Introduction
La dernière fois qu’un gouverneur de la Banque du Canada a pris la parole devant la Chambre de commerce Canada–Royaume-Uni, c’était en 2018. Mon prédécesseur, Stephen Poloz, avait alors parlé des bas taux d’intérêt dans le monde, de la réduction constante des risques d’inflation et de l’aboutissement des négociations visant à conclure un accord commercial nord-américain. Le Brexit était en marche, mais n’était pas encore une réalité.
Comme le monde a changé en six ans!
La pandémie, l’invasion non provoquée de l’Ukraine par la Russie et une lutte mondiale contre l’inflation ont changé le paysage économique. Les préoccupations à l’égard de la sécurité nationale et économique influencent le commerce, les investissements et les décisions d’affaires. L’accélération de la numérisation – en particulier de l’intelligence artificielle – est une nouvelle source de compétition pour la puissance économique. Les tensions géopolitiques font évoluer les relations économiques, et la politique industrielle revient en force.
Aujourd’hui, je vais vous parler de la façon dont les échanges commerciaux changent sous l’effet de ces forces, tant au Canada qu’à l’échelle internationale. Je vais aussi discuter de ce que les institutions financières internationales et la Banque du Canada peuvent faire pour préserver la stabilité et la prospérité alors que l’économie mondiale se transforme sous nos yeux. Si les incertitudes sont nombreuses, une chose semble claire : le commerce international sera différent dans les années à venir. Le Canada doit être prêt à gérer les perturbations et à saisir les possibilités qui s’offriront à lui.
Les avantages de l’ouverture des échanges commerciaux
Alors que la Seconde Guerre mondiale tirait à sa fin, les pays alliés ont mis en place les institutions de Bretton Woods : le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et ce qui allait devenir l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils voulaient éviter le protectionnisme et l’instabilité de la Grande Dépression. Ils étaient convaincus que la coopération économique, y compris l’ouverture des échanges commerciaux, était le meilleur moyen de maintenir la paix et d’amener la prospérité.
Pendant les quelques 65 années qui ont suivi, la progression du commerce international et la croissance économique allaient de pair. L’ouverture des échanges commerciaux a favorisé la spécialisation, l’innovation et les économies d’échelle. Elle a aussi stimulé les investissements, les gains d’efficience et la productivité. Pour les consommateurs, cela signifiait avoir plus de choix, et de meilleurs prix. Le commerce a stimulé la croissance des revenus dans l’ensemble des pays. Il s’est également traduit par une baisse de la pauvreté et une hausse du niveau de vie dans le monde entier.
Avant la crise financière mondiale de 2008-2009, le commerce progressait à un rythme plus rapide que celui de la croissance du PIB1. Certains pensent que nous sommes maintenant entrés dans une nouvelle ère de « démondialisation ». D’autres parlent d’un ralentissement de la mondialisation. En raison des énormes perturbations causées par la pandémie, il est difficile de discerner la tendance récente, mais il ne fait aucun doute que la croissance du commerce international a du moins ralenti (graphique 1).
C’est extrêmement préoccupant, surtout pour les économies ouvertes comme le Canada et le Royaume-Uni.
Le ralentissement de la croissance du commerce international était dans une certaine mesure inévitable. Une fois que les droits de douane ont été considérablement réduits et que la majorité des économies ont pris part aux marchés internationaux, le potentiel d’expansion des échanges par une nouvelle diminution des droits de douane et l’inclusion d’autres pays est devenu plus limité.
Des événements récents ont toutefois accentué ce ralentissement. De nouvelles tensions dans le monde ont accru les frictions commerciales entre les pays concurrents. De plus, le soutien politique et public pour l’ouverture des échanges commerciaux s’estompe, en partie parce que ses retombées n’ont pas été réparties équitablement. Nous avons tous bénéficié d’un plus grand choix de biens et de services à meilleur prix. Mais certains travailleurs y ont plus perdu que gagné, puisqu’ils ont perdu leur emploi quand les producteurs nationaux se sont fait couper l’herbe sous le pied par des importateurs à bas prix. En raison de l’évolution de l’économie, des nouvelles menaces qui pèsent sur la sécurité et de l’affaiblissement du soutien, le commerce international est en train d’être restructuré, remanié et réorienté.
Le commerce est en train d’être restructuré en réponse à l’évolution de l’économie internationale. La Chine n’est plus le fournisseur de biens de consommation offrant les plus bas prix dans le monde. La production de nombreux biens manufacturés est relocalisée dans d’autres pays. À mesure que la Chine progresse dans la chaîne de valeur, elle se retrouve en concurrence plus directe avec les économies avancées. Parallèlement, la pandémie, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les conflits géopolitiques et les changements climatiques ont fait de la résilience des chaînes d’approvisionnement une plus grande priorité, même au prix d’une certaine perte d’efficience.
Les politiques commerciales sont en train d’être remaniées pour englober la sécurité nationale et économique, et pour favoriser le leadership dans les secteurs qui revêtent une importance stratégique. Les politiques commerciales et industrielles sont utilisées pour améliorer la sécurité de l’approvisionnement en intrants essentiels, ainsi que pour protéger et promouvoir la production intérieure dans les secteurs clés.
À l’échelle mondiale, les échanges commerciaux sont réorientés en raison des restrictions sur les importations et les exportations, des droits de douane et des conflits. Le commerce de produits de haute technologie est limité par les préoccupations d’ordre géopolitique. La transition vers une croissance économique plus propre accélère les restrictions commerciales sur les matières premières nécessaires à la production d’énergie verte. Les changements climatiques et les conflits menacent la sécurité alimentaire, ce qui entraîne des restrictions sur les exportations des principaux aliments de base. De plus, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mené à une expansion multilatérale de la portée et de l’étendue des sanctions économiques.
Comment une économie ouverte comme le Canada peut-elle naviguer au mieux dans cet environnement commercial en mutation? C’est une question complexe, alors permettez-moi de la décomposer en quelques points plus faciles à expliquer.
Les tendances du commerce international
Trois grandes tendances se dégagent à l’échelle mondiale. Tout d’abord, la croissance du commerce international a ralenti, et ce ralentissement est concentré dans les économies avancées. Ensuite, la croissance actuelle provient de plus en plus des services, et non plus des biens. Enfin, on assiste à une fragmentation du commerce à mesure que le rôle de la Chine évolue. En somme, les routes commerciales et les partenaires commerciaux changent, et cela pourrait avoir des conséquences majeures pour notre prospérité.
Je vais aborder maintenant chacune de ces tendances.
Les économies avancées sont à l’origine du ralentissement du commerce international
La première tendance est que la croissance du commerce dans les économies avancées a ralenti au cours de la dernière décennie, ce qui a entraîné un recul de la croissance du commerce international. En revanche, les échanges avec les pays émergents et les pays en développement, et entre ces pays, ont continué de progresser (graphique 2).
Ngozi Okonjo-Iweala, la directrice générale de l’OMC, pense que le commerce est entré dans une nouvelle phase plus inclusive, qu’elle appelle « remondialisation ». Pendant 25 ans, la part des échanges internationaux entre les pays développés a baissé, tandis que celle des échanges entre les économies en développement a plus que doublé2. Comme Mme Okonjo-Iweala l’a souligné, il est essentiel de préserver un commerce ouvert pour augmenter les revenus dans les économies en développement et réduire l’écart avec les pays plus avancés.
Le commerce des services s’accélère tandis que celui des biens ralentit
La deuxième tendance est que le commerce des services s’accélère, tandis que celui des biens ralentit. À l’échelle mondiale, le commerce des biens représente une part beaucoup plus importante du gâteau – plus de trois fois supérieure à celle du commerce des services. La forte croissance du commerce des services ne compense donc pas entièrement la faible croissance du commerce des biens. Mais le commerce des services gagne du terrain.
Depuis l’année 2000 environ, la croissance du commerce des services a dépassé celle du commerce des biens, mais les répercussions de la pandémie sont venues brouiller les cartes (graphique 3). La demande mondiale de biens a monté en flèche au début de la pandémie, lorsque tout le monde devait rester à la maison. Quand les économies ont rouvert, les consommateurs se sont tournés vers les services, en particulier ceux qui leur avaient manqué pendant les confinements.
Il est toutefois possible que la pandémie ait stimulé le commerce des services de façon plus durable. Comme les clients devaient être servis en mode virtuel durant les confinements, les entreprises ont investi dans la distribution numérique, contribuant ainsi tant à l’offre qu’à la demande. De plus en plus, les exportateurs fournissent des services par l’intermédiaire de réseaux informatiques : Internet, applications, courriels, appels vocaux et vidéo, et plateformes d’intermédiation numérique. Le volume des échanges de services commerciaux a augmenté d’environ 20 % depuis 2019. Les services de formation, d’enseignement et de gestion à distance ont enregistré une hausse marquée, tout comme les services financiers et de voyage.
Et la numérisation se poursuit – notamment parce que l’intelligence artificielle crée de nouveaux services et change la façon dont ils sont fournis. La question est de savoir si la croissance se poursuivra au même rythme rapide. Mais le potentiel apparemment immense de la numérisation donne à penser que la croissance future du commerce proviendra des services.
Les relations internationales évoluent
La dernière tendance mondiale est l’évolution des relations internationales. La Chine joue un grand rôle dans ces changements. Ses exportations ont progressé dans la chaîne de valeur mondiale, et les tensions géopolitiques refaçonnent les principales relations économiques.
La hausse des salaires, l’expertise accrue et une politique gouvernementale délibérée sont autant de facteurs qui ont poussé la Chine à fabriquer des produits électroniques de pointe et des produits avancés. La Chine est maintenant le plus grand exportateur de matériel de radiodiffusion, d’ordinateurs, de modules solaires et de batteries électriques. Son industrie de véhicules électriques est la plus importante au monde, et représente plus de la moitié de la production mondiale3.
Ces avancées ont suscité des inquiétudes quant au risque de voir la technologie chinoise supplanter l’industrie locale et compromettre la sécurité nationale et économique. Les États-Unis ont interdit l’utilisation de certains produits chinois et restreint les exportations de technologies de pointe vers la Chine. D’autres pays, dont le Canada et le Royaume-Uni, ont pris des mesures similaires. En mai, les États-Unis ont annoncé qu’ils allaient quadrupler les droits de douane sur les importations de véhicules électriques fabriqués en Chine, pour les porter à 100 %. Le Canada est en train de leur emboîter le pas. L’Union européenne impose également des droits de douane plus élevés sur les véhicules électriques.
Mais le recours accru aux restrictions commerciales est loin de se limiter à la Chine (graphique 4).
Les restrictions commerciales ont beaucoup augmenté dans le monde depuis 2018 environ, de même que les politiques industrielles visant à soutenir les acteurs nationaux face aux importations et à répondre aux préoccupations de sécurité. Les risques de sécurité sont bien réels et doivent être maîtrisés, mais il est important qu’ils ne servent pas de prétexte à un protectionnisme inefficace.
Les circuits du commerce sont également modifiés, les entreprises tentant de diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et de trouver des partenariats plus favorables4. Mais l’augmentation des restrictions commerciales et la modification des routes commerciales signifient que les chaînes d’approvisionnement se sont en fait allongées : au lieu d’aller directement de la Chine aux États-Unis, les produits font un détour par d’autres pays, comme le Vietnam5.
La fragmentation entraîne des coûts économiques. Au lieu de seulement chercher des gains d’efficience et des partenariats productifs, les entreprises doivent aussi se soucier de la sécurité nationale et des incertitudes géopolitiques. Le FMI estime que les coûts de la fragmentation du commerce pourraient représenter entre 0,2 et 7 % du PIB mondial6. Mais ces coûts vont au-delà des échanges commerciaux – et les pertes ne sont probablement pas réparties de façon équitable. Les pertes de diffusion des connaissances, de partenariats commerciaux sur les technologies de pointe, d’importations de produits essentiels et de flux de capitaux touchent surtout les pays à faible revenu. La capacité du commerce et de l’innovation à continuer de faire baisser la pauvreté dans le monde va diminuer7.
Les tendances du commerce au Canada
On vient de voir les tendances mondiales. À bien des égards, le Canada est un microcosme de ces transformations. La progression globale de nos échanges a ralenti ces dernières années. La croissance de nos exportations provient de plus en plus des services. Et la fragmentation mondiale amène de nouveaux défis et de nouvelles occasions.
Ralentissement de la croissance du commerce
Le Canada est une économie très ouverte. Au cours de la dernière décennie, le commerce a représenté environ les deux tiers du PIB canadien, soit la deuxième part en importance parmi les pays du G7, et la quatrième parmi les pays du G20. Notre pays dépend des exportations pour approximativement un tiers de ses revenus. Les composants importés alimentent notre industrie, et les biens et services finaux importés améliorent la vie de notre population.
Les États-Unis sont, de loin, le premier partenaire commercial du Canada : ils représentent environ 75 % des exportations du pays. En partie grâce à l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis de 1989, ainsi qu’à ses mises à jour dans les années qui ont suivi, le Canada et les États-Unis bénéficient de la plus importante relation commerciale bilatérale au monde (graphique 5). Nos principales exportations vers les États-Unis sont le pétrole et le gaz naturel, ainsi que les véhicules automobiles et leurs pièces.
Mais nos accords commerciaux vont bien au-delà des États-Unis : au total, le Canada a conclu 15 accords commerciaux couvrant 51 pays et environ les deux tiers du PIB mondial8. Ensemble, ces accords s’étendent à 1,5 milliard de consommateurs dans le monde.
Toutefois, malgré ce large accès aux marchés, la croissance des exportations canadiennes s’est ralentie au cours des dix dernières années. La pandémie masque la tendance générale, mais il est clair que les exportations de biens n’ont pas suivi la croissance économique des deux plus grands marchés du Canada, à savoir les États-Unis et l’Union européenne (graphique 6).
Le ralentissement observé est assez généralisé. La production et les exportations de machines et de matériel, de véhicules automobiles et d’autres biens non énergétiques n’ont pas progressé depuis plus d’une décennie.
Vigueur croissante des services
À l’instar de ce qu’on a observé partout dans le monde, ce sont les exportations de services qui ont connu une croissance au Canada. Lorsque la croissance des exportations de biens a commencé à s’essouffler au moment de la crise financière mondiale, celle des exportations de services s’est accélérée (graphique 7).
Comme dans les autres pays, la distribution numérique a contribué à stimuler les exportations de services du Canada, en particulier les services informatiques, financiers et de gestion, ainsi que la recherche et le développement (graphique 8).
Cette évolution permet au Canada de mettre à profit ses forces, notamment sa main-d’œuvre très instruite. Depuis 2019, les exportations réelles de services commerciaux ont augmenté de 17 %, ajoutant plus de 15 milliards de dollars au PIB réel du Canada.
Fragmentation mondiale
Le Canada est quelque peu à l’abri de la troisième tendance mondiale – la fragmentation – parce qu’une si grande partie de ses échanges se fait avec les États-Unis. La transformation des chaînes d’approvisionnement présente des risques, mais aussi des occasions pour les entreprises canadiennes.
Au début du millénaire, le Canada avait la plus grande part des importations américaines de biens, soit environ 20 %. En 2017, la Chine avait pris la tête et le Canada était passé en troisième place. Alors que les États-Unis trouvent de nouveaux partenaires pour leur fournir les produits qu’ils obtenaient autrefois de la Chine, le Canada commence à se réaffirmer. Au premier trimestre de 2024, il était la deuxième source des importations américaines de biens après le Mexique, et les exportations étaient en hausse.
Préparer l’avenir
Voilà qui m’amène au défi devant nous. Le visage du commerce est en train de changer. Comment le Canada devrait-il réagir?
Nous devons saisir les occasions de préserver notre place dans un système commercial restructuré. Nous devons être efficaces à la table internationale pour influencer la manière dont le commerce est remanié et réorienté. Et nous devons gérer les chocs qui ne manqueront pas de se produire.
Commerce régional stratégique
Heureusement, la géographie et l’histoire ont donné au Canada des avantages considérables au chapitre du commerce international. Grâce à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, nous entretenons des relations solides avec le marché le plus vaste et le plus riche du monde, qui se trouve juste à nos portes. Malgré les vents changeants, 77 % des exportations canadiennes de biens prennent toujours la route des États-Unis. Le Canada est également la première destination d’exportation des États-Unis, et le marché de destination numéro un de 32 des 50 États américains. Le succès continu de cette relation commerciale est dans l’intérêt des deux pays.
Au-delà des États-Unis, le Canada bénéficie d’un solide accès aux marchés du monde entier, grâce aux accords commerciaux que j’ai mentionnés plus tôt. Mais conserver nos acquis ne sera pas suffisant. Nous devons bâtir de meilleures relations, fabriquer les produits que les gens veulent acheter, construire et entretenir l’infrastructure nécessaire pour acheminer ces produits sur le marché, et accroître notre productivité pour affronter la concurrence mondiale.
La relation entre le Canada et le Royaume-Uni est importante. Le Royaume-Uni est notre troisième partenaire commercial en importance. Nos échanges bilatéraux totalisent plus de 50 milliards de dollars. Des progrès ont été réalisés dans la conclusion d’un accord commercial bilatéral. Mais il reste des points non résolus, et faute de solution, trop de biens et de services demeureront en dehors des chaînes d’approvisionnement concurrentielles et exemptes de droits de douane que nous avons établies avec d’autres économies. Nos deux pays ont intérêt à finir ce travail.
Le Canada doit être en mesure de vendre les produits que les gens veulent. Nous sommes un producteur d’énergie stable, responsable et technologiquement avancé. Notre secteur automobile est compétitif à l’échelle mondiale. Et nous sommes une force émergente dans de nouveaux domaines, comme les technologies vertes et l’électricité.
Pour mettre à profit ces forces, nous devons investir dans l’infrastructure commerciale et réduire les obstacles au commerce afin qu’il soit plus intéressant pour les entreprises d’intégrer le Canada dans la chaîne de valeur nord-américaine. Il s’agit notamment d’investir dans notre réseau électrique et nos infrastructures de transport. Les entreprises doivent également investir dans de nouveaux équipements et dans l’innovation pour être compétitives à l’échelle mondiale.
À l’heure où le commerce est remanié pour des raisons stratégiques ou de sécurité, le Canada se présente comme un partenaire commercial fiable et de confiance. Il ne sera pas l’option la moins chère. Mais nous disposons d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, d’une énergie et de réseaux de transport fiables, et d’institutions financières solides. De plus, le Canada est une démocratie stable et un État de droit fort. Et il est une voix crédible et importante à la table des négociations internationales.
Institutions multilatérales efficaces
Voilà qui m’amène à notre deuxième priorité. Nous devons investir dans des institutions multilatérales efficaces – qui sont plus importantes que jamais dans ce monde fragmenté. Et leur efficacité ne dépend que de la volonté de leurs membres.
Il n’a jamais été facile de parvenir à une coopération économique internationale. Et l’ouverture du commerce est soumise à une pression particulière. Mais les tendances que je viens d’esquisser accentuent l’urgence. Notre intérêt commun est la prospérité partagée. Nous bénéficions tous d’un ordre mondial stable, ouvert et fondé sur des règles. Nous devons le construire, le protéger, l’adapter et veiller à ce que les avantages soient partagés.
Les institutions multilatérales efficaces et légitimes ne se forment pas sans effort. Elles ont besoin d’une bonne gouvernance, de ressources adéquates, de talents et d’une direction inspirée. Le Canada investit depuis longtemps dans les institutions de Bretton Woods. Nous avons une voix forte au sein du FMI et du Conseil de stabilité financière (CSF). Nous sommes conscients de la valeur qu’apporte une OMC efficace, capable de servir de forum de négociation, d’arbitrer les différends et de surveiller la mise en œuvre des accords commerciaux. À l’heure où le Canada s’apprête à assumer la présidence du G7 en 2025, nous aurons la responsabilité de mener des discussions difficiles. Cela inclut le commerce, la stabilité financière mondiale et l’atténuation des changements climatiques.
En tant que banque centrale, on s’intéresse particulièrement au FMI, au CSF et à l’ordre monétaire international. On doit s’assurer que le système monétaire et financier international est à la hauteur et qu’il s’intègre aux autres parties. Les facteurs économiques fondamentaux n’ont pas changé, mais le besoin de résilience et d’agilité s’est accru avec l’évolution du contexte économique.
Gérer les perturbations
Enfin, le Canada doit être prêt à faire face aux perturbations qui paraissent inévitables dans un paysage commercial en mutation. La Banque du Canada ne définit pas la politique commerciale. Mais on doit comprendre les transformations du commerce international, car elles influent sur la vie des gens et sur leur gagne-pain, et ont un effet déterminant sur les coûts et l’inflation.
Conclusion
Pour conclure, je vais parler des implications pour la politique monétaire.
La mondialisation rapide qui s’est opérée des années 1990 jusqu’à la crise financière mondiale environ a fait considérablement baisser les prix de nombreux biens échangés à l’international. Cela a contribué à réduire le coût de la vie pour de nombreux ménages. À l’avenir, compte tenu du ralentissement de la mondialisation, il se peut que le coût des biens à l’échelle mondiale ne diminue pas dans la même mesure. Toutes choses étant égales par ailleurs, cela pourrait accentuer les pressions à la hausse sur l’inflation.
Les perturbations du commerce peuvent également causer une plus grande variabilité de l’inflation. La pandémie nous a appris beaucoup de choses sur les chocs d’offre et leurs conséquences sur la volatilité des prix. D’abord, les chaînes d’approvisionnement sont complexes. Les chocs se répercutent de manière différente sur les intrants et les extrants. Et même si les chocs d’offre ont traditionnellement été transitoires, ils peuvent quand même persister et s’accumuler. Ensuite, lorsque l’économie est déjà en surchauffe, les perturbations de l’offre peuvent avoir un effet démesuré sur l’inflation.
Alors, que fait la Banque du Canada pour s’assurer que nous sommes prêts à faire face aux chocs d’offre qui accompagnent les perturbations du commerce? On investit dans les données et les analyses afin de mieux comprendre les chaînes d’approvisionnement, en particulier la dimension mondiale. On actualise nos modèles pour utiliser des scénarios lorsque les périodes d’incertitude rendent les prévisions centrales moins fiables. Et on utilise davantage de microdonnées pour surveiller et comprendre les conséquences de la politique commerciale et industrielle.
Mais même avec une meilleure compréhension et une meilleure information, les perturbations du commerce pourraient se traduire par des écarts plus importants de l’inflation par rapport à la cible de 2 %. Les chocs d’offre placent les banques centrales devant un arbitrage difficile, puisque la politique monétaire ne peut pas stabiliser en même temps la croissance et l’inflation. On doit donc se concentrer sur la gestion des risques, en équilibrant les risques à la hausse pour l’inflation et les risques à la baisse pour la croissance économique.
Plus important encore, on doit éviter d’ajouter de l’incertitude à un environnement déjà incertain. Cela signifie qu’il faut veiller à maintenir l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible, même à l’heure où le commerce international est en train d’être restructuré, remanié et réorienté.
Merci.
Je tiens à remercier Patrick Alexander, Daniel de Munnik, Jessica Lee, Olena Senyuta et Ben Tomlin de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.
Notes
- 1. Voir S. Aiyar, J. Chen, C. H. Ebeke, R. Garcia-Saltos, T. Gudmundsson, A. Ilyina, A. Kangur, T. Kunaratskul, S. L. Rodriguez, M. Ruta, T. Schulze, G. Soderberg et J. P. Trevino, « Geoeconomic Fragmentation and the Future of Multilateralism », Staff Discussion Notes, no 2023/001, Fonds monétaire international (janvier 2023).[←]
- 2. Voir Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, « Rapport sur le commerce et le développement 2023 – Croissance, dette et climat : Réaligner l’architecture financière mondiale » (2024).[←]
- 3. Voir Agence internationale de l’énergie, « Electric Vehicles » (6 juin 2024).[←]
- 4. Voir L. Alfaro et D. Chor, « Global Supply Chains: The Looming ‘Great Reallocation’ », document préparé pour le colloque sur la politique économique intitulé Structural Shifts in the Global Economy, organisé par la Banque fédérale de réserve de Kansas City, à Jackson Hole au Wyoming (du 24 au 26 août 2023).[←]
- 5. Voir H. Qiu, H. S. Shin et L. S. Y. Zhang, « Mapping the realignment of global value chains », BIS Bulletin, no 78, Banque des Règlements Internationaux (3 octobre 2023).[←]
- 6. Il s’agit d’estimations des coûts à long terme. Voir G. Gopinath, « Geopolitics and its Impact on Global Trade and the Dollar », discours prononcé au Stanford Institute for Economic Policy Research, Stanford, Californie (7 mai 2024), et Aiyar et autres (2023).[←]
- 7. Voir Aiyar et autres (2023).[←]
- 8. L’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) est un accord de libre-échange en vigueur entre le Canada et dix autres pays de la région de l’Indo-Pacifique : l’Australie, le Brunéi, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. Le 16 juillet 2023, les parties au PTPGP ont signé un protocole d’adhésion avec le Royaume-Uni. L’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne est un accord bilatéral entre le Canada et l’Union européenne. Il couvre la quasi-totalité des secteurs et des aspects du commerce bilatéral et vise à éliminer ou à réduire les barrières.[←]
Information connexe
Discours : Chambre de commerce Canada–Royaume-Uni
Le commerce international du point de vue du Canada — Le gouverneur Tiff Macklem, prononce un discours devant la Chambre de commerce Canada–Royaume-Uni (vers 8 h 25, heure de l’Est).
Point de presse : Chambre de commerce Canada–Royaume-Uni
Le commerce international du point de vue du Canada — Le gouverneur Tiff Macklem répond aux questions des journalistes après avoir prononcé un discours (vers 9 h 30, heure de l’Est).