Introduction

Bonjour. Je suis ravi d’être ici, et je tiens à remercier la Chambre de commerce de Saint John de l’invitation.

Voyager au Canada est parmi les choses les plus importantes et les plus gratifiantes que j’ai la chance de faire. Cela me permet de voir et d’entendre directement comment le contexte économique évolue d’un bout à l’autre de notre vaste pays. Je veux connaître les occasions et les obstacles de vos entreprises et comprendre vos points de vue sur l’économie. Je serai heureux de répondre à vos questions et de discuter avec vous.

Je sais que la forte inflation a rendu la vie difficile pour beaucoup de gens. Les enquêtes de la Banque auprès des consommateurs nous le montrent bien. On m’en parle aussi directement – je reçois beaucoup de lettres et de courriels de la part des Canadiennes et Canadiens. Trop de gens me disent qu’ils n’arrivent plus à cause des prix élevés. Je perçois l’inquiétude, la frustration et même le désespoir dans ces lettres. J’entends aussi des entreprises qui sont coincées par les hausses de coûts et des travailleurs qui ont besoin d’un plus gros salaire pour suivre la hausse du coût de la vie.

Ce qui me préoccupe le plus, ce sont les difficultés subies par la population canadienne et les coûts généraux qui pèsent sur notre économie en raison de l’inflation élevée et volatile. L’inflation a reculé depuis son sommet de 8,1 %, mais elle demeure trop élevée – les progrès sont plus lents qu’on l’espérait. Et je sais que même si nos hausses de taux font baisser l’inflation, beaucoup de Canadiennes et de Canadiens les voient comme un coût supplémentaire.

Voilà ce dont je vais vous parler aujourd’hui : la lourde épreuve que l’inflation fait subir aux familles, aux entreprises et aux communautés. Les difficultés sont bien réelles, et l’inflation ne ralentira pas d’elle-même. C’est pourquoi il est si important de garder le cap et de rétablir la stabilité des prix. Nous avons déjà fait beaucoup de chemin. C’est l’autre sujet que je veux aborder : qu’est-ce qui fonctionne, et pourquoi. Je vais expliquer certains des avantages que nous n’avions pas dans le passé pour lutter contre l’inflation élevée. Les taux d’intérêt plus élevés créent des difficultés pour beaucoup de Canadiennes et de Canadiens, mais ils atténuent les pressions sur les prix dans l’ensemble de l’économie. Si nous gardons le cap, les résultats vont en valoir la peine.

Les effets nuisibles de la forte inflation

Les chiffres indiquent que l’économie canadienne se porte étonnamment bien. La pandémie de COVID-19 est maintenant derrière nous, et les travailleurs, les consommateurs et les entreprises s’en sont beaucoup mieux tirés que ce qu’on craignait en 2020. Après avoir vécu la récession la plus prononcée et la plus profonde de l’histoire canadienne, nous avons connu la reprise la plus rapide jamais enregistrée. Le marché du travail est revenu en force, et même si la croissance économique a ralenti au cours des derniers trimestres, le taux de chômage reste relativement bas. Il est actuellement de 5,7 %, soit au même niveau que durant la période favorable juste avant la pandémie. Le taux de participation au marché du travail est élevé – particulièrement chez les femmes et les nouveaux arrivants – et nous sommes nombreux à profiter des nouvelles façons de travailler et des conditions de travail plus souples. De nombreux ménages ont accru leur épargne malgré la hausse du coût de la vie.

Mais les Canadiennes et les Canadiens sont mécontents. Je le constate directement, notamment dans les résultats de notre enquête sur les attentes des consommateurs au Canada et d’autres indicateurs de la confiance des consommateurs et enquêtes sur l’opinion publique (graphique 1).

D’habitude, la confiance des consommateurs est élevée lorsque le taux de chômage est bas, et vice versa. Mais en ce moment, elle se compare au niveau qu’on observait en période de récession, comme durant la crise financière mondiale de 2008-2009. Pourtant, le marché du travail est plus solide aujourd’hui, et le taux de chômage est plus faible qu’il ne l’a été durant la majeure partie des 40 dernières années.

Alors pourquoi tant de pessimisme? Probablement pour plusieurs raisons. La pandémie a épuisé la population. Les opinions divergent de plus en plus, et cela nuit à la poursuite d’un but commun. Les technologies accélèrent les changements, à tel point qu’il devient difficile de suivre la cadence. Et c’est sans parler de l’intensification des conflits et des changements climatiques qui font empirer l’anxiété à propos de l’avenir. Ces facteurs dépassent évidemment le cadre de la politique monétaire.

Il y a toutefois un facteur qui relève clairement de nous : l’inflation. Les gens sont en colère à cause de l’inflation élevée (graphique 2).

La hausse du coût de la vie est pénible pour tout le monde, surtout les personnes qui sont déjà dans une situation difficile. Les gens travaillent fort, mais leur pouvoir d’achat diminue. Ils ne peuvent même plus se permettre l’essentiel. Ça semble injuste.

Ce sentiment d’injustice érode le tissu social. Il y a plus de désaccords qu’avant. Un des indicateurs qui le montrent est le temps de travail perdu en raison des grèves et des arrêts de travail (graphique 3).

La forte inflation des deux dernières années a donné lieu à une augmentation des grèves, car à la fois les employeurs et les travailleurs peinent à s’adapter aux hausses de coûts. Personne ne souhaite que les choses soient ainsi – les travailleurs n’aiment pas être en grève, et les employeurs ne veulent pas que le travail s’arrête. Mais une inflation élevée et imprévisible fait qu’il est difficile de s’entendre sur ce qui constitue une rémunération équitable, entraînant des grèves. Dans ces conditions, la durée des contrats raccourcit, les négociations sont plus difficiles et l’incertitude est plus grande pour tout le monde.

Les entreprises ont aussi changé la façon dont elles établissent les prix de leurs biens et services, et elles ont commencé à augmenter leurs prix de manière plus fréquente et plus substantielle. Cela nuit à leur relation avec la clientèle, qui devient plus méfiante et critique.

Pour toutes ces raisons, l’inflation crée du mécontentement. Dans notre plus récente enquête auprès des consommateurs, presque 9 répondants sur 10 nous ont dit que l’inflation a fait empirer leur situation, et presque personne n’a indiqué qu’elle l’a améliorée (graphique 4).

L’inflation a aussi une influence sur les comportements. Nos enquêtes montrent que les familles changent leurs habitudes de dépenses pour se protéger contre l’inflation. Elles dépensent moins et essaient de trouver des biens et services moins chers (graphique 5).

La situation est encore plus difficile pour les Canadiennes et Canadiens à faible revenu. Lorsque les gens dépensent plus pour des produits essentiels, ils ne peuvent pas ajuster leurs achats et ils ont très peu d’économies pour faire face aux hausses de prix. De plus, les prix des produits essentiels – comme la nourriture et le loyer – sont parmi ceux qui ont monté le plus vite ces derniers mois. Les personnes qui reçoivent une pension fixe sont encore plus touchées parce que leur revenu n’augmente pas pour compenser les prix plus élevés.

Ce qui s’est passé dans les années 1970

Nous avons déjà connu l’inflation et les temps difficiles qu’elle entraîne. En effet, la situation que nous vivons aujourd’hui n’est pas sans nous rappeler celle des années 1970. J’étais moi-même adolescent à cette époque, mais pour ceux qui sont trop jeunes pour s’en souvenir, l’inflation était alors élevée et variable. Elle est restée au-dessus de 7 % pendant une dizaine d’années et a même atteint un sommet de près de 13 %. À ce moment-là, tout comme aujourd’hui, des forces mondiales ont fait monter les prix en flèche. En 1973, la crise alimentaire mondiale et l’embargo sur le pétrole, décidé par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), ont fait grimper l’inflation rapidement.

Comme adolescent, j’avais l’impression que l’inflation causait beaucoup de colère. Il y avait beaucoup de grèves, dont plusieurs étaient longues et intenses. Les gens étaient insatisfaits parce que même avec une bonne augmentation salariale, ils ne pouvaient plus acheter les mêmes choses qu’avant à cause des hausses de prix.

Durant ces années, les décideurs ont essayé différentes méthodes pour faire baisser l’inflation, comme le contrôle des prix et des salaires de même que le ciblage monétaire, qui consiste à ralentir la croissance de l’offre monétaire. Malheureusement, ces politiques n’ont pas fonctionné. Et le gouvernement et la banque centrale n’étaient pas prêts à maintenir le cap, c’est‑à‑dire à restreindre les dépenses gouvernementales et à resserrer la politique monétaire suffisamment pour éliminer les pressions inflationnistes dans l’économie. Par conséquent, les Canadiennes et les Canadiens ont vécu avec une inflation élevée pendant plus de dix ans. Lorsque les décideurs ont finalement réalisé que des mesures plus vigoureuses étaient nécessaires, l’inflation était déjà enracinée dans l’économie. Quand les entreprises, les travailleurs et les consommateurs s’attendent tous à une inflation élevée, il est plus difficile de la faire baisser. Il a fallu des taux d’intérêt très élevés et une grave récession pour mettre fin à l’inflation. En 1981, le taux directeur atteignait 21 % et les taux hypothécaires étaient encore plus élevés (graphique 6). En 1982, taux de chômage s’élevait à 13,1 %.

Les avantages qui jouent en notre faveur cette fois-ci

Cela m’amène à vous expliquer pourquoi la situation est différente aujourd’hui et pourquoi je pense que nous allons revenir à une inflation basse plus rapidement que dans les années 1970, et à un coût économique plus bas. Nous avons tiré des leçons importantes de cette époque et profitons d’avantages distincts cette fois-ci. Notre cible d’inflation est claire, et nous avons démontré que nous sommes capables de l’atteindre et de la maintenir, et de prendre des mesures soutenues et énergiques.

Laissez-moi d’abord parler du ciblage de l’inflation. Nous avons adopté cette stratégie il y a plus de 30 ans. Depuis 1995, notre cible d’inflation se situe à 2 %, soit le milieu d’une fourchette de 1 à 3 %. Entre ce moment-là et le début de la pandémie, l’inflation s’est située autour de 1,9 % en moyenne, et est restée dans la fourchette environ 80 % du temps – une réussite remarquable comparativement aux années 1970 et 1980 (graphique 7).

Pendant plus de 25 ans, les Canadiennes et les Canadiens ont profité d’une inflation basse, stable et prévisible. Les gens comprenaient que quand l’inflation devenait trop élevée, nous augmentions le taux directeur pour ralentir la demande. À l’inverse, quand l’inflation chutait, nous baissions le taux directeur pour stimuler la demande et la croissance.

Cette méthode éprouvée et cette stabilité permettaient aux ménages et aux entreprises de planifier leurs dépenses et leur épargne en sachant que la valeur de leur argent n’allait pas diminuer de façon importante. La population canadienne en est donc venue à s’attendre à ce que les prix en général augmentent d’environ 2 % par année. Par conséquent, les forces concurrentielles fonctionnaient. Les entreprises étaient moins enclines à hausser leurs prix. Il y avait moins de désaccords – moins de grèves et moins de perturbations de la main‑d’œuvre. Et l’économie était plus stable et capable de résister à des chocs.  

C’est un accomplissement dont le résultat est concret. Même si l’inflation a dépassé 8 % l’an dernier, et même si elle se situe encore au-dessus de notre cible, les attentes d’inflation à long terme sont demeurées bien ancrées. Mais il ne faut pas tenir la situation pour acquise : les attentes d’inflation à court terme ont augmenté en même temps que l’inflation, et elles redescendent plutôt lentement. C’est préoccupant : nous voulons voir les attentes baisser parce que cela nous indiquerait que notre cible de 2 % est en vue. Mais le fait que les attentes d’inflation à long terme restent conformes à la cible de 2 % est un signe que les Canadiennes et Canadiens pensent que nous allons ramener l’inflation à la cible – comme nous le faisons depuis 30 ans. Les années 1970 nous ont montré le coût très élevé de l’enracinement de l’inflation et nous savons que nous devons l’éviter à tout prix cette fois-ci.

Cela m’amène à notre deuxième avantage. Cette fois-ci, nous avons réagi de manière décisive à l’inflation élevée dès le départ, et nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Nous avons commencé à augmenter les taux en mars 2022 et avons relevé notre taux directeur de plus de quatre points de pourcentage en huit étapes consécutives, notamment en procédant à une hausse de 100 points de base en juillet 2022. Après notre augmentation de taux en janvier cette année, nous avons pris une pause pour faire le point. Lorsque nous avons maintenu notre taux en mars et en avril, nous avons indiqué clairement que nous utilisions cette pause pour déterminer si nous avions assez augmenté les taux d’intérêt pour ramener l’inflation à la cible. Quand nous avons constaté que la tendance à la baisse de l’inflation sous-jacente s’était arrêtée, nous avons augmenté les taux deux fois de plus, en juin et en juillet, pour en arriver à notre taux directeur actuel de 5 %.

Le resserrement de la politique monétaire fonctionne, et il est possible que les taux d’intérêt soient maintenant assez restrictifs pour rétablir la stabilité des prix. Mais, si l’inflation élevée persiste, nous sommes prêts à rehausser de nouveau notre taux directeur.

En réagissant énergiquement, nous avons calmé la surchauffe de l’économie et nous avons freiné l’élan de l’inflation. Nous avons aussi agi rapidement pour éviter de devoir procéder à des augmentations de taux encore plus importantes à l’avenir; l’expérience nous a montré que plus les ajustements de la politique monétaire sont lents, plus le resserrement doit être prononcé1. C’est ce qui s’est passé dans les années 1970 – la lenteur de la réaction s’est traduite par des taux d’intérêt encore plus élevés et, par conséquent, un ralentissement économique plus marqué. Nous ne voulons pas répéter cette erreur.

L’économie ralentit maintenant, avec une croissance presque nulle du PIB ces derniers mois. Elle se rapproche de l’équilibre, et l’inflation est passée de 8,1 % en juin 2022 à 3,1 % le mois dernier. Nous nous attendons à ce que l’économie reste faible pendant quelques trimestres, ce qui signifie que davantage de pressions à la baisse sur l’inflation pointent à l’horizon. Bref, la demande excédentaire dans l’économie qui a rendu trop faciles les augmentations de prix est maintenant chose du passé.  

Nous savons que les hausses de taux d’intérêt nécessaires pour faire baisser l’inflation rendent la vie plus difficile pour beaucoup de gens au pays. Nous savons aussi qu’une croissance lente n’est pas réjouissante. Mais l’autre option, soit des années et des années d’inflation élevée suivies d’une grave récession, est bien pire.   

Une fois que nous aurons traversé cette période de faible croissance et que l’inflation sera revenue à la cible de 2 %, les Canadiennes et les Canadiens pourront à nouveau faire un budget et investir en toute confiance. De plus, les prix seront stables et prévisibles, et l’économie fonctionnera mieux pour tout le monde.

Conclusion

En conclusion, les deux dernières années nous ont rappelé à quel point la forte inflation nuit aux ménages, aux entreprises et aux communautés. Elle est notre ennemie commune, non seulement parce qu’elle crée des difficultés financières et des bouleversements sociaux, mais aussi parce que personne ne gagne lorsque l’inflation est élevée et volatile. Nous voulons tous venir à bout de l’inflation élevée.

La plus grande leçon que nous avons tirée des années 1970 est que combattre l’inflation élevée de façon timide – et vivre avec le stress, les conflits de travail et l’incertitude – serait une grave erreur. La meilleure façon de réagir est de s’engager fermement à rétablir la stabilité des prix. Mais nous ne voulons pas aller trop loin dans l’autre sens parce que nous essayons d’éviter de répéter une erreur. Nous essayons d’équilibrer les risques d’un resserrement trop faible ou trop fort. Si nous en faisons trop, nous risquons de plonger tout le monde dans une situation économique inutilement difficile. Si nous n’en faisons pas assez, les Canadiennes et les Canadiens continueront de subir l’impact de l’inflation élevée et nous pourrions être obligés de relever les taux d’intérêt encore plus à l’avenir.

Pour que la croissance se stabilise et que l’inflation reste basse dans les années à venir, nous avons besoin des taux élevés et d’une croissance lente à court terme.  

Notre cible d’inflation, nos résultats jusqu’à maintenant et nos mesures vigoureuses vont nous permettre de traverser cette période difficile. Nous sommes sur la bonne voie et nous devons maintenir le cap.  

Merci.   

Je tiens à remercier Daniel de Munnik et Brigitte Desroches de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.

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  1. 1. Banque des Règlements Internationaux, Annual Economic Report 2022 (juin 2022) [en anglais].[]