Introduction

D’après les enquêtes sur les modes de paiement menées par la Banque du Canada ces dernières années, plus de 80 % des achats de détail au Canada sont faits dans un lieu physique1. Ce constat laisse supposer que les transactions aux points de vente constituent un aspect essentiel de la pertinence d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC).

Le présent document résume les recherches récentes au sujet de l’effet que pourrait avoir une MNBC sur les paiements aux points de vente (Engert, Shcherbakov et Stenzel, 2024)2. On tente de répondre aux questions suivantes :

  • Comment les consommateurs et les commerçants réagiraient-ils à l’émission d’une MNBC?
  • Quelle part du marché des paiements aux points de vente une MNBC pourrait-elle s’approprier?
  • Quel effet aurait une MNBC sur l’utilisation aux points de vente des principaux modes de paiement, c’est-à-dire l’argent comptant, les cartes de débit et les cartes de crédit?

Paramètres du modèle de simulation

Nous créons un modèle structurel empirique d’équilibre pour les interactions au point de vente entre consommateurs et commerçants. Ces interactions se font en deux temps. Dans un premier temps, les consommateurs choisissent le mode de paiement qu’ils souhaitent adopter, et les commerçants décident des modes de paiement qu’ils veulent accepter. Les consommateurs font leur choix en fonction des avantages attendus de chaque mode, compte tenu de leur compréhension des modes de paiement acceptés par le commerçant. Notre modèle tient également compte de diverses caractéristiques empiriques :

  • les perceptions des consommateurs des différents modes de paiement
  • la connaissance des consommateurs des modes de paiement acceptés par les commerçants
  • les coûts d’adoption et d’utilisation des différents modes de paiement pour les consommateurs
  • des facteurs démographiques
  • les coûts d’acceptation des différents modes de paiement pour les commerçants
  • les récompenses de cartes de crédit
  • le fait que les consommateurs reportent un solde de carte de crédit ou paient le solde en entier chaque mois

Pour leur part, les commerçants pourraient perdre des ventes si les consommateurs ne peuvent pas se servir de leurs modes de paiement de préférence, et décident donc de faire leurs achats ailleurs. Cette éventualité, combinée aux considérations liées aux coûts, influe sur leurs décisions d’accepter ou non des modes de paiement. Dans un deuxième temps, les consommateurs et les commerçants font des transactions au point de vente et déterminent ainsi quels modes de paiement seront utilisés. La possibilité d’utiliser un mode de paiement donné découle des choix faits à la première étape.

Nous estimons les résultats du modèle à l’aide de données détaillées sur les consommateurs et les commerçants canadiens issues d’enquêtes et de journaux d’achats. Ces données comprennent les perceptions des consommateurs (ou des classements des préférences) au sujet de caractéristiques clés des principaux modes de paiement – c’est-à-dire la facilité d’utilisation, la sécurité et le coût de l’argent comptant, des cartes de débit et des cartes de crédit. Les commerçants sont des preneurs de prix dans ce modèle; ils acceptent de pratiquer les prix courants. Le modèle est centré sur les petites et moyennes entreprises (PME) afin d’en assurer la maniabilité et plus particulièrement parce que les données disponibles sur les commerçants proviennent de ces entreprises. Cependant, nous abordons également dans notre analyse les conséquences probables de l’inclusion des grands détaillants.

À l’aide de notre modèle de prise de décisions des consommateurs et des commerçants, et de la connaissance des perceptions des consommateurs des principales caractéristiques des différents modes de paiement, nous simulons l’introduction de deux types de MNBC : une version comparable à une carte de débit et une version hybride qui combine les meilleures caractéristiques de l’argent comptant et d’une carte de débit. La MNBC comparable à une carte de débit intègre les caractéristiques des transactions par débit perçues par les consommateurs en ce qui concerne la facilité d’utilisation, la sécurité et l’abordabilité. La MNBC hybride combine les caractéristiques de l’argent comptant et de la carte de débit préférées des consommateurs sur les plans de la facilité d’utilisation (y compris la capacité d’utilisation hors ligne universelle), de la sécurité de l’utilisation (y compris l’anonymat) et de l’abordabilité.

Frictions associées aux coûts d’adoption

L’un des volets clés de notre analyse porte sur les frictions susceptibles de nuire à l’adoption d’un nouveau mode de paiement comme une MNBC. D’un côté, la nature publique d’une MNBC pourrait laisser supposer que les coûts d’adoption assumés par les consommateurs seraient modérés et qu’ils pourraient être influencés par le résultat de décisions réglementaires, comme des subventions ou la réglementation des prix. D’un autre côté, les consommateurs seraient probablement confrontés à des coûts non financiers substantiels, comme le fait de devoir se familiariser avec la MNBC et sa technologie ainsi qu’acquérir et gérer un portefeuille électronique. Les coûts pour les consommateurs pourraient aussi correspondre au recouvrement par la banque centrale des coûts associés au développement, à la maintenance, à la distribution et à la commercialisation d’une MNBC.

Par conséquent, nous comparons les effets des frictions associées aux coûts d’adoption à un scénario de référence idéal pour une MNBC. Pour simuler ce scénario de référence, nous appliquons un faible coût d’adoption uniquement pour les consommateurs qui utilisaient seulement de l’argent comptant pour payer et qui maintenant ajoutent une MNBC (un mode de paiement numérique) à leurs outils de paiement. Nous fixons le coût d’adoption pour ces consommateurs au coût net moyen estimatif de l’ajout d’une carte de débit, soit 0,33 $ par mois selon nos données. (Dans notre ensemble de données, le consommateur médian obtient un bénéfice net de 0,74 $ par mois lorsqu’il ajoute une carte de débit à l’argent comptant.) Enfin, nous fixons à 0 $ le coût d’inclusion d’une MNBC à toute autre combinaison de modes de paiement – [argent et débit] et [argent, débit et crédit]. Peu de consommateurs dans notre ensemble de données utilisent seulement de l’argent comptant comme mode de paiement. Donc, pour la grande majorité des consommateurs dans ce scénario idéal, le coût net d’adoption d’une MNBC est nul.

Comme indiqué précédemment, les consommateurs qui adoptent un nouveau mode de paiement comme une MNBC devraient probablement assumer certains coûts. Nous réalisons donc aussi des simulations incluant une friction associée aux coûts d’adoption. Dans ces scénarios, le fait d’ajouter une MNBC à un mode de paiement ou à un ensemble de modes de paiement coûte x $ de plus que dans le scénario idéal présenté, où x varie entre -2 $ et 5 $ par mois. En principe, nous imposons ce coût, puis les consommateurs évaluent les avantages de la MNBC et décident s’ils veulent l’adopter, en fonction de leur appréciation de ses bénéfices nets. À titre de comparaison, les frais moyens pour un compte bancaire au Canada sont d’environ 6 $ par mois3. Dans ces conditions, les simulations tiennent compte de coûts qui ne semblent pas inhabituels dans le marché et qui correspondent à une fraction des coûts usuels.

Introduction d’une MNBC et effet des frictions associées aux coûts d’adoption

L’inclusion financière, c’est-à-dire l’accès aux produits et services financiers, est forte au Canada grâce à l’accès généralisé aux principaux modes de paiement. Il est donc peu probable que l’arrivée d’un nouveau mode de paiement comme une MNBC cause une expansion importante du marché des paiements puisqu’il est déjà bien servi. Par conséquent, pour analyser l’effet de l’introduction d’une MNBC, nous supposons que la taille du marché des paiements est fixe. Nous nous intéressons aux variations des parts de marché des principaux modes de paiement existants (l’argent comptant, les cartes de débit et les cartes de crédit) entraînées par ce nouveau mode de paiement.

Les tableaux 1, 2 et 3 montrent les principaux résultats des simulations de l’introduction d’une MNBC comparable à une carte de débit et d’une MNBC hybride (argent et débit).

Tableau 1 : Résultats pour une MNBC avec un coût d’adoption nul (scénario idéal)

Tableau 1 : Résultats pour une MNBC avec un coût d’adoption nul (scénario idéal)
Type de MNBC
Résultats MNBC comparable à une carte de débit MNBC hybride (argent et débit)
Adoption par les consommateurs
(% des consommateurs qui adoptent la MNBC)
72 % 78 %
Acceptation par les commerçants
(% des commerçants qui acceptent la MNBC)
44 % 91 %
Utilisation en volume
(% du nombre total de transactions)
16 % 22 %
Utilisation en valeur
(% de la valeur totale des transactions)
19 % 27 %

Nota : « MNBC » signifie « monnaie numérique de banque centrale ». Une MNBC comparable à une carte de débit intègrerait les caractéristiques des transactions par débit en ce qui concerne la facilité d’utilisation, la sécurité et l’abordabilité. Une MNBC hybride combinerait les caractéristiques de l’argent comptant et de la carte de débit préférées des consommateurs sur les plans de la facilité d’utilisation (y compris la capacité d’utilisation hors ligne), de la sécurité (y compris l’anonymat) et du coût d’utilisation perçu.

Tableau 2 : Résultats pour une MNBC avec un coût d’adoption de 1,50 $ par mois

Tableau 2 : Résultats pour une MNBC avec un coût d’adoption de 1,50 $ par mois
Type de MNBC
Résultats MNBC comparable à une carte de débit MNBC hybride (argent et débit)
Adoption par les consommateurs
(% des consommateurs qui adoptent la MNBC)
43 % 50 %
Acceptation par les commerçants
(% des commerçants qui acceptent la MNBC)
25 % 42 %
Utilisation en volume
(% du nombre total de transactions)
11 % 16 %
Utilisation en valeur
(% de la valeur totale des transactions)
13 % 19 %

Nota : « MNBC » signifie « monnaie numérique de banque centrale ». Une MNBC comparable à une carte de débit intègrerait les caractéristiques des transactions par débit en ce qui concerne la facilité d’utilisation, la sécurité et l’abordabilité. Une MNBC hybride combinerait les caractéristiques de l’argent comptant et de la carte de débit préférées des consommateurs sur les plans de la facilité d’utilisation (y compris la capacité d’utilisation hors ligne), de la sécurité (y compris l’anonymat) et du coût d’utilisation perçu. Pour qu’une MNBC comparable à une carte de débit passe des résultats ci-haut à ceux du tableau 1, il faudrait une subvention d’environ 440 millions de dollars par année, calculée comme suit : 1,50 $ (coût d’adoption par consommateur, par mois) × 34 millions d’adultes canadiens × 0,72 (taux d’adoption cible) × 12 mois. Le taux d’adoption cible de 72 % est celui qui est atteint dans le scénario idéal, où le coût d’adoption est nul.

Tableau 3 : Résultats pour une MNBC avec un coût d’adoption de 3,00 $ par mois

Tableau 3 : Résultats pour une MNBC avec un coût d’adoption de 3,00 $ par mois
Type de MNBC
Résultats MNBC comparable à une carte de débit MNBC hybride (argent et débit)
Adoption par les consommateurs
(% des consommateurs qui adoptent la MNBC)
19 % 24 %
Acceptation par les commerçants
(% des commerçants qui acceptent la MNBC)
16 % 22 %
Utilisation en volume
(% du nombre total de transactions)
6 % 9 %
Utilisation en valeur
(% de la valeur totale des transactions)
7 % 11 %

Nota : « MNBC » signifie « monnaie numérique de banque centrale ». Une MNBC comparable à une carte de débit intègrerait les caractéristiques des transactions par débit en ce qui concerne la facilité d’utilisation, la sécurité et l’abordabilité. Une MNBC hybride combinerait les caractéristiques de l’argent comptant et de la carte de débit préférées des consommateurs sur les plans de la facilité d’utilisation (y compris la capacité d’utilisation hors ligne), de la sécurité (y compris l’anonymat) et du coût d’utilisation perçu. Pour qu’une MNBC comparable à une carte de débit passe des résultats ci-haut à ceux du tableau 1, il faudrait une subvention d’environ 880 millions de dollars par année, calculée comme suit : 3,00 $ (coût d’adoption par consommateur, par mois) × 34 millions d’adultes canadiens × 0,72 (taux d’adoption cible) × 12 mois. Le taux d’adoption cible de 72 % est celui qui est atteint dans le scénario idéal, où le coût d’adoption est nul.

Les graphiques 1 et 2 montrent l’évolution de l’adoption en fonction des frictions associées aux coûts d’adoption.

Graphique 1 : Adoption par les consommateurs d’une MNBC comparable à une carte de débit

Graphique 2 : Adoption par les consommateurs d’une MNBC hybride (argent et débit)

  • Dans le scénario idéal, où les coûts d’adoption sont nuls (tableau 1), l’adoption de la MNBC comparable à une carte de débit est généralisée (72 % des consommateurs l’adoptent), l’acceptation des commerçants est modérée (44 % des commerçants acceptent la MNBC au point de vente), et la MNBC est utilisée pour 16 % des transactions (et 19 % de la valeur).
  • Pour ce qui est de la MNBC hybride dans le même scénario idéal, on observe une adoption supérieure chez les consommateurs (78 %) et les commerçants (91 %). L’usage se situe à 22 % des transactions (et 27 % de la valeur). Il est à noter que cette forme de MNBC obtient de meilleurs résultats que la MNBC comparable à une carte de débit pour l’ensemble des coûts d’adoption évalués (tableau 2 et tableau 3). Nous estimons que les résultats de la MNBC hybride correspondent au maximum théorique, mais qu’en pratique, ces résultats ne sont pas réalisables pour plusieurs raisons :
    • La MNBC hybride de la simulation comporte des caractéristiques de l’argent comptant qui ne sont pas facilement réalisables, notamment l’anonymat et la capacité d’utilisation hors ligne universelle.
    • La MNBC hybride intègre des caractéristiques de l’argent comptant et de la carte de débit choisies sur une base individuelle – chaque consommateur obtient les caractéristiques qu’il préfère –, une approche irréaliste vu la variété des préférences des consommateurs.
  • Plus les coûts d’adoption augmentent, plus l’adoption par les consommateurs recule de façon marquée, comme l’illustrent les courbes bleues des graphiques 1 et 2. Dans le tableau 2, on constate qu’avec un coût de 1,50 $ par mois, par exemple, l’adoption de la MNBC comparable à une carte de débit est de 43 % chez les consommateurs et de 25 % chez les commerçants, et que son utilisation représente 11 % des transactions (13 % de la valeur). Dans le cas de la MNBC hybride, l’adoption est modérée chez les consommateurs (50 %) et les commerçants (42 %), et l’usage se situe à 16 % des transactions (19 % de la valeur). Si les coûts s’élèvent à 3 $ par mois, l’usage recule à moins de 10 % des transactions pour les deux types de MNBC (tableau 3)4.

Les parts d’utilisation de la MNBC comparable à une carte de débit dans les simulations sont tirées principalement des parts d’utilisation préexistantes des cartes de débit et de crédit, avec une incidence limitée sur les parts d’utilisation de l’argent comptant. Dans le cas de la MNBC hybride, les parts d’utilisation de l’argent comptant sont moins stables. Il faut noter que l’adoption par les consommateurs des cartes de débit et de crédit change peu dans ces simulations. Cependant, leur utilisation aux points de vente baisse, ce qui pourrait amener les commerçants à moins les accepter. Cette conséquence découle des considérations liées aux coûts et bénéfices faisant partie du modèle. Les profits attendus des commerçants varient en fonction de leur compréhension des préférences de paiement du consommateur moyen et des coûts d’acceptation qu’ils doivent assumer. Ainsi, en cas de diminution, même légère, de l’utilisation d’un mode de paiement relativement coûteux pour eux (comme les cartes de crédit), certains commerçants preneurs de prix dans le modèle s’adaptent en cessant d’accepter ce mode de paiement, ce qui réduit d’autant son utilisation au point de vente.

Les simulations de modèles apparentés (d’après Huynh et autres, 2020) qui ne permettent pas cette possibilité de réponse des commerçants laissent croire qu’il serait peu probable que l’émission d’une MNBC ait une incidence importante sur l’utilisation des cartes de crédit. De façon similaire, si notre modèle incluait les grands détaillants ayant un certain pouvoir de marché, ces effets de substitution seraient probablement atténués (point abordé plus loin). En somme, l’incidence potentielle d’une MNBC sur les pourcentages d’utilisation des cartes, en particulier des cartes de crédit, est vraisemblablement exagérée dans ces simulations.

Subventions pour l’adoption d’une MNBC par les consommateurs

En réalité, il est peu probable que l’adoption par les consommateurs d’un nouveau mode de paiement n’entraîne aucun coût. Donc, les scénarios incluant des coûts d’adoption sont plus pertinents que le scénario idéal. Si les autorités veulent favoriser l’introduction d’une MNBC dans ce contexte, elles pourraient offrir des subventions pour contrebalancer les frictions associées aux coûts d’adoption. Nos simulations montrent que le coût de ces subventions pourrait être élevé. Dans le cas d’une MNBC comparable à une carte de débit avec un coût d’adoption de 1,50 $ par mois, par exemple, il faudrait une subvention d’environ 440 millions de dollars par année pour amener les consommateurs au taux d’adoption idéal (tableau 2).

Réactions des institutions financières et des fournisseurs de services de paiement

Après l’émission d’une MNBC, il est probable que les joueurs établis dans le marché des paiements – les institutions financières des côtés acquéreurs et émetteurs ainsi que les fournisseurs de services de paiement – réagissent pour maintenir leurs parts de marché. Comme énoncé plus haut, l’une des conséquences de l’émission d’une MNBC montrées par nos simulations est que les commerçants pourraient réduire leur acceptation des cartes de débit et de crédit. Nous supposons donc que les réactions des joueurs établis du marché des paiements viseraient à rétablir l’acceptation des cartes de débit et de crédit à 90 % de leur niveau d’avant l’introduction de la MNBC.

Examinons le scénario idéal d’une MNBC hybride (tableau 1). Supposons que les participants réagissent en réduisant les frais d’acceptation pour les commerçants de même que les frais d’utilisation pour les commerçants et les consommateurs de manière à rétablir le niveau d’acceptation des cartes de débit et de crédit à 90 % du niveau d’avant la MNBC. Cette intervention entraînerait une réduction de 9 % des coûts associés aux cartes de crédit et de 3 % des coûts des cartes de débit. Le scénario idéal d’une MNBC comparable à une carte de débit entraîne seulement une réduction de 5 % des coûts liés aux cartes de crédit et de 0,8 % des coûts des cartes de débit.

Toutefois, les coûts d’adoption pour les consommateurs réduisent les rajustements de prix nécessaires pour rétablir les parts de marché des joueurs établis. Si les frictions associées aux coûts d’adoption sont modérées, la MNBC ne prend pas une grande part de marché et a peu d’incidence sur les prix du marché par l’intermédiaire des pressions concurrentielles. Par exemple, si les coûts d’adoption sont de 1,50 $ par mois, une MNBC comparable à une carte de débit entraîne des rajustements de prix quasi nuls de la part des joueurs établis.

Considérations connexes

Appétit pour la variété

L’un des aspects les plus frappants de nos simulations est l’observation qu’une MNBC semble soustraire des parts de marché aux modes de paiement existants même si les consommateurs la perçoivent comme très comparable ou même identique à ces derniers. Dans une certaine mesure, l’adoption d’une MNBC qui ressemblerait à des modes de paiement existants est attribuable à une caractéristique des préférences des consommateurs dans les modèles largement utilisés pour étudier ces types de marchés (bifaces). En effet, dans ces modèles, les consommateurs ont une préférence ou un appétit pour la variété, ce qui les amène à percevoir des avantages dans tout nouveau mode de paiement, même s’il est identique à des modes existants. Ce raisonnement est généralement expliqué par la curiosité, le désir de sécurité ou de résilience ou les effets d’une publicité convaincante. Toutes choses égales par ailleurs, cette préférence explique les résultats de la simulation quant à l’adoption par les consommateurs, à l’acceptation par les commerçants et à l’utilisation d’un nouveau mode de paiement comme une MNBC.

Effet des grands détaillants

Comme on l’a déjà indiqué, les commerçants du modèle sont des preneurs de prix, et nos données sur les commerçants se concentrent sur les PME. Quel serait l’effet sur nos résultats si on incluait les grands détaillants? Les pratiques d’acceptation de ces derniers seraient sans doute moins sensibles aux changements de comportement des consommateurs que celles des plus petits détaillants, et ce, pour deux raisons :

  • Les grandes entreprises ont une capacité supérieure (pouvoir de marché) à celle des PME de protéger leurs marges de profit en réaction à de légers changements dans les préférences de paiement des consommateurs sans avoir à modifier leurs pratiques d’acceptation.
  • La plupart des grands détaillants ont tendance à accepter tous les principaux modes de paiement existants, y compris l’argent comptant, les cartes de débit et les cartes de crédit.

Ces facteurs laissent supposer que, après l’introduction d’une MNBC, les grands détaillants seraient susceptibles d’avoir des pratiques d’acceptation plus robustes pour les modes de paiement existants que les PME. Par conséquent, il serait peu probable que le fait de les inclure dans le modèle améliore nettement les résultats de la MNBC dans la simulation comparativement aux résultats déjà présentés. De plus, dans un scénario où tous les grands détaillants accepteraient une MNBC (possiblement grâce à des subventions ciblant l’acceptation par ces derniers), le résultat le plus touché serait l’acceptation de la MNBC; les effets sur l’adoption et l’utilisation par les consommateurs seraient mineurs. Cette observation correspond à nos résultats montrant que c’est le comportement des consommateurs qui détermine le plus les résultats des paiements aux points de vente.

Conclusion

Nous élaborons un modèle structurel du marché des paiements tenant compte des décisions liées à l’adoption par les consommateurs, à l’acceptation par les commerçants et à l’utilisation des divers modes de paiement. Le modèle intègre diverses caractéristiques empiriques, dont les perceptions des consommateurs des différents modes de paiement, la connaissance des consommateurs des modes de paiement acceptés par les commerçants, des facteurs démographiques ainsi que les coûts pour les commerçants et leurs décisions relatives à l’acceptation. Nous utilisons ce modèle pour simuler l’introduction de deux types de MNBC : une MNBC comparable à une carte de débit et une MNBC hybride, qui combine les caractéristiques de l’argent comptant et des cartes de débit préférées des consommateurs. Nos principales conclusions sont les suivantes :

  • S’il n’y a pas de frictions associées aux coûts d’adoption, les simulations montrent que l’adoption de la MNBC par les consommateurs et son acceptation par les commerçants pourraient être importantes et que son utilisation aux points de vente pourrait être considérable. Les parts d’utilisation de la MNBC proviennent principalement d’une diminution correspondante de l’utilisation des cartes de débit et de crédit, mais aussi de l’argent comptant lorsque la MNBC comprend des caractéristiques de ce mode de paiement, notamment l’anonymat et la capacité d’utilisation hors ligne universelle (des caractéristiques difficilement réalisables). L’inclusion des grands détaillants dans notre ensemble de données réduirait probablement ces effets; les parts de marché des cartes de crédit seraient probablement plus significatives en pratique que dans ces simulations.
  • En réalité, il est peu probable que les coûts d’adoption soient nuls pour les consommateurs. Nos simulations montrent que même de faibles frictions associées aux coûts réduisent substantiellement l’adoption d’une MNBC par les consommateurs, son acceptation par les commerçants et son utilisation. Des subventions aux consommateurs pourraient contrebalancer ces frictions, mais leurs coûts pourraient être élevés.
  • Si la MNBC n’a pas de caractéristiques attrayantes, elle aurait peu d’effets sur le marché. Par contre, créer et mettre en circulation une MNBC concurrentielle ou fournir des subventions pour favoriser son adoption serait coûteux et inciterait les institutions financières et les fournisseurs de services de paiement à réagir pour récupérer leurs parts de marché. Nos simulations montrent que cette réaction n’a pas besoin d’être majeure pour rétablir ces parts de marché. Enfin, cela signifie que les avantages concurrentiels d’une MNBC sont faibles pour ce qui est de réduire les prix du marché et les coûts.

Références

Engert, W., O. Shcherbakov et A. Stenzel. 2024. « CBDC in the Market for Payments at the Point of Sale ». Document de travail du personnel 2024-52 de la Banque du Canada.

Halaburda, H., S. J. Kim, O. Shcherbakov et A. Stenzel. 2024. « Interchange Fee, Market Structure and Excessive Intermediation in the Payments Market ». Document non publié, Banque du Canada.

Henry, C., M. Shimoda et D. Rusu. 2024. « 2023 Methods-of-Payment Survey Report: The Resilience of Cash ». Document d’analyse du personnel 2024-8 de la Banque du Canada.

Huynh, K. P., J. Molnar, O. Shcherbakov et Q. Yu. 2020. « Demand for Payment Services and Consumer Welfare: The Introduction of a Central Bank Digital Currency ». Document de travail du personnel 2020-7 de la Banque du Canada.

Huynh, K. P., G. Nicholls et O. Shcherbakov. 2022. « Equilibrium in Two-Sided Markets for Payments: Consumer Awareness and the Welfare Cost of the Interchange Fee ». Document de travail du personnel 2022-15 de la Banque du Canada.

Remerciements

Nous remercions Kim P. Huynh pour ses commentaires et les discussions sur les questions étudiées dans ce travail. Nous remercions également Scott Hendry, Francisco Rivadeneyra ainsi que les participants aux séminaires et ateliers de la Banque du Canada pour leurs commentaires et suggestions. Merci aussi à Maren Hansen et Meredith Fraser-Ohman pour leur précieuse aide à la rédaction.

  1. 1. Les enquêtes sur les modes de paiement de la Banque du Canada portent sur les modes de paiement typiques des consommateurs pour les achats en ligne et en personne, à l’exclusion des paiements de factures, des dons et des dépenses d’affaires. Au cours des quatre dernières années, la part des achats des consommateurs faits en ligne s’est stabilisée aux environs de 14 % du volume total et à tout juste au-dessus de 20 % de la valeur totale (Henry, Shimoda et Rusu, 2024). Cette tendance reflète les données de Statistique Canada sur les ventes au détail du commerce électronique par rapport au volume total de ventes au détail, bien que la part du commerce électronique soit encore plus faible que ce qui ressort dans les enquêtes de la Banque.[]
  2. 2. Ces travaux font partie d’un programme de recherche de la Banque du Canada sur l’économie des paiements qui inclut aussi : Huynh et autres (2020), Huynh, Nicholls et Shcherbakov (2022) et Halaburda et autres (2024).[]
  3. 3. Cette estimation est fondée sur les données du tableau 6 de l’étude de Henry, Shimoda et Rusu (2024) et fait référence aux enquêtes sur les modes de paiement de 2017 et 2022, qui tiennent compte du nombre de personnes ayant payé des frais de compte bancaire.[]
  4. 4. Nous évaluons également les effets sur les consommateurs des déplacements pour se rendre au point de vente d’un commerçant acceptant un mode de paiement donné, comme une MNBC, dans le contexte où son acceptation ne serait pas nécessairement généralisée. Nous constatons que ces coûts de déplacement amplifient (augmentent) les frictions associées à l’adoption présentées précédemment.[]

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-27

Sur cette page
Table des matières