Introduction

Bonjour. J’aimerais d’abord remercier Advocis Vancouver de m’avoir invitée aujourd’hui. Merci aussi pour cette aimable présentation.

La Banque du Canada a pour mission première de maîtriser l’inflation, mais elle joue également un rôle essentiel pour favoriser la stabilité du système financier canadien. On publie chaque printemps la Revue du système financier, ou RSF, qui décrit les risques et les vulnérabilités qui pourraient mettre à l’épreuve la résilience du système financier. Chaque automne, on fait également le point avec les Canadiens sur les enjeux de stabilité financière dans le cadre d’un discours. C’est ce que je fais aujourd’hui.

Compte tenu des mesures énergiques prises par les banques centrales depuis le début de 2022 pour ramener l’inflation sous contrôle, la RSF de cette année se concentrait sur l’ajustement du système financier, au Canada et dans le monde entier, à la hausse rapide et importante des taux d’intérêt1.

Depuis la publication de la RSF, on voit plus de signes que le système financier continue de s’ajuster. Mais encore plus d’ajustements viendront, à mesure que les hausses passées des taux d’intérêt se propageront dans le système.

Votre façon de voir les taux d’intérêt actuels dépend sans doute de votre âge, du moins en partie. Si vous aviez un prêt hypothécaire dans les années 1970 ou au début des années 1980, les taux d’aujourd’hui ne vous semblent sans doute pas très élevés. Par contre, pour les plus jeunes qui achètent un logement aujourd’hui, les coûts d’emprunt sont parmi les plus élevés qu’ils n’ont jamais vus.

Dans tous les cas, on a tous vécu une longue période où les taux d’intérêt étaient très bas. Avant de commencer à monter l’an dernier, ils avaient été anormalement bas pendant une longue période qui a débuté durant la crise financière mondiale de 2008-2009. On pourrait être tentés de croire que les bas taux auxquels on s’est habitués vont finir par revenir un jour. Mais il y a des raisons de penser que ce ne sera peut-être pas le cas.

S’adapter à un monde où les taux d’intérêt sont plus élevés serait un énorme changement pour tous les intervenants du système financier – autant les gouvernements, les entreprises et les ménages que les planificateurs financiers et les investisseurs. La stabilité financière et la résilience, c’est de s’adapter au changement, de façon graduelle et proactive. Une adaptation précoce et progressive réduit le risque de devoir prendre plus tard des mesures brusques, voire déstabilisantes.

Aujourd’hui, je vais donc expliquer pourquoi il est important pour la stabilité et la résilience du système financier que les gens s’adaptent à un possible environnement de taux d’intérêt plus élevés et planifient en conséquence. Je vais parler brièvement des raisons pour lesquelles on pourrait se retrouver dans un tel environnement dans l’avenir. Je vais ensuite évoquer certains des ajustements qu’on observe et ce qu’on pourrait voir à mesure que le processus se poursuivra.

Je vais tâcher de faire court pour laisser amplement de temps pour les questions et la discussion.

Pourquoi les taux d’intérêt pourraient rester plus élevés qu’à l’accoutumée

Tout d’abord, la surveillance du système financier par la Banque ne conduit pas à une prévision des résultats probables pour le système financier ou l’économie.

Je tiens donc à préciser que lorsque je parle des taux d’intérêt, je ne fais pas de prédictions sur la trajectoire de la politique monétaire. Je ne suis pas ici pour vous dire si notre taux directeur a atteint son maximum ou quand il pourrait commencer à baisser.

Ce que je vais vous présenter, ce sont les facteurs qui, selon nous, ont une incidence sur la trajectoire des taux d’intérêt à long terme; certaines des raisons pour lesquelles les taux pourraient rester élevés plus longtemps; et pourquoi il est important de s’adapter de manière proactive à cette éventualité.

Le taux directeur de la Banque s’établit présentement à 5 %. Mais de la crise financière mondiale jusqu’aux deux premières années de la pandémie de COVID-19, il a été presque toujours proche de zéro, et il n’a jamais dépassé 1,75 %. En fait, la tendance pour divers taux d’intérêt qui se répercutent sur les coûts d’emprunt dans le système financier était à la baisse depuis plusieurs années également.

Mon ancien collègue, le sous-gouverneur Paul Beaudry, a abordé les raisons de tout ça dans un discours en juin dernier2. Il a décrit les facteurs structurels à l’échelle mondiale qui, pendant de nombreuses années, se sont combinés pour pousser à la baisse les taux d’intérêt à long terme au Canada et dans d’autres économies avancées. Ces facteurs comprennent le vieillissement de la génération du baby-boom qui épargnait davantage, l’intégration de la Chine et d’autres pays en développement dans l’économie mondiale, et le moins grand nombre de possibilités d’investissement attrayantes pour les entreprises. Paul a aussi expliqué que certains de ces facteurs semblent avoir atteint leur maximum et pourraient commencer à s’inverser. Ça exercerait une pression à la hausse sur les taux d’intérêt.

Il semble également qu’on soit entrés dans une ère où les gouvernements sont plus endettés. Et les risques géopolitiques, comme une escalade de la guerre en Ukraine ou en Israël et à Gaza, pourraient pousser les taux à la hausse à l’échelle mondiale, s’ils devaient influencer les prix de l’énergie et les chaînes d’approvisionnement d’une manière susceptible d’avoir un effet durable sur l’inflation.

Il y a évidemment beaucoup d’incertitude dans tout ça. Mais il n’est pas difficile d’imaginer un monde où les taux d’intérêt restent durablement plus élevés que ce à quoi les gens se sont habitués.

À quoi ressemble l’ajustement à des taux d’intérêt plus élevés

À l’échelle mondiale, l’ajustement à des taux plus élevés est bien amorcé. Les taux à long terme sans risque dans diverses grandes économies ont augmenté d’environ 300 points de base depuis le milieu de 2021, quand les pressions inflationnistes mondiales ont commencé à s’accentuer. Il est donc devenu plus coûteux pour les emprunteurs, particuliers et entreprises, d’assurer le service de leurs dettes. En même temps, les institutions financières sont confrontées à des coûts de financement plus élevés3.

Tout ça laisse moins de marge de manœuvre au système financier mondial si un choc, comme un resserrement brusque des conditions financières, devait survenir. Et on a déjà vu quelques-uns de ces chocs. Il y a eu les tensions sur le marché des obligations d’État britanniques à l’automne dernier, puis celles qui sont apparues dans les secteurs bancaires américain et suisse en mars dernier. Ces deux épisodes ont été déclenchés, en partie, par une montée en flèche des rendements obligataires qui a pris une partie du système financier au dépourvu.

Ces précédents épisodes n’ont pas entraîné de tensions dans le système financier canadien. Mais comme le Canada est une petite économie ouverte, il ne serait probablement pas épargné si de graves tensions mondiales devaient resurgir et persister. Comme on l’a indiqué dans la RSF, de telles tensions pourraient interagir avec les vulnérabilités existantes, telles que l’endettement élevé des ménages.

Pour s’assurer que le système financier canadien demeure résilient face aux tensions futures, il faut continuer de s’adapter de façon proactive aux taux d’intérêt plus élevés.

Les ajustements observés jusqu’à présent

Selon les données, y compris les réponses à nos enquêtes, les Canadiens sont en train de s’adapter et ressentent une certaine pression, puisqu’ils doivent composer avec les effets combinés de l’inflation et des taux d’intérêt plus élevés.

Le rythme de croissance du crédit aux ménages a beaucoup ralenti depuis que la Banque a commencé à relever les taux d’intérêt. Au cours des derniers mois, cette croissance sur un an s’est établie à environ 3 %, soit le rythme le plus lent depuis le début des années 1990. Le nombre de demandes de prêts hypothécaires résidentiels a énormément baissé, tandis que les taux d’approbation des banques pour ces prêts restent pratiquement inchangés. Ça semble indiquer que le ralentissement est causé par une baisse de la demande de crédit plutôt que par un resserrement des critères d’octroi des prêts. Et ça cadre avec le déclin de la croissance des dépenses de consommation, surtout pour les biens qu’on achète généralement à crédit.

Même si les ménages n’augmentent pas autant leurs dettes, certains ont plus de difficulté à gérer celles qu’ils ont déjà contractées. Les taux de défaillance sur les cartes de crédit, les prêts automobiles et les marges de crédit non garanties sont revenus à leurs niveaux d’avant la pandémie, ou les ont légèrement dépassés. Et certains ménages semblent utiliser davantage leurs cartes de crédit : la proportion de comptes dont le taux d’utilisation dépasse 90 % est en hausse.

Les taux de défaillance sur les prêts hypothécaires restent quant à eux inférieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie4. Et, jusqu’à présent, les ménages détenteurs de tels prêts ne connaissent qu’une modeste hausse des tensions financières liées à leurs dettes non hypothécaires.

Le rythme d’expansion du crédit aux entreprises a aussi ralenti. Et, comme dans le cas des ménages, ce ralentissement semble découler surtout de la demande5.

Beaucoup d’entreprises ont vu leur coût du service de la dette augmenter et la croissance de leurs revenus ralentir en même temps. Cela dit, les données indiquent que la plupart d’entre elles sont toujours en mesure de rembourser leurs dettes existantes. Et même si le nombre de dossiers d’insolvabilité d’entreprises a augmenté dans presque tous les secteurs d’activité, il reste sensiblement comparable à ce qu’il était avant mars 20206.

Le secteur bancaire s’adapte lui aussi. Comme les taux d’intérêt ont monté, les banques ont relevé leurs taux de rémunération des dépôts à terme : les taux des certificats de placement garantis à un an ont dépassé les 5 %, du jamais vu en plus de 20 ans. Les déposants ont réagi en déplaçant leur argent des dépôts à vue vers des dépôts à terme plus payants. C’est une bonne nouvelle pour les épargnants. Mais pour les banques, ça signifie aussi des coûts de financement plus importants, qui sont généralement répercutés sur les emprunteurs.

Les banques gardent aussi des réserves de fonds propres et de liquidités plus importantes qu’avant la pandémie et mettent davantage de liquidités de côté pour faire face à d’éventuelles pertes de crédit. Tout ça les aide à se préparer à composer avec les effets d’un ralentissement économique. Et c’est exactement le genre d’adaptation proactive qu’on s’attend à voir.

Les ajustements à venir

Voilà le contexte actuel. Mais d’autres ajustements viendront.

Les niveaux élevés de prêts hypothécaires à versements fixes sont l’une des principales choses qu’on surveille. Au total, environ 40 % des détenteurs de prêts hypothécaires ont vu leurs versements augmenter depuis le début de 2022. D’ici la fin de 2026, pratiquement la totalité des emprunteurs restants renouvèleront leurs prêts et, selon la trajectoire que prendront les taux d’intérêt, pourraient voir leurs versements s’accroître de façon marquée.

Combinées à des indicateurs de tensions sur le crédit, nos enquêtes auprès des consommateurs nous aident à voir comment les Canadiens composent – ou ont l’intention de composer – avec des versements plus élevés. De nombreux répondants ont dit que le montant de leurs versements hypothécaires est près de la limite qu’ils peuvent se permettre sans réduire d’autres dépenses, ou la dépasse7. Et la plupart des personnes interrogées pensent que l’impact des hausses de taux ne se fait encore sentir qu’à moitié, tout au plus. Néanmoins, malgré une pression accrue sur leurs finances, la majorité des emprunteurs hypothécaires continuent de penser qu’ils seront capables d’effectuer des versements plus élevés au moment du renouvellement de leur prêt.

On voit une dynamique similaire dans les réponses aux enquêtes qu’on mène auprès des entreprises. Dans notre enquête sur les perspectives des entreprises publiée en octobre, un peu moins de la moitié des répondants ont dit qu’ils commencent à peine à ressentir l’impact des hausses de taux d’intérêt, tandis qu’un autre 30 % ont déclaré que cet impact est à moitié derrière eux8. Malgré ça, la plupart des répondants ont affirmé avoir confiance en leur capacité à gérer leurs dettes en dépit des pressions supplémentaires.

Mais il est encore tôt, et les effets des hausses de taux d’intérêt sont toujours en train de se propager dans l’économie. On va devoir surveiller de près tant les indicateurs de tensions sur le crédit que les données des enquêtes pour voir comment les entreprises et les ménages s’adaptent.

Conclusion

Je vais maintenant conclure pour vous laisser la parole.

Mon objectif aujourd’hui n’était pas d’offrir une prédiction de la trajectoire des taux d’intérêt. J’espérais plutôt vous donner une idée de certains éléments susceptibles d’influer sur les taux d’intérêt à long terme et, surtout, souligner l’importance de s’adapter de manière proactive à un avenir où les taux d’intérêt pourraient être plus élevés qu’ils ne l’ont été au cours des 15 dernières années.

La Banque va continuer de surveiller l’impact des taux d’intérêt plus élevés sur l’économie. Et on va continuer de tenir les Canadiens au courant de nos observations.

On va aussi continuer de travailler fort pour ramener l’inflation jusqu’à la cible de 2 %, afin que les Canadiens puissent épargner, investir et planifier avec plus de certitude.

Merci de m’avoir écoutée. Je suis impatiente de discuter avec vous.

Je tiens à remercier Russell Barnett, Claudia Godbout et Louis Morel de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.

Information connexe

9 novembre 2023

S’adapter à des taux d’intérêt plus élevés

Sommaire du discours Carolyn Rogers Advocis Vancouver Vancouver (Colombie-Britannique)
La première sous-gouverneure Carolyn Rogers explique pourquoi les taux d’intérêt pourraient se maintenir à des niveaux plus élevés que ce à quoi les Canadiens se sont habitués, et parle de l’importance de se préparer à cette éventualité le plus tôt possible.
9 novembre 2023

Discours : Advocis Vancouver

Le point sur la stabilité financière — La première sous-gouverneure Carolyn Rogers prononce un discours devant Advocis Vancouver. (vers 12 h, heure de l’Est).

  1. 1. Pour en savoir plus, voir la Revue du système financier – 2023 de la Banque du Canada.[]
  2. 2. P. Beaudry (2023), Le point sur la situation économique : la montée des taux d’intérêt marque-t-elle le début d’une nouvelle ère?, discours prononcé devant la Chambre de commerce du Grand Victoria, Victoria (Colombie-Britannique), 8 juin.[]
  3. 3. Fonds monétaire international (2023), Global Financial Stability Report: Financial and Climate Policies for a High-Interest-Rate Era.[]
  4. 4. Pour en savoir plus, voir les Indicateurs de vulnérabilités financières sur le site Web de la Banque.[]
  5. 5. Les données de la plus récente Enquête auprès des responsables du crédit sont accessibles sur le site Web de la Banque.[]
  6. 6. Selon les données de FactSet, seulement 3 % environ de l’encours total de la dette des sociétés non financières cotées en bourse est détenu par des entreprises dont les bénéfices ne couvrent plus leurs paiements d’intérêts.[]
  7. 7. Pour en savoir plus, voir l’Enquête sur les attentes des consommateurs au Canada – Troisième trimestre de 2023.[]
  8. 8. Pour en savoir plus, voir les graphiques 5 et 6 de l’Enquête sur les perspectives des entreprises – Troisième trimestre de 2023 de la Banque du Canada.[]