Leçons d’hier et d’aujourd’hui : réinventer le rôle de la banque centrale

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Introduction

Je suis heureux d’être de retour à l’Université Western et honoré d’avoir été invité par le président Chakma à prononcer le discours inaugural de cette série de conférences.

En me préparant pour ce discours, je suis revenu un peu sur le passé et j’ai été frappé de constater à quel point certains enseignements que j’ai reçus ici à la fin des années 1970 se sont révélés prophétiques.

Nombre d’entre nous sont venus à l’époque à l’Université Western pour étudier auprès de deux professeurs prestigieux, David Laidler et Michael Parkin. Je me souviens encore des propos de David Laidler : « Steve, les cibles monétaires nous aideront à éviter les difficultés, mais si les choses se gâtent, il est possible qu’elles ne nous soient d’aucun secours. » Et je me souviens que Michael Parkin, qui est plus tard devenu mon directeur de thèse, m’a un jour dit : « Steve, beaucoup de règles de politique monétaire donnent les mêmes résultats sur le plan de l’inflation, mais chacune d’elles a des répercussions très différentes sur l’économie. »

Trente-cinq ans plus tard, ces paroles se révèlent pleines de justesse, particulièrement à la lumière de ce que nous avons connu au cours de la dernière décennie. Bien que les banques centrales se soient efforcées de maintenir l’inflation à un niveau bas et stable, nous avons assisté à l’émergence d’énormes déséquilibres, à un essor sans précédent du levier financier, au déclenchement d’une crise financière mondiale et au ralentissement synchrone de l’économie à l’échelle du globe. Aujourd’hui, au moment où nous tentons d’appliquer les leçons apprises, nous sommes amenés à soupeser un vaste éventail de répercussions pour établir l’orientation future de la politique monétaire.

Grâce à l’adoption de politiques habiles, il a été possible d’éviter de justesse à l’économie mondiale de sombrer dans une seconde Grande Dépression. La Grande Récession a néanmoins été très douloureuse. D’ailleurs, plus de six ans après la crise, les mesures de politique monétaire d’urgence adoptées par de nombreuses économies sont toujours en place. Bref, il reste encore bien du chemin à faire et nous sommes confrontés à de puissants vents contraires.

L’expérience de la dernière décennie montre qu’il y a d’excellentes raisons de croire que le rôle de la banque centrale doit être réinventé. Le maintien de l’inflation à l’intérieur de la fourchette cible n’a certes pas suffi à nous éviter des ennuis. Certains pourraient même faire valoir que le climat de tranquillité entretenu par le succès du ciblage de l’inflation a semé les germes de la crise en amenant les investisseurs et les intermédiaires financiers à prendre des risques excessifs. Il me semble à tout le moins que nous devons tenir compte d’un plus grand nombre de conséquences économiques et financières lorsque nous ciblons une inflation basse.

Le rôle de la banque centrale a déjà commencé à évoluer, à la faveur des expériences récentes et des nouvelles recherches. J’espère aujourd’hui inspirer les économistes d’ici et d’ailleurs à se joindre à ces efforts.

Les leçons de l’histoire

Il vaut la peine d’effectuer un retour en arrière pour nous rappeler de quelle manière les banques centrales menaient leurs activités sous le régime de l’étalon-or, au XIXe siècle et au début du XXe. À cette époque, le principal objectif de ces institutions était d’assurer la stabilité du système financier, c’est-à-dire de prévenir les paniques bancaires. Comme la monnaie était la plupart du temps convertible en or, le cours du métal jaune servait de point d’ancrage nominal - une sorte de règle d’inflation - pour l’économie.

L’offre de monnaie était élastique, les banques centrales la faisant augmenter ou diminuer pour répondre à la demande et maintenir le prix de l’or à un niveau fixe. Le but était d’éviter les variations importantes des liquidités et des taux d’intérêt qui étaient souvent annonciatrices des crises bancaires. Les banques centrales d’alors soutenaient aussi la stabilité financière en assumant la fonction de prêteur de dernier ressort, ce qui permettait d’empêcher qu’une pénurie de liquidités dans une banque ne provoque une panique généralisée.

C’est dans cette optique que la Banque du Canada - qui, soit dit en passant, célébrera son 80e anniversaire dans quelques semaines - a été instituée durant la Grande Dépression. Toutefois, sa création visait implicitement d’autres objectifs plus ambitieux étant donné l’état de l’économie à ce moment-là. La Loi sur la Banque du Canada donnait à l’institution le mandat de réglementer le crédit et la monnaie dans l’intérêt de la vie économique de la nation, et de protéger la valeur de la monnaie nationale sur les marchés internationaux, mais elle ne précisait pas comment l’institution devait s’y prendre pour remplir ce mandat.

Finalement, l’étalon-or s’est avéré un cadre trop rigide pour la conduite de la politique monétaire. En 1944, la Conférence de Breton Woods a débouché sur la création d’un système mondial fondé sur des parités de change fixes mais ajustables et a remplacé l’étalon-or par un régime dans lequel le dollar américain, dont le cours était rattaché à l’or sur la base de 35 $US l’once, servait d’étalon.

Ce système s’est montré insatisfaisant à plusieurs égards. Disons, sans entrer dans les détails, que le régime de Breton Woods n’a pas résisté aux tensions du début des années 1970 et qu’il s’est effondré, ce qui a déclenché une période de flambée inflationniste à l’échelle mondiale et mené à la recherche d’un nouveau cadre pour la formulation de la politique monétaire.

Un certain nombre de banques centrales, dont la Banque du Canada, ont alors adopté des cibles monétaires dans le but de maîtriser l’inflation. Selon la théorie de l’époque, en freinant la croissance de la masse monétaire, il était possible de réduire le taux d’inflation sans graves conséquences sur la croissance économique.

Voilà quel était l’état de la situation lorsque je suis arrivé à l’Université Western en 1978. Ce cadre de conduite de la politique monétaire jouissait alors d’un appui solide dans le milieu universitaire. Mais lorsque je suis entré à la Banque du Canada, en 1981, le ciblage monétaire suscitait un désenchantement croissant, son lien avec l’inflation s’étant révélé instable. Pour des raisons pratiques, cette cible a donc dû être abandonnée ou plutôt, pour reprendre la formule célèbre de l’ancien gouverneur Gerald Bouey, en 1983 : « Nous n’avons pas abandonné M1, c’est M1 qui nous a abandonnés. »

La recherche d’un meilleur cadre de conduite de la politique monétaire s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 1980, tant dans les banques centrales que dans le milieu universitaire. Les questions soulevées étaient fondamentales : Quelle est la politique monétaire optimale? Quel en est le meilleur point d’ancrage? Les banquiers centraux devraient-ils être astreints à des règles en matière de politiques ou devraient-ils plutôt jouir d’une certaine discrétion et, le cas échéant, dans quelle mesure?

Comme vous le savez tous, un consensus s’est créé : les banques centrales devaient viser directement une cible d’inflation au lieu de cibler une variable intermédiaire comme la masse monétaire. En 1991, la Banque du Canada est devenue la deuxième banque centrale (après celle de Nouvelle-Zélande) à adopter un régime de ciblage de l’inflation. Et, au cours des dix années suivantes, nombre de leurs homologues leur ont emboîté le pas.

À l’époque, les résultats de cette politique étaient difficilement contestables. Le ciblage de l’inflation était considéré comme un facteur essentiel de la « Grande modération », une période de croissance économique continue et d’inflation basse et stable qui s’est déroulée sur une quinzaine d’années dans la plupart des économies avancées. Au Canada et ailleurs, les consommateurs et les entreprises pouvaient dresser des plans financiers à plus long terme avec une confiance accrue. Les taux d’intérêt étaient bas, et les cycles économiques, modérés. Le taux de chômage était peu élevé et variait moins que par le passé.

Ce succès a contribué à répandre l’idée selon laquelle le maintien de l’inflation à un niveau bas et stable était le meilleur apport, en fait le seul, qu’une banque centrale puisse fournir à l’appui de la bonne tenue de l’économie. Les pays dont la banque centrale avait un double mandat - faible inflation et croissance forte ou chômage peu élevé - pouvaient se fier à la « divine coïncidence » selon laquelle une inflation stable n’était possible que lorsque l’économie tournait à plein régime.

Qu’en était-il de la question de la stabilité financière? Les banques centrales conservaient la fonction de prêteur de dernier ressort - leur mission initiale -, mais on considérait que la stabilité financière relevait principalement des organismes de réglementation et qu’il s’agissait possiblement d’un problème auquel devaient faire face les économies émergentes dont les systèmes bancaires n’avaient pas encore atteint leur pleine maturité.

À mesure que les préoccupations relatives à la stabilité financière ont pris de l’ampleur au milieu de la décennie 2000, ce consensus sur les politiques a commencé à s’effriter, jusqu’à son effondrement en 2007. Notre conviction que le maintien de l’inflation à un niveau bas et stable nous aiderait à éviter les difficultés a engendré une confiance excessive, laquelle a déclenché un cataclysme. Nous connaissons tous la suite. À ce jour, les pertes de production attribuables à la crise s’élèvent à plus de 10 billions de dollars américains à l’échelle mondiale, et maintenant que nous sommes en difficulté, nous découvrons à quel point nos politiques sont inefficaces pour nous sortir de l’impasse.

La crise et les mesures prises pour y répondre - premières leçons

Inutile d’énumérer toutes les mesures de politique monétaire qui ont été déployées depuis 2008. Il suffit de souligner que, dans un contexte où les taux d’intérêt atteignent des creux historiques - et sont même dans certains cas négatifs - et où certaines banques centrales ont massivement accru la taille de leur bilan, les mesures de politique monétaire demeurent résolument expansionnistes; pourtant, les perspectives pour l’économie mondiale sont encore ternes. Il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés à de puissants vents contraires qui ne se dissipent que graduellement. Bien que nous ne soyons pas encore tirés d’affaire, c’est le bon moment pour réfléchir à la politique monétaire que nous devrons adopter lorsque les difficultés se seront résorbées.

La première leçon de la crise est qu’un taux d’inflation bas et stable est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la stabilité financière. Les bas taux d’intérêt nominaux qui ont accompagné cette inflation basse et stable ont amené les investisseurs à accroître leur levier financier et leur niveau de tolérance au risque dans le but de gonfler leurs gains et, de la même manière, ont encouragé les consommateurs à s’endetter davantage. Nous avons appris que ces vulnérabilités peuvent s’accumuler au fil du temps, ce qui fait augmenter le risque d’éclatement d’une crise même lorsque l’économie semble saine et solide.

Deuxième leçon : si les déséquilibres peuvent rendre une économie vulnérable, ceux qui sont alimentés par l’endettement sont particulièrement dangereux. Cette situation s’explique par le fait qu’en cas de choc - comme la crise financière -, l’assainissement des bilans peut prendre beaucoup de temps, et l’économie ne se rétablit simplement pas de la manière habituelle. Les coûts énormes engagés pour réparer les dégâts de la crise ont fait ressortir l’importance d’empêcher, dès le départ, ces déséquilibres de s’accumuler.

La troisième leçon est que le maintien d’un taux d’inflation bas et stable constitue une arme à double tranchant. Cette politique a certes des avantages escomptés sur le plan d’un fonctionnement efficace de l’économie et des marchés financiers. Mais elle présente aussi un désavantage : le bas niveau du taux d’intérêt nominal d’équilibre signifie que les banques centrales ont très peu de marge de manœuvre en cas de choc négatif de grande ampleur, comme celui de 2008. Il est certain que la contrainte de la valeur plancher des taux d’intérêt a prolongé la période d’ajustement de l’économie mondiale.

Enfin, la quatrième leçon est qu’il est impossible aux décideurs publics de préserver la stabilité financière au pays en se concentrant simplement sur la sûreté du secteur bancaire national. Les décideurs n’ont pas pleinement compris les risques associés aux nouvelles formes d’intermédiation financière - des instruments complexes comme les titres garantis par des créances. De plus, ils n’ont pas saisi à quel point le système financier mondial était interconnecté et dans quelle mesure les chocs peuvent facilement être amplifiés et transmis.

Certains de ces enseignements sont déjà mis en pratique et sont étayés par une somme considérable de recherches menées tant à la Banque que dans le milieu universitaire.

S’agissant de la réglementation, les pays membres du G20 ont pris acte de la nécessité de rendre le système financier mondial plus sûr. Le Conseil de stabilité financière (CSF) s’est vu confier la tâche de coordonner l’élaboration de normes internationales minimales à l’égard des fonds propres, de la liquidité et de la résolvabilité ainsi que des infrastructures de marché, afin de réduire la probabilité et la gravité de futures crises financières. Le CSF s’est pour l’essentiel acquitté de cette tâche, et les pays ont commencé à mettre en place les nouvelles normes.

Pour ce qui est de la mise en œuvre de la politique monétaire, les banques centrales doivent, à tout le moins, comprendre les risques naissants qui menacent la stabilité financière. Toutes ces institutions ont amélioré leurs capacités dans ce domaine. La Banque du Canada a recours à une approche plus structurée pour réaliser l’analyse présentée dans sa publication semestrielle, la Revue du système financier.

Plus précisément, nous avons accru la quantité et la qualité des données que nous utilisons à l’appui de la surveillance du système financier et nous complétons, au besoin, ces données par des discussions approfondies et des modèles, de manière à former des jugements plus éclairés quant aux risques qui planent sur la stabilité financière. Nous avons intégré à nos modèles macroéconomiques d’autres sources de vulnérabilités potentielles comme les bilans des ménages, des entreprises et des banques.

Notre compréhension de l’incidence des décisions des autorités monétaires sur la prise de risque s’améliore également. Par exemple, lorsqu’une banque centrale réduit les taux d’intérêt pour amortir un choc frappant l’économie, elle espère que les gens emprunteront davantage à ces taux plus favorables et dépenseront plus d’argent. Autrement dit, les déséquilibres financiers sont une conséquence nécessaire des mesures de politique monétaire - surtout si celles-ci sont en place pendant une longue période - et que la banque centrale doit pleinement tenir compte de ces dynamiques d’ajustement supplémentaires dans la conduite de la politique monétaire.

Cependant, il est évident que l’intégration de l’objectif de la stabilité financière dans notre cadre de conduite de la politique monétaire est toujours en cours. En tant que praticien, j’ai toujours l’impression que nous ajoutons différentes pièces à une maison que nous aimons au lieu de concevoir une nouvelle structure élégante et cohérente. Nous devons voir à ce que le rôle de la stabilité financière dans notre cadre de politique monétaire soit suffisamment souple et clair. Nous devons mieux comprendre comment les politiques macroprudentielles visant à favoriser la stabilité financière - par exemple, les règles de l’assurance hypothécaire - interagissent avec la politique monétaire.

Surtout, notre expérience de ces dernières années nous rappelle que, en tant qu’économistes, il y a beaucoup de choses que nous ne savons tout simplement pas. Nos modèles sont des abstractions simplifiées, et la notion d’incertitude que nous y intégrons est habituellement « bénigne », comme des bruits blancs, aspect dont les décideurs peuvent généralement faire abstraction. Pour ma part, je dirais plutôt que l’incertitude à laquelle sont confrontées les banques centrales est véritablement fondamentale, qu’elle est de nature et d’envergure knightiennes et que nous courons le risque de commettre de graves erreurs stratégiques si nous n’en tenons pas compte. Cette incertitude transforme forcément l’élaboration de la politique monétaire, la faisant passer d’un processus qui s’apparente à la rétro-ingénierie à un exercice de gestion du risque.

Les inconnues que nous connaissons

Permettez-moi à présent d’aborder certaines des « inconnues connues » qui préoccupent le praticien de la politique monétaire que je suis - des sujets de recherche future, si vous voulez.

Je pense premièrement à la mondialisation de la production, autrement dit la répartition géographique optimale des chaînes de production par les entreprises : la recherche-développement est effectuée dans un pays, la fabrication des composantes a lieu dans plusieurs autres, et l’assemblage final est réalisé dans un dernier pays.

Si ce phénomène est très documenté, ses effets sur quelques-unes des choses auxquelles nous tenons ne sont pas bien compris. Par exemple, on observe que la variation de l’inflation dans différentes économies dépend pour une grande part, et une part croissante, des fluctuations de l’inflation mondiale. Comment ces liens agissent-ils sur notre capacité de cibler l’inflation au pays? Comment la réorganisation des processus de fabrication à l’échelle de la planète se fait-elle sentir sur la façon dont la politique monétaire influe sur l’économie intérieure?

Deuxièmement, on comprend assez bien depuis longtemps le rôle que jouent les variations du taux de change dans la transmission de la politique monétaire et dans l’équilibrage de l’économie en réaction aux chocs. Le Canada, en particulier, est déterminé à conserver un régime de change flexible. Or, une proportion grandissante de la production mondiale provient maintenant de pays qui fixent ou contrôlent étroitement leur taux de change. De plus, comme je l’ai déjà dit, les entreprises ont étendu leurs chaînes d’approvisionnement à une multitude de pays qui appliquent différents régimes de change. Comment tous ces éléments influent-ils sur la transmission des mesures de politique monétaire à l’économie?

Troisièmement, des questions intéressantes se posent concernant l’incidence que peut avoir l’évolution de la distribution des revenus sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire. Nous assistons à deux mouvements de grande ampleur qui touchent l’ensemble du monde : une vague démographique, qui voit de nombreux travailleurs au sommet de leur courbe salariale prendre leur retraite; et une vague technologique, qui donne lieu à des rajustements structurels sur les marchés du travail, en particulier au centre de l’échelle de distribution des revenus. Comment ces forces se répercutent-elles sur la sensibilité de l’économie à la politique monétaire et sur notre capacité de maintenir un taux d’inflation bas et stable?

Quatrièmement, nos modèles macroéconomiques sont fondés sur ce qu’on appelle une « entreprise représentative », qui réagit aux interventions de politique monétaire, par exemple, en contractant des emprunts, en embauchant du personnel ou en investissant davantage à la suite d’une baisse des taux d’intérêt, et en prenant des mesures inverses après une hausse. Cependant, nous savons que les firmes de petite taille se comportent très différemment des grandes et que les sources auxquelles elles font appel pour obtenir du crédit ne sont pas du tout les mêmes. Dans la situation actuelle, alors que tant d’entreprises ont tout simplement fermé leurs portes, nous devons comprendre à fond ces dynamiques, car la reprise dépend en fin de compte d’un processus de reconstruction qui repose sur la création de nombreuses entreprises.

Ce ne sont là que quelques-unes des questions auxquelles je pense, et elles se posent au moment où la Banque se prépare à reconduire en 2016 l’entente relative à la cible de maîtrise de l’inflation conclue avec le gouvernement. Les questions techniques liées directement à cette entente ont été abordés par ma collègue, la sous-gouverneure Agathe Côté, dans un discours qu’elle a prononcé en novembre dernier à Calgary et que je vous recommande de lire. Mais soyons clairs, les enseignements tirés de la récente crise ont une influence sur notre programme de recherche.

Dans son discours, madame Côté explique que rien ne cloche et que, pour modifier l’entente relative à la cible d’inflation, la barre est placée très haut. Malgré les questions entourant la stabilité financière que j’ai soulevées aujourd’hui, le ciblage de l’inflation nous a bien servis et nous comptons continuer sur cette voie. Toutefois, comme je l’ai indiqué au début de mon discours, de nombreuses règles de politique monétaire donnent le même résultat en matière d’inflation, mais chacune a des répercussions différentes sur l’économie; c’est pourquoi il est essentiel de mieux appréhender ces répercussions dans le contexte d’un régime de ciblage de l’inflation.

Nous nous sommes rendu compte que les taux d’intérêt associés à un taux d’inflation de 2 % donnent très peu de latitude pour réagir à des chocs de grande ampleur. En outre, nous savons que le taux d’intérêt réel dit « neutre » sera plus bas dans l’avenir, notamment pour des raisons démographiques, et que notre marge de manœuvre s’en trouvera encore réduite. Ensemble, ces deux éléments pourraient se traduire par un risque accru de voir les taux d’intérêt descendre à leur valeur plancher quelle que soit la cible d’inflation. Avant de prendre une décision, il nous faudra évaluer les risques associés à toute modification qui pourrait être apportée au régime actuel de ciblage de l’inflation, y compris les possibles effets secondaires sur la crédibilité de la politique monétaire.

Conclusion

Pour conclure, j’aimerais vous faire part de quelques réflexions sur la situation actuelle. Depuis le début de la crise, les banques centrales, dont la Banque du Canada, ont réexaminé la façon dont elles se servent de leur politique pour établir un équilibre entre les risques pesant sur la stabilité financière et les risques liés à l’atteinte de la cible d’inflation. Dans un document d’analyse publié l’année dernière, j’ai tenté d’expliciter comment nous appliquons ce cadre de gestion du risque en prenant l’exemple de notre expérience en 2013 et au premier semestre de 2014. Mais les événements des six derniers mois ont illustré ces constatations encore plus distinctement.

La Banque a défini sa politique en mettant en balance les risques qui planent, d’une part, sur les perspectives d’un retour durable de l’inflation à sa cible et, d’autre part, sur la stabilité financière, notamment ceux que présente l’endettement des ménages canadiens. La chute brutale des prix mondiaux du pétrole a intensifié les risques dans les deux domaines. Parce qu’il a un effet net négatif sur la croissance, le choc des prix pétroliers a fait subir un recul marqué aux progrès accomplis pour parvenir à une économie qui tourne à plein régime, une situation de plein emploi et une inflation stable. Et comme des prix du pétrole plus bas impliquent des revenus moindres au Canada, le choc fera monter le ratio de la dette au revenu des ménages canadiens, et par là même accroîtra les risques pour la stabilité financière.

Notre décision d’abaisser le taux directeur le mois dernier avait pour but de nous procurer une certaine assurance contre ces deux groupes de risque. Nous sommes maintenant plus confiants dans notre capacité de ramener l’économie à son plein potentiel et de maintenir l’inflation à un niveau stable d’ici la fin de 2016, plutôt que pendant l’année 2017, et nous pensons que cette baisse amortira la diminution des revenus et de l’emploi, de même que l’augmentation du ratio de la dette au revenu qui suivra le recul des prix du pétrole.

Je parle d’« assurance » pour souligner que nous sommes dans une situation très incertaine et que nous cherchons à gérer les risques auxquels nous sommes confrontés et non à les éliminer - nous ne sommes pas en mesure de construire un avenir parfait. Si les retombées négatives du repli des prix du pétrole se sont immédiatement répercutées sur l’économie, les diverses conséquences positives - hausse des exportations liée à une économie américaine plus vigoureuse et à un taux de change plus bas, augmentation des dépenses de consommation des ménages à qui l’essence coûte moins cher - ne se feront sentir que progressivement, et on ne sait pas quelle en sera l’ampleur. De plus, l’envergure du choc des prix pétroliers est elle-même indéterminée. Ainsi, l’assurance contre les risques à la baisse que nous offre la diminution des taux d’intérêt nous donne un peu de temps pour voir comment l’économie réagira effectivement.

Vous vous en doutez, c’est une période stimulante pour un banquier central. L’élaboration de la politique monétaire évolue en temps réel et, comme je l’ai avancé, mérite d’être véritablement réinventée. Nous devons concevoir un cadre de politique qui incorpore les risques liés à l’inflation et à la stabilité financière, dans une perspective aussi bien statique que dynamique, et qui rende compte beaucoup plus précisément des incertitudes auxquelles nous sommes confrontés - bref, une synthèse juste qui intègre complètement les leçons d’hier et d’aujourd’hui. Il ne nous reste qu’à nous mettre au travail.

Travaux de recherche associés de la Banque du Canada

Alpanda, S., G. Cateau et C. Meh (2014). A Policy Model to Analyze Macroprudential Regulations and Monetary Policy, document de travail n° 2014-6, Banque du Canada.

Boivin, J., T. Lane et C. Meh (2010). « La place de la politique monétaire dans la lutte contre les déséquilibres financiers », Revue de la Banque du Canada, été, p. 27-41.

Christensen, I. (2011). « Dette hypothécaire et procyclicité sur le marché du logement », Revue de la Banque du Canada, été, p. 37-46.

Damar, H. E., C. Meh et Y. Terajima (2010). Leverage, Balance Sheet Size and Wholesale Funding, document de travail n° 2010-39, Banque du Canada.

De Resende, C., et R. Lalonde (2011). « Modélisation de l’activité bancaire dans l’économie mondiale au sein de BOC-GEM-FIN », Revue de la Banque du Canada, été, p. 13-24.

Dorich, J., R. R. Mendes et Y. Zhang (2011). « Intégration de plusieurs taux d’intérêt au modèle TOTEM », Revue de la Banque du Canada, été, p. 3-12.

Gungor, S., et J. Sierra (2014). Search-for-Yield in Canadian Fixed-Income Mutual Funds and Monetary Policy, document de travail n° 2014-3, Banque du Canada.

Larson, M., et E. Lessard (2011). « L’élaboration d’une stratégie de gestion de la dette à moyen terme pour le gouvernement canadien », Revue de la Banque du Canada, été, p. 47-54.

Meh, C. (2011). « Bilans des banques, réduction du levier financier et mécanisme de transmission », Revue de la Banque du Canada, été, p. 25-36.

Mendes, R. R. (2014). The Neutral Rate of Interest in Canada, document d’analyse n° 2014-5, Banque du Canada.

Paligorova, T., et J. Santos (2014). Rollover Risk and the Maturity Transformation Function of Banks, document de travail n° 2014-8, Banque du Canada.

Paligorova, T., et J. Sierra (2012). « La politique monétaire et le canal de la prise de risque : éclairage apporté par le comportement de prêteur des banques », Revue de la Banque du Canada, automne, p. 25-33.

Poloz, S. (2014). Intégrer l’incertitude dans l’élaboration de la politique monétaire - La perspective d’un praticien, document d’analyse n° 2014-6, Banque du Canada.

Shukayev, M., A. Ueberfeldt et S. Cociuba (2013). Interest Rate Policy and Financial Regulation: How to Control Excessive Risk Taking?, 2013 Meeting Papers 584, Society for Economic Dynamics.

 

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