Introduction
La croissance des salaires est un indicateur clé que les banques centrales surveillent, car les coûts de main-d’œuvre sont une composante importante des coûts de production et de l’inflation. Par contre, la croissance moyenne des salaires peut s’avérer une mesure trompeuse des pressions inflationnistes. Il s’agit en effet d’une simple moyenne des salaires gagnés par des millions de personnes ayant des compétences, des niveaux d’expérience et des métiers différents. Par conséquent, le salaire moyen fluctue en fonction non seulement des conditions du marché du travail, mais aussi de la composition de la main-d’œuvre1. Or, la croissance des salaires qui est attribuable à des changements de composition ne renseigne généralement pas sur les pressions inflationnistes et se traduit par des fluctuations dont il convient de faire abstraction.
Cela n’a jamais été aussi évident que pendant la pandémie de COVID-19 (graphique 1). En avril 2020, quand des confinements ont été mis en place à peu près partout au pays, le salaire horaire moyen a atteint 31,14 $, soit environ 7 % de plus que deux mois auparavant. Pourtant, au niveau individuel, les travailleurs n’ont quasiment pas vu leurs revenus progresser durant cette courte période. En réalité, ce bond du salaire moyen tenait principalement au fait que les pertes d’emploi subies pendant les confinements ont touché de manière disproportionnée les travailleurs à faible salaire dans les secteurs des services à forte proximité physique, tels que l’hébergement et la restauration. La diminution temporaire du nombre de travailleurs à faible salaire sur le marché du travail avait entraîné une hausse considérable du salaire moyen.
Graphique 1 : Les effets de composition influencent fortement la croissance moyenne des salaires
La difficulté de mesurer la croissance des salaires
En économie et en statistique, il existe plusieurs techniques pour obtenir un indicateur de la croissance des salaires qui soit corrigé des changements de composition de la population active. L’approche la plus simple et précise consiste à utiliser des enquêtes spécialisées qui permettent de faire abstraction des effets de ces changements. Un exemple notable est l’indice américain du coût de l’emploi (Employment Cost Index, ou ECI) de l’US Bureau of Labor Statistics. Cet indice mesure les coûts de main-d’œuvre des employeurs en faisant un suivi des variations des salaires et des avantages sociaux qui tient compte des effets des changements d’emploi ou de secteur. Une autre technique est d’utiliser les microdonnées pour suivre la croissance du salaire des personnes. Par exemple, Daly, Hobjin et Wiles (2012), Almuzara, Audoly et Melcangi (2023) et l’outil de suivi de la croissance des salaires de la Banque fédérale de réserve d’Atlanta se basent sur les résultats de l’enquête sur la population américaine (Current Population Survey) du US Bureau of Labor Statistics pour extraire la croissance médiane de salaire sur un an de personnes observées pour le mois en cours et les 12 mois précédents. Adoptant une méthode plus poussée, Bils, Kudlyak et Lins (2023) exploitent les données sur les parcours professionnels tirées des enquêtes nationales longitudinales par panel sur les enfants et les jeunes (National Longitudinal Surveys of Youth) pour maintenir une qualité constante des associations entre la main-d’œuvre et les entreprises.
Malheureusement, ces techniques ne sont pas applicables au Canada, en partie parce qu’il n’existe pas d’enquêtes spécialisées comme l’ECI. De plus, à cause de la façon dont est conçue l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada, il est impossible de faire le suivi du salaire de personnes spécifiques au cours d’une période suffisamment longue. Les personnes interrogées ne sont suivies que pendant six mois, et les questions sur leur salaire ne sont posées qu’au premier mois de l’enquête ou en cas de changement d’emploi.
Un bon indicateur de la croissance des salaires devrait :
- être clair et exempt d’une trop forte volatilité
- refléter l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail
- renseigner sur les pressions inflationnistes
- être d’actualité
Un nouvel indicateur de la croissance des salaires
Pour répondre à ces critères, nous proposons un nouvel indicateur de la croissance sous-jacente des salaires, que nous appelons « micro-EPA ». Basé sur l’information limitée fournie par les microdonnées publiques de l’EPA, cet indicateur permet de calculer la croissance sous-jacente des salaires indépendamment des changements de composition de la population active canadienne. Nous sommes d’avis que cette approche améliore notre capacité à surveiller les pressions inflationnistes issues du marché du travail.
Nous constatons que la croissance des salaires corrigée des variations de la composition de la population active s’est établie en moyenne à 3,9 % entre janvier et août 2024. C’est un résultat relativement élevé par rapport aux chiffres passés, mais bien en deçà de la croissance moyenne des salaires de 5,1 % enregistrée au cours de la même période. De plus, nous observons que le plus important effet de composition est attribuable à un changement touchant aux professions qui composent la population active, en particulier à une prédominance accrue des postes de cadres bien rémunérés.
Données et méthodologie
C’est dans l’EPA que se trouvent les données les plus récentes sur les salaires au Canada. L’enquête se fonde sur une méthode de panel rotatif, selon laquelle les ménages sont interrogés une fois par mois pendant six mois consécutifs. Le premier mois, on demande à toutes les personnes qui ont un emploi d’indiquer quel est leur salaire. Toutefois, au cours des mois subséquents, le salaire n’est demandé que si des changements spécifiques dans la situation d’emploi sont signalés2. Sinon, on présume que le salaire est inchangé par rapport au mois précédent. Cela peut créer un décalage dans les données sur les salaires. Dans la présente analyse, nous entendons par « salaire » la rétribution horaire habituelle que touche une personne pour la principale activité qu’elle exerce, avant impôts et retenues, et y compris les éventuels pourboires et commissions.
Statistique Canada gère deux versions des microdonnées de l’EPA :
- une version entièrement anonymisée à la disposition du public, appelée fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD)
- une version analytique complète, appelée fichier maître, qui est uniquement accessible à partir de l’environnement sécurisé de Statistique Canada
Les deux types de fichiers intègrent les principales variables de l’enquête et les pondérations nécessaires pour reproduire les principales statistiques, y compris la croissance des salaires. Fait important, le FMGD ne contient pas de données longitudinales permettant d’identifier les personnes interrogées, et il omet certains renseignements comme leur âge exact et des détails sur leur statut au regard de l’immigration3.
Pour les besoins de notre analyse, nous utilisons le FMGD puisqu’il contient des données à jour et est accessible au public, ce qui permet de reproduire nos résultats. Nous incluons aussi les résultats d’un test de robustesse mené au moyen d’estimations basées sur des données confidentielles tirées de l’EPA4.
Notre objectif est d’estimer la croissance sous-jacente des salaires, qui correspond à la croissance globale des salaires lorsque la composition de la population active est maintenue constante. Les techniques fondées sur les données de panel seraient tout indiquées pour atteindre cet objectif, mais elles ne sont pas applicables au FMGD. À la place, nous utilisons un des principaux outils servant à démêler la croissance des salaires et les changements de composition dans les données transversales : la décomposition de Blinder-Oaxaca. Cette méthode a déjà été utilisée dans des analyses semblables à la nôtre (Christodoulopoulou et Kouvavas, 2022; Aizcorbe et De Haan, 2024).
La décomposition de Blinder-Oaxaca est fréquemment utilisée en économie du travail pour faire ressortir les disparités salariales qui peuvent être imputées aux différences démographiques existantes entre groupes de travailleurs. Pour les besoins de la présente analyse, nous comparons les données mensuelles plutôt que les groupes, et procédons à des régressions des salaires en fonction des caractéristiques de la main-d’œuvre pour chaque période considérée. Cette technique nous permet de cerner la portion de la croissance des salaires attribuable aux changements dans la prédominance de ces caractéristiques au sein de la population active, et ainsi de distinguer cette portion de celle attribuable aux hausses des coûts de la main-d’œuvre corrigés des variations de la qualité, qui correspondent à des hausses des coûts unitaires de main-d’œuvre équivalents au fil du temps.
Ces dernières constituent notre estimation de la croissance sous-jacente des salaires séparée des changements de composition : le micro-EPA.
La croissance des salaires peut être décrite avec l’équation suivante, où \(W\) est le logarithme des salaires :
\(\displaystyle∆E(W_t )\) \(\displaystyle=\,E(W_{t+1} )\) \(\displaystyle-\,E(W_t )\)
La méthode de décomposition consiste à effectuer une régression du logarithme des salaires \((W)\) en fonction d’un ensemble de caractéristiques observables \((X)\)5 :
\(\displaystyle W_t\) \(\displaystyle=\,X_t^{'} B_t\) \(\displaystyle+\,e_t\)
Voici ce que nous obtenons en insérant le tout dans l’équation correspondant à la croissance des salaires6 :
\(\displaystyle ∆E(W_t )\) \(\displaystyle=\, \frac{[E(X_{t+1})-E(X_t )]^{'} B_t}{Effet\ de\ composition} \) \(\displaystyle+\, \frac{E(X_t )(B_{t+1}-B_t )}{Croissance\ sous\ −\ jacente\ des\ salaires} \) \(\displaystyle+\, \frac{[E(X_{t+1}^{'}-E(X_t^{'} )](B_{t+1}-B_t)}{Terme\ d’interaction}\)
L’identité montre que la croissance des salaires peut être décomposée en trois éléments :
- la somme des changements de composition
- les variations de la valeur associée à des caractéristiques données, ou la croissance sous-jacente – notre indicateur micro-EPA
- un terme d’interaction
Le terme d’interaction a une incidence très faible et est exclu de nos résultats.
Cette décomposition permet non seulement de produire un indicateur de la croissance des salaires corrigé des changements de composition, mais aussi d’éclairer les variations de la composition de la population active et la façon dont elles influent sur la croissance des salaires observée.
Résultats
Par rapport à d’autres indicateurs, le micro-EPA fournit une estimation de la croissance des salaires beaucoup plus raffinée et représentative des pressions sous-jacentes sur les salaires (graphique 2). En général, la croissance des salaires selon le micro-EPA est plus faible que la moyenne tirée de l’EPA pour l’ensemble de la période étudiée. Cela donne à penser que les changements de composition de la population active au cours des dernières décennies ont généralement eu une incidence favorable sur la croissance des salaires7.
Graphique 2 : Le micro-EPA élimine la volatilité causée par les changements de composition
Deux périodes sont particulièrement importantes pour notre explication de la dynamique des salaires des dernières années8 :
Croissance des salaires en 2020 : Au début de la pandémie de COVID-19, la croissance moyenne des salaires a bondi, atteignant un sommet de 10 % en avril 2020. Cela tient probablement au fait que la majorité des mises à pied effectuées durant cette période touchaient des emplois faiblement rémunérés, ce qui a fait monter le salaire moyen. Le micro-EPA, puisqu’il prend en compte les changements de profession et l’évolution de la main-d’œuvre par secteur, demeure relativement stable durant cette période, et offre ainsi une mesure probablement plus exacte de la croissance des salaires pour les personnes qui ont conservé leur emploi durant cette période.
Croissance des salaires depuis 2022 : À l’été 2022, la croissance moyenne des salaires a commencé à grimper bien au-delà de la fourchette observée par le passé, en raison d’une combinaison de facteurs dont les tensions extrêmes sur le marché du travail et les attentes d’inflation élevées. Le micro-EPA fait état d’une croissance grandement inférieure à la croissance moyenne des salaires durant cette période. Cela semble indiquer que, bien que la croissance des salaires ait été assez élevée, la mesure moyenne exagère généralement l’ampleur de la croissance des coûts de la main-d’œuvre.
Les changements de composition les plus importants
Un avantage du micro-EPA est que les changements de composition peuvent être analysés pour évaluer leur incidence sur la croissance moyenne des salaires. Le graphique 3 montre la décomposition de la croissance des salaires attribuable aux changements de composition depuis janvier 2019. La pression à la hausse sur la croissance moyenne des salaires durant la première année de la pandémie et depuis le milieu de 2022 vient en grande partie des changements touchant les professions qui composent le marché du travail. Plus précisément, elle est liée à l’augmentation de la proportion de personnes occupant un emploi bien rémunéré.
Cette augmentation de la proportion d’emplois bien rémunérés en avril 2020 est due au fait que les emplois faiblement rémunérés des secteurs de première ligne ont été touchés de manière disproportionnée par les mises à pied au début de la pandémie. À compter du milieu de 2023, on observe une autre augmentation attribuable à une hausse du nombre de postes de cadres. Les variations du niveau d’éducation moyen ont aussi joué un rôle notable au cours des deux périodes en raison des mises à pied sélectives. Enfin, deux autres caractéristiques semblent avoir eu une incidence durant la pandémie : le secteur, probablement en raison des ajustements structurels dus aux restrictions sanitaires, et l’ancienneté, en raison des mises à pied de personnes récemment embauchées. Il convient de noter que ces résultats n’équivalent pas à la différence totale entre le micro-EPA et la croissance moyenne des salaires, étant donnée la transformation logarithmique des salaires dans la régression9.
Graphique 3 : Les effets des changements de composition de la population active alimentent la croissance des salaires depuis l’été 2022
Comparaison entre la nouvelle mesure des salaires et d’autres mesures
La Banque du Canada suit un certain nombre d’indicateurs pour mieux comprendre la croissance des salaires. Le tableau 1 montre comment l’indicateur micro-EPA se compare à sept autres mesures des salaires10. Au regard de plusieurs grands indicateurs de référence, cette mesure est au moins aussi performante que l’ensemble des mesures actuelles. Cela en fait un outil utile pour évaluer les pressions inflationnistes émanant du marché du travail.
- Volatilité : l’écart-type de chacune des mesures des salaires est généralement inversement proportionnel au rapport signal/bruit, qui est le ratio de la quantité d’informations valables à celles de données non pertinentes. La croissance trimestrielle des salaires telle que reflétée par le micro-EPA est la moins volatile des huit mesures, ce qui donne à penser qu’elle procure un signal plus fiable.
- Lien avec les conditions du marché du travail : le taux de chômage est l’un des principaux indicateurs d’une offre excédentaire sur le marché du travail, tandis que le ratio de postes vacants au nombre de chômeurs peut révéler une demande excédentaire. Parmi les huit mesures de la croissance des salaires examinées, le micro-EPA présente la corrélation la plus forte aussi bien avec le taux de chômage qu’avec le ratio de postes vacants au nombre de chômeurs. Cela laisse supposer que c’est une bonne mesure des mouvements salariaux contribuant à rééquilibrer le marché du travail. En outre, nous avons testé le lien entre notre indicateur des salaires et plusieurs facteurs de croissance des salaires de manière simultanée, en l’incluant dans la reproduction du modèle de l’inflation, des prix et des salaires de Bernanke et Blanchard (2023) adaptée au Canada que la Banque a réalisée (Bounajm et autres, 2024). Les résultats montrent que notre indicateur est mieux ajusté (son R2 est plus élevé) pour ce qui est des variables macroéconomiques pertinentes.
- Lien avec l’inflation : en théorie, les variations de la croissance des salaires devraient être étroitement liées à celles de l’inflation, car le travail est un facteur de production essentiel. L’indicateur micro-EPA présente une corrélation très importante avec les mesures de l’inflation, tout particulièrement en ce qui concerne les services hors logement, une composante du panier de biens et services de l’indice des prix à la consommation (IPC) généralement à forte intensité de main-d’œuvre.
- Actualité : L’EPA est l’enquête officielle qui présente la plus grande actualité des données sur le marché du travail.
Micro-EPA | EPA | EPA (pondération fixe) | EERH | EERH (pondération fixe) | Comptes de productivité | Croissance de la mesure salaires-comm | Coûts salariaux unitaires | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Écart-type (croissance d’un trimestre à l’autre) | 1,09 | 2,97 | 1,44 | 2,41 | 1,95 | 8,61 | 1,29 | 2,84 |
Corrélation avec le taux de chômage (sur un an) | -0,38 | 0,01 | -0,13 | 0,03 | -0,16 | 0,32 | 0,09 | -0,29 |
Corrélation avec le ratio de postes vacants au nombre de chômeurs | 0,62 | 0,28 | 0,34 | 0,22 | 0,38 | -0,04 | 0,25 | 0,6 |
Corrélation avec l’inflation fondamentale | 0,68 | 0,42 | 0,54 | 0,36 | 0,51 | 0 | 0,13 | 0,6 |
Corrélation avec la croissance des prix des services hors logement (sur un an) | 0,69 | 0,32 | 0,54 | 0,3 | 0,42 | -0,1 | 0,03 | 0,42 |
Équation de Bernanke-Blanchard relative aux salaires (R2) | 0,48 | 0,23 | 0,33 | 0,19 | 0,15 | 0,22 | 0,19 | 0,3 |
Actualité (R2) | Publication mensuelle | Publication mensuelle | Publication mensuelle | Publication mensuelle (avec décalage) | Publication mensuelle (avec décalage) | Publication trimestrielle | Publication trimestrielle | Publication trimestrielle |
Nota : L’EPA est l’Enquête sur la population active. EERH désigne l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail de Statistique Canada. Voir l’étude de Bernanke et Blanchard (2023) pour de plus amples renseignements sur l’équation proposée pour décrire le comportement des salaires. La période considérée va du deuxième trimestre de 1998 au deuxième trimestre de 2024. Pour de plus amples d’information sur ces mesures, voir le site Web de la Banque.
Mesures désagrégées du micro-EPA
En règle générale, la technique sur laquelle se base le micro-EPA peut être appliquée à n’importe quel autre segment du marché du travail pour obtenir une estimation de la croissance des salaires corrigée des variations de composition. L’usage des microdonnées nous permet d’isoler des groupes de travailleurs répondant à des critères spécifiques – par exemple, de distinguer entre travailleurs du secteur public et travailleurs du secteur privé. Les résultats que nous obtenons pour ces deux groupes (graphique 4), montrent que :
- le secteur privé a largement contribué à la croissance moyenne des salaires depuis 2022
- la croissance des salaires dans le secteur public a augmenté plus graduellement depuis 2023
Fait à noter : malgré une croissance des salaires plus élevée dans le secteur privé, le niveau des salaires demeure supérieur dans le secteur public.
Étant donné que la croissance des salaires peut varier sensiblement entre les différents groupes de travailleurs, la flexibilité du micro-EPA permet à la Banque de mieux comprendre l’ampleur de la croissance sous-jacente des salaires. Il est aussi possible de filtrer, par exemple, par secteur ou par sexe. Par contre, il peut être difficile d’appliquer cette technique à de petits segments du marché du travail lorsque les observations les concernant ne sont pas assez nombreuses.
Graphique 4 : La croissance sous-jacente des salaires dans le secteur privé dépasse généralement celle dans le secteur public
Vérification de la robustesse des résultats à l’aide des microdonnées des fichiers maîtres
Nous avons obtenu les principaux résultats exposés ici en choisissant d’exploiter le FMGD, d’abord pour profiter de l’actualité de ses données, et ensuite, pour permettre à d’autres utilisateurs de reproduire nos résultats. Il convient toutefois de se demander si les précisions supplémentaires fournies dans les fichiers maîtres de l’EPA permettraient d’améliorer nos estimations, en particulier si l’on tient compte du statut exact des répondants au regard de l’immigration11.
En particulier, les résidents non permanents ne sont pas identifiés comme migrants dans le FMGD. Ils y sont classés, en fait, dans la même catégorie que les travailleurs nés au Canada. Compte tenu de l’augmentation du nombre de résidents non permanents au Canada depuis la mi-2022, nous examinons dans quelle mesure cette absence d’identification dans le FMGD entraîne un biais dans la mesure des salaires12.
Pour ce faire, nous calculons la croissance des salaires selon le micro-EPA en utilisant à la fois le FMGD et les fichiers maîtres (graphique 5). Les résultats montrent que l’utilisation du FMGD n’induit pas d’écarts majeurs par rapport à celle des fichiers maîtres. En revanche, la croissance des salaires calculée à l’aide du FMGD pour les deux dernières années est légèrement plus basse que celle obtenue au moyen des fichiers maîtres. Cela découle directement de la non-classification des résidents non permanents comme migrants dans le FMGD. Le fait que les résidents non permanents perçoivent généralement des salaires moins élevés que l’ensemble de la population entache d’un biais à la baisse la mesure des salaires selon le micro-EPA. Toutefois, les différences de résultats sont très faibles, même au cours des deux dernières années, ce qui cadre avec la taille modeste de la main-d’œuvre composée de résidents non permanents.
Graphique 5 : L’exploitation des précisions qu’apportent les fichiers maîtres de l’EPA n’a pas d’incidence notable sur les résultats
Le graphique 6 présente les facteurs qui font en sorte que la croissance des salaires s’écarte de la croissance sous-jacente des salaires. Contrairement au graphique 3, nous tenons compte d’un ensemble d’indicateurs concernant le statut au regard de l’immigration qui permettent de séparer les résidents non permanents des travailleurs nés au Canada. Nous confirmons que ce statut a un effet négatif sur la croissance moyenne des salaires qui est plus important que ce que suggèrent les données du FMGD.
Graphique 6 : Les salaires perçus par les résidents non permanents modèrent la croissance des salaires depuis le début de 2023
Dans l’ensemble, l’exploitation des précisions qu’apportent les fichiers maîtres n’a pas d’incidence notable sur les résultats. Cela confirme que le recours au FMGD est approprié pour calculer la croissance sous-jacente des salaires – ce qui est commode étant donné sa facilité d’accès et l’actualité de ses données.
Annexe
Micro-EPA | EPA | EPA (pondération fixe) | EERH | EERH (pondération fixe) | Comptes de productivité | Croissance de la mesure salaires-comm | Coûts salariaux unitaires | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Écart-type (croissance d’un trimestre à l’autre) | 0,99 | 1,54 | 1,19 | 1,93 | 1,77 | 2,34 | 0,89 | 2,48 |
Corrélation avec le taux de chômage (sur un an) | -0,37 | -0,33 | -0,14 | -0,18 | -0,19 | -0,24 | -0,26 | -0,39 |
Corrélation avec le ratio de postes vacants au nombre de chômeurs | 0,56 | 0,44 | 0,3 | 0,27 | 0,21 | 0,4 | 0,52 | 0,49 |
Corrélation avec l’inflation fondamentale | 0,54 | 0,54 | 0,63 | 0,45 | 0,47 | 0,05 | -0,06 | 0,4 |
Corrélation avec la croissance des prix des services hors logement (sur un an) | 0,50 | 0,28 | 0,46 | 0,37 | 0,33 | -0,11 | -0,07 | 0,17 |
Équation de Bernanke-Blanchard relative aux salaires (R2) | 0,42 | 0,32 | 0,37 | 0,20 | 0,16 | 0,32 | 0,25 | 0,31 |
Nota : L’EPA est l’Enquête sur la population active. EERH désigne l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail de Statistique Canada. Voir l’étude de Bernanke et Blanchard (2023) pour de plus amples renseignements sur l’équation proposée pour décrire le comportement des salaires. La période considérée va du deuxième trimestre de 1998 au quatrième trimestre de 2019. Pour de plus amples d’information sur ces mesures, voir le site Web de la Banque.
Références
Aizcorbe, A. et J. de Haan. 2024. « An Application of the Oaxaca-Blinder Decomposition to the Price Deflation Problem ». Document de travail 2024-2 de l’US Bureau of Economic Analysis.
Almuzara, M., R. Audoly et D. Melcangi. 2023. « A Measure of Core Wage Inflation ». Rapport du personnel 1067 de la Banque fédérale de réserve de New York.
Bernanke B. S. et O. J. Blanchard. 2023. « What Caused the US Pandemic-Era Inflation? ». Communication préparée pour le Hutchins Center on Fiscal and Monetary Policy à l’occasion de l’exposé de Brookings Institution intitulé « The Fed: Lessons Learned from the Past Three Years », 23 mai.
Bils, M., M. Kudlyak et P. Lins. 2023. « The Quality-Adjusted Cyclical Price of Labor ». Journal of Labor Economics 41 (S1): S13-S59.
Bounajm, F., J. G. Junior Roc et Y. Zhang. 2024. « Sources d’inflation durant la pandémie au Canada : une application du modèle de Bernanke et Blanchard ». Note analytique du personnel 2024-13 de la Banque du Canada.
Brochu, P. 2021. « A Researcher’s Guide to the Labour Force Survey: Its Evolution and the Choice of Public Use Versus Master Files ». Canadian Public Policy / Analyse de Politiques 47 (3): 335-357.
Christodoulopoulou, S. et O. Kouvavas. 2022. « Wages, Compositional Effects and the Business Cycle ». Document de travail 2653 de la Banque centrale européenne.
Daly, M. C., B. Hobijn et T. S. Wiles. 2012. « Dissecting Aggregate Real Wage Fluctuations: Individual Wage Growth and the Composition Effect ». Document de travail 2011-23 de la Banque fédérale de réserve de San Francisco.
Kirubaharan, E. et A. Bernard. 2024. « Rémunération et salaire – Guide d’utilisation des indicateurs de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail et de l’Enquête sur la population active ». Statistiques sur le travail : Documents techniques. Publication no 75‑005‑M au catalogue.
Notes
- 1. Voir la section 3.2 de l’étude de Kirubaharan et Bernard (2024).[←]
- 2. Plus précisément, cela comprend les personnes qui n’occupaient pas d’emploi et qui en ont décroché un, de même que celles qui ont indiqué avoir changé d’employeur, de type d’entreprise, de type de métier ou de date d’entrée en fonction.[←]
- 3. Voir Brochu (2021) pour une analyse détaillée des différences entre le FMGD et les fichiers maîtres.[←]
- 4. Les demandes d’accès aux fichiers maîtres de Statistique Canada sont assujetties à un processus d’approbation rigoureux.[←]
- 5. La liste des caractéristiques observables est vaste, englobant la quasi-totalité des caractéristiques des entreprises et de la main-d’œuvre comprises dans les microdonnées. Elle inclut notamment la profession, le niveau de scolarité, l’ancienneté, l’âge, le genre, le cumul d’emplois, la syndicalisation, le statut d’emploi (temps plein ou temps partiel, permanent ou temporaire), la province de résidence, l’état matrimonial et le statut au regard de l’immigration; les deux dernières caractéristiques ne sont disponibles que depuis 2006. De plus, l’ensemble de données inclut les caractéristiques suivantes sur les entreprises : secteur, type (publique ou privée), taille (des établissements et de l’entreprise); ces caractéristiques ne sont disponibles que depuis 2006.[←]
- 6. En faisant l’hypothèse que E(e)=0.[←]
- 7. Les principaux facteurs expliquant la pression à la hausse que les changements de composition ont exercée sur les salaires sont le relèvement des niveaux d’éducation et l’augmentation de la proportion d’emplois bien rémunérés.[←]
- 8. On observe également un écart marqué entre le micro-EPA et la croissance moyenne en 2006. Cela s’explique principalement par les révisions apportées à la méthode utilisée par Statistique Canada pour détecter les valeurs aberrantes dans les données sur les salaires. Ce changement s’est traduit par un gonflement des données sur la croissance des salaires pour les six premiers mois de 2006. La méthode que nous utilisons pour établir le micro-EPA corrige cet écart. Pour en savoir plus, voir Statistique Canada, « Révisions apportées à l’Enquête sur la population active (EPA) en 2023 », 30 janvier 2023.[←]
- 9. Il est préférable d’utiliser le logarithme des salaires dans la régression, car la relation entre les salaires et les variables explicatives se rapproche d’un modèle semi-logarithmique. Le léger inconvénient est que la croissance moyenne des salaires ne correspond alors plus exactement à la somme de la croissance selon le micro-EPA et des effets de composition.[←]
- 10. Voir l’annexe pour les résultats concernant uniquement la période précédant la pandémie.[←]
- 11. À l’aide des fichiers maîtres, nous avons aussi limité notre analyse aux nouveaux participants à l’enquête, et établi que la croissance de leurs salaires corrigée des variations de la qualité suit les mêmes tendances que pour l’ensemble des observations, mais en étant nettement plus volatile. Les répondants ne se font interroger sur leur salaire que pendant le premier mois de leur participation à l’enquête, comme il est indiqué à la section Données et méthodologie. Après le premier mois, on présume que la plupart des répondants ne changent pas de salaire, ce qui peut entraîner un décalage dans la mesure des salaires. Toutefois, des données sur mesure de Statistique Canada montrent que près des deux tiers des répondants ont mis à jour leur salaire au moins une fois au cours de la période d’observation de six mois visée, entre 2019 et 2023. Ce chiffre conforte notre mesure des salaires, le micro-EPA.[←]
- 12. Il convient de mentionner qu’un certain nombre de variables ne sont pas codées de la même façon dans le FMGD et dans les fichiers maîtres. La variable « profession » est particulièrement difficile à homogénéiser. Nous nous servons de la version à deux chiffres du système utilisé dans la Classification nationale des professions de 2021, que reprennent les fichiers maîtres. Nous avons veillé à l’harmonisation de toutes les autres définitions entre le FMGD et les fichiers maîtres.[←]
Avis d’exonération de responsabilité
Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.
DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-23