Introduction
Le secteur mondial de l’intermédiation financière non bancaire (IFNB) a connu une vive croissance depuis la crise financière mondiale de 2008-2009. C’est ce qui a poussé le Conseil de stabilité financière (CSF) à créer le Non-bank Monitoring Experts Group, un groupe qui a pour mandat de recueillir tous les ans des données auprès de 29 pays et de produire le Global Monitoring Report on Non-Bank Financial Intermediation (GMR) (Conseil de stabilité financière, 2023). Le GMR fait état de la croissance du secteur de l’IFNB et des principaux sous-secteurs de chaque pays.
Dans le cadre de cet exercice, la Banque du Canada travaille en étroite collaboration avec Statistique Canada, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et le Bureau du surintendant des institutions financières pour compiler les données canadiennes qui serviront au GMR.
Nous fournissons ici des observations tirées des données de 2002 à 2022 recueillies par la Banque et soumises au CSF dans le cadre du GMR. Bien que nous remettions certains faits récents en contexte, nous ne présentons pas l’évaluation globale de la Banque concernant les vulnérabilités relatives aux intermédiaires financiers non bancaires canadiens ou l’activité générale dans les marchés financiers essentiels. C’est dans le Rapport sur la stabilité financière – 2024 (Banque du Canada, 2024) que se trouve la dernière évaluation des vulnérabilités du secteur de l’IFNB.
Principales observations tirées des données
- Les actifs d’IFNB au Canada ont reculé de 4,3 % en 2022 pour s’établir à 12,1 billions de dollars, ce qui constitue :
- la plus importante baisse annuelle depuis que la Banque a commencé à suivre les actifs d’IFNB en 2002
- le premier repli des actifs depuis 2011
- La part des actifs d’IFNB dans le système financier canadien est passée de 62,9 % à 60,5 % – son plus bas depuis 2011. On attribue cette baisse :
- au recul des actifs d’IFNB
- à l’augmentation de 8,5 % des actifs des institutions de dépôt
- Les actifs de la mesure étroite de l’IFNB, composée d’entités qui exercent des activités de nature bancaire, ont diminué de 9,1 %. Notons qu’environ 80 % de cette mesure est constituée de fonds d’investissement qui investissent dans des produits de crédit. Leurs actifs ont reculé de 11,8 % en raison de la dévaluation de ces produits.
Définitions de l’intermédiation financière non bancaire
Nous caractérisons les intermédiaires financiers non bancaires selon les définitions du GMR (figure 1) (Conseil de stabilité financière, 2023, p. 3). Le secteur de l’IFNB se compose de toutes les entités financières non bancaires qui se livrent à une quelconque forme d’intermédiation financière. Notons par exemple les caisses de retraite, les compagnies d’assurance et les auxiliaires financiers, en plus de nombreux autres intermédiaires appelés collectivement « autres intermédiaires financiers ».
Figure 1 : Les entités du secteur de l’IFNB sont notamment les compagnies d’assurance, les caisses de retraite, les auxiliaires financiers, ainsi que d’autres intermédiaires financiers
Figure 1 : Les entités du secteur de l’IFNB sont notamment les compagnies d’assurance, les caisses de retraite, les auxiliaires financiers, ainsi que d’autres intermédiaires financiers
Nota : Le CSF établit des catégories d’entités financières. L’annexe présente la définition de chaque type d’entité.
Certains intermédiaires financiers non bancaires exercent des activités de nature bancaire qui se caractérisent par un important degré de transformation :
- des échéances
- de la liquidité
- du crédit
Les entités qui se livrent à ces activités relèvent de ce que le CSF définit comme la « mesure étroite de l’IFNB » (figure 2). Elles représentent souvent une solution de rechange utile au système bancaire traditionnel, car elles :
- favorisent l’innovation
- encouragent la concurrence
- répondent aux besoins mal satisfaits de certains segments de marché
- contribuent à l’efficience du système financier
Cela dit, ces activités sont souvent associées au levier financier et peuvent être un important canal de propagation des risques au sein du système financier.
Figure 2 : La mesure étroite des institutions financières non bancaires suit l’évolution des entités qui exercent des activités de nature bancaire
Figure 2 : La mesure étroite des institutions financières non bancaires suit l’évolution des entités qui exercent des activités de nature bancaire
Nota : Les catégories de la mesure étroite sont établies par le CSF. Les entités incluses dans cette mesure participent généralement à des activités qui se caractérisent par un important degré de transformation des échéances, de la liquidité et du crédit. L’annexe présente la définition de chaque catégorie de la mesure étroite.
Évolution du système financier canadien et du secteur de l’IFNB
La valeur des actifs du système financier canadien est passée de 20,2 à 20,1 billions de dollars entre la fin de 2021 et celle de 2022. Il s’agit de la première baisse en 20 ans, qu’on attribue à la chute des prix des actifs.
Les prix obligataires mondiaux ont fléchi en 2022, sous l’effet du resserrement de la politique monétaire par les grandes banques centrales pour maîtriser l’inflation mondiale. Les marchés obligataires canadiens n’ont pas fait exception : le rendement des obligations du gouvernement canadien à 10 ans a augmenté, passant de 1,4 % à la fin de 2021 à 3,3 % à la fin de 2022 (Bloomberg Finance L.P., 2024).
De nombreux autres actifs – notamment les actions canadiennes – ont chuté en réaction au ralentissement attendu de la croissance, attribuable en partie au resserrement de la politique monétaire.
Il en a résulté une baisse de 0,5 % de la valeur totale des actifs du système financier canadien – la seule baisse enregistrée depuis la mise en place du suivi en 2002 (graphique 1).
Graphique 1 : En 2022, la valeur totale des actifs du système financier canadien a diminué pour la première fois en plus de 20 ans
Les actifs des institutions de dépôt, pour la plupart des banques commerciales et des coopératives de crédit, ont augmenté de 8,5 % entre la fin de 2021 et la fin de 2022. Cela s’explique en grande partie par une hausse des prêts, de l’ordre de 11,3 % pour les banques. Les prêts forment aujourd’hui 55,2 % de leur actif total (Bureau du surintendant des institutions financières, 2024).
Parallèlement, les actifs de l’IFNB ont baissé de 4,3 %. Ainsi, la part de l’IFNB dans le total des actifs du système financier a enregistré son plus important recul d’une année à l’autre, passant de 62,9 % à 60,5 %.
La baisse des actifs de l’IFNB en 2022 provient essentiellement des pertes de placement dans la catégorie des autres intermédiaires financiers. Le graphique 2 montre la croissance et la composition des actifs détenus par ces entités. Leurs actifs ont diminué de 4,7 % en 2022, surtout en raison de la baisse des actifs des fonds communs de placement.
Graphique 2 : Les actifs détenus par les autres intermédiaires financiers ont diminué en 2022, en grande partie sous l’effet des autres fonds d’investissement
Suivi des changements dans la mesure étroite de l’IFNB
Les actifs détenus par les intermédiaires financiers non bancaires inclus dans la mesure étroite ont diminué de 9,1 % entre la fin de 2021 et la fin de 2022 (graphique 3). Cette baisse est entièrement attribuable aux fonds d’investissement qui investissent dans des produits de crédit : leurs actifs ont chuté de 11,8 % d’une année à l’autre, et ces fonds d’investissement constituent la vaste majorité – soit environ 80 % – de la mesure étroite de l’IFNB. Notons que le recul de ces actifs tient :
- à leur dévaluation (87 %)
- aux retraits des investisseurs (13 %)
Graphique 3 : Les actifs détenus par les entités incluses dans la mesure étroite des intermédiaires financiers non bancaires ont diminué en 2022
Le graphique 4 montre qu’au sein des fonds d’investissement qui investissent dans des produits de crédit, les pertes les plus importantes se sont produites dans :
- les fonds communs de placement à revenu fixe (-12,3 %)
- les fonds communs de placement multiactifs (-15,1 %)
Les actifs des fonds spéculatifs axés sur le crédit et des fonds en gestion commune axés sur le crédit ont connu une baisse moins prononcée.
Graphique 4 : Les fonds communs de placement multiactifs et à revenu fixe sont en grande partie responsables des pertes des fonds d’investissement en 2022
Par volume d’actifs, les sociétés financières se classent au deuxième rang de la mesure étroite et représentent 13,8 % du total. Leurs actifs ont augmenté de 6,3 % en 2022 (graphique 5) (Statistique Canada, 2024).
Graphique 5 : Les actifs des sociétés de financières ont augmenté de 6,3 % en 2022
Conclusion
En 2022, les actifs du secteur canadien de l’IFNB ont baissé de 4,3 % – le plus important recul, en pourcentage, depuis que la Banque a commencé à suivre leur évolution en 2002. Cette baisse tient en grande partie à la dévaluation des actifs dans un large éventail de marchés, sous l’impulsion de nombreux facteurs, dont la hausse des taux d’intérêt. La part des actifs d’IFNB dans le système financier canadien a par le fait même chuté, passant à 60,5 % (son plus bas niveau depuis 2002). Toujours en 2022, les actifs inclus dans la mesure étroite de l’IFNB ont reculé de 8,9 %. Cette baisse est entièrement attribuable aux fonds d’investissement qui investissent dans des produits de crédit, leurs actifs ayant diminué de 11,8 % d’une année à l’autre.
Annexe
Catégorie | Définition |
---|---|
institutions de dépôt | Entités (p. ex., banques commerciales ou coopératives de crédit) qui mobilisent des fonds par voie de dépôts et d’instruments équivalents |
institutions financières publiques | Entreprises publiques dont l’activité principale consiste à offrir des services financiers |
auxiliaires financiers | Sociétés qui, sans servir d’intermédiaire, exercent avant tout des activités étroitement liées à l’intermédiation financière |
compagnies d’assurance | Compagnies d’assurance vie, fonds distincts de compagnies d’assurance vie et compagnies d’assurance de dommages |
caisses de retraite | Caisse dans laquelle sont détenues des cotisations gérées par un fiduciaire qui s’est engagé à :
|
fonds du marché monétaire | Fonds communs de placement qui investissent dans des instruments du marché monétaire |
fonds spéculatifs | Fonds d’investissement dispensés de l’obligation de prospectus et soumis à moins de restrictions sur les placements que les autres fonds; offerts seulement à un groupe restreint d’investisseurs |
autres fonds d’investissement | Fonds communs de placement, fonds négociés en bourse et tous les autres fonds d’investissement n’entrant pas dans les catégories suivantes : fonds du marché monétaire, fonds spéculatifs, fiducies de placement immobilier ou fonds immobiliers |
fiducies de placement immobilier et fonds immobiliers | Fonds qui investissent dans des biens immeubles et en sont propriétaires, et fonds qui n’investissent pas dans l’immobilier physique, mais qui génèrent des revenus en détenant parmi leurs investissements des titres de créance adossés à des biens immobiliers (p. ex., prêts ou titres hypothécaires) |
sociétés financières | Institutions n’acceptant pas de dépôts qui se livrent au financement des ventes, aux prêts directs aux particuliers et à d’autres formes d’intermédiation du crédit à la consommation |
maisons de courtage | Sociétés qui achètent ou vendent des titres pour leur propre compte ou pour le compte de leurs clients |
véhicules de financement structuré | Portefeuilles d’actifs regroupés et vendus à des investisseurs sous forme de titres (p. ex., titres adossés à des actifs et titres garantis par des créances) |
contreparties centrales | Institutions qui ont pour rôle de compenser et de régler des transactions entre contreparties financières |
institutions financières captives et prêteurs d’argent | Filiales en propriété exclusive de sociétés non financières qui fournissent des prêts et d’autres services financiers aux clients de ces sociétés |
autres | Toute société financière spécialisée ou tout autre intermédiaire financier n’entrant pas dans une autre catégorie |
Catégorie | Entités/activités | Caractéristiques |
---|---|---|
fonds d’investissement qui investissent dans des produits de crédit |
|
Ces fonds participent à la transformation de la liquidité et des échéances en achetant des actifs moins liquides assortis d’échéances éloignées, tout en permettant un encaissement par anticipation moyennant un court préavis. |
sociétés financières |
|
Aussi appelées prêteurs privés, ces entités :
|
maisons de courtage non bancaires | courtiers en valeurs mobilières indépendants non affiliés à une institution de dépôt assujettie à la réglementation prudentielle | Ces courtiers financent en général leurs activités sur le marché de gros et peuvent avoir recours à un levier financier important. |
assureurs hypothécaires privés | entités privées qui assurent ou garantissent des prêts hypothécaires par souscription d’assurance | Ces assureurs facilitent la transformation du crédit, ce qui peut contribuer à des pratiques insuffisantes en matière de gestion des risques. |
véhicules de financement structuré |
|
Cette titrisation favorise une chaîne d’intermédiation du crédit et peut inclure un important degré de transformation de la liquidité et des échéances. |
Références
Banque du Canada. 2024. « Rapport sur la stabilité financière – 2024 ».
Bloomberg Finance L.P. 2024. « Canada 10-Year Index ». Graphique linéaire couvrant la période du 12/31/2021 au 12/31/2022. Terminal Bloomberg. Consulté le 1er mai 2024.
Bureau du surintendant des institutions financières. 2024. «ؘ Données financières des banques ». Dernière modification le 18 janvier 2024.
Conseil de stabilité financière. 2023. « Global Monitoring Report on Non-Bank Financial Intermediation: 2023 ».
Statistique Canada. 2024. « Intermédiation financière non bancaire, 2007 à 2022 ». Le Quotidien, février.
Remerciements
Nous remercions Statistique Canada, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et le Bureau du surintendant des institutions financières pour leur expertise et leur apport.
Avis d’exonération de responsabilité
Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.
DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-15