Ces dernières années, les Canadiennes et Canadiens ont été de plus en plus touchés par les catastrophes naturelles. Lorsqu’un quartier résidentiel est frappé, ce sont non seulement les maisons, mais aussi les infrastructures publiques qui sont endommagées. Les conséquences financières qui en découlent sont parfois si graves que certains propriétaires deviennent incapables de rembourser leur prêt hypothécaire. Étant donné que les propriétés résidentielles servent de garantie à la fois pour les prêts hypothécaires et les marges de crédit hypothécaire, les prêteurs peuvent aussi subir des pertes financières à la suite de catastrophes naturelles.
Les catastrophes naturelles prennent différentes formes (tempêtes, sécheresses, feux de forêt, etc.). Jusqu’à présent, ce sont toutefois les inondations qui se sont avérées les plus courantes et les plus coûteuses au Canada. Afin d’explorer les répercussions potentielles des catastrophes naturelles sur le système financier, le personnel de la Banque du Canada a analysé les inondations réelles et projetées au pays.
Pour éclairer les résultats de l’étude, le personnel de la Banque a répondu à certaines questions clés sur le risque d’inondation et le crédit hypothécaire.
Qu’est-ce que le risque d’inondation?
Les inondations peuvent avoir une incidence sur les prêteurs – comme les banques et les coopératives de crédit – par l’intermédiaire des prêts hypothécaires et, dans une moindre mesure, des marges de crédit hypothécaire. Ces deux formes de crédit sont garanties par la valeur marchande des propriétés.
Certains propriétaires peuvent devenir incapables de rembourser leur prêt en raison d’inondations, et risquent alors de se retrouver en défaut de paiement. Par exemple, une inondation peut causer des dommages importants et ainsi entraîner : des dépenses supplémentaires, notamment pour de l’hébergement temporaire; ou une perte de revenu lorsque l’emprunteur n’est pas en mesure de travailler, ce qui rend impossible le remboursement de son prêt. Les dommages dus aux inondations peuvent aussi pousser les emprunteurs à envisager un défaut de paiement stratégique. Quelle que soit la cause du défaut, le prêteur devient propriétaire du logement. Si la valeur de la propriété sur le marché de la revente a diminué en raison des dommages dus aux inondations, le prêteur pourrait devoir la vendre à perte. Autrement dit, la valeur marchande révisée d’une maison inondée pourrait être inférieure au solde restant du crédit hypothécaire.
Les banques et les coopératives de crédit peuvent également consentir des prêts à des entreprises ou à des gouvernements. Toutefois, l’étude ne s’est pas penchée sur les conséquences subies par les prêteurs lorsque des inondations endommagent sérieusement des propriétés et bâtiments commerciaux, industriels ou gouvernementaux.
Comment le personnel de la Banque a-t-il évalué l’ampleur du risque d’inondation auquel sont exposés les prêteurs hypothécaires résidentiels?
Premièrement, il faut avoir une bonne idée des zones propices aux inondations et de l’importance des dommages à prévoir. Le personnel a collaboré avec Sécurité publique Canada pour obtenir des renseignements détaillés sur les zones à risque et l’ampleur des dommages dus aux inondations attendus au cours d’une année donnée. Sécurité publique Canada a aussi fourni de l’information sur l’évolution projetée des dommages liés aux inondations selon différents scénarios de réchauffement climatique.
Deuxièmement, le personnel a recueilli des données anonymisées auprès de 63 institutions financières canadiennes concernant les prêts liés à des propriétés résidentielles, soit les prêts hypothécaires et les marges de crédit hypothécaire. Cela s’est fait en partenariat avec le Bureau du surintendant des institutions financières (pour les prêteurs sous réglementation fédérale) et avec plusieurs organismes provinciaux de réglementation (pour les coopératives de crédit)1. Dans l’ensemble, l’étude a pris en compte 7,7 millions de propriétés, soit presque toutes les propriétés hypothéquées au Canada.
Troisièmement, le personnel a appliqué cet ensemble de données relatives aux prêts à des cartes montrant les dommages projetés et les couvertures d’assurance en lien avec les inondations. Il a pour ce faire utilisé les trois premiers caractères des codes postaux (région de tri d’acheminement). Une des raisons d’inclure l’information sur l’assurance inondation est que les pertes potentielles des prêteurs peuvent être moins sévères si les dommages sont couverts.
Enfin, le personnel a envisagé différents scénarios, notamment une année typique sur le plan des inondations et une année d’inondations extrêmes comme il s’en produit une fois tous les 100 ans. Il a ensuite calculé les pertes financières auxquelles les prêteurs pourraient s’attendre, en supposant que certains emprunteurs seront incapables de rembourser leur prêt et que certains dommages seront couverts par une assurance inondation.
Le risque d’inondation est-il une grande préoccupation pour les prêteurs hypothécaires résidentiels?
Au cours d’une année moyenne, on s’attend à ce que les dommages structuraux causés aux propriétés résidentielles par les inondations s’élèvent à environ 2 milliards de dollars au Canada. Près de la moitié des propriétés touchées ont un prêt ou une marge de crédit hypothécaire qui leur est associé. Cependant, le risque de pertes de crédit auquel s’exposent les banques et les coopératives de crédit dépend de plusieurs facteurs, dont les principaux sont abordés ci-dessous.
L’étude montre qu’au cours d’une année moyenne, les inondations au pays n’entraînent que des pertes financières mineures pour les prêteurs. Par exemple, un prêteur typique peut s’attendre à des pertes représentant moins de 0,1 % de la valeur totale de l’encours des prêts et marges de crédit hypothécaire qui composent son portefeuille. Même dans le cas d’inondations extrêmes, les pertes financières ne dépassent pas 0,2 % du portefeuille de crédit hypothécaire résidentiel.
Un des principaux facteurs qui expliquent pourquoi les répercussions sont si modestes est l’ampleur de l’avoir propre foncier constitué par les emprunteurs au cours des dernières années. Entre le début de la pandémie de COVID‑19 et la fin du deuxième trimestre de 2022, les prix des logements ont augmenté de plus de 50 % au Canada. Cela signifie qu’un propriétaire titulaire d’un prêt hypothécaire possède une plus grande part de son logement qu’avant la pandémie. Autrement dit, le montant emprunté représente une moindre portion de la valeur marchande de la propriété. Ainsi, les emprunteurs sont plus susceptibles de pouvoir recouvrer leur capital et éviter les pertes en cas de défaut.
Quels facteurs déterminent si les prêteurs sont plus ou moins exposés au risque d’inondation?
Une des principales constatations est que l’incidence des inondations n’est pas la même pour tous les prêteurs. En fait, l’étude montre que pour les 10 % des prêteurs les plus touchés par les inondations au cours d’une année typique, les pertes financières sont environ quatre fois plus grandes que celles d’un prêteur moyen.
Cinq facteurs clés déterminent l’ampleur des pertes financières subies par les prêteurs en raison des inondations :
- Concentration des prêts dans des zones inondables – Il peut arriver que les opérations de crédit de petites institutions financières soient concentrées dans des zones géographiques propices aux inondations. Ces petites institutions sont donc plus exposées au risque d’inondations que les grandes. Cela dit, pour la plupart des prêteurs pris en compte dans l’étude, les propriétés se trouvant dans des zones inondables représentent moins de 30 % des prêts.
- Concentration des prêts dans le secteur résidentiel – Les coopératives de crédit et les banques de petite ou de moyenne taille ont généralement une plus grande part de leur portefeuille de prêts qui est liée au marché du logement que les grandes banques. Elles sont donc plus exposées au risque d’inondation associé au crédit hypothécaire résidentiel.
- Probabilité de défaut de paiement des ménages – Plus les ménages sont susceptibles de se retrouver en défaut de paiement, plus les prêteurs sont exposés au risque d’inondation. Le risque de défaut diminue lorsque l’emprunteur : possède une protection d’assurance, un avoir foncier ou des actifs liquides; a la capacité de travailler et de gagner un revenu; ou a accès à des programmes d’aide gouvernementale à la suite d’inondations graves.
- Couverture d’assurance inondation – L’assurance inondation atténue le risque pour les prêteurs, mais elle n’est pas obligatoire au Canada. Dans l’échantillon examiné, environ 38 % des logements couverts par une assurance avaient une protection contre les inondations.
- Avoir propre des emprunteurs – Comme mentionné ci-dessus, la probabilité qu’un emprunteur devienne incapable de rembourser son prêt hypothécaire diminue à mesure que son avoir propre foncier augmente. De plus, si l’emprunteur se retrouve tout de même en défaut de paiement et que le prêteur assume la responsabilité du prêt et devient propriétaire du logement, ses pertes seront moins importantes qu’elles l’auraient été autrement. Dans l’échantillon examiné, l’avoir propre foncier des propriétaires titulaires d’un prêt hypothécaire correspondait en moyenne à environ 65 % de la valeur de leur logement au deuxième trimestre de 2023.
Comment les changements climatiques influencent-ils l’évaluation du risque d’inondation?
Le nombre de phénomènes météorologiques extrêmes a augmenté ces dernières années en raison des changements climatiques. Depuis une dizaine d’années, le Canada a connu une série d’inondations de grande ampleur et coûteuses, notamment à Calgary en 2013, à Montréal en 2017, dans la région d’Ottawa-Gatineau en 2019, à Vancouver en 2021 et en Nouvelle-Écosse en 2023. On s’attend à ce que la sévérité et la fréquence de ces phénomènes augmentent, ce qui se traduirait par des pertes accrues pour les institutions financières.
Afin de tenir compte des changements climatiques, le personnel a envisagé des scénarios basés sur l’hypothèse d’une augmentation rapide des températures mondiales. En particulier, l’étude a montré que les changements climatiques devraient entraîner :
- un accroissement du nombre de zones propices aux inondations et de leur taille, exposant davantage de propriétés aux dommages graves provoqués par les inondations
- une augmentation des coûts globaux liés aux dommages causés aux propriétés
Advenant un scénario de réchauffement climatique extrême d’environ 4 °C d’ici 2100, les inondations graves pourraient se traduire par des taux de pertes 2,5 fois plus élevés que ceux enregistrés actuellement pour une année typique au Canada. Cela correspondrait à une augmentation moyenne de quelque 0,6 point de pourcentage de la proportion touchée du portefeuille de prêt d’un prêteur type.
Notes
- 1. Dans un souci de protection de la vie privée, les données reçues par la Banque ont été anonymisées, c’est-à-dire qu’elles ne comprennent aucun renseignement permettant d’identifier une personne en particulier (nom, numéro d’assurance sociale, adresse).[←]