Le résumé qui suit rend compte des délibérations du Conseil de direction de la Banque du Canada ayant mené à la décision de politique monétaire annoncée le 12 mars 2025.
Il reflète les discussions et les délibérations qu’ont tenues les membres du Conseil de direction à la troisième étape du processus entourant les décisions de politique monétaire, soit après avoir reçu toutes les informations et recommandations pertinentes du personnel.
Les réunions concernées, présidées par le gouverneur Tiff Macklem, ont débuté le 7 mars 2025. La première sous-gouverneure Carolyn Rogers, le sous-gouverneur Toni Gravelle, la sous-gouverneure Sharon Kozicki, le sous-gouverneur Nicolas Vincent et le sous-gouverneur Rhys Mendes y ont participé.
Économie internationale
Les membres du Conseil ont entamé leurs délibérations en discutant des évolutions économiques à l’international depuis la parution du Rapport sur la politique monétaire de janvier. Leurs échanges ont porté principalement sur l’actualité économique, marquée par le basculement des politiques commerciales.
L’économie américaine avait affiché une croissance inférieure aux prévisions pour le dernier trimestre de 2024. Sa progression avait ralenti à 2,3 %, surtout en raison d’une contraction de l’investissement des entreprises, en dépit de la forte croissance de la consommation, qui s’était chiffrée à 4,2 %. Les membres ont soulevé qu’il y avait des signes que l’économie américaine pourrait encore ralentir au premier trimestre de 2025.
Les membres ont indiqué que les effets des annonces de l’administration américaine commençaient à se faire sentir dans les enquêtes sur la confiance des ménages et des entreprises, mais qu’ils ne s’étaient pas encore manifestés dans les données macroéconomiques. En même temps, la lutte contre l’inflation traînait : l’indice de prix relatif aux dépenses de consommation des ménages était passé de 2,3 à 2,5 % du troisième au quatrième trimestre de 2024 et était demeuré à 2,5 % en janvier 2025.
La zone euro avait enregistré une croissance modeste à la fin de 2024. L’Allemagne venait d’annoncer, début mars, des mesures pour augmenter les limites de financement des investissements dans la défense et les infrastructures, lesquelles pourraient stimuler son économie et renforcer les perspectives dans cette région. Cela dit, il faudrait sans doute du temps pour que les éventuelles nouvelles dépenses se concrétisent. Abstraction faite de la forte hausse des prix du gaz naturel au cours de l’hiver, il était attendu que l’inflation continuerait de ralentir dans la zone euro, conformément aux projections du Rapport de janvier.
En Chine, la croissance s’était renforcée sous l’effet des actions des pouvoirs publics, passant à 6,6 % au dernier trimestre de 2024. Même si le pays s’était à nouveau engagé à atteindre un objectif d’expansion économique de 5 % en 2025, on prévoyait que la croissance du produit intérieur brut (PIB) descende sous cette barre, ralentissant de pair avec le rythme exceptionnel des exportations. On s’attendait également à ce que les droits de douane américains aient une certaine incidence sur la croissance des exportations chinoises.
Les rendements obligataires avaient baissé, surtout du fait que les marchés avaient revu à la baisse leurs attentes de croissance en Amérique du Nord, et les conditions financières s’étaient donc assouplies. Les cours des actions avaient chuté, les prévisions de croissance ayant baissé et les primes de risque ayant augmenté sous l’effet de l’incertitude tarifaire. La valeur du dollar canadien demeurait essentiellement inchangée : elle s’était tenue autour de 69 et 70 cents américains depuis la parution du Rapport de janvier, mais s’était dépréciée par rapport à la plupart des autres grandes monnaies. Les prix du pétrole avaient été volatils, le baril se négociant en deçà des hypothèses présentées dans le Rapport de janvier, tandis que d’autres produits de base s’étaient renchéris en raison des conditions météorologiques et de l’incertitude tarifaire. Le prix du baril de Brent était près de 70 $ US.
Économie canadienne et perspectives d’inflation au pays
Les membres du Conseil ont discuté des données récentes sur l’activité économique et l’inflation au Canada. L’économie canadienne avait commencé l’année 2025 en bonne posture, la croissance du PIB ayant été robuste et l’inflation, près de la cible de 2 % depuis l’été.
Le PIB canadien avait progressé de 2,6 % au quatrième trimestre de 2024, principalement en raison de la vigueur inattendue des dépenses des ménages, des investissements des entreprises et des exportations. Soutenue par les baisses de taux d’intérêt passées, la demande intérieure finale avait enregistré une forte hausse de 5,6 % au quatrième trimestre, et les investissements des entreprises, de 6,5 %. Le Conseil a également noté qu’une importante révision à la hausse avait été apportée à la croissance du PIB au troisième trimestre de 2024, la faisant passer de 1 à 2,2 %.
Les membres trouvaient généralement que l’évolution du marché du travail était encourageante depuis novembre, soulignant que la croissance de l’emploi s’était raffermie en janvier jusqu’à dépasser celle de la population active. La croissance de l’emploi avait stagné en février et le taux de chômage s’était maintenu à 6,6 %. La progression des salaires continuait de montrer des signes de modération.
Selon toute attente, les tensions commerciales et l’imposition de droits de douane allaient perturber la reprise du marché du travail. Les membres ont noté une baisse des offres d’emploi, et les résultats de récentes enquêtes de la Banque indiquaient que les entreprises avaient l’intention de réduire leur rythme d’embauche à court terme.
Les discussions ont aussi porté sur l’incidence des menaces tarifaires sur les échanges commerciaux. Les données sur le commerce de marchandises pour janvier donnaient à penser que les entreprises des deux côtés de la frontière devançaient des achats dans l’anticipation d’éventuels droits de douane. De ce fait, il était attendu que les exportations et importations canadiennes soient plus fortes que prévu au premier trimestre, et que les exportations progressent davantage que les importations. Les entreprises semblaient puiser dans leurs stocks pour répondre à la demande d’exportations, ce qui avait le potentiel de neutraliser en partie la contribution positive amenée par la croissance des exportations au premier trimestre de 2025.
Les résultats préliminaires de récentes enquêtes de la Banque semblaient indiquer que l’intensification des tensions commerciales et l’incertitude généralisée minaient la confiance et incitaient les consommateurs à se faire plus prudents. Une hausse prévue de l’épargne de précaution a été notée, de même qu’un virage dans les intentions d’achats importants. Les membres ont convenu que ces changements indiquaient probablement une croissance plus faible de la consommation au début de 2025.
Toujours d’après les enquêtes de la Banque, l’incertitude commerciale incitait les entreprises à revoir à la baisse leurs perspectives de ventes, en particulier dans le secteur manufacturier et des secteurs qui dépendent des dépenses de consommation non essentielles des ménages. De nombreuses entreprises disaient revoir à la baisse leurs plans d’investissement et leurs intentions d’embauche. De plus, les entreprises faisaient face à une augmentation des coûts, car les machines et le matériel importés étaient devenus plus chers en raison de la dépréciation du dollar canadien depuis l’automne. Les entreprises indiquaient également qu’elles devaient assumer de nouveaux coûts pour diversifier leurs marchés et leurs fournisseurs.
En janvier, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) avait été légèrement plus forte que prévu dans le Rapport de janvier, s’établissant à 1,9 %, principalement en raison de la vigueur des prix des biens. Elle se chiffrait toutefois à 2,6 % une fois l’effet des taxes éliminé. Le Conseil s’attendait à ce qu’elle soit d’environ 2,5 % en mars, en raison de la fin du congé de TPS/TVH.
Le taux d’augmentation des frais de logement demeurait élevé, mais continuait à ralentir. Les membres ont noté que les services liés au logement étaient la seule composante importante où le taux d’augmentation des prix était supérieur à sa moyenne historique, et non égal ou inférieur comme dans les autres composantes en général. Les mesures de l’inflation fondamentale demeuraient élevées : l’IPC-méd et l’IPC-tronq s’étaient établies à 2,7 % en janvier, surtout à cause de la vigueur persistante de la hausse des frais de logement.
Selon les données sur le commerce de marchandises, les coûts des biens importés et des intrants intermédiaires avaient augmenté. Cette augmentation pouvait en partie s’expliquer par l’affaiblissement du dollar canadien, l’incidence des droits de douane imposés à d’autres pays sur les chaînes d’approvisionnement et l’augmentation des prix des contrats négociés par les entreprises dans l’anticipation d’éventuels droits de douane. Les membres s’attendaient à ce que la hausse des prix des aliments et d’autres biens s’accélère d’autant plus si des droits de douane additionnels étaient imposés, mais à ce que celle des prix des services ralentisse, principalement en raison de la baisse des coûts de l’intérêt hypothécaire et du ralentissement de la progression des loyers.
Considérations pour la politique monétaire
Les membres ont discuté de divers facteurs en réfléchissant à leur décision et à la trajectoire de la politique monétaire. Leur conversation a surtout porté sur les risques qui guettent la croissance et l’inflation en raison des menaces tarifaires et de l’incertitude omniprésente entourant les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis.
Le Conseil a convenu que l’économie avait amorcé l’année plus vigoureusement que prévu. La croissance dans la deuxième moitié de 2024 s’était révélée considérablement plus forte qu’anticipé au moment du Rapport de janvier. Les membres ont échangé sur les facteurs ayant pu contribuer à cette vigueur, mentionnant notamment les facteurs économiques fondamentaux potentiellement plus robustes ainsi que les effets de la politique monétaire qui auraient agi plus rapidement que la normale. Chez les membres du Conseil, cette trajectoire de croissance plus solide a généralement renforcé l’idée que les baisses de taux d’intérêt de la deuxième moitié de 2024 étaient parvenues à stimuler les dépenses des ménages et la croissance économique. Étant donné que l’économie s’était montrée plus vigoureuse que prévu au début de 2025, le Conseil considérait généralement que les risques à la baisse entourant l’inflation pesaient moins lourd dans la balance.
Les membres se sont intéressés à l’effet des tensions commerciales sur le comportement des entreprises et des ménages. Ils ont reconnu que selon les enquêtes, la confiance des consommateurs et des entreprises avait enregistré une baisse prononcée. Ils ont échangé leurs avis sur la mesure dans laquelle cette baisse de confiance ferait diminuer les dépenses et les investissements. Les membres ont reconnu que le lien entre la confiance et les dépenses réelles n’était pas toujours étroit, et qu’il était déjà arrivé de voir la confiance s’affaiblir sans que les dépenses fléchissent. Ainsi, quelques membres ont dit vouloir éviter de surinterpréter les données d’enquête sur la confiance. D’autres ont souligné qu’une multitude d’enquêtes, dont celles de la Banque, attestaient la constance et l’ampleur de cette baisse de confiance, ce qui concordait aussi avec le fait que plus d’observations indiquaient un retrait des consommateurs et des entreprises.
Les membres ont convenu qu’il était trop tôt pour remarquer des répercussions sur l’activité économique, mais que ce changement d’attitude se traduirait probablement par un ralentissement de la demande intérieure. Ils ont reconnu que la force de ce ralentissement était difficile à évaluer, mais qu’elle pourrait être considérable.
Le Conseil a indiqué s’attendre à ce que la faiblesse de la demande intérieure soit quelque peu contrebalancée par le devancement des exportations au premier trimestre de 2025. Toutefois, ce bond des exportations serait vraisemblablement suivi par leur affaiblissement au cours des trimestres suivants, surtout advenant des droits de douane imposés sur de plus larges catégories de biens, en plus de ceux visant l’acier et l’aluminium. Les membres s’entendaient pour dire que cet affaiblissement des exportations, combiné au ralentissement attendu de la demande intérieure, viendrait probablement freiner davantage l’activité économique au deuxième trimestre.
L’inflation au Canada était près de la cible de 2 % depuis l’été dernier. Les membres ont noté que les effets de l’incertitude et des droits de douane sur l’inflation étaient particulièrement difficiles à évaluer. D’une part, un ralentissement de la demande intérieure agirait à la baisse sur l’inflation, et l’imposition de nouveaux droits de douane nuirait aux exportations tout en freinant davantage les investissements des entreprises. D’autre part, la hausse des coûts liée aux droits de douane, la dépréciation du dollar canadien et l’incertitude commerciale exerceraient des pressions à la hausse sur l’inflation.
Les membres se sont demandé s’ils voyaient des signes précoces de pressions inflationnistes provenant de la hausse des coûts des intrants en réaction aux droits de douane et à l’incertitude. Ils ont convenu qu’il était trop tôt pour déceler ces effets dans les données de l’IPC. Ils ont également soulevé qu’on ne savait pas dans quelle mesure ni à quelle vitesse seraient touchés les prix à la consommation, et qu’il faudrait les suivre de près. Ils ont ensuite discuté de l’augmentation des attentes d’inflation à court terme depuis le Rapport de janvier. Les membres ont attribué cette augmentation au fait que le public avait généralement conscience que les droits de douane feraient monter les prix. Ils ont convenu de surveiller étroitement l’évolution des attentes d’inflation à moyen et à long terme, car il est important qu’elles restent bien ancrées pour que toute hausse de l’inflation ne soit que temporaire.
Enfin, les membres ont réfléchi à l’incertitude considérable qui entourait les perspectives. Parmi les sources d’incertitude, il y avait l’évolution du conflit commercial, les réponses des gouvernements, les pratiques d’établissement des prix et d’investissement des entreprises, et les variations des dépenses de consommation. Ce n’est qu’au fil du temps qu’on peut évaluer l’interaction de toutes ces forces et leur incidence sur l’économie, à mesure que l’information devient disponible. Les membres ont noté que la situation était complexe et changeante. Néanmoins, ce qui semblait le plus probable, c’était que le conflit commercial pèserait sur l’activité économique tout en augmentant les pressions inflationnistes.
Décision de politique monétaire
Les membres du Conseil se sont demandé si la décision la plus appropriée était de maintenir le taux directeur à 3 % ou de le réduire de 25 points de base.
Ils ont d’abord reconnu que la croissance économique avait été robuste au tournant de 2025 et que l’inflation était restée proche de 2 % depuis l’été. Ils ont aussi souligné que la politique monétaire avait été grandement assouplie et que l’incidence des baisses de taux d’intérêt passées était encore en train de se propager dans l’économie.
Bien que les membres aient exprimé certaines divergences quant à l’influence de la vigueur économique inattendue du deuxième semestre de 2024 sur leur évaluation des risques, ils s’entendaient généralement pour dire que les nouvelles données avaient fait pencher la balance et atténuaient quelque peu le risque d’une baisse de l’inflation. Ils ont convenu qu’en l’absence de menaces tarifaires et de l’incertitude élevée, la décision aurait probablement été de maintenir le taux directeur à 3 %.
Certains membres ont suggéré qu’il pourrait néanmoins être approprié de maintenir le taux directeur à 3 % jusqu’à ce que les mesures tarifaires soient clarifiées et qu’on en sache plus sur leurs répercussions macroéconomiques. Même si l’incertitude pesait sur les intentions de dépenses, l’économie n’était pas encore aux prises avec des droits de douane généralisés et les taux d’intérêt avaient déjà été considérablement réduits.
D’autres membres estimaient que la menace tarifaire et l’incertitude avaient suffisamment fait changer les perspectives pour justifier une nouvelle réduction du taux directeur. Dans le contexte des droits de douane imposés sur l’acier et l’aluminium, des menaces tarifaires additionnelles et de l’imprévisibilité de l’administration américaine, les consommateurs et les entreprises prenaient déjà leurs décisions financières autrement, ce qui affaiblissait considérablement les perspectives à court terme.
Les membres du Conseil ont soupesé les risques entre la réduction et le maintien du taux directeur. Ils ont convenu que l’inflation sous-jacente semblait être près de 2 %. Les pressions inflationnistes n’étaient pas généralisées et la hausse des frais de logement, bien que toujours élevée, continuait de ralentir progressivement. Devant l’affaiblissement manifeste des perspectives et l’inflation qui semblait bien contenue, le Conseil a décidé d’abaisser le taux directeur de 25 points de base pour le porter à 2,75 %. Cette décision aiderait la population canadienne à composer avec l’incertitude liée aux droits de douane.
Les membres ont convenu que, compte tenu de la situation changeante, de la complexité du choc et de l’incertitude considérable entourant les perspectives, il ne serait pas approprié de donner des indications sur la trajectoire future du taux directeur.
Le Conseil s’est engagé à suivre de près l’évolution de la situation. Il s’agira d’évaluer, suivant les développements et les nouvelles données, l’équilibre entre les pressions à la hausse sur l’inflation causées par les coûts plus élevés et les pressions à la baisse causées par la demande affaiblie. Les membres ont noté que ces effets contraires pourraient prendre du temps à se matérialiser.
Les membres ont reconnu que certains prix augmenteraient en raison des droits de douane et des mesures de rétorsion. Ils ont convenu que la politique monétaire devra faire que les hausses de prix initiales ne se propagent pas à d’autres biens et services et ne se transforment pas en inflation généralisée et soutenue.
Le Conseil de direction s’est entendu pour aborder avec prudence tout changement futur du taux directeur.