Introduction

Les sociétés d’assurance vie, comme beaucoup de gestionnaires d’actifs, ont recours aux marchés des titres à revenu fixe pour mettre en œuvre leurs stratégies de placement. Un des principaux avantages des marchés des titres à revenu fixe est la liquidité. Dans un marché liquide, les participants peuvent effectuer rapidement des transactions aux prix en vigueur. Ainsi, les gestionnaires d’actifs peuvent utiliser des titres comme garantie ou les vendre pour gérer les risques liés à leurs obligations à court terme (sorties d’argent ou appels de marge), ce qu’on appelle le « risque de liquidité »1.

Toutefois, lorsque de nombreux participants au marché cherchent à obtenir des liquidités en même temps, il peut arriver que les intermédiaires, comme les courtiers affiliés aux banques, n’aient pas la capacité ou la volonté de répondre à cette demande effrénée. Les participants au marché et les décideurs sont davantage préoccupés par ce risque depuis l’épisode de tensions extrêmes sur les marchés connu en mars 2020, au début de la pandémie de COVID‑192. À ce moment-là, les banques centrales du monde entier sont intervenues pour rétablir la liquidité des marchés, notamment en offrant des facilités de prêt d’urgence à un large éventail de participants au marché3.

Comprendre le comportement potentiel des participants au marché lors de tels épisodes peut aider les banques centrales dans l’élaboration de leurs politiques. La Banque du Canada a donc entrepris d’approfondir sa compréhension de la façon dont divers types de participants au marché gèrent leur risque de liquidité, et des répercussions possibles de leurs actions sur les marchés des titres à revenu fixe. Ces travaux comprennent l’analyse des fonds communs de placement, des fonds de couverture et des fonds de pension4.

Nous avons mené deux séries d’entrevues auprès de représentants de quatre des plus grandes sociétés d’assurance vie au Canada. Nous avons aussi analysé plusieurs sources de données pour mieux comprendre comment le modèle d’affaires des sociétés d’assurance vie donne lieu à des risques de liquidité, et comment celles-ci gèrent ces risques5. Voici les trois sources de données utilisées :

  • les comptes du bilan national publiés par Statistique Canada, qui incluent de l’information sur le bilan agrégé de l’ensemble des sociétés d’assurance vie canadiennes
  • les rendements des placements des sociétés d’assurance vie selon le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), qui incluent des renseignements détaillés sur les actifs et les positions sur produits dérivés des trois plus grandes sociétés d’assurance réglementées par le BSIF – Manuvie, Sun Life et Canada Vie
  • le Système d’établissement de relevés des opérations sur le marché de l’Organisme canadien de réglementation des investissements, qui contient de l’information détaillée fournie par les courtiers au sujet des opérations sur obligations canadiennes, y compris celles auxquelles sont parties les sociétés d’assurance vie

Par souci de clarté, il est indiqué dans chaque graphique que l’échantillon de sociétés d’assurance vie varie selon les sources de données.

Dans l’ensemble, nous constatons que les deux plus importants risques de liquidité que doivent gérer les sociétés d’assurance vie sont les sorties d’argent imprévues découlant du comportement des titulaires de police et les appels de marge sur les produits dérivés. Nous examinons les effets qu’ont eu sur les assureurs la crise de la COVID‑19 et la période de hausse des taux d’intérêt connue en 2022, qui servent d’étude de cas sur la gestion du risque de liquidité. Nous constatons que les deux types de risques de liquidité mentionnés ne se sont pas matérialisés de manière significative lors des deux périodes étudiées, ce qui a permis aux sociétés d’assurance vie de maintenir leur approche de placement habituelle, qui consiste à acheter des obligations de sociétés et des obligations provinciales à long terme. Ces achats représentent une importante source de financement pour les émetteurs d’obligations canadiennes, ce qui soutient la liquidité du marché et l’économie réelle.

Les sociétés d’assurance vie sont parmi les plus importants investisseurs institutionnels au Canada

Les sociétés d’assurance vie sont des entreprises qui, comme leur nom l’indique, se spécialisent dans l’assurance vie et les produits connexes. Ce secteur est composé d’un petit nombre de grandes sociétés qui gèrent individuellement des actifs d’une valeur comparable à ceux de grands fonds de pension canadiens. Les sociétés d’assurance vie comptent donc parmi les plus importants investisseurs institutionnels au Canada – les actifs financiers sous gestion liés à leurs secteurs d’activité canadiens totalisaient environ un billion de dollars au premier trimestre de 2023 (graphique 1). Une grande proportion de ces actifs sont des titres à revenu fixe, principalement des obligations (graphique 2)6. Par conséquent, les transactions des sociétés d’assurance vie peuvent atténuer ou exacerber les tensions sur la liquidité des marchés des titres à revenu fixe.

Graphique 1 : Les sociétés d'assurance vie sont parmis les plus importants investisseurs institutionnels au Canada

Les produits financiers vendus par les sociétés d’assurance vie se rangent habituellement dans deux catégories :

  • assurance vie
  • placements (rentes, fonds communs de placement, etc.)

Ces produits procurent des gains futurs à leurs titulaires, ce qui représente un passif pour les sociétés d’assurance vie. Pour honorer leurs obligations futures, elles placent l’argent qu’elles reçoivent de leur clientèle.

Dans l’ensemble, les sociétés d’assurance vie canadiennes gèrent des proportions à peu près égales d’actifs pour chaque type de produit. Les produits de placement sont souvent gérés dans des fonds distincts, et les risques de liquidité qu’ils posent viennent principalement des retraits des investisseurs. Les fonds communs de placement utilisent une approche semblable pour gérer ces risques, qui a déjà été analysée par la Banque auparavant7. Notre analyse se concentre donc sur les produits d’assurance vie, car ils présentent des risques de liquidité qui sont propres aux sociétés d’assurance vie.

Les sociétés d’assurance vie canadiennes utilisent les obligations et les produits dérivés pour apparier actifs et passifs

L’étude des risques inhérents au modèle d’affaires des sociétés d’assurance vie aide à comprendre les risques de liquidité auxquelles elles sont exposées et la façon dont elles les gèrent8. Un des principaux facteurs de risque lié à leur modèle est l’horizon à long terme des paiements liés aux contrats d’assurance vie. Pour estimer ces horizons, qui peuvent se compter en décennies, les assureurs utilisent la modélisation actuarielle de la longévité et de la morbidité des titulaires de polices. Cela signifie que les produits d’assurance vie ont une duration relativement élevée, ce qui veut dire qu’ils sont sensibles aux variations des taux d’intérêt. Ces caractéristiques peuvent engendrer un risque considérable pour les sociétés d’assurance vie si les actifs et les passifs réagissent différemment aux taux d’intérêt. Par exemple, une baisse des taux pourrait faire augmenter la valeur actuelle des passifs d’un assureur plus que celle de ses actifs, ce qui rendrait plus difficile le respect de ses obligations envers les titulaires de police.

Les sociétés d’assurance vie choisissent des actifs dont la duration et le degré de liquidité sont semblables à ceux de leurs passifs, de manière à couvrir les risques associés à ces derniers. Cette pratique, appelée gestion actif-passif, vise à immuniser les assureurs contre le risque de taux d’intérêt. Au Canada, elle aide aussi à satisfaire aux exigences de fonds propres réglementaires établies par le BSIF ou, pour les sociétés dont le siège social est situé au Québec, par l’Autorité des marchés financiers (AMF)9. Généralement, la gestion actif-passif apparie les actifs et les passifs d’un assureur à la duration moyenne qui leur est associée et à une fourchette de durations particulières, et ce, à des fins de protection contre les variations relatives des taux d’intérêt à court et à long terme. Cette pratique est appelée gestion de la duration du taux clé.

Les titres à revenu fixe sont tout indiqués pour l’approche de gestion actif-passif des sociétés d’assurance vie, car ils ont une duration élevée comme les produits d’assurance vie (graphique 2, figure a). Parmi ces titres, les sociétés d’assurance vie canadiennes détiennent principalement des obligations de sociétés et des obligations provinciales à long terme (graphique 2, figure b). Les primes payées régulièrement par les titulaires de police sont habituellement placées dans ces instruments le plus rapidement possible, ce qui fait des sociétés d’assurance vie une source stable de financement pour les émetteurs d’obligations. Les obligations provinciales et, dans une plus grande mesure, les obligations de sociétés sont moins liquides que les obligations du gouvernement du Canada, mais procurent de meilleurs rendements. Malgré la relative illiquidité de ces obligations, ces avoirs n’exposent pas les assureurs à un grand risque de liquidité, puisque leurs passifs sont aussi relativement illiquides, comme nous l’expliquons dans la section sur les risques de liquidité.

Les sociétés d’assurance vie investissent aussi dans des actifs à revenu fixe étrangers et des actifs d’autres catégories à duration élevée, comme les infrastructures, l’immobilier, les titres de dette privée et les actions de sociétés fermées. Ces actifs aident les assureurs à diversifier leur portefeuille et peuvent remplacer, dans une certaine mesure, les obligations provinciales et de sociétés canadiennes à duration élevée, dont l’offre peut être limitée (graphique 2, figure a). Ces autres actifs ont aussi tendance à offrir aux assureurs un rendement supérieur à celui des obligations.

Graphique 2 : Les actifs des sociétés d’assurance vie sont concentrés dans les titres à revenu fixe, dont la plupart sont des obligations de sociétés

Graphique 2 : Les actifs des sociétés d’assurance vie sont concentrés dans les titres à revenu fixe, dont la plupart sont des obligations de sociétés

Composition du total des actifs et des actifs à revenu fixe à la fin du premier trimestre de 2023

Nota : Ces chiffres comprennent la valeur de marché des succursales canadiennes des sociétés d’assurance vie, mais pas leurs fonds communs de placement.
Sources : Bureau du surintendant des institutions financières et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 2023T1

Les sociétés d’assurance vie utilisent aussi des produits dérivés pour couvrir leurs expositions aux risques. Ces expositions proviennent de deux sources principales :

  • le risque de taux d’intérêt résiduel
  • le risque lié aux placements

L’offre de titres et d’actifs d’autres catégories dont la duration est semblable à celle des produits d’assurance est souvent limitée. Cela tient notamment au fait qu’il est rare que les émetteurs d’obligations contractent de la dette publique dont l’échéance est de plus de 30 ans, tandis que certains passifs d’assurance ont un horizon temporel plus long. Les sociétés d’assurance vie utilisent donc des produits dérivés comme les swaps de taux d’intérêt et les contrats à terme sur obligations pour accroître la duration de leurs portefeuilles (graphique 3). Nous constatons que l’échéance moyenne de ces produits dérivés est généralement assez longue, soit entre 5 ans et un peu moins de 15 ans. Ainsi, le risque associé aux produits dérivés, en particulier ceux de taux d’intérêt, est habituellement semblable au risque lié aux obligations d’échéance similaire.

En plus de servir à accroître la duration du portefeuille, les produits dérivés se prêtent bien à l’ajustement rapide des asymétries entre la duration des actifs et celle des passifs, car ils sont relativement liquides et ne nécessitent pas de dépense initiale importante. Ces ajustements rapides peuvent être requis lorsque la valeur des actifs et celle des passifs réagissent différemment à une variation importante des taux d’intérêt ou à d’autres conditions économiques, causant un désalignement de leurs durations. C’est ce qu’on appelle le risque de convexité, que les investisseurs peuvent couvrir en utilisant certains produits dérivés comme les options de swap.

Les produits dérivés servent aussi à couvrir les risques non liés aux taux d’intérêt. Par exemple, le fait d’investir dans des actifs étrangers à des fins d’appariement aux passifs en dollars canadiens engendre un risque de change. Les sociétés d’assurance vie couvrent généralement ce risque en utilisant des swaps de devises ou des contrats de change à terme, qui représentent pour elles la deuxième plus importante catégorie de produits dérivés (graphique 3). Les investissements importants dans des obligations de sociétés exposent les sociétés d’assurance vie au risque de défaut. Cependant, les produits dérivés de crédit, qui procurent une protection contre le risque de défaut, représentent moins de 1 % de la valeur notionnelle des produits dérivés détenus par les assureurs.

Graphique 3 : Les sociétés d’assurance vie utilisent les produits dérivés pour couvrir les risques de taux d’intérêt et de change

Graphique 3 : Les sociétés d’assurance vie utilisent les produits dérivés pour couvrir les risques de taux d’intérêt et de change

Données trimestrielles

Nota : Ces chiffres comprennent les produits dérivés des succursales canadiennes des sociétés d’assurance vie, mais pas leurs fonds communs de placement.
Sources : Bureau du surintendant des institutions financières et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 2023T1

Les sociétés d’assurance vie sont confrontées à deux principaux risques de liquidité

Le modèle d’affaires et la stratégie de placement des sociétés d’assurance vie canadiennes donnent lieu à deux principaux risques de liquidité :

  • le comportement des titulaires de police, qui peut entraîner :
    • des rentrées de fonds moins importantes que prévu si un titulaire de police cesse de payer ses primes de façon temporaire ou permanente – ce qu’on appelle la déchéance
    • des sorties de fonds plus importantes que prévu si des contrats sont encaissés avant la date d’échéance – ce qu’on appelle le rachat
  • les exigences de marge associées à des produits dérivés qui peuvent faire augmenter les dépôts de liquidités ou de titres requis pour protéger une contrepartie contre des pertes potentielles en cas de défaut

Le comportement des titulaires de police peut engendrer un besoin de liquidités lorsque les finances des ménages sont sous tension en raison de la conjoncture économique. De manière générale, les titulaires de police ne peuvent pas opter pour la déchéance ou le rachat de leur police sans payer une pénalité. Les passifs des polices d’assurance vie peuvent donc être considérés comme relativement illiquides. Toutefois, si la conjoncture économique entraînait une hausse du chômage ou des pertes de revenu généralisées, les déchéances ou rachats qui en découleraient pourraient se traduire par des sorties de fonds massives, immédiates et imprévues pour les assureurs.

Les appels de marge sur les produits dérivés peuvent prendre une ampleur inattendue lorsque les facteurs de risque sous-jacents, comme les taux d’intérêt ou les taux de change, fluctuent de façon marquée ou que leur volatilité dépasse les niveaux historiques. Les sociétés d’assurance vie ont habituellement des positions sur des produits dérivés de taux d’intérêt et de change, de telle sorte qu’une montée des taux d’intérêt coïncidant avec un affaiblissement du dollar canadien se traduirait par une hausse des exigences de marge.

Les sociétés d’assurance vie utilisent des ratios de liquidité à court terme pour gérer les risques

Lors de nos entrevues, les sociétés d’assurance vie canadiennes nous ont dit qu’elles gèrent les risques de liquidité en détenant un coussin leur permettant de faire face aux retraits de liquidité imprévus. Les assureurs utilisent souvent un ratio de liquidité à court terme pour estimer quelle devrait être l’ampleur de ce coussin, à l’image du cadre utilisé par les banques, les fonds de pension et d’autres gestionnaires d’actifs. Un ratio de liquidité à court terme compare la valeur du coussin et la valeur totale des retraits de liquidité prévus et possibles dans un contexte de tensions au cours d’une période donnée. Le ratio de liquidité à court terme est une exigence réglementaire pour les banques, mais pas pour les sociétés d’assurance. Les paramètres peuvent donc varier d’une société à l’autre. Par exemple, certaines sociétés pourraient utiliser un ratio de liquidité à court terme se fondant sur les périodes de tensions passées pour se préparer aux besoins de liquidité imprévus. D’autres pourraient adopter une approche plus large qui intègre les besoins de liquidité attendus, comme les flux de trésorerie opérationnels. Il se peut aussi que les sociétés utilisent des définitions différentes de ce qui constitue un actif liquide de haute qualité. Un ratio de liquidité à court terme typique peut être représenté comme suit :

\(\displaylines{ratio\ de\ liquidité \\ à\ court\ terme}\) \(\displaystyle=\, \frac{liquidités + actifs\ liquides\ de\ haute\ qualité + autres\ sources\ de\ liquidité} {rachats + appels\ de\ marge+autres\ sorties\ de\ fonds\ potentielles}\)

Dans cette formule, les « autres sources de liquidité » dans le numérateur peuvent comprendre des actifs relativement illiquides ou volatils assujettis à une décote appropriée, des marges de crédit confirmées auprès de banques et les paiements attendus des titulaires de police au cours de la période visée par le ratio de liquidité à court terme. Par conséquent, les déchéances des titulaires de police ont une incidence sur le numérateur, puisqu’elles réduisent les paiements attendus. Dans le dénominateur, les « autres sorties de fonds potentielles » peuvent comprendre les demandes de règlement d’assurance vie, les paiements requis pour les dettes arrivant à échéance et les fonds propres nécessaires pour des actifs privés. Comme pour les autres sources de liquidité, ces entrées et sorties de fonds peuvent varier d’une société d’assurance à l’autre.

Les sociétés d’assurance vie cherchent à ce que leurs ratios de liquidité à court terme demeurent toujours nettement supérieurs à un, et ce, afin d’être en mesure de faire face à d’importants retraits de liquidité. Les actifs qui constituent le coussin peuvent varier d’un assureur à l’autre, mais celui-ci est généralement composé de liquidités et de titres relativement liquides comme des obligations et des bons du Trésor provinciaux et du gouvernement du Canada, qui représentent environ 20 % des actifs financiers des assureurs (graphique 4).

Graphique 4 : Les actifs liquides des plus importantes sociétés d'assurance vie sont demeurés relativement stables sur une longue période

Les réponses des sociétés sondées indiquent que les assureurs se basent habituellement sur des hypothèses prudentes pour étalonner leurs ratios de liquidité à court terme. Voici quelques paramètres souvent utilisés pour établir des projections concernant les sorties de fonds potentielles :

  • de multiples horizons, comme 10 jours, 30 jours ou plus
  • des observations tirées des périodes de tensions passées
  • des chocs hypothétiques majeurs touchant les taux d’intérêt, les écarts de crédit et le taux de mortalité des titulaires de police

On présume habituellement que les corrélations entre les facteurs de tarification, comme les taux d’intérêt et les taux de change, produiront les pires résultats en dépit de toute tendance historique d’atténuation des retraits de liquidité. De plus, les sociétés d’assurance vie formulent des hypothèses sur la décote appropriée à appliquer à la valeur d’un actif pour tenir compte du fait que les prix peuvent être moindres en périodes de tensions. Par exemple, elles présument que la valeur des obligations provinciales baissera davantage que celle des obligations du gouvernement du Canada durant ces périodes.

Les sociétés d’assurance vie ont continué d’acheter des obligations durant les périodes de tensions récentes

La crise de la COVID‑19 en 2020 et la période de hausse des taux d’intérêt en 2022 servent d’études de cas pour mieux comprendre comment les sociétés d’assurance vie ont géré leurs deux principaux risques de liquidité. Le nombre de déchéances et de rachats aurait pu être anormalement élevé durant la crise de la COVID‑19 en raison des confinements généralisés, qui ont causé des pertes d’emplois et de revenu pour des millions de gens au pays. Les exigences de marge applicables aux positions sur produits dérivés des assureurs auraient également pu être plus élevées à cause de la volatilité des marchés financiers durant la crise de la COVID‑19 et, par la suite, à cause des hausses de taux d’intérêt en 2022.

Les sociétés d’assurance vie auxquelles nous avons parlé ont indiqué ne pas avoir connu une importante quantité de déchéances ou de rachats de la part des titulaires de police durant la crise de la COVID‑19. Néanmoins, elles ont renforcé la surveillance de leurs positions de liquidité et mis à l’épreuve leur capacité à résister à une augmentation potentielle des déchéances, des rachats et des paiements d’indemnités. Elles ont aussi modélisé de façon approfondie les variations des taux de mortalité causées par la pandémie pour se préparer à une augmentation potentielle des paiements d’indemnités; cela dit, ces variations ne se sont pas traduites par des retraits significatifs de liquidités.

Durant la crise de la COVID‑19, le montant total des exigences de marge pour les trois plus grandes sociétés d’assurance vie canadiennes n’était pas exceptionnellement élevé étant donné l’effet compensatoire des marges sur les produits dérivés de taux d’intérêt et de change (graphique 5).

Graphique 5 : Compensation de la valeur de marché des produits dérivés de taux d’intérêt et de change durant la crise de la COVID-19

La valeur de marché reflète les gains et les pertes réalisés sur les contrats de produits dérivés en raison de l’évolution de leurs facteurs de prix sous-jacents, et elle sert d’indicateur de l’ampleur et du sens des exigences de marge. L’évolution en sens inverse des valeurs de marché observée au premier trimestre de 2020 – au plus fort de la crise de la COVID‑19 – était attribuable à la baisse des taux d’intérêt et à l’appréciation du dollar américain, qui sont des mouvements typiques de ces marchés en périodes de turbulences. Au cours du premier trimestre de 2020, les trois plus grandes sociétés d’assurance vie canadiennes ont reçu des marges sur les produits dérivés de taux d’intérêt, la valeur de marché de ces produits ayant augmenté de 1,5 milliard de dollars. Cela a aidé à compenser les marges à fournir sur les produits dérivés de change, dont la valeur de marché avait reculé de 3 milliards de dollars.

Comme les risques de liquidité ne se sont pas matérialisés au sommet de la crise, les sociétés d’assurance vie ont continué d’acheter des obligations provinciales et de sociétés à long terme. Pour ce faire, elles ont rééquilibré leur portefeuille en vendant des obligations du gouvernement du Canada à court et à moyen terme et en utilisant les rentrées de fonds régulières provenant du paiement des primes d’assurance vie.

Nous constatons que les sociétés d’assurance vie ont vendu près de 2 milliards de dollars d’obligations du gouvernement du Canada et acheté environ 5 milliards de dollars d’obligations provinciales et de sociétés (graphique 6, figure a). Elles ont vendu des obligations dans les segments de 2 et 5 ans, et acheté des obligations dans les segments de 10 et 30 ans (graphique  6, figure b).

Cette activité a procuré des liquidités aux vendeurs et aux émetteurs d’obligations à un moment où la demande de liquidités était élevée10. Elle a aussi accentué les ventes globales d’obligations du gouvernement du Canada durant la crise de la COVID‑19, où les marchés étaient sous tension. Toutefois, l’effet sur le niveau de liquidité du marché a probablement été limité, puisqu’environ 80 % des ventes d’obligations du gouvernement du Canada par les assureurs ont eu lieu entre le 18 février et le 6 mars, soit durant les trois semaines ayant précédé le moment où l’illiquidité du marché était à son comble11.

Graphique 6 : Les sociétés d’assurance vie ont continué d’acheter des obligations au plus fort de la crise de la COVID-19

Graphique 6 : Les sociétés d’assurance vie ont continué d’acheter des obligations au plus fort de la crise de la COVID-19

Achats cumulatifs nets, données quotidiennes

Nota : On entend par « Obligations à 30 ans » toute obligation dont l’échéance est supérieure à 10 ans. Les données portent sur toutes les sociétés d’assurance vie canadiennes et les titres canadiens seulement.
Sources : Système d’établissement de relevés des opérations sur le marché et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 30 avril 2020

De même, les trois plus grandes sociétés d’assurance vie canadiennes ont fait des achats nets de 3,3 milliards de dollars d’obligations sur le marché secondaire durant la première moitié de 2022, alors que les taux d’intérêt augmentaient. Cela s’est produit malgré l’absence d’effet compensatoire des exigences de marge associées aux produits dérivés de taux d’intérêt et de change. Au cours de cette période, la valeur de marché des produits dérivés détenus par ces sociétés d’assurance vie a diminué de 4,5 milliards de dollars (graphique 7). Néanmoins, les exigences de marge plus grandes n’ont pas nui à leur capacité d’acheter des obligations sur le marché secondaire. Cela s’explique peut-être par le fait que les hausses de taux d’intérêt se sont faites de manière graduelle et relativement prévisible, permettant aux assureurs de se préparer à répondre aux besoins de liquidité sans perturber leurs habitudes en ce qui a trait au placement des paiements des titulaires de police.

Graphique 7 : Les achats d’obligations des sociétés d’assurance vie sont demeurés stables durant la période de hausse des taux d’intérêt

Conclusion

Durant la crise de la COVID‑19, les sociétés d’assurance vie achetaient des obligations, tandis que les autres gestionnaires d’actifs, de manière générale, en vendaient. De plus, la période de hausse des taux d’intérêt en 2022 n’a pas eu de grande incidence sur les habitudes de placement des sociétés d’assurance vie, qui consistent à acheter régulièrement des obligations. Ce comportement pourrait changer sous différentes conditions de marché, mais ces constatations aident à comprendre la nature et la gravité des périodes passées de turbulence des marchés auxquelles les sociétés d’assurance vie ont été en mesure de faire face. Ce travail approfondit la compréhension qu’a la Banque des tensions sur les marchés et de la façon dont les différents participants au marché réagissent durant ces périodes. Ces connaissances, combinées à celles que la Banque a déjà recueillies sur d’autres gestionnaires d’actifs, peuvent aiguiller la conception des politiques et des mécanismes de la Banque.

  1. 1. Pour en savoir plus sur la gestion de la liquidité des fonds de pension, voir G. Bédard-Pagé, D. Bolduc-Zuluaga, A. Demers, J.-P. Dion, M. Pandey, L. Berger-Soucy et A. Walton, « COVID‑19 crisis: Liquidity management at Canada’s largest public pension funds », note analytique du personnel 2021-11 de la Banque du Canada (mai 2021).[]
  2. 2. Pour une description approfondie de la crise de la COVID‑19 au Canada, voir J.-S. Fontaine, C. Garriott, J. Johal, J. Lee et A. Uthemann, « COVID‑19 Crisis: Lessons Learned for Future Policy Research », document d’analyse du personnel 2021-2 de la Banque du Canada (février 2021).[]
  3. 3. Pour un résumé des mécanismes de soutien à la liquidité offerts par la Banque du Canada durant la crise de la COVID‑19, voir G. Johnson, « A Review of the Bank of Canada’s Market Operations related to COVID‑19 », document d’analyse du personnel 2023-6 de la Banque du Canada (mars 2023).[]
  4. 4. Parmi les travaux récents de la Banque du Canada sur les gestionnaires d’actifs, notons J. Sandhu et R. Vala, « Les fonds de couverture soutiennent-ils la liquidité du marché des obligations du gouvernement du Canada? », note analytique du personnel 2023-11 de la Banque du Canada (août 2023) et G. Ouellet Leblanc et R. Shotlander, « Ce que la pandémie nous a appris sur la résilience des fonds obligataires », note analytique du personnel 2020-18 de la Banque du Canada (août 2020).[]
  5. 5. Nous remercions Manuvie, Sun Life, Canada Vie et Industrielle Alliance pour leur généreuse collaboration.[]
  6. 6. Cela exclut les actifs gérés au nom de leurs clients, comme les fonds communs de placement.[]
  7. 7. Pour en savoir plus sur la façon dont les fonds communs de placement gèrent leurs liquidités, voir G. Ouellet Leblanc et R. Arora, « How do Canadian Corporate Bond Mutual Funds Meet Investor Redemptions? », note analytique du personnel 2018-14 de la Banque du Canada (mai 2018).[]
  8. 8. Cette description est axée sur des considérations économiques, mais les questions comptables et réglementaires peuvent aussi influer sur les stratégies de placement des sociétés d’assurance vie.[]
  9. 9. Le BSIF et l’AMF imposent des exigences de fonds propres harmonisées afin d’assurer la solvabilité des sociétés d’assurance vie. Les assureurs régis par le BSIF doivent satisfaire aux exigences du Test de suffisance du capital des sociétés d’assurance vie. Les assureurs régis par l’AMF doivent satisfaire aux exigences de suffisance du capital applicables à l’assurance de personnes.[]
  10. 10. Pour en savoir plus, voir Banque du Canada, « Liquidité des marchés des titres à revenu fixe », Revue du système financier – 2022 (9 juin 2022).[]
  11. 11. Pour en savoir plus sur l’illiquidité du marché, voir J.-S. Fontaine, H. Ford et A. Walton, « COVID‑19 et liquidité du marché obligataire : alerte, isolement, reprise », note analytique du personnel 2020-14 de la Banque du Canada (juillet 2020).[]

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-7

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