Droits de douane, changements structurels et politique monétaire

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Introduction

Bonjour à tous. C’est un plaisir d’être ici avec vous. Je tiens à remercier la Chambre de commerce de Mississauga et la Chambre de commerce d’Oakville de m’avoir invité.

Quand j’ai accepté cette invitation il y a quelques mois, je prévoyais saisir cette occasion pour donner le coup d’envoi du processus de renouvellement de notre cadre de politique monétaire. Ce cadre définit l’objectif de la politique monétaire : maintenir la stabilité des prix au fil du temps. Pour le dire simplement, nous visons une cible d’inflation de 2 %, de sorte que l’inflation reste dans une fourchette de 1 à 3 % la plupart du temps. Nous renouvelons le cadre tous les cinq ans, en accord avec le gouvernement du Canada. C’est un point fort de notre système. Ça nous donne l’occasion d’examiner les résultats obtenus et de déterminer si le cadre reste le meilleur pour l’avenir.

C’est ce dont j’avais prévu vous parler jusqu’à ce que le président Trump annonce l’imposition de droits de douane importants et généralisés sur les exportations canadiennes. Bien que ces nouveaux droits de douane n’aient pas encore pris effet, l’incertitude entourant la politique commerciale américaine se répercute déjà sur notre économie. Et si les États-Unis déclenchent un conflit commercial prolongé, les conséquences pourraient être graves. Je sais que cette menace est au cœur des préoccupations de tout le monde. C’est pourquoi j’ai adapté mon exposé pour en parler.

Le président Trump veut utiliser les droits de douane comme un instrument de la politique américaine. Ce que ça signifie pour l’économie mondiale et pour les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis reste très incertain. Nous ne savons pas quels droits de douane seront imposés, ni quand ils commenceront, ni combien de temps ils dureront, ni même vraiment quel est leur objectif. Nous ne savons pas non plus comment le Canada et les autres pays réagiront. Et même quand nous en saurons plus, il sera difficile de prédire les répercussions économiques puisque nous n’avons pas connu de tels droits de douane généralisés depuis les années 1930.

Ce qui paraît inévitable, cependant, c’est qu’un changement structurel est à nos portes. L’augmentation des frictions commerciales avec les États-Unis est une nouvelle réalité. Bien qu’on ait encore plus de questions que de réponses, je vais profiter de mon exposé pour aborder quelques-unes des questions clés :

À quoi pourrait ressembler ce changement structurel?

Quels seraient les effets d’un conflit commercial prolongé sur l’économie canadienne à court et à long terme?

Qu’est-ce que la politique monétaire peut et ne peut pas faire?

Au-delà de la politique monétaire, que pourrait faire le Canada pour compenser au moins certaines des conséquences d’une augmentation des frictions commerciales avec les États-Unis?

Je vais ensuite revenir à mon plan initial et lancer le prochain examen de notre cadre de politique monétaire. L’avenir ne ressemblera pas au passé, et il est essentiel que nous commencions cet examen.

Les avantages du libre-échange entre le Canada et les États-Unis

Avant d’expliquer comment les frictions commerciales nuiront à notre économie, permettez-moi d’expliquer en quoi le libre-échange a bien servi tant le Canada que les États-Unis.

Après la Seconde Guerre mondiale, les pays alliés ont créé les institutions de Bretton Woods et ont progressivement réduit les droits de douane. Ils voulaient éviter le protectionnisme et l’instabilité de la Grande Dépression. Ils étaient convaincus que la coopération économique – notamment l’ouverture des échanges – était le meilleur moyen de maintenir la paix et de construire la prospérité.

En 1965, le Canada et les États-Unis ont signé l’Accord canado-américain sur les produits de l’industrie automobile, mieux connu sous le nom de Pacte de l’automobile. L’ouverture des échanges dans le secteur automobile a permis des économies d’échelle et la spécialisation. La productivité a augmenté, et les prix des véhicules automobiles ont baissé dans les deux pays1.

Le succès du Pacte de l’automobile a suscité un intérêt accru pour le libre-échange. L’Accord de libre-échange Canada–États-Unis, signé en 1988, a considérablement élargi les gains économiques. La productivité de l’industrie manufacturière au Canada, par exemple, a augmenté d’environ 14 %2.

En 1994, les relations commerciales se sont étendues jusqu’au Mexique avec l’Accord de libre-échange nord-américain. Puis, en 2020, l’accord a été mis à jour et renouvelé au cours de la première présidence Trump. La durabilité de cet accord commercial témoigne des avantages qu’en retirent les trois pays.

Au cours des 60 dernières années environ, nos échanges bilatéraux avec les États-Unis ont augmenté. Aujourd’hui, environ les trois quarts des exportations canadiennes de biens prennent la route des États-Unis. Le Canada est la première destination d’exportation des États-Unis, et le marché de destination numéro un de 32 des 50 États américains. La principale exportation canadienne vers les États-Unis est l’énergie. Le pétrole, le gaz naturel, l’essence et l’électricité du Canada alimentent l’économie américaine, moyennant un prix que personne d’autre au monde ne peut égaler. Et si on exclut nos exportations d’énergie, les États-Unis affichent en fait un excédent commercial avec le Canada (graphique 1).

Le libre-échange entre le Canada et les États-Unis a profité aux deux pays en améliorant l’efficacité, en stimulant les investissements, en augmentant la productivité et en rehaussant le niveau de vie. Une augmentation importante des droits de douane mettrait tout cela en péril.

Graphique 1 : Si on exclut l’énergie, le Canada est en déficitcommercial avec les États-Unis depuis 2007Balance commerciale Canada–États-Unis en milliards de dollars canadiens, données annuelles
Nota : La balance commerciale Canada–États-Unis sans l’énergie utilise des données douanières sur le commerce de l’énergie; la balance commerciale Canada–États-Unis utilise les données de la balance des paiements.
Sources : Statistique Canada via Haver Analytics et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 2023

À quoi ressemble un changement structurel

Les conséquences économiques d’un conflit commercial prolongé seraient graves. Mais ce serait un choc très différent de celui provoqué par la COVID&8209;19. Avec la pandémie, nous avons connu une forte récession suivie d’une reprise rapide à la faveur de la réouverture de l’économie. Cette fois, si les droits de douane sont durables et généralisés, il n’y aura pas de rebond. Nous pourrions éventuellement retrouver notre taux de croissance actuel, mais le niveau de production baisserait de façon permanente. Plus qu’un choc, il s’agit d’un changement structurel.

Pour estimer l’ampleur de la baisse de la production et des revenus, il faut un modèle économique. Comme indiqué dans notre Rapport sur la politique monétaire (RPM) de janvier, nous avons combiné un modèle de commerce multisectoriel et multipays avec nos principaux modèles macroéconomiques de l’économie canadienne afin d’examiner les répercussions d’un conflit commercial prolongé3. Je tiens à souligner que les modèles sont imparfaits, même dans les meilleures circonstances, et que nous devons être plus prudents qu’à l’habitude en raison du manque d’expérience avec les fortes augmentations des droits de douane. Il ne faut donc pas interpréter ces résultats comme des prévisions, mais plutôt comme une illustration des répercussions économiques.

Cela étant dit, le graphique 2 montre une estimation de l’effet à long terme de droits de douane plus élevés. La ligne grise représente la projection de la Banque dans le RPM de janvier, qui est notre scénario de référence sans droits de douane4. On voit que la production économique augmente régulièrement. La ligne bleue montre l’incidence des droits de douane anticipés. C’est une projection basée sur le décret signé par le président Trump le 1er février, plus des mesures de rétorsion de la part du Canada. Le décret présidentiel impose des droits de douane de 25 % sur les exportations de biens non énergétiques vers les États-Unis et de 10 % sur les exportations énergétiques5. Dans ce scénario, la production chute dans un premier temps, puis elle se stabilise et recommence à croître, mais suivant une trajectoire plus faible d’environ 2½ %.

Graphique 2 : Des droits de douane élevés réduisent latrajectoire de la production de façon permanenteBase 100 de l’indice : 2024, données trimestrielles
Sources : Statistique Canada et calculs, estimations et projections de la Banque du Canada
Dernières valeurs du graphique : 2030T1

Comment les droits de douane nuisent à l’activité économique et font monter l’inflation à court terme

Les modèles peuvent également nous aider à comprendre l’incidence à court terme des droits de douane. On illustre ces effets en mettant en relief la variation par rapport à la projection publiée en janvier.

La première chose qu’on observerait serait une baisse marquée des exportations. Comme les biens canadiens deviendraient plus chers, la demande américaine pour ces biens diminuerait. La baisse du dollar canadien compenserait en partie cette diminution. Dans notre modèle utilisant le scénario basé sur le décret présidentiel du 1er février, les exportations chutent de 8½ % dans l’année suivant l’entrée en vigueur des droits de douane (graphique 3). En réponse, les exportateurs canadiens réduisent leur production et mettent des travailleurs à pied.

Graphique 3 : Les exportations et les investissements desentreprises chuteraient rapidement après l’imposition de droitsde douaneVariation en pourcentage par rapport à la projection de janvier, donnéestrimestrielles
Sources : calculs, estimations et projections de la Banque du Canada
Dernières valeurs du graphique : 2030T1

Comme les exportations vers les États-Unis représentent environ un quart de notre revenu national, le choc serait ressenti dans tout le Canada.

La baisse des recettes d’exportation réduirait le revenu des ménages. De plus, les mesures de rétorsion tarifaires feraient augmenter les prix de nombreux biens de consommation. En conséquence, les dépenses de consommation – des voitures aux loisirs, en passant par le logement – ralentiraient. Dans ce scénario, la consommation diminuerait de plus de 2 % d’ici la mi-2027 (graphique 4)6.

Graphique 4 : La consommation et la production s’affaiblissentjusqu’à la mi-2027Variation en pourcentage par rapport à la projection de janvier, donnéestrimestrielles
Sources : calculs, estimations et projections de la Banque du Canada
Dernières valeurs du graphique : 2030T1

Compte tenu de l’affaiblissement des exportations et de la demande des consommateurs, les entreprises canadiennes réduiraient également leurs dépenses d’investissement. La hausse des coûts et la réduction des marges bénéficiaires restreindraient encore plus les investissements. Avec des mesures de rétorsion tarifaires sur certains biens et un dollar canadien plus faible, les entreprises canadiennes seraient également confrontées à des coûts d’importation plus élevés – elles achètent environ la moitié de leurs machines et de leur matériel aux États-Unis. De plus, les marges bénéficiaires seraient comprimées puisque les coûts plus élevés associés aux droits de douane sur les biens de consommation importés seraient progressivement répercutés sur les prix au Canada. La combinaison de la baisse des ventes, de l’augmentation des coûts et de la réduction des marges bénéficiaires tirerait fortement à la baisse les investissements des entreprises. Au total, les investissements diminueraient de près de 12 % au début de 2026, un an après l’imposition des droits de douane (graphique 3).

Quelle serait l’incidence de tout ça sur la croissance économique? Dans la projection de janvier, qui faisait abstraction des droits de douane, nous prévoyions une croissance d’environ 1,8 % en 2025 ainsi qu’en 2026. Si des droits de douane devaient être imposés, le niveau de la production au Canada chuterait de près de 3 % sur deux ans. Cela signifie que les droits de douane effaceraient pratiquement la croissance de l’économie durant cette période.

Enfin, un conflit commercial ferait grimper les prix, même si la demande devait faiblir. En effet, les mesures de rétorsion tarifaires alimenteront la montée de l’indice des prix à la consommation (IPC). Environ 13 % du panier de l’IPC du Canada est composé de biens importés des États-Unis. La dépréciation du dollar canadien fera aussi augmenter le coût de tous les biens et services importés. De plus, comme les chaînes d’approvisionnement sont intégrées, les droits de douane ajoutent des coûts à plusieurs étapes de production.

Dans notre scénario de droits de douane, les facteurs qui poussent les prix à la hausse font plus que contrebalancer la pression à la baisse exercée par la demande plus faible, ce qui se traduit par une inflation plus élevée (graphique 5). En janvier, la Banque prévoyait que l’inflation resterait proche de la cible de 2 % au cours des deux prochaines années. Les droits de douane pousseraient temporairement l’inflation au-dessus de 2 %7.

Graphique 5 : L’inflation mesurée par l’IPC global augmente car les pressions à la hausse causées par les droits de douane l’emportent sur les pressions à la baisse causées par l’offre excédentaireÉcart en points de pourcentage du taux d’inflation sur un an par rapport à la projection de janvier, données trimestrielles
Sources : calculs, estimations et projections de la Banque du Canada
Dernières valeurs du graphique : 2030T1

Ce que la politique monétaire peut et ne peut pas faire

Si l’économie suit une trajectoire plus faible et qu’il y a des pressions à la hausse sur l’inflation, que peuvent faire la politique monétaire et la Banque du Canada?

Ce que la Banque peut faire, c’est aider l’économie à s’ajuster. Puisque l’inflation est maintenant revenue autour de la cible de 2 %, nous sommes mieux placés pour contribuer à la stabilité économique. Cependant, nous ne pouvons pas contrer une production plus basse et une inflation plus élevée en même temps avec comme seul instrument de politique monétaire le taux directeur. Pour déterminer notre réponse de politique monétaire, nous devrons évaluer avec soin et mettre en balance : les pressions à la baisse sur l’inflation découlant de la faiblesse de l’économie; et les pressions à la hausse sur l’inflation attribuables aux prix plus élevés des importations et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement.

Contrairement à ce qui s’est passé après la pandémie, il n’y aura pas de rebond économique si les droits de douane persistent. En effet, des droits de douane durables se traduiront par une production potentielle plus faible, parce que notre économie fonctionnera moins efficacement. La politique monétaire ne peut pas faire regagner l’offre perdue – elle peut tout au plus atténuer la baisse de la demande.

Au départ, du fait de la forte baisse des exportations et des investissements découlant de l’imposition de droits de douane et de l’affaiblissement de la consommation, la demande diminuerait davantage que la production potentielle, créant une offre excédentaire dans l’économie. Si l’effet inflationniste des droits de douane n’est pas trop important, la politique monétaire peut faciliter l’ajustement en soutenant la demande pour qu’elle ne s’affaiblisse pas beaucoup plus que l’offre. Mais le soutien que peut apporter la politique monétaire est limité par la nécessité de maîtriser l’inflation.

Initialement, les droits de douane entraîneront une augmentation unique du niveau des prix à la consommation. Et la politique monétaire ne pourra rien y changer. Ce que la politique monétaire peut – et doit – faire, c’est veiller à ce que la hausse des prix ne se transforme pas en inflation persistante. Il faut donc s’assurer que les ménages et les entreprises continuent de s’attendre à ce que l’inflation reste bien ancrée à la cible de 2 %. Autrement dit, la politique monétaire doit faire en sorte que la hausse de l’inflation soit temporaire.

Renforcer l’union économique du Canada

J’espère – comme vous tous – que le Canada et les États-Unis continueront d’entretenir des relations commerciales ouvertes et solides, dont les deux pays tirent des avantages. Mais en cas de conflit commercial de longue durée, la seule chose qui pourrait compenser un tel changement structurel négatif serait un changement structurel positif.

Les politiques structurelles relèvent des gouvernements et des parlements élus, et non de la Banque du Canada. Je ferai donc preuve d’une certaine réserve.

La Banque a déjà mis en lumière les défis du Canada au chapitre de la productivité8. Et il est bon de voir que les gouvernements fédéral et provinciaux mettent davantage l’accent sur des réformes structurelles visant à accroître la productivité et l’investissement en renforçant notre union économique9.

L’élimination des règles qui restreignent le commerce interprovincial et l’harmonisation ou la reconnaissance mutuelle des règlements provinciaux pourraient aider à compenser l’augmentation des frictions commerciales avec les États-Unis10. Les provinces pourraient également faciliter les déplacements de main-d’œuvre à l’intérieur du Canada par la reconnaissance réciproque des différents titres professionnels. Il y a aussi la possibilité pour les divers ordres de gouvernement de réduire les délais et l’incertitude liés aux approbations réglementaires. De plus, de meilleurs axes de transport est-ouest réduiraient les coûts liés au commerce intérieur et aideraient à l’acheminement des produits canadiens vers les marchés d’outre-mer.

Encore une fois, ce n’est pas à la Banque de prescrire ces politiques ou ces investissements. Il reste qu’une productivité plus élevée est synonyme d’une production potentielle plus élevée et d’une plus grande capacité de croissance, sans tensions inflationnistes. Alors que le Canada est confronté à la réalité des frictions commerciales accrues avec les États-Unis, il est plus important que jamais de concentrer nos efforts sur la productivité.

Renouveler le cadre de politique monétaire de la Banque

D’une certaine manière, la menace tarifaire américaine s’inscrit dans un changement économique mondial plus large. Les forces structurelles qu’étaient la paix, la mondialisation et la démographie, qui ont contribué à maintenir l’inflation à un niveau bas, font place à des obstacles – et le monde semble de plus en plus sujet aux chocs. Les taux d’intérêt à long terme plus élevés, la hausse de la dette souveraine et le ralentissement de la croissance économique ont rendu l’économie mondiale plus vulnérable. Les guerres, la montée du protectionnisme et la fragmentation économique viennent aggraver ces vulnérabilités. Le Canada connaît aussi des problèmes d’offre structurels sur son marché du logement. Pendant des années, l’offre de logements n’a pas suivi la demande, et l’abordabilité s’est détériorée.

Tous ces changements ont des répercussions sur l’inflation. Ils peuvent exercer une pression à la hausse plus forte sur les prix, et la plus grande présence des chocs accentuera la volatilité de l’inflation. Cela me ramène à mon sujet initial : le régime flexible de ciblage de l’inflation de la Banque.

Depuis 1995, la cible de 2 % est établie d’un commun accord avec le gouvernement du Canada, ce qui lui confère une légitimité politique et procure à la Banque l’indépendance opérationnelle nécessaire à la conduite de la politique monétaire.

Pendant les 25 années qui ont précédé la pandémie, l’inflation était faible et stable. Mais la pandémie a mis à l’épreuve le cadre de politique monétaire comme jamais auparavant. Nous avons été confrontés à d’énormes chocs de demande et d’offre, à une grave récession puis à une reprise rapide. Lors de la réouverture de l’économie, l’inflation a monté en flèche, atteignant 8 %. Guidée par le cadre, la Banque a relevé rapidement son taux directeur pour faire baisser l’inflation. Depuis l’été dernier, l’inflation avoisine 2 %, et nous avons abaissé notre taux directeur pour qu’elle se maintienne à ce niveau. Bref, le cadre a été mis à l’épreuve et s’est montré résilient.

Le succès du cadre ne se mesure pas seulement par le maintien ou non de l’inflation proche de 2 %, mais aussi par sa résilience face aux chocs, surtout s’ils sont importants.

Le prochain renouvellement du cadre est prévu pour 2026, et l’examen connexe commence dès maintenant. Cet examen se concentrera sur la façon dont nous pouvons améliorer le cadre et mieux l’utiliser pour faire face aux changements structurels. Nous prendrons plusieurs questions en considération.

Compte tenu de la multiplication des chocs d’offre, devons-nous étoffer nos stratégies de politique monétaire? La réponse habituelle aux chocs d’offre est de faire abstraction de leur effet temporaire sur l’inflation. Mais nous avons vu lors de la pandémie qu’ils peuvent persister et s’accumuler. Ainsi, la meilleure stratégie à adopter dépendra de la situation.

Dans un contexte de volatilité accrue, comment devrions-nous mesurer l’inflation sous-jacente? Aucune mesure de l’inflation fondamentale ne s’applique à toutes les situations. Quelles mesures sont les plus robustes dans un monde plus enclin aux chocs? Devrions-nous nous concentrer sur deux ou trois mesures privilégiées, ou est-ce qu’une approche plus large est préférable?

Nous voulons également tenir compte de l’interaction entre la politique monétaire et le marché du logement. L’abordabilité des logements est une préoccupation majeure pour la population canadienne, et la hausse des frais de logement alimente l’inflation. Mais la politique monétaire ne peut pas directement faire augmenter l’offre de logements – c’est un enjeu qui relève des élus de tous les ordres de gouvernements. Néanmoins, nous devons tenir compte de l’incidence de la politique monétaire sur l’offre et la demande de logements et de la façon dont le déséquilibre entre les deux se répercute sur la hausse des frais de logement.

La question des déséquilibres sur le marché du logement est aussi pertinente lorsqu’on mesure l’inflation sous-jacente. La hausse rapide persistante des frais de logement fausse-t-elle nos mesures de l’inflation fondamentale?

Enfin, chaque fois que nous avons réexaminé notre cadre, nous nous sommes interrogés sur la cible d’inflation elle-même. Au cours de nos cinq examens depuis 1995, nous nous sommes demandé si 2 % était la cible appropriée, et nous avons soupesé d’autres options, notamment le ciblage du niveau des prix et le ciblage du PIB nominal, entre autres. Chaque fois, nous avons conclu qu’une inflation de 2 % était la bonne cible. Les Canadiennes et Canadiens nous ont dit qu’ils ne voulaient pas d’une inflation plus élevée, et que la cible de 2 % était bien connue et bien comprise. Elle a contribué à ancrer les attentes d’inflation contre vents et marées, y compris pendant la crise pandémique. Avec un conflit commercial à nos portes, nous devons concentrer nos ressources sur les questions les plus urgentes et les plus importantes lors de l’examen du cadre. À mon avis, ce n’est pas le moment de remettre en question le point d’ancrage qui s’est avéré si efficace pour atteindre la stabilité des prix.

Conclusion

Nous avons abordé plusieurs sujets, et il est temps pour moi de conclure.

L’économie canadienne est sur des bases plus solides. L’inflation est revenue à la cible. Les taux d’intérêt ont beaucoup baissé, et les dépenses des ménages se sont renforcées. Mais une nouvelle crise est à nos portes. Si la menace tarifaire américaine se concrétise, les conséquences économiques seront graves. Un conflit commercial de longue durée ferait chuter les exportations et les investissements. Cela mènerait à des pertes d’emploi et ferait monter l’inflation dans les prochaines années, en plus d’abaisser notre niveau de vie à long terme. Déjà, l’incertitude cause des dommages.

Les banques centrales ne peuvent pas faire grand-chose pour atténuer les dommages causés par un conflit commercial. Notre rôle sera d’équilibrer les risques à la hausse pour l’inflation liés aux coûts plus élevés et les risques à la baisse liés à la demande plus faible. Notre objectif sera de rendre moins douloureux l’ajustement à une trajectoire plus faible de l’économie tout en empêchant que les hausses de prix débouchent sur une inflation durablement plus élevée.

Le régime de ciblage de l’inflation s’est avéré à la fois souple et durable. L’examen dont il fait l’objet tous les cinq ans est l’occasion de réfléchir à ce qui fonctionne bien et à ce qui pourrait être amélioré. Le régime a fait ses preuves à maintes reprises, et la barre pour le changer est donc placée très haut.

Mais l’économie mondiale est en mutation. À la Banque du Canada, nous sommes déterminés à être aussi préparés que possible aux changements à venir.

Merci.

Je tiens à remercier Daniel de Munnik, Mikael Khan, Oleksiy Kryvtsov et Stephen Murchison pour leur aide dans la préparation de ce discours.

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21 février 2025

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  1. 1. K. Charbonneau, D. de Munnik et L. Murphy, « Canada’s Experience with Trade PolicyCanada’s Experience with Trade Policy », document d’analyse du personnel 2018-1 de la Banque du Canada (janvier 2018).[]
  2. 2. A. Lileeva et D. Trefler, « Improved Access to Foreign Markets Raises Plant-Level Productivity…For Some Plants », Quarterly Journal of Economics, vol. 125, no 3 (août 2010), p. 1051-1099.[]
  3. 3. Voir Banque du Canada, « Point de mire : Évaluation des conséquences potentielles des droits de douane américains », Rapport sur la politique monétaire (janvier 2025).[]
  4. 4. Pour être plus précis, la ligne grise jusqu’en 2026 correspond à la projection du RPM pour le produit intérieur brut. Cette prévision est étendue par la suite, suivant l’hypothèse d’une croissance de la production potentielle d’environ 2 % en moyenne.[]
  5. 5. Ce scénario reflète les nouvelles récentes et est une mise à jour du scénario plus pessimiste présenté dans le RPM de janvier. Le décret signé par le président Trump le 1er février impose de nouveaux droits de douane de 25 % sur tous les biens hors énergie importés du Canada (10 % sur tous les produits énergétiques), de 25 % sur tous les biens importés du Mexique et de 10 % supplémentaires sur tous les biens importés de la Chine. À cela s’ajoutent des droits de douane de rétorsion de 25 % sur 155 milliards de dollars canadiens d’importations américaines annoncés par le gouvernement du Canada. On suppose que le Mexique riposte en imposant des droits de douane de 25 % sur tous les biens importés des États-Unis. On s’attend à ce que la Chine riposte également en imposant des droits de douane de l’ordre de 10 à 15 % sur moins d’un dixième de ses importations en provenance des États-Unis. Étant donné que le scénario de notre modèle est trimestriel, les nouveaux droits de douane y sont appliqués à partir du deuxième trimestre.[]
  6. 6. Dans ce scénario, on suppose que les gouvernements apportent un soutien supplémentaire aux ménages en leur transférant la moitié des nouvelles recettes tarifaires.[]
  7. 7. Comme le montre le RPM de janvier, la trajectoire de l’inflation est très sensible à la rapidité avec laquelle les entreprises répercutent les hausses de coût sur les prix à la consommation. À la lumière des données historiques, la calibration de référence suppose une transmission complète sur trois ans, ce qui explique pourquoi l’inflation sur un an est plus élevée pendant trois à quatre ans. Comme le montre l’analyse de sensibilité du RPM, une transmission plus rapide signifierait que l’inflation augmenterait davantage, mais redescendrait plus rapidement. Dans les deux cas, l’augmentation globale du niveau des prix est semblable.[]
  8. 8. Voir C. Rogers, « L’heure a sonné : réglons le problème de productivité du Canada » (discours prononcé devant le Halifax Partnership à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 26 mars 2024) et T. Macklem, « Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie – Témoignages » (procès-verbal des délibérations tenues à Ottawa, en Ontario, le 30 octobre 2024).[]
  9. 9. Affaires intergouvernementales du Canada, « Le Comité du commerce intérieur examine des actions audacieuses visant à renforcer le marché intérieur du Canada », communiqué de presse (31 janvier 2025).[]
  10. 10. D’après ce que laissent entendre les estimations du Fonds monétaire international (FMI), une libéralisation du commerce des biens à l’intérieur du Canada pourrait faire augmenter considérablement le PIB par habitant. Pour en savoir plus, voir J. A. Alvarez, I. Krznar et T. Tombe, « Internal Trade in Canada: Case for Liberalization », document de travail du FMI n° 19/158 (22 juillet 2019) et L. Albrecht. et T. Tombe, « Internal Trade, Productivity, and Interconnected Industries: A Quantitative Analysis », Revue canadienne d’économique, vol. 49, no 1, p. 237–263 (février 2016).[]