Prendre en compte la stabilité financière dans la politique monétaire

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Introduction

La crise financière mondiale et la Grande Récession qui a suivi ont amené les décideurs à remettre en question certains principes de base. Des croyances établies depuis longtemps au sujet de la politique monétaire ont perdu leur pertinence dans le contexte mondial actuel. Il y a dix ans, seule une très petite minorité pensait qu’une politique axée sur la stabilité des prix pouvait effectivement contribuer à l’accumulation de dangereux déséquilibres. Aujourd’hui, les banquiers centraux savent qu’ils doivent d’une manière ou d’une autre prendre en compte les questions de stabilité financière dans la conduite de la politique monétaire. Et tant les banquiers centraux que les dirigeants des institutions financières s’emploient à comprendre les incidences du vaste programme de réformes réglementaires en cours de mise en œuvre.

Dans le monde entier, des chercheurs examinent ces enjeux sous différents angles. En quoi les réformes mises en place dans le système financier influent-elles sur la politique monétaire? De quelle façon différentes options en matière de politique monétaire influent-elles sur la stabilité financière? L’idée, très répandue auparavant, selon laquelle les banques centrales devraient accorder peu d’importance aux questions de stabilité financière et s’en tenir à la maîtrise de l’inflation semble à présent étrangement naïve.

Des événements pénibles nous ont rappelé que le bon fonctionnement du système financier est essentiel à l’activité économique et à la transmission de la politique monétaire. Nous avons assisté, durant une période prolongée d’inflation basse et stable et de faible volatilité, à l’émergence d’une prise de risques excessive favorisée par l’ingénierie financière et par des lacunes réglementaires. La crise nous a montré à quel point les déséquilibres financiers dans un seul secteur d’une économie donnée ont pu s’amplifier et se propager à tout le système financier, provoquant la pire récession mondiale depuis la Grande Dépression. C’est pourquoi aujourd’hui je vous parlerai de la façon dont les banques centrales poursuivent leurs objectifs de stabilité des prix et de stabilisation macroéconomique en tenant compte des préoccupations entourant la stabilité financière. Cet exercice présente une multitude de risques et d’incertitudes, et se complique du fait que les objectifs macroéconomiques ne sont pas toujours compatibles avec ceux qui visent la stabilité financière. Composer avec ces complexités est désormais plus un problème de gestion des risques qu’un problème d’optimisation de la politique. Autrement dit, nous écartons l’idée d’élaborer la politique parfaite afin de suivre un but plus réaliste, celui de formuler une politique appropriée, à la lumière des risques et des incertitudes.

La politique monétaire et les déséquilibres financiers

La discussion entourant la possibilité de recourir à la politique monétaire pour corriger les déséquilibres financiers a beaucoup évolué depuis la période d’avant-crise. Il y a une dizaine d’années, elle se déroulait essentiellement entre, d’un côté, ceux qui affirmaient que les autorités monétaires devaient contrer les déséquilibres comme les bulles spéculatives et, de l’autre, ceux qui estimaient que la politique monétaire devait se limiter à réparer les dégâts après l’éclatement d’une de ces bulles.

Avant la crise financière, la Banque du Canada se réclamait foncièrement des deux camps. D’une part, nous étions d’avis qu’il est très difficile de détecter une bulle d’actifs et qu’un banquier central ne dispose d’aucun avantage comparatif pour effectuer un tel dépistage. Comme de nombreuses banques centrales, nous nous interrogions sur le bien-fondé d’utiliser un instrument d’une portée aussi large que les taux d’intérêt pour dégonfler une bulle pouvant être circonscrite à une seule catégorie d’actifs. D’ailleurs, si une bulle était particulièrement importante et persistante, l’application par la banque centrale du remède de la hausse des taux pouvait finir par provoquer dans l’économie les dégâts mêmes qu’elle était censée prévenir.

D’autre part, la Banque était bien consciente que la stabilité des prix était une condition nécessaire mais non suffisante à la stabilité financière. Étant donné notre vif intérêt pour le bon fonctionnement du système financier ainsi que notre approche macroéconomique, nous nous sommes employés à sensibiliser l’opinion publique aux menaces d’instabilité. Notre décision, en 2002, de publier la Revue du système financier témoigne de notre engagement précoce à favoriser la stabilité financière. L’expression « déséquilibres mondiaux » est revenue à maintes reprises dans nos discours d’avant la crise. En d’autres termes, nous ne nous contentions pas de rester sur la touche en attendant de réparer les dommages.

Le coût généralisé et extrêmement élevé de la Grande Récession a clairement montré à quel point il peut être difficile de restaurer la situation. Sept ans environ se sont écoulés depuis la crise, et par suite des effets dommageables sur l’économie mondiale, de nombreuses banques centrales sont encore aux prises avec une croissance médiocre et une inflation basse.

Cependant, la leçon la plus importante que nous avons retenue est qu’il existe une fausse dichotomie entre « prévenir » et « guérir ». Il est par trop simpliste de déclarer que les menaces à la stabilité financière obligent les banques centrales à choisir entre prévention et réparation. Dans un monde idéal, nous aurions un modèle macroéconomique suffisamment élaboré pour discerner l’apparition et la résolution de déséquilibres financiers, ainsi que leurs incidences sur l’économie réelle. Un tel modèle nous permettrait d’intégrer à notre fonction de réaction les menaces à la stabilité financière, sinon avec une précision absolue, du moins aussi bien que les autres variables économiques.

Malheureusement, le monde dans lequel nous vivons n’est pas parfait. Il n’existe pas de modèle d’équilibre général qui fasse une synthèse globale des variables réelles et financières, et il est peu probable qu’il en existe un jour. Je ne voudrais pas minimiser l’importance de la recherche et de l’élaboration de modèles stylisés, qui sont essentielles à notre compréhension d’autres aspects de la relation entre l’économie réelle et la stabilité financière. Mais, concrètement, les banques centrales doivent composer avec une incertitude considérable liée aux enjeux de la stabilité financière, et cette incertitude s’ajoute aux incertitudes courantes entourant la politique monétaire s’agissant des variables inobservables telles que la production potentielle.

Compte tenu de toute cette incertitude, il me semble que la voie à suivre pour les autorités monétaires consiste à prendre acte de tout ce qu’elles ne savent pas et à assumer cette ignorance, à évaluer au mieux les risques auxquels l’économie est exposée, et à gérer ces risques dans la conduite de leur politique monétaire. Dans un moment, je décrirai en détail le cadre de gestion des risques que nous utilisons. Mais il nous reste encore à déterminer comment les décideurs devraient réagir aux déséquilibres financiers, surtout ceux qui sont concentrés dans un secteur ou une catégorie d’actifs en particulier.

La Banque du Canada est d’avis que la politique monétaire devrait agir comme la dernière ligne de défense contre les menaces pesant sur la stabilité financière – après la responsabilité conjointe des emprunteurs et des prêteurs, l’exercice d’une surveillance réglementaire adéquate au sein du secteur financier, et des politiques macroprudentielles efficaces. Permettez-moi de dire quelques mots sur chacun de ces aspects.

Les menaces à la stabilité financière – nos lignes de défense

Les emprunteurs et les prêteurs représentent la première ligne de défense. Ils assument la responsabilité ultime des décisions qu’ils prennent, au niveau individuel ou organisationnel. La politique monétaire n’a pas pour rôle d’éviter à chacun de faire de mauvais choix. Néanmoins, comme la somme de ces mauvaises décisions pourrait menacer la stabilité financière ou l’économie tout entière, nous surveillons systématiquement la situation. Néanmoins, nous n’avons aucune raison de supposer que, dans tous les cas, l’équilibre dégénèrera en tourmente parce que les emprunteurs et les prêteurs sèment inévitablement les graines d’une crise financière. La discipline de marché renforcée par une transparence appropriée peut assurément être très utile à cet égard.

Cela ne signifie pas pour autant que les responsables des politiques publiques n’ont aucun rôle à jouer pour renforcer cette ligne de défense. La formation financière et les efforts déployés pour améliorer les connaissances de la population dans le domaine financier peuvent aider les consommateurs à mieux comprendre les importantes décisions qu’ils prennent.

Au Canada, nous avons assisté à un accroissement des niveaux d’endettement des ménages, qui constituent une importante vulnérabilité du système financier. Le principal moteur de cette hausse a été l’augmentation des prêts garantis par la valeur des propriétés sur fond de croissance des prix des maisons, en particulier dans deux des plus grandes villes canadiennes, soit Toronto et Vancouver. Cette évolution tenait, entre autres, au bas niveau des taux d’intérêt, qui ont maintenu à un niveau relativement inchangé depuis 2008 le ratio du service de la dette au revenu, y compris pour le remboursement du capital. La montée de l’endettement des ménages n’a donc rien de surprenant. Au contraire, cette réaction rationnelle des consommateurs à une politique monétaire accommodante témoigne du bon fonctionnement du mécanisme de transmission.

Loin de moi l’idée de minimiser la menace que représentent les niveaux élevés d’endettement des ménages. Nous continuons de suivre la situation de près. Mais le fait est que le ratio de la dette au revenu n’est pas seul en cause. Comme les prix des maisons ont généralement progressé plus vite que les revenus, la taille d’un premier emprunt immobilier contracté par un nouvel emprunteur a augmenté. Il s’ensuit une hausse mathématique du ratio global de la dette au revenu. Mais cette hausse ne se traduit pas nécessairement par une plus grande vulnérabilité de l’économie ou du système financier.

La seconde ligne de défense est une surveillance réglementaire rigoureuse du secteur financier. Celle-ci a été sensiblement renforcée depuis la crise financière. Grâce au dispositif de Bâle III, le monde est maintenant plus sûr; cela ne fait aucun doute. Mais même avant la crise, le système bancaire canadien évoluait dans un cadre réglementaire strict et une culture de prudence, qui ont permis à nos institutions d’éviter le pire de la tourmente.

Vu l’ampleur des dommages infligés par la crise financière, il va de soi que les autorités ont conçu un programme de réforme d’envergure comparable. Les pays du G20 se sont engagés à faire tout ce qu’il fallait pour corriger les faiblesses mises au jour par la crise.

En adoptant Bâle III, nous nous sommes fixé une tâche ambitieuse. Nous visions un train de réformes financières qui soit mis en œuvre de façon uniforme dans les différents pays et qui n’entrave pas la capacité des institutions financières à innover, à agir comme intermédiaires et à favoriser la croissance économique. Le parcours de mise en œuvre n’a pas été aussi facile que nous l’aurions souhaité. Mais ce n’est pas étonnant si l’on pense aux processus politiques et aux compromis qu’il a fallu faire pour mettre en place les réformes, et aux nombreuses différences entre les pays concernés.

Il importe à présent d’aller jusqu’au bout. Il est dans notre intérêt à tous d’assurer la sûreté du système financier mondial. Nous ne pouvons pas nous laisser distraire et perdre de vue cet objectif. Il s’agit pour les institutions financières de suivre la lettre et l’esprit des nouvelles règles de fonds propres et de liquidité. Et les décideurs doivent s’attendre à ce que les institutions réagissent au nouveau régime de réglementation. Nous constatons que les forces de la concurrence favorisent l’innovation, par exemple dans le secteur du financement de marché. Qu’on me comprenne bien : cette innovation est souhaitable. Alors même que nous mettons en œuvre de nouvelles règles, nous devons être conscients de toutes leurs répercussions et veiller à ce qu’elles n’étouffent pas la concurrence ni l’innovation.

Cela dit, les cicatrices de la crise financière ne disparaîtront pas du jour au lendemain, et nous sommes déterminés à prévenir le retour d’une crise de cette nature. L’application rigoureuse des normes de Bâle contribuera déjà fortement à empêcher la formation de certaines menaces à la stabilité financière. Elle atténuera en outre les conséquences possibles de ces menaces en augmentant sensiblement la résilience du système financier.

Néanmoins, Bâle III ne pourra pas prévenir la formation de tous les déséquilibres financiers, notamment dans les marchés de l’habitation. Le niveau élevé des prix des maisons peut devenir une préoccupation pour un banquier central, surtout s’il s’accompagne d’une montée de l’endettement et du levier financier des ménages. Nous savons que le prix des maisons peut s’écarter nettement des fondamentaux sous-jacents, surtout si les attentes relatives à la croissance des prix reposent sur de simples extrapolations et se détachent des fondamentaux de l’économie. Une brusque inversion de ces décalages pourrait créer des tensions considérables au sein du système financier et dans l’ensemble de l’économie.

C’est là qu’intervient la troisième ligne de défense – la politique macroprudentielle. Comme les politiques macroprudentielles sont relativement récentes dans l’histoire, nous n’avons pas encore beaucoup de données empiriques à leur sujet. Mais il existe un ensemble d’outils – ceux qui visent le logement – qui ont servi plus souvent et ont fait l’objet d’un plus grand nombre d’études. Le Fonds monétaire international et plusieurs banques centrales – dont la Banque du Canada – se sont penchés sur ce secteur. D’après leurs conclusions, certaines politiques macroprudentielles, notamment la limitation du ratio prêt-valeur pour les prêts hypothécaires et la hausse des pondérations en fonds propres imposées aux banques à l’égard de leurs portefeuilles de prêts hypothécaires, peuvent modérer la croissance du crédit et du prix des maisons, tout en améliorant la solvabilité moyenne des emprunteurs. L’effet du récent durcissement des politiques macroprudentielles au Canada, qui portait principalement sur les règles régissant les prêts hypothécaires assurés, semble corroborer ces conclusions.

Si nous convenons que des politiques macroprudentielles mises en œuvre correctement peuvent contribuer à combattre avec efficacité les vulnérabilités du système financier en renforçant sa résilience et en réduisant le risque systémique, il est permis de penser qu’en cas de déséquilibres, les autorités devraient se tourner en priorité vers ces politiques avant même de recourir à la politique monétaire.

Dans les différentes économies avancées, il existe toute une gamme de modèles de gouvernance destinés à la formulation des politiques macroprudentielles. Cette fonction est souvent centralisée : elle peut être confiée à la banque centrale (la Banque d’Angleterre, par exemple) ou à une autre autorité (comme aux États-Unis). Certains organismes macroprudentiels sont habilités à préparer les règlements, tandis que d’autres sont simplement chargés de la surveillance et de la formulation de recommandations.

Si tels ou tels rôles peuvent différer, la participation de la banque centrale est essentielle. En effet, celle-ci introduit une approche unique et systémique, susceptible de faciliter la détection et l’évaluation des vulnérabilités et des risques systémiques. De plus, notre intérêt à l’égard de la stabilité financière recoupe toutes les fonctions de la Banque du Canada – non seulement l’institution a besoin d’un système financier qui fonctionne bien pour transmettre sa politique monétaire, mais elle assure aussi la surveillance des infrastructures de marchés financiers d’importance systémique, en plus, bien entendu, d’être le prêteur de dernier ressort pour le système financier.

Lorsque plus d’un organisme participe aux politiques macroprudentielles, il faut mettre en place un mécanisme pour discuter des mesures à prendre et les coordonner, et pour établir un mécanisme de contrôle au sein du système de réglementation. Au Canada, ce rôle est rempli par le Comité consultatif supérieur, qui est présidé par le sous-ministre des Finances et qui compte des représentants de la Banque du Canada, du Bureau du surintendant des institutions financières, de la Société d’assurance-dépôts du Canada et de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Le Comité est un groupe informel au sein duquel les membres peuvent échanger de l’information et discuter des politiques de leur propre organisme ainsi que du contexte réglementaire global. Sa force tient au fait que ses membres peuvent comprendre leurs points de vue respectifs et coordonner leurs politiques macroprudentielles, un aspect essentiel étant donné les effets secondaires que peuvent avoir l’une sur l’autre les politiques macroprudentielle et monétaire.

La dernière ligne de défense est la politique monétaire, et c’est dans ce contexte que nous envisageons de contrer les déséquilibres. Plus précisément, je parle ici de choisir pour les taux d’intérêt une trajectoire différente de la trajectoire optimale pour la cible d’inflation, afin d’atténuer les risques pesant sur la stabilité financière. Par exemple, il pourrait s’agir d’accepter que l’inflation retourne à la cible dans un délai prolongé, de manière à ne pas exacerber les vulnérabilités financières en cours de route.

Vers une compréhension des liens

À ce stade, j’aimerais revenir sur un facteur de complication pour les décideurs. J’en ai déjà parlé tout à l’heure : les objectifs financiers et macroéconomiques ne sont pas toujours compatibles. On le voit bien, les politiques relatives au système financier – entre autres les cadres mondiaux comme Bâle III et les politiques macroprudentielles propres aux différents pays – peuvent réduire la probabilité d’un déséquilibre financier et d’une crise financière en atténuant les risques extrêmes. Cela dit, il est tout aussi évident que ces politiques et l’état du système financier en général peuvent également avoir une incidence sur l’efficacité de la politique monétaire. C’est pourquoi nous devons chercher à mieux comprendre les liens et les compromis à faire entre les politiques monétaires et celles du système financier.

Je m’explique. Il arrive que les cycles économique et financier progressent au même rythme. Prenons par exemple un choc de demande qui amène la banque centrale à relever les taux d’intérêt en raison de la demande excédentaire et des pressions haussières sur les prix. En pareille situation, la politique monétaire est apte à freiner aussi bien l’expansion de la demande que celle du crédit. Changeons maintenant de scénario : une banque centrale met en œuvre une politique monétaire accommodante pour essayer d’encourager l’emprunt et les dépenses. À la longue, la hausse des emprunts pourrait donner lieu à des déséquilibres, sur le marché de l’habitation par exemple. Dans ce cas, le durcissement des politiques macroprudentielles pourrait aller à l’encontre de la politique monétaire.

Il est donc essentiel de mieux comprendre en quoi les divers canaux de transmission de la politique monétaire sont sensibles à certaines variables, que les politiques relatives au système financier pourraient cibler.

Les banques centrales, dont la Banque du Canada, ont progressé dans l’élaboration de nouveaux modèles économiques ou l’adaptation de modèles existants, ce qui permet de prendre en compte les variables et tensions du système financier dans la conduite de la politique monétaire. Nous avons intégré à nos modèles macroéconomiques d’autres sources de vulnérabilités potentielles comme les bilans des ménages, des entreprises et des banques. Nous utilisons des cadres renforcés, qui exploitent des données plus nombreuses et de meilleure qualité, pour faciliter la surveillance du système financier et éclairer davantage nos jugements sur les risques entourant la stabilité financière et sur leur interaction. Nous avons accru la visibilité de la Revue du système financier, que nous publions tous les six mois.

Nous continuerons de nous employer à mieux comprendre les interactions entre la politique monétaire et la stabilité financière, et je m’attends à voir émerger un grand nombre de travaux de recherche novateurs qui mettront en lumière ces liens sous leurs divers aspects. Il existe néanmoins un problème de fond : pour faire leurs projections, les décideurs ont besoin de modèles qui analysent un grand nombre de variables et de chocs; il est toutefois extrêmement difficile de saisir le comportement lié aux bulles à l’aide d’un modèle d’équilibre général. Il nous faut donc recourir à nos modèles habituels et les compléter avec des modèles stylisés qui nous éclairent sur telle ou telle question touchant spécifiquement la stabilité financière. Ces modèles nous donnent un aperçu de certains éléments du paysage économique, mais nous ne disposerons jamais d’un outil unique capable de dresser un tableau complet de la situation.

La gestion des risques dans le cadre de la politique monétaire

Sans portrait complet de l’économie, que doit faire une banque centrale? À la Banque du Canada, nous menons la politique monétaire en suivant une démarche axée sur la gestion des risques. Précisons de quoi il est question et de quoi il n’est pas question.

Depuis le début des années 1990, le ciblage de l’inflation a gagné en popularité auprès des banques centrales, et le Canada l’a adopté dès la première heure. Selon notre entente actuelle, nous cherchons à maintenir l’inflation autour d’une cible de 2 %, et nous essayons habituellement d’atteindre cet objectif à un horizon de six à huit trimestres.

Même en l’absence de menaces pour la stabilité financière, la formulation de la politique monétaire oblige la banque centrale à composer avec une multitude d’incertitudes. Pensons aux aspects les plus importants d’un modèle macroéconomique :le niveau et le rythme de progression de la production potentielle, le taux d’intérêt neutre réel et la transmission des chocs des termes de l’échange. Il est impossible d’observer ces aspects; il faut en donner une estimation. Les hypothèses sous-jacentes à nos modèles ajoutent de l’incertitude à toutes les étapes du processus décisionnel. Depuis la crise, nous sommes également exposés au risque que nos modèles soient faussés par les changements fondamentaux de comportement des agents économiques.

En plus de ce contexte incertain, nous devons tenir compte de l’incertitude liée aux risques pesant sur la stabilité financière, une notion difficile à quantifier. Ce facteur d’incertitude d’un tout autre ordre vient compliquer la formulation de la politique monétaire, car il nous oblige à soupeser les deux types de risque, la probabilité qu’ils se manifestent, et les conséquences éventuelles d’une erreur de politique.

Comment donc gérons-nous les risques? À la Banque du Canada, nous essayons d’être réalistes au sujet des facteurs inconnus et nous examinons minutieusement les risques connexes. À chaque prise de décision, nous avons le choix entre différentes orientations de politique monétaire qui sont compatibles avec l’objectif d’inflation. Dans le cadre du processus de formulation de la politique, nous évaluons ces différentes possibilités et ciblons celles qui relèvent d’une zone où l’éventail des résultats probables nous donne l’assurance raisonnable d’atteindre la cible d’inflation dans un délai acceptable et de voir les risques entourant la stabilité financière évoluer de manière constructive.

Cela dit, nous savons bien qu’élaborer la politique de façon à atteindre la cible d’inflation dans le délai habituel peut parfois accroître le risque pour la stabilité financière jusqu’à un niveau inacceptable, ce qui nous écarte de la zone où les risques sont équilibrés pour l’essentiel. Compte tenu de la souplesse offerte par notre cadre de politique monétaire, nous nous réservons le droit d’opter pour des stratégies d’action qui n’aggravent pas sensiblement les préoccupations entourant la stabilité financière, c’est-à-dire de choisir une orientation qui vise un retour de l’inflation à la cible dans un délai plus long que la normale.

La gestion des risques ne sous-entend donc pas que la banque centrale modifiera sa politique pour essayer de contrer tous les déséquilibres financiers naissants. Dans un régime de ciblage de l’inflation, notre instrument de politique monétaire doit toujours viser en premier lieu la cible d’inflation. Même dans des situations exceptionnelles, lorsque les risques entourant la stabilité financière empêchent la politique monétaire d’atteindre la cible d’inflation dans un délai raisonnable, la banque centrale voudra s’assurer que toutes les options macroprudentielles ont bien été épuisées avant de recourir à la politique monétaire pour tenter de maîtriser ces risques.

Prenons un exemple vécu pour illustrer la mise en œuvre de notre démarche axée sur la gestion des risques. L’an dernier, avant que le choc des prix du pétrole n’ébranle l’économie canadienne, notre politique se situait dans la zone que je viens de décrire, l’inflation étant en voie de retourner à la cible dans un délai raisonnable et les vulnérabilités du secteur des ménages semblant évoluer de façon constructive.

Le choc des prix du pétrole a modifié les perspectives du tout au tout. Il annonçait une réduction potentiellement importante de notre revenu national et menaçait d’amener l’inflation sous la cible pour une période beaucoup trop longue. De plus, le net repli attendu de l’activité économique et de l’emploi représentait pour la stabilité financière au Canada un éventuel élément déclencheur de risques en lien avec l’endettement élevé des ménages. Notre politique monétaire est sortie de la zone, et le risque à la baisse entourant l’inflation future était notable. Nous avons donc abaissé le taux directeur en janvier avant de répéter l’opération six mois plus tard quand nous avons eu une idée plus précise de l’incidence du choc.

Nous savions que l’assouplissement de notre politique aurait des incidences sur la stabilité financière. Mais nous étions aussi conscients que ces préoccupations devaient rester subordonnées à notre mission principale : atteindre notre cible d’inflation et rétablir notre politique dans la zone où les risques sont équilibrés. Compte tenu de notre démarche axée sur la gestion des risques, nos interventions feraient pencher l’équilibre des risques dans des directions opposées en l’absence d’autres mesures macroprudentielles. L’abaissement des taux d’intérêt pouvait aggraver légèrement les vulnérabilités associées à l’endettement des ménages, mais aussi réduire la possibilité que le choc des prix du pétrole engendre des risques pour la stabilité financière. Dans le contexte actuel, il est essentiel de ramener l’économie à son plein potentiel et l’inflation à la cible pour favoriser la stabilité financière à plus long terme.

Conclusion

Le moment est venu pour moi de conclure. Les épisodes dramatiques de la crise financière ont exigé une réaction de grande ampleur. De nouveaux règlements ont été instaurés dans le secteur financier pour renforcer la sûreté de l’économie mondiale. L’itinéraire que doivent emprunter les institutions financières est long et pénible, mais les enjeux sont trop importants pour arrêter en chemin. Les décideurs publics ne ménagent pas leurs efforts pour comprendre l’incidence des nouveaux règlements et élaborer des cadres efficaces et des pratiques exemplaires visant à mettre en œuvre les politiques macroprudentielles.

Nous savons que la stabilité financière est désormais une préoccupation constante des banques centrales. Il n’est pas possible de saisir parfaitement l’économie et ses perspectives sans bien comprendre aussi les liens existant entre la stabilité financière et la politique monétaire.

À la Banque du Canada, nous restons déterminés à atteindre le but de notre mandat en matière d’inflation. Nous poursuivrons nos efforts afin de mieux comprendre l’influence réciproque de la politique monétaire et de la stabilité financière. Nous continuerons à profiter au besoin de la souplesse offerte par notre cadre de ciblage de l’inflation pour prendre en compte les préoccupations à l’égard de la stabilité financière dans la conduite de la politique monétaire tout en conservant notre mission principale : assurer la maîtrise de l’inflation.

Je tiens à remercier Don Coletti et Stephen Murchison de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.

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