des tensions financières.
Tableau 2 : Principaux risques menaçant la stabilité du système financier canadien
Scénario de risque | Niveau et évolutions depuis la parution de la Revue du système financier de juin 2018 |
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Risque 1 : une profonde récession à l’échelle du pays entraînant une intensification des tensions financières | Moyennement élevé et à la hausse |
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Risque 2 : une correction des prix des logements sur les marchés où il y a surchauffe | Modéré et à la baisse |
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Risque 3 : une brusque hausse des taux d’intérêt à long terme causée par une augmentation des primes de risque à l’échelle mondiale | Modéré et à la hausse |
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Niveaux de risque : | Faible | Modéré | Moyennement élevé | Élevé | Très élevé |
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Analyse de la résilience du système financier
- Les tests de résistance permettent d’évaluer les conséquences possibles de la matérialisation des scénarios de risque et la capacité du système financier canadien à absorber les chocs et à gérer les risques.
- Un premier test vise à analyser l’incidence de la concrétisation d’un scénario extrême mais plausible, bâti en fonction des principaux risques. Dans ce cadre, le système bancaire ferait face à de lourdes pertes, mais ses réserves de fonds propres réglementaires lui permettraient de les absorber et contribueraient au maintien de sa résilience.
- Un deuxième test porte sur l’incidence d’une forte montée des taux d’intérêt sur les fonds communs de placement principalement axés sur des obligations de sociétés. Les résultats montrent que, comme ces fonds sont plus gros et que la part de leurs avoirs risqués a augmenté, leurs effets sur la liquidité du marché seraient plus importants qu’auparavant.
Application d’un test de résistance macrofinancière aux grandes banques
L’analyse quantitative d’un scénario de risque grave mais plausible aide à évaluer la résilience du système bancaire. La Banque a dressé un scénario de risque macroéconomique en collaboration avec le Fonds monétaire international40 et son personnel en a évalué l’incidence sur le système bancaire.
Le scénario de risque intègre les principaux risques présentés dans le tableau 2. On présume qu’il serait déclenché par des perturbations touchant le commerce international, qui entraîneraient un resserrement des conditions financières et une hausse des primes de risque à l’échelle mondiale. Les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et la forte dépréciation du dollar canadien feraient monter l’inflation au pays. On suppose que, dans un premier temps, les taux d’intérêt seraient relevés dans le but de stabiliser les anticipations d’inflation, puis qu’ils retomberaient en réaction à la contraction de l’économie. Les répercussions seraient suffisamment graves pour provoquer également une profonde récession et une correction des prix des logements. À l’échelle nationale, le taux de chômage enregistrerait une hausse de 6 points de pourcentage, et les prix des logements, une chute de 40 %. Le degré de gravité de ce scénario a été établi en considération des crises financières qui se sont produites dans le monde, et est plus pessimiste que tous les chocs que le Canada a encaissés ces dernières décennies.
Si ce scénario devait se concrétiser, les grandes banques essuieraient de lourdes pertes, mais resteraient résilientes41. Les pertes les plus importantes seraient liées aux prêts à la consommation, plus particulièrement aux cartes de crédit, et aux prêts aux entreprises – prêts nationaux et internationaux confondus. Ces pertes, ainsi que le recul des revenus, feraient chuter considérablement les niveaux de fonds propres (graphique 17). Toutefois, la situation ne serait pas assez grave pour que ces derniers tombent en dessous des exigences réglementaires minimales, ou pour engendrer une liquidation d’actifs de grande envergure, des problèmes de liquidité de financement ou des effets de contagion interbancaires.
Les banques résisteraient en partie parce qu’elles disposent au départ de réserves de fonds propres amplement suffisantes pour parer aux pertes. Ces réserves sont constituées notamment :
- d’un volant de conservation de 2,5 % combiné à une exigence supplémentaire de 1 % pour les banques d’importance systémique nationale;
- de la réserve pour stabilité intérieure, introduite en juin 2018 et établie à 1,75 % à l’heure actuelle;
- des fonds propres que chaque banque choisit de détenir en sus des exigences réglementaires.
Deux fois par an, en consultation avec la Banque du Canada et d’autres autorités fédérales, le BSIF révise le niveau de la réserve pour stabilité intérieure en fonction des observations découlant du suivi d’une série de vulnérabilités systémiques.
Les réserves en question ont pour objet d’aider les banques à gérer la matérialisation des risques et d’en réduire les effets sur le système financier. Elles donnent aux banques la marge nécessaire pour prendre des mesures correctives avant que leur viabilité ne soit mise en péril.
Le régime d’assurance hypothécaire canadien contribue aussi à amortir les effets dommageables sur les banques. Il les protège en effet contre les pertes attribuables aux créances présentant le plus grand risque – celles dont le rapport prêt-valeur est élevé –, puisque ce sont les assureurs hypothécaires qui supportent les pertes associées aux prêts assurés. Ces derniers sont garantis par l’État, en totalité pour ce qui est des obligations de la SCHL, et sous réserve d’une franchise de 10 % pour celles des assureurs hypothécaires privés.
Il subsiste beaucoup d’incertitudes quant aux résultats. Par exemple, les pertes sur les portefeuilles de prêts sont estimées à partir d’hypothèses prudentes et dépassent probablement ce que l’on observerait en réalité. En revanche, une incertitude économique extrême pourrait engendrer un accroissement de l’aversion pour le risque et une érosion de la confiance dans les banques plus grande que celle prise en compte dans l’analyse. Si cette incertitude devait se concrétiser, les créanciers bancaires retireraient davantage de fonds.
La réaction des banques constitue une autre source d’incertitude. Elles pourraient décider de diminuer radicalement leurs coûts pour protéger leurs gains, ou encore de réduire leur levier financier dans une plus large mesure que ne le suppose le scénario. Cette réaction aurait certes pour effet de protéger leurs fonds propres, mais elle pourrait aussi donner lieu à un resserrement plus marqué des conditions financières, qui pourrait à son tour amplifier les retombées négatives sur l’économie. De plus, l’analyse ne tient pas compte de l’incidence des mesures que les autorités peuvent mettre en œuvre pour soutenir le bon fonctionnement du système financier.
Le cœur du système financier est devenu plus résilient, mais peut-être au prix d’un déplacement des risques en périphérie. C’est pourquoi la Banque surveille de près les évolutions dans ce domaine, tout particulièrement celles concernant les entités non bancaires engagées dans des activités d’intermédiation financière qui se caractérisent par un important degré de transformation des échéances, de la liquidité et du crédit.
Application d’un test de résistance aux fonds d’obligations de sociétés
Ces dix dernières années, les fonds communs de placement à capital variable et à revenu fixe qui comptent un grand nombre d’obligations de sociétés ont connu un bel essor. Pour simplifier, nous les qualifierons de « fonds obligataires » dans ce qui suit. Ces fonds offrent des remboursements quotidiens aux investisseurs, mais comprennent des actifs qui peuvent difficilement être vendus rapidement. En effet, si de nombreux investisseurs décidaient de retirer leurs capitaux en même temps, les fonds seraient forcés de vendre des obligations en catastrophe pour honorer leurs engagements, ce qui pourrait réduire la liquidité du marché obligataire. Une diminution de la liquidité risquerait d’avoir des répercussions négatives à la fois sur les détenteurs et les émetteurs d’obligations, lesquelles pourraient à leur tour amplifier les effets d’un choc négatif sur le système financier. Toutefois, les gestionnaires d’actifs savent que la liquidité du marché n’est plus forcément aussi fiable qu’auparavant et ont fait savoir qu’ils adaptent la gestion de leurs portefeuilles pour affronter les périodes de faible liquidité42, ce qui devrait atténuer les effets d’une baisse de la liquidité sur le système financier.
Le personnel de la Banque s’est penché sur un scénario qui postule une vive augmentation des taux d’intérêt à court terme et à long terme de 100 points de base sur un trimestre, en utilisant les données de la fin de 2018. Ce scénario pourrait découler d’un revirement de la conjoncture économique ou financière à l’étranger, comme dans le scénario associé au Risque 3 de la présente livraison. Des hausses semblables de taux d’intérêt, que le Canada a connues dans les années 1980 et 1990, avaient entraîné des tensions sur les marchés.
Selon ce scénario, les fonds obligataires essuieraient des pertes sur leurs placements et devraient faire face à d’importantes demandes de remboursement de la part des investisseurs. Quand les taux d’intérêt augmentent, la valeur des portefeuilles d’obligations baisse. En se basant sur les relations historiques entre le rendement des fonds et les demandes de remboursement des investisseurs au niveau de chacun des fonds, le personnel de la Banque a estimé que les fonds obligataires devraient rembourser pour environ 70 milliards de dollars de titres sur un total de quelque 350 milliards de dollars d’actifs sous gestion. La réponse des gestionnaires d’actifs dépendrait des stratégies d’investissement et des pratiques de gestion des risques qu’ils observent. Or, celles-ci varient beaucoup d’un gestionnaire à l’autre, et la réaction serait différente selon, par exemple, que les fonds sont gérés activement ou passivement.
Dans cette analyse, on suppose que tous les gestionnaires d’actifs agiraient de la même façon et vendraient des titres en proportion de ceux qu’ils ont en portefeuille. Par conséquent, au total, les fonds obligataires devraient liquider pour plus de 30 milliards de dollars en obligations de sociétés (graphique 18). L’incidence sur les prix des obligations dépendrait de la volonté des acheteurs potentiels, comme les courtiers en valeurs mobilières et les investisseurs à long terme (notamment les caisses de retraite et les compagnies d’assurances), de se procurer ce type d’actifs auprès des fonds.
La vente d’obligations de sociétés par les fonds aurait une plus grande incidence qu’auparavant sur la liquidité du marché des titres à revenu fixe. La prime de risque de liquidité augmenterait de quelque 93 points de base, comparativement à environ 40 points de base si le scénario s’était matérialisé en 2007 (graphique 19). Cela tient à des facteurs liés aussi bien à la demande qu’à l’offre. Du côté de la demande, les fonds communs de placement sont plus gros; ils comptent davantage d’obligations de sociétés, y compris de qualité moindre, et ils ont réduit leurs réserves de liquidités. Du côté de l’offre, la réglementation de l’après-crise financière a accru le coût pour les courtiers en valeurs mobilières de procéder à l’intermédiation de flux d’investissements importants et relativement soudains43.
Les résultats dépendent de plusieurs hypothèses et comportent une grande part d’incertitude. Par exemple, si les fonds obligataires comptaient répondre aux demandes de remboursement principalement au moyen de leurs réserves de trésorerie et de leurs actifs liquides, la prime de risque de liquidité augmenterait moins initialement, mais les fonds seraient alors moins en mesure de satisfaire les futures demandes. Par contre, si les investisseurs à long terme ne se portaient pas acquéreurs des obligations de sociétés vendues par les fonds communs de placement, la prime de risque de liquidité augmenterait davantage. On voit donc que le comportement contracyclique des investisseurs à long terme peut constituer une importante force stabilisatrice. De plus, comme il a été mentionné précédemment, les gestionnaires d’actifs adaptent la gestion de leurs portefeuilles pour affronter des périodes de faible liquidité, ce qui devrait atténuer l’incidence sur le système financier d’un scénario semblable à celui présenté ici.
Opinion des marchés sur le risque et la résilience
- Le point de vue des acteurs du marché est utile pour recenser les risques qui pèsent sur le système financier et évaluer son degré de résilience.
- Les répondants à l’enquête semestrielle de la Banque sur le système financier estiment que les risques continuent d’augmenter, mais ils ont toujours une grande confiance dans la résilience du système financier. Les indicateurs fondés sur la valeur marchande des actions émises par les banques témoignent aussi d’un niveau de confiance élevé.
La Banque sollicite l’opinion des participants au système financier dans le cadre d’une enquête. Les résultats constituent un point de comparaison auquel elle peut confronter ses avis et ses travaux d’analyse. L’enquête lui permet aussi de recueillir des renseignements sur des sujets sur lesquels elle possède peu de données ou une expertise limitée, et qui peuvent inspirer en outre de nouveaux sujets d’analyse.
Même si le risque global perçu a encore légèrement augmenté, la confiance dans la résilience du système financier canadien demeure élevée. Les répondants à l’enquête sur le système financier canadien considèrent toujours que la possibilité qu’un cyberincident se matérialise est le risque le plus important de tous. Ils estiment aussi que le risque découlant d’une détérioration des perspectives de l’économie mondiale ou d’une chute de prix dans l’immobilier résidentiel ou commercial s’est accru (graphique 20).
Il est aussi possible de déduire la perception du marché quant au degré de résilience du système bancaire à partir des données du marché, dont le cours des actions. Un indice composite fondé sur des indicateurs de marché donne à penser que la perception de la résilience des grandes banques avoisine son niveau le plus haut depuis la crise (graphique 21), mais que celle associée aux petites banques est moindre qu’auparavant44.
Protéger le système financier
- La Banque du Canada collabore avec d’autres autorités, à l’international comme au pays, afin de promouvoir la stabilité et l’efficience du système financier. Cette coopération se traduit par l’adoption de mesures visant à accroître la résilience des institutions financières et des infrastructures de marchés financiers, ainsi que de mesures destinées à préserver le fonctionnement des marchés de financement essentiels, y compris en périodes de tensions. Les mesures qui portent sur les vulnérabilités traitées plus haut sont analysées dans les sections pertinentes. Par ailleurs, d’autres avancées notables en matière de politiques contribuent à renforcer la stabilité et l’efficience du système financier.
Les améliorations proposées devraient consolider les taux d’intérêt de référence du marché canadien. Les taux d’intérêt de référence servent partout dans le monde au calcul des versements qui permettront de rémunérer des contrats financiers s’élevant à des billions de dollars, notamment les contrats sur des prêts à taux variables et sur des instruments dérivés. Les doutes entourant l’intégrité de certains taux de référence, en particulier le taux interbancaire offert à Londres, le LIBOR, ont érodé la confiance des acteurs par rapport à certains indices financiers. L’incertitude qui en découle pourrait devenir une source de risque systémique importante. Par conséquent, les autorités réglementaires dans nombre de pays revoient les taux de référence de façon à en renforcer la robustesse et la fiabilité.
Le Forum canadien des titres à revenu fixe a créé le Groupe de travail sur le taux de référence complémentaire pour le marché canadien (Groupe de travail sur le TARCOM) afin de passer en revue et d’améliorer les taux de référence utilisés au Canada. Ce groupe est également chargé d’évaluer s’il y a lieu de mettre au point de nouveaux taux. C’est une question que la sous-gouverneure Lynn Patterson a abordée dans son discours, Vers une mise à niveau des taux de référence. Depuis, le Groupe de travail a centré ses efforts sur deux indices de référence :
- Le taux CORRA (Canadian Overnight Repo Rate Average) est un indice fondé sur des transactions, qui mesure le coût du financement des opérations de pension à un jour. Ce taux est surtout utilisé sur le marché des instruments dérivés pour déterminer le montant des paiements associés aux swaps indexés sur le taux à un jour. Il repose à l’heure actuelle sur le nombre relativement faible d’opérations générales de pension effectuées par l’entremise de courtiers intermédiaires. Le Groupe de travail sur le TARCOM a proposé d’élargir l’éventail de transactions prises en compte et de modifier la méthode de calcul, l’idée étant de rendre le taux CORRA plus robuste et plus représentatif du marché dans son ensemble.
- Le taux CDOR (Canadian Dollar Offered Rate) est le principal taux de référence pour les produits financiers libellés en dollars canadiens. Il s’agit d’un taux à terme qui représente le coût d’emprunt des fonds tirés auprès d’une facilité de crédit par le moyen d’acceptations bancaires45. Comme il est établi à partir d’un sondage, il existe un risque que le taux CDOR cesse d’être publié si les répondants arrêtaient de fournir les cours utilisés pour son calcul. C’est d’ailleurs pour contrer ce risque que le Groupe de travail sur le TARCOM rédige des libellés plus robustes destinés à certains types de contrats financiers qui s’appuient sur le taux CDOR. Les libellés préciseraient quels autres taux de référence pourraient être employés à la place du taux CDOR si celui-ci cessait définitivement d’être publié. Le Groupe évalue également si le marché devrait disposer d’un nouveau taux à terme sans risque, qui serait utilisé aux côtés du taux CDOR et constituerait une solution de rechange crédible.
La résilience et la continuité des opérations de la Banque sur les marchés et de ses opérations bancaires renforceront la stabilité financière. Ces opérations sont une part essentielle de la mise en œuvre des grandes fonctions de la Banque en lien avec la politique monétaire, la gestion financière et le système financier. La Banque a inauguré en début d’année à Calgary le premier site parallèle des opérations. Le Site des opérations de Calgary assumera conjointement avec le siège la responsabilité des opérations sur les marchés et des opérations bancaires au quotidien. Lorsque le Site aura atteint sa vitesse de croisière, il permettra à la Banque de poursuivre l’exécution de ces opérations essentielles en cas de perturbation dans la région de la capitale nationale.
La Banque du Canada a réduit son recours systématique aux cotes de crédit des agences de notation. Un recours systématique peut amplifier les effets des baisses de cotes sur les émetteurs et les détenteurs d’actifs, au point de provoquer des perturbations systémiques. Voilà pourquoi la Banque intègre dans ses propres politiques les principes du CSF de manière à réduire son recours aux cotes publiées par les agences de notation. En juillet 2018, la Banque a, dans le cadre du mécanisme permanent d’octroi de liquidités, éliminé de sa politique sur les actifs acceptés en garantie tout recours systématique aux cotes de crédit des agences de notation46.
Les progrès vers la modernisation des systèmes de paiement canadiens se poursuivent. Paiements Canada continue à faire avancer les travaux devant mener à la mise sur pied de trois nouvelles plateformes de paiement : un système de paiements de grande valeur du nom de Lynx, un système amélioré de paiement de détail pour la compensation des paiements par lots sur effets papier ou par voie électronique, et un système de paiement en temps réel47. Un prestataire d’applications et un fournisseur de services d’hébergement et d’intégration de systèmes ont été sélectionnés pour Lynx. Les travaux de conception progressent pour la plateforme de traitement des paiements de détail par lots et le système de paiement en temps réel. De plus, le gouvernement du Canada a proposé, dans le Budget de 2019, d’exiger des fournisseurs de services de paiement qu’ils adoptent de saines pratiques pour la gestion des risques opérationnels et qu’ils protègent les fonds des utilisateurs contre les pertes. La Banque du Canada serait chargée de veiller à l’application de ces exigences, qui ont été présentées dans un document de consultation du gouvernement sur le cadre de surveillance des paiements de détail.
Notes
La Revue du système financier est produite sous la supervision du Conseil de direction de la Banque du Canada, qui réunit Stephen S. Poloz, Carolyn A. Wilkins, Timothy Lane, Lawrence Schembri, Lynn Patterson et Paul Beaudry.
Les données utilisées dans le présent document sont celles qui étaient disponibles au 9 mai 2019.
- 1. C. A. Wilkins (2019), À l’ère du levier d’endettement, discours prononcé devant l’École d’économie de Vancouver (Université de la Colombie-Britannique) et la CFA Society Vancouver, 14 mars; Fonds monétaire international (2019), Rapport sur la stabilité financière dans le monde, avril.[←]
- 2. Les données publiées précédemment indiquaient une forte croissance des marges de crédit hypothécaires. Cela dit, comme ces dernières sont souvent combinées à un prêt hypothécaire, il est difficile de les isoler dans les données sur le crédit immobilier. De nouveaux relevés viennent toutefois faciliter la ventilation des différents types de crédit immobilier, comme expliqué dans L. Al-Mqbali, O. Bilyk, S. Caputo et J. Younker (2019), Reassessing the Growth of HELOCs in Canada Using New Regulatory Data, note analytique du personnel no 2019-14, Banque du Canada.[←]
- 3. Les règles en matière d’assurance hypothécaire et les lignes directrices sur la souscription de prêts hypothécaires ont été resserrées à plusieurs reprises au cours des dernières années. Voir Banque du Canada (2017), « Annexe : Réforme des règles du financement hypothécaire au Canada », Revue du système financier, juin; Bureau du surintendant des institutions financières (2017), Le BSIF consolide un régime de réglementation rigoureux pour la souscription de prêts hypothécaires résidentiels, communiqué, 17 octobre; Banque du Canada (2018), « Encadré 1 : Les tests de résistance fondés sur les taux hypothécaires », Revue du système financier, juin.[←]
- 4. La SCHL, en tant que garante, est exposée à des risques liés aux émetteurs agréés des titres hypothécaires émis en vertu de la Loi nationale sur l’habitation, y compris les coopératives de crédit. Elle atténue certains de ces risques en établissant des exigences générales applicables aux émetteurs agréés, notamment celle de fournir des données sur l’ensemble de leur portefeuille hypothécaire.[←]
- 5. Ces énoncés se rapportent strictement aux prêts hypothécaires à taux fixe de cinq ans ou plus utilisés pour acquérir des logements qui seront occupés par l’acheteur. Il s’agit du principal segment du marché touché par les changements apportés en 2018 aux pratiques en matière de tests de résistance appliqués aux prêts hypothécaires.[←]
- 6. Pour en savoir plus au sujet des sociétés de placement hypothécaire, voir G. Bédard-Pagé (2019), Le point sur l’intermédiation financière non bancaire au Canada (26 mars), dans le portail sur le système financier.[←]
- 7. Ce nouvel indicateur est beaucoup plus complet que les indicateurs mesurant les arriérés de paiement sur les prêts hypothécaires, qui restent très bas à l’échelle nationale à environ 0,25 %.[←]
- 8. Les indicateurs cités dans cet encadré reposent sur les données de l’enquête sur la sécurité financière de Statistique Canada de 1999 et 2016 et font appel au revenu total avant impôt et retenues aux fins de calcul du ratio de la dette au revenu. Certaines livraisons antérieures de la Revue étaient fondées sur l’enquête Canadian Financial Monitor et avaient recours au revenu total des ménages déclaré par les répondants.[←]
- 9. Le seuil de 350 % du ratio de la dette au revenu correspond au seuil estimé dans G. Cateau, T. Roberts et J. Zhou (2015), « L’endettement des ménages et les vulnérabilités potentielles pour le système financier canadien : une analyse des microdonnées », Revue du système financier, Banque du Canada, décembre, p. 55-65.[←]
- 10. S. S. Poloz (2019), Le partage des risques, la flexibilité et l’avenir des prêts hypothécaires, discours prononcé devant l’Association canadienne des coopératives financières et la Chambre de commerce de Winnipeg, 6 mai.[←]
- 11. Voir Le budget de 2019 : un chez-soi abordable.[←]
- 12. La SCHL estime que l’Incitatif à l’achat d’une première propriété aura une faible incidence sur les prix des logements. Voir SCHL (2019), Rendre le logement plus abordable : Incitatif à l’achat d’une première propriété du Canada.[←]
- 13. Voir les livraisons antérieures de la Revue du système financier, dont l’encadré 4 de la livraison de juin 2017 intitulé « L’investissement serait tiré par les anticipations extrapolatives », Revue du Système financier de la Banque du Canada.[←]
- 14. M. Khan et T. Webley (2019), Démêler les facteurs qui influencent les reventes de logements, note analytique du personnel no 2019-12, Banque du Canada; et T. Webley (2018), Fundamental Drivers of Existing Home Sales in Canada, document d’analyse du personnel no 2018-16, Banque du Canada.[←]
- 15. M. Khan et M. Verstraete (2019), Non-Resident Taxes and the Role of House Price Expectations, note analytique du personnel no 2019-8, Banque du Canada.[←]
- 16. G7, Groupe des sept (G7) – Éléments fondamentaux pour la gestion des risques cybernétiques liés à des tiers dans le secteur financier.[←]
- 17. Au cours de la période visée par l’enquête, les incidents ont été communiqués au gouvernement fédéral par l’entremise du Centre canadien de réponse aux incidents cybernétiques. Cette fonction incombe maintenant au Centre canadien pour la cybersécurité.[←]
- 18. Selon la base de données Compustat. Les données historiques couvrent la période de 1999 à 2018. Le ratio d’endettement est calculé en fonction du bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA).[←]
- 19. T. Grieder et C. Schaffter (à paraître). Measuring Non-Financial Corporate Sector Vulnerabilities in Canada, document d’analyse du personnel, Banque du Canada.[←]
- 20. La dette totale des sociétés non financières en proportion du PIB est similaire au Canada (75 %) et aux États-Unis (73 %). Voir Fonds monétaire international (2019), Rapport sur la stabilité financière dans le monde, avril; Federal Reserve Board (2019), Financial Stability Report, mai; C. A. Wilkins (2019), À l’ère du levier d’endettement, discours prononcé devant l’École d’économie de Vancouver (Université de la Colombie-Britannique) et la CFA Society Vancouver, Vancouver, 14 mars.[←]
- 21. Les prêts non bancaires ne comprennent pas les prêts consentis par les institutions de dépôt. Le pourcentage de titres obligataires dans la dette totale des sociétés non financières au Canada est relativement stable depuis les dix dernières années et se situe autour de 40 %. Cependant, comme les prêts à effet de levier sont presque tous vendus à des investisseurs, ils peuvent être pris en compte dans le crédit non bancaire. Ce faisant, ils ajouteraient environ dix points de pourcentage à la part de la dette attribuable aux prêts non bancaires.[←]
- 22. S. Çelik, G. Demirtaş et M. Isaksson (2019), Corporate Bond Markets in a Time of Unconventional Monetary Policy, coll. « OECD Capital Market », février.[←]
- 23. Fonds monétaire international (2019), Rapport sur la stabilité financière dans le monde, avril.[←]
- 24. Données sur les titres à revenu fixe de Refinitiv DataScope et calculs de la Banque du Canada.[←]
- 25. Les données de Refinitiv sur les obligations et de Moody’s sur les cotes de crédit ne couvrent pas tout le marché, et l’étendue du marché des prêts à effet de levier couvert par les données de Bloomberg n’est pas connue. Le pourcentage réel des fonds provenant du marché des prêts à effet de levier et du marché des obligations à rendement élevé est donc susceptible de dépasser l’estimation de 12 %.[←]
- 26. Bureau d’assurance du Canada (2018), Assurances de dommages au Canada 2018.[←]
- 27. Gouvernement du Canada (2019), Rapport sur le climat changeant du Canada.[←]
- 28. T. Lane (2018), Les « cryptos », déchiffrés, discours prononcé devant la Haskayne School of Business, Université de Calgary, 1er octobre.[←]
- 29. Groupe d’action financière (2018), Regulation of Virtual Assets, 19 octobre.[←]
- 30. Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (2019), Statement on Crypto-Assets, 13 mars.[←]
- 31. Autorités canadiennes en valeurs mobilières (2019), Projet d’encadrement des plateformes de négociation de cryptoactifs, document de consultation conjoint 21-402 des Autorités canadiennes en valeurs mobilières et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, 14 mars.[←]
- 32. Conseil de stabilité financière (2018), Crypto-Assets: Report to the G20 on the Work of the FSB and Standard-Setting Bodies, 16 juillet.[←]
- 33. Le groupe des Responsables des organismes de réglementation est présidé par le gouverneur de la Banque du Canada. En font partie le ministère des Finances du Canada, le BSIF, l’Autorité des marchés financiers du Québec et les commissions des valeurs mobilières de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.[←]
- 34. Bureau du surintendant des institutions financières (2019), Le BSIF accroît la résilience des institutions financières en modifiant sa ligne directrice Normes de liquidité, communiqué, 11 avril.[←]
- 35. Ministère des Finances du Canada (2019), Examen des mérites d’un système bancaire ouvert, document de consultation, janvier.[←]
- 36. La croissance exposée au risque correspond au cinquième centile de la croissance du PIB en glissement annuel, un an à l’avance.[←]
- 37. Voir T. Adrian, N. Boyarchenko et D. Giannone (2019), « Vulnerable Growth », The American Economic Review, vol. 109, no 4, p. 1263-1289; et T. Duprey et A. Ueberfeldt (2018), How to Manage Macroeconomic and Financial Stability Risks: New Framework, note analytique du personnel no 2018-11, Banque du Canada.[←]
- 38. Les chiffres sur la croissance correspondent au taux de variation en glissement annuel, contrairement à la mesure présentée au graphique 2-B de la Revue du système financier de juin 2018, qui correspond au taux de variation trimestriel annualisé de la croissance exposée au risque.[←]
- 39. T. Duprey, X. Liu, C. MacDonald, M. van Oordt, S. Priazhkina, X. Shen, J. Slive et V. Traclet (2018), Résistance du système financier et correction des prix des logements, portail sur le système financier de la Banque du Canada, 14 novembre.[←]
- 40. Le Fonds monétaire international a analysé la situation au Canada en 2019 dans le cadre de son Programme d’évaluation du secteur financier; ses conclusions seront publiées dans le courant de l’année.[←]
- 41. L’analyse porte sur les six banques qui ont été désignées à titre de banques d’importance systémique nationale par le BSIF (soit la Banque Canadienne Impériale de Commerce, la Banque de Montréal, la Banque de Nouvelle-Écosse, la Banque Nationale du Canada, la Banque Royale du Canada et la Banque Toronto-Dominion), ainsi que le Mouvement Desjardins, désigné « institution financière d’importance systémique intérieure » par l’Autorité des marchés financiers au Québec.[←]
- 42. Forum canadien des titres à revenu fixe (2016), Résultats de l’enquête du Forum canadien des titres à revenu fixe sur les questions de liquidité, de transparence et d’accès touchant le marché canadien de titres à revenu fixe, octobre.[←]
- 43. D. Cimon et C. Garriott (2017), Banking Regulation and Market Making, document de travail du personnel no 2017-7, Banque du Canada.[←]
- 44. Pour obtenir une description des indicateurs, voir C. MacDonald et M. van Oordt (2017), « Le rôle des indicateurs de marché dans l’évaluation de la résilience des systèmes bancaires », Revue du système financier, Banque du Canada, juin, p. 33-47.[←]
- 45. K. McRae et D. Auger (2018), Le marché des acceptations bancaires au Canada : notions de base, document d’analyse du personnel no 2018-6, Banque du Canada.[←]
- 46. Banque du Canada (2018), Changements apportés aux actifs acceptés en garantie dans le cadre du mécanisme permanent d’octroi de liquidités de la Banque du Canada, avis aux marchés, 23 juillet.[←]
- 47. Paiements Canada (2019), Modernisation.[←]