Pratiques d’établissement des prix et inflation durant la pandémie de COVID-19 : ce que révèlent les microdonnées sur les prix à la consommation

Introduction

Dans son évaluation visant à déterminer si l’inflation se dirige fermement vers la cible de 2 %, la Banque du Canada considère les pratiques d’établissement des prix des entreprises comme un élément clé de ce retour à la cible. À l’aide de microdonnées portant sur des milliers de biens et de services particuliers, nous fournissons une nouvelle perspective sur l’évolution de ces pratiques et sur leur rôle dans la dynamique récente de l’inflation.

En suivant la fréquence et l’ampleur des modifications de prix opérées par les détaillants canadiens, nous pouvons caractériser les pratiques d’établissement des prix qui ont sous-tendu la poussée initiale de l’inflation et son ralentissement subséquent. Selon des recherches antérieures, la flambée initiale était liée au fait que ces entreprises ont transmis les hausses de leurs coûts aux consommateurs pour maintenir de saines marges bénéficiaires1. Nos résultats révèlent un changement important dans les pratiques d’établissement des prix, puisque les détaillants se sont mis à augmenter leurs prix beaucoup plus souvent que par le passé.

Depuis 12 mois, les pratiques d’établissement des prix sont peu à peu en train de revenir à la normale, ce qui est conforme aux résultats des enquêtes de la Banque auprès des entreprises. Cependant, la normalisation complète de ces pratiques n’est pas encore achevée. On le voit surtout dans les prix des biens hors aliments et énergie, pour lesquels la fréquence des hausses par rapport à la fréquence des baisses reste élevée.

Données et méthodes

Notre analyse est fondée sur les microdonnées publiques de Statistique Canada sur les prix à la consommation. Ces microdonnées comprennent les prix et les métadonnées d’un échantillon de biens et de services dont la quantité et la qualité sont inchangées, et qui servent à établir l’indice des prix à la consommation (IPC). Le fichier de microdonnées contient la majorité des prix recueillis qui contribuent au calcul de l’IPC et qui sont disponibles dans la base de microdonnées interne principale de cet indice. Même si le fichier de microdonnées sur les prix à la consommation est semblable à la base de données utilisée pour créer l’IPC officiel, il ne renferme pas toutes les données qui servent à établir cet indice. Ce fichier contient les prix observés pour environ 100 000 biens et services chaque mois. Il vise à être utilisé expressément à des fins de recherche plutôt que pour reproduire l’IPC officiel.

Le fichier de microdonnées sur les prix à la consommation relève de la Division de l’accès aux données de Statistique Canada, et on y accède par l’entremise de centres de données de recherche virtuels. L’ensemble de données comprend de nombreuses variables, comme la période de référence, les identifiants des points de vente, les noms de produit représentatifs et les prix observés. Pour des raisons de confidentialité, le nom et l’adresse des points de vente ainsi que les informations sur les produits en particulier choisis (comme la marque) ne sont pas précisés. Au moment de notre étude, les données couvraient la période allant de février 1998 à janvier 2024.

Même si le fichier de microdonnées comprend de l’information pour la plupart des produits et services à l’échelle régionale, notre analyse est menée au niveau national seulement. En outre, l’analyse exclut les frais de logement, car les méthodologies et les sources de données servant à établir ces frais sont uniques et exigent des systèmes de traitement des microdonnées spécialisés et distincts. De plus, les frais de logement sont moins pertinents pour examiner les pratiques d’établissement des prix des entreprises.

Pour étudier ces pratiques, nous générons deux mesures qui, ensemble, représentent le taux d’inflation :

  • la fréquence des modifications de prix, soit la proportion (en pourcentage) des prix qui changent chaque mois2
  • l’ampleur des modifications de prix, soit la modification de prix mensuelle moyenne non nulle (en pourcentage)

Nous décomposons ensuite chacune de ces mesures en hausses et baisses de prix. Nous utilisons toutes les modifications de prix incluses dans les données, y compris les soldes temporaires.

Les deux mesures sont influencées non seulement par les changements des pratiques d’établissement des prix, mais aussi par les variations des données sous-jacentes et l’incorporation d’autres sources de données au fil du temps. En particulier, l’utilisation des données de lecteurs optiques des détaillants pour les aliments et d’autres biens non durables, à compter de 20183, a permis d’observer une fréquence accrue des modifications de prix et une diminution de leur taille moyenne. C’est pourquoi il faut faire preuve de prudence quand on interprète des comparaisons directes avec la période précédant la pandémie de COVID-19, surtout si on examine des résultats plus détaillés.

De plus, les données sous-jacentes et les mesures dérivées ont un caractère fortement saisonnier et sont très volatiles. Nous présentons donc nos résultats comme suit : moyennes mobiles sur 3 mois de données désaisonnalisées ou moyennes mobiles sur 12 mois de données non désaisonnalisées, ou les deux. Puisque nos mesures concernant les pratiques d’établissement des prix sont dérivées à une fréquence mensuelle, les moyennes mobiles sur 12 mois peuvent être utilisées pour interpréter la dynamique de l’inflation sur un an.

Fréquence des modifications de prix

Dans les années qui ont précédé la pandémie, la fréquence des modifications de prix est demeurée relativement stable. En moyenne, environ 14 % des prix augmentaient chaque mois, tandis que 12 % diminuaient (graphique 1). Cependant, cela a considérablement changé durant la pandémie. En particulier, la fréquence des hausses de prix a commencé à s’accroître de façon marquée au début de 2020, pour atteindre un sommet au début de 2022 (graphique 1, lignes bleu pâle et bleu foncé). C’est à cette période qu’ont été enregistrées certaines des plus fortes hausses mensuelles de tous les temps de l’IPC canadien.

Les variations de fréquence des baisses de prix n’ont toutefois pas du tout été comparables. La fréquence des baisses a brièvement atteint un sommet pendant les confinements, au début de 2020, puis est revenue aux niveaux prépandémiques lorsque l’inflation a commencé à augmenter en 2021 (graphique 1, lignes rouge et rose). Ainsi, la montée de l’inflation est surtout associée au fait que les détaillants ont relevé leurs prix beaucoup plus souvent que par le passé.

Plus récemment, la fréquence des hausses de prix a considérablement diminué, mais elle reste élevée en regard du passé. Il est intéressant de noter que la fréquence des baisses de prix a suivi une tendance à la hausse et a atteint son plus haut niveau durant la période étudiée. Cela montre peut-être que certains prix sont devenus beaucoup trop élevés pendant la poussée de l’inflation, et que les détaillants ont alors dû ajuster le niveau des prix à la baisse. La moyenne mobile sur 3 mois reflète mieux les progrès vers l’atteinte d’un meilleur équilibre entre les hausses et les baisses de prix que celle sur 12 mois, même si la moyenne sur 3 mois est aussi extrêmement volatile4.

Graphique 1 : Fréquence des modifications de prix

Ampleur des modifications de prix

Nos résultats montrent que l’ampleur de la hausse moyenne des prix a diminué à mesure que l’inflation augmentait durant la pandémie (graphique 2, figure a). À première vue, cela peut sembler contre-intuitif. Cependant, cette situation témoigne simplement du fait que, les hausses de prix étant beaucoup plus fréquentes qu’auparavant, chacune d’elles n’avait pas besoin d’être aussi importante pour entraîner une inflation substantielle. La hausse moyenne des prix s’est accrue depuis la fin de 2023, mais reste inférieure aux normes historiques.

Nous constatons également que les baisses de prix sont devenues moins prononcées à mesure que l’inflation augmentait durant la pandémie (graphique 2, figure b). Cette tendance s’est poursuivie avec la diminution de l’inflation et a partiellement compensé la fréquence plus élevée des baisses de prix.

Graphique 2 : Ampleur moyenne des modifications de prix mensuelles

Graphique 2 : Ampleur moyenne des modifications de prix mensuelles

Modification de prix mensuelle moyenne non nulle (en pourcentage)

* Données mensuelles non désaisonnalisées
† Données mensuelles désaisonnalisées
Sources : Statistique Canada et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : janvier 2024

Assembler les pièces du puzzle

Après avoir examiné séparément la fréquence et l’ampleur des modifications de prix, nous nous demandons lequel de ces deux éléments a joué, quantitativement, le rôle le plus important dans la dynamique de l’inflation durant la pandémie. Pour ce faire, nous utilisons la simple équation suivante, qui exprime le taux d’inflation en fonction de la fréquence et de l’ampleur des hausses et des baisses de prix :

\(\displaystyle{Inflation}_t\) \(\displaystyle=\,{Fréquence}_t^{Hausse}× \,{Ampleur}_t^{Hausse}\) \(\displaystyle+\, {Fréquence}_t^{Baisse}× \,{Ampleur}_t^{Baisse} \)

Nous commençons par générer un taux d’inflation de référence à l’aide de l’équation ci-dessus. Puisque nous n’utilisons pas l’ensemble du panier de l’IPC, ce taux de référence n’est pas le même que le taux d’inflation officiel. Toutefois, les deux taux sont très fortement corrélés.

Ensuite, nous générons deux taux d’inflation contrefactuels :

  • Pour le premier, nous maintenons la fréquence des hausses et des baisses de prix à un niveau fixe.
  • Pour le second, nous maintenons l’ampleur des hausses et des baisses de prix à un niveau fixe.

Comme le montre le graphique 3, en maintenant la fréquence à un niveau fixe, on crée un profil d’inflation relativement stable. En revanche, en maintenant l’ampleur à un niveau fixe, on se retrouve avec un profil d’inflation qui reflète étroitement le taux de référence. Cela révèle que la dynamique de l’inflation tout au long de la pandémie a surtout témoigné des changements dans la fréquence d’établissement des prix par les entreprises. Néanmoins, depuis la fin de 2023, l’ampleur moyenne des modifications de prix est devenue légèrement plus pertinente.

Graphique 3 : Exercice contrefactuel

Dans quelle mesure les pratiques d’établissement des prix s’écartent-elles de la normale?

Compte tenu de nos constatations sur l’importance de la fréquence des modifications de prix pour la dynamique de l’inflation, la fréquence relative des hausses et des baisses peut être un bon indicateur synthétique des pratiques d’établissement des prix. Le graphique 4 montre cette fréquence relative – définie comme le pourcentage de prix qui augmentent moins le pourcentage de prix qui diminuent – par rapport au taux d’augmentation annuel de l’IPC hors logement5. Nous observons une forte corrélation, soit un coefficient de 0,89, entre ces deux éléments. Cette forte corrélation s’applique également aux principales catégories de l’IPC.

Autre avantage de cet indicateur : il est mieux adapté pour faire des comparaisons historiques que si l’on recourait uniquement à la fréquence des hausses de prix ou seulement à la fréquence des baisses de prix. C’est parce que les changements apportés dans l’ensemble de données, comme l’utilisation des données de lecteurs optiques des détaillants, ont donné lieu à une augmentation proportionnelle de la fréquence des hausses et des baisses de prix, et ont laissé leur fréquence relative intacte.

Graphique 4 : Fréquence relative des hausses et des baisses de prix par rapport à l’inflation observée

Le graphique 5 montre la fréquence relative des hausses et des baisses de prix pour l’ensemble de l’IPC et pour certaines de ses composantes. (L’annexe donne plus de détails sur la fréquence des modifications de prix pour chacune des trois composantes choisies.) Nous comparons les valeurs de janvier 2024 aux pics de la pandémie et aux moyennes historiques. Même si le graphique témoigne d’une normalisation des pratiques d’établissement des prix des entreprises, celles-ci ne sont pas revenues aux niveaux d’avant la pandémie. C’est particulièrement évident pour la composante des biens hors alimentation et énergie, qui présente le plus grand écart entre sa valeur de janvier 2024 et sa moyenne historique. Il convient de noter que pour l’IPC global, cet écart est très faible. C’est notamment parce que la fréquence relative des hausses et des baisses de prix de l’énergie (qui n’est pas explicitement montrée ici) est fortement négative. Les progrès dans les catégories des produits non énergétiques ont été notables, mais pas aussi prononcés.

Graphique 5 : Fréquence relative des hausses et des baisses de prix pour l’IPC et certaines composantes

Conclusion

Notre analyse montre que la poussée de l’inflation survenue durant la pandémie de COVID-19 s’est accompagnée d’un changement important dans les pratiques d’établissement des prix des entreprises. Plus précisément, les détaillants ont augmenté les prix beaucoup plus souvent que par le passé. Ces 12 derniers mois, les pratiques d’établissement des prix se sont normalisées de façon constante. Bien que ces pratiques ne soient pas tout à fait revenues à la normale, les grandes tendances des données laissent généralement entrevoir une amélioration continue dans les mois à venir. Ces résultats concordent dans l’ensemble avec les enquêtes de la Banque auprès des entreprises, qui montrent que moins d’entre elles prévoient des hausses de prix inhabituellement élevées ou fréquentes au cours de la prochaine année.

Nos résultats ont également d’importantes répercussions, plus largement, sur la compréhension et la modélisation de l’inflation par la Banque. Par exemple, les principaux modèles économiques de la Banque (et en fait la plupart des modèles utilisés dans la profession) supposent que la fréquence des modifications de prix reste constante au fil du temps. Mais cette hypothèse est de plus en plus en contradiction avec les données. Nos résultats viennent étayer l’exploration par la Banque d’autres modèles de détermination des prix dans le cadre de l’élaboration de sa quatrième génération de modèles (Coletti, 2023).

Le personnel de la Banque continuera d’utiliser les microdonnées sur les prix à la consommation pour suivre les pratiques d’établissement des prix des entreprises et améliorer l’analyse plus générale de l’inflation au Canada.

Annexe

  1. 1. La présente note analytique du personnel s’inscrit dans un ensemble plus vaste de travaux effectués à la Banque pour mieux comprendre les pratiques d’établissement des prix et l’inflation durant la pandémie de COVID-19. Les analyses passées étaient axées sur les coûts et les profits des entreprises. Voir Asghar, Fudurich et Voll (2023); Bilyk, Grieder et Khan (2023); et Bouras et autres (2023). Voir aussi Montag et Villar (2023) pour une étude similaire à la nôtre qui se base sur des données américaines.[]
  2. 2. Nous ne pouvons pas prendre en compte plus d’une modification de prix pour un mois donné.[]
  3. 3. En 2018, une nouvelle source d’information sur les prix des produits d’épicerie a commencé à être utilisée dans le calcul de l’IPC canadien, soit les données de lecteurs optiques. Ces données sont plus pertinentes, car elles permettent à l’IPC de tenir compte du prix payé au moment de l’achat.[]
  4. 4. Le fait que, dans l’ensemble, la fréquence des modifications de prix reste élevée reflète probablement une combinaison de facteurs comportementaux et de pratiques de collecte de données sur les prix. Ainsi, parmi les pratiques de collecte qui ont changé, on peut citer, en plus de l’obtention de données de lecteurs optiques, une proportion accrue de données sur les prix qui sont recueillies en ligne depuis le début de la pandémie.[]
  5. 5. Cet indicateur de la fréquence relative est établi seulement sur 12 mois, parce que sur 3 mois le résultat est entaché de beaucoup de bruit.[]

Bibliographie

Asghar, R., J. Fudurich et J. Voll. 2023. « Firms’ Inflation Expectations and Price-Setting Behaviour in Canada: Evidence from a Business Survey ». Note analytique du personnel 2023-3 de la Banque du Canada.

Bilyk, O., T. Grieder et M. Khan. 2023. « Markups and Inflation During the COVID-19 Pandemic ». Note analytique du personnel 2023-8 de la Banque du Canada.

Bouras, P., C. Bustamante, X. Guo et J. Short. 2023. « The Contribution of Firm Profits to the Recent Rise in Inflation ». Note analytique du personnel 2023-12 de la Banque du Canada.

Coletti, D. 2023. « A Blueprint for the Fourth Generation of Bank of Canada Projection and Policy Analysis Models ». Document d’analyse du personnel 2023-23 de la Banque du Canada.

Montag, H. et D. Villar. 2023. « Price-Setting During the Covid Era ». FEDS Notes, 29 août. Washington : Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale.

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

Remerciements

Nous sommes reconnaissants à nos collègues de la Division des prix à la consommation et de la Division de l’accès aux données de Statistique Canada, notamment Chris Li, Matthew MacDonald, Michael Henderson, Bin Hu, Shane Goodwin et Joshua Miller. Nicolas Vincent et Oleksiy Kryvtsov ont aussi apporté des commentaires utiles à cette note analytique, tout comme Patrick Sabourin pour la mise au point de la présente version française.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2024-6

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