Bonjour. Je tiens d’abord à remercier l’Institute of International Finance et l’Association des banquiers canadiens de m’avoir invité à participer à ce forum.
Votre thème de « la croissance en période d’incertitude » est bien choisi. Il semble en effet que l’incertitude est là pour de bon. Il y a notamment les incertitudes causées par les guerres en Europe et au Moyen-Orient. Il y a l’incertitude que font planer les tensions géopolitiques et la fragmentation économique, qui se répercute sur les chaînes d’approvisionnement, les relations commerciales et les risques d’investissement à l’échelle mondiale.
Les avancées technologiques fulgurantes, en particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle, y compris l’intelligence artificielle générative apparue récemment, perturbent les modèles d’affaires et créent de nouvelles incertitudes pour les entreprises et les personnes sur le marché du travail.
Il y a aussi l’incertitude entourant les effets des changements climatiques et les politiques mises en place pour s’y adapter et les atténuer.
Et c’est sans parler des incertitudes politique et budgétaire.
Comme le suggère le thème de ce forum, l’incertitude et la croissance économique ne font pas bon ménage : l’incertitude est un frein à la croissance.
Toutefois, avec des politiques éclairées, de bonnes décisions opérationnelles et une gestion solide des risques, nous pouvons gérer l’incertitude et réduire son incidence sur les ménages, les entreprises et la croissance. Le passé récent le montre bien.
Cela fait seize ans ce mois-ci que Lehman Brothers a fait faillite, jetant le doute sur la fiabilité des banques et paralysant ainsi l’ensemble du système financier. Aujourd’hui, le système financier mondial est beaucoup plus résilient, étant donné la mise en œuvre de grandes réformes à l’échelle mondiale visant à accroître les volants de fonds propres et de liquidités et à réduire le recours aux leviers.
Grâce au développement rapide de vaccins et à des politiques budgétaires et monétaires exceptionnelles, les incertitudes liées à notre santé et à celle de l’économie sont beaucoup moins grandes qu’au plus fort de la pandémie.
Les mesures de politique monétaire vigoureuses et le désengorgement des chaînes d’approvisionnement ont permis de réduire grandement l’incertitude entourant les coûts et l’inflation par rapport à il y a deux ans – lorsque l’inflation dépassait les 8 % au Canada et était encore plus élevée dans beaucoup d’autres pays.
Ces dernières semaines, j’ai donné des discours sur l’économie mondiale en évolution et sur les répercussions économiques et les risques liés aux avancées rapides de l’intelligence artificielle. Sur ces deux fronts, l’incertitude peut être atténuée au moyen de politiques avisées et de leadership opérationnel tourné vers le long terme.
En même temps, il faut reconnaître que l’avenir sera rempli de nouvelles incertitudes, et nous devons nous préparer aux inévitables chocs qui surviendront dans notre monde sujet aux turbulences. Ainsi, il est prioritaire de renforcer la gestion des risques et d’investir dans la résilience.
Une des fonctions clés des institutions financières est d’aider les ménages et les entreprises à gérer les risques auxquels ils font face. Elles sont aussi tenues de gérer prudemment les risques qui les concernent, afin de ne pas devenir elles-mêmes une source d’incertitude et d’instabilité.
En tant que banque centrale du Canada, nous avons un rôle à jouer pour atténuer et gérer les risques et les incertitudes. Notre principal mandat, c’est la stabilité des prix – autrement dit, une inflation basse, stable et prévisible. Nous avons aussi comme mandat de favoriser un système financier stable et d’assurer la fiabilité et l’efficacité des systèmes de paiement.
J’aimerais dire quelques mots sur la stabilité financière et les paiements, puis je conclurai par quelques observations sur la politique monétaire.
En matière de stabilité financière, nous nous concentrons sur les risques qui pourraient exercer des tensions sur l’ensemble du système. Les analyses à ce sujet sont publiées annuellement dans notre Rapport sur la stabilité financière (RSF)1.
Dans notre plus récent RSF, paru en mai, nous avons indiqué que les emprunteurs hypothécaires canadiens avaient connu une modeste hausse des tensions financières liées à leur dette. Depuis, nous avons observé que l’augmentation du nombre de prêts hypothécaires en souffrance s’était poursuivie, même s’il demeure en deçà des niveaux d’avant la pandémie. Il semble aussi que les ménages dans cette situation n’ont pas davantage recours au crédit renouvelable, sous la forme de marges ou de cartes de crédit, qu’avant la pandémie.
Cela dit, on observe une augmentation notable des tensions financières chez les emprunteurs sans prêt hypothécaire, principalement les locataires. Durant la pandémie, pour la plupart des produits de crédit, la proportion de ces emprunteurs en retard dans leurs paiements a touché des creux historiques. Toutefois, ils sont de plus en plus nombreux à avoir des paiements en souffrance sur une carte de crédit ou un prêt automobile. Au cours de la dernière année, on a vu se poursuivre l’augmentation de la proportion des emprunteurs sans prêt hypothécaire qui ont un solde impayé de carte de crédit atteignant au moins 90 % de la limite, et elle dépasse maintenant les niveaux habituels. C’est préoccupant.
Par ailleurs, nos responsabilités relatives aux paiements nous obligent à nous adapter à la numérisation croissante. L’innovation dans le domaine des paiements continue de s’accélérer.
Depuis 2021, la Banque assume une nouvelle fonction, soit la supervision des fournisseurs de services de paiement de détail. À compter du 1er novembre, plus de 3 000 fournisseurs de services de paiement devront s’enregistrer auprès de la Banque et suivre de nouvelles règles visant à protéger les consommateurs et l’intégrité des paiements de détail.
Nous gardons aussi un œil sur l’évolution des paiements au Canada et ailleurs dans le monde. Ainsi, dans les dernières années, nous avons constitué un vaste corpus de connaissances sur le cadre et la technologie qui viendraient sous-tendre une éventuelle monnaie numérique de banque centrale (MNBC), incluant les avantages et les risques.
Toutefois, reconnaissant qu’il n’existe actuellement aucun argument convaincant en faveur de la création d’une MNBC au Canada, la Banque réduit ses efforts en ce sens pour se concentrer plutôt sur la recherche et l’élaboration de politiques sur les systèmes de paiement, plus globalement. Elle continuera quand même à suivre les progrès mondiaux en matière de MNBC de détail, tout en veillant à demeurer prête pour garantir à la population un accès sans faille à une monnaie publique sûre.
Revenons maintenant sur le sujet de la politique monétaire.
En juin, nous avons commencé à abaisser le taux directeur. Nos trois dernières séances de délibération se sont conclues par des baisses de taux qui représentent une diminution cumulative de 75 points de base, ce qui a fait passer le taux à 4,25 %.
Notre plus récente décision, annoncée le 4 septembre, était le reflet de deux grandes considérations.
Premièrement, nous avons indiqué que l’inflation globale et l’inflation fondamentale avaient continué de diminuer comme prévu. Deuxièmement, nous avons mentionné que, avec l’inflation qui continuait de se rapprocher de la cible, il fallait que la croissance économique s’accélère pour absorber l’offre excédentaire dans l’économie.
Depuis, nous avons été satisfaits de voir l’inflation retourner jusqu’à la cible de 2 %. Il a fallu du temps pour y parvenir. Nous voulons désormais la maintenir près du centre de notre fourchette de maîtrise de l’inflation, qui va de 1 à 3 %. Nous sommes arrivés à bon port, nous devons maintenant jeter l’ancre.
Qu’est-ce que cela signifie pour les taux d’intérêt? Compte tenu des progrès qui se poursuivent du côté de l’inflation, il est raisonnable de s’attendre à d’autres baisses du taux directeur. Le moment et le rythme de celles-ci seront déterminés par les plus récentes données et notre évaluation de leurs répercussions sur l’évolution de l’inflation.
Comme toujours, nous nous efforçons d’être aussi transparents que possible relativement à ce que nous surveillons pour définir la trajectoire de la politique monétaire.
La croissance économique s’est accélérée durant la première moitié de l’année et nous voulons la voir se raffermir encore plus pour que l’inflation reste proche de la cible de 2 %. Certains indicateurs donnent à penser que la croissance n’est peut-être pas aussi forte que nous nous y attendions. Nous observerons donc de près les dépenses de consommation ainsi que les embauches et les investissements des entreprises.
Nous voulons aussi voir une diminution continue de l’inflation fondamentale, qui demeure encore un peu au-dessus de 2 %. La hausse des frais de logement reste élevée, mais a commencé à ralentir – une tendance que nous voulons voir se poursuivre.
Notre prochaine décision sera annoncée le 23 octobre. Et nous publierons des perspectives économiques à jour au même moment.
Sur ce, place à la discussion.
Je tiens à remercier Russell Barnett, Claudia Godbout et Brian Peterson de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de cette allocution.