Introduction

Bonjour. Je tiens tout d’abord à remercier la Chambre de commerce du Grand Toronto de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Je ne pourrais souhaiter un meilleur auditoire pour parler de la stabilité des prix et de la stabilité financière, et j’ai bien hâte de discuter avec vous.

La Banque du Canada a commencé à relever les taux d’intérêt en mars 2022, et 14 mois plus tard, nous pouvons voir que la politique monétaire fonctionne et fait baisser l’inflation. En mars 2023, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) s’est établie à 4,3 %, soit environ la moitié de son niveau de l’été dernier, lorsqu’elle avait culminé à un peu plus de 8 %. Nous nous attendons à ce qu’elle baisse encore et à ce qu’elle avoisine 3 % cet été. C’est une bonne nouvelle.

Mais je ne suis pas ici pour vous parler en détail du chemin parcouru jusqu’à maintenant pour faire baisser l’inflation. Je vais plutôt aborder la façon de garder le cap sur la stabilité des prix et de ramener l’inflation à la cible de 2 %. Il y a encore du travail à faire pour voir le plein effet de la politique monétaire. Je veux ensuite parler des défis et des risques liés au retour à la cible. Enfin, je veux passer en revue les tensions observées récemment dans le secteur bancaire mondial et la façon dont la stabilité financière et la stabilité des prix se renforcent mutuellement.

Restaurer la stabilité des prix

Au début de la pandémie de COVID-19, des forces mondiales – notamment les perturbations des chaînes d’approvisionnement et la hausse prononcée de la demande de biens – avaient provoqué la montée de l’inflation au Canada. L’invasion de l’Ukraine par la Russie l’année dernière a entraîné une nouvelle poussée de l’inflation, en particulier pour l’énergie et les produits agricoles. Mais des forces intérieures ont de plus en plus contribué aux pressions inflationnistes. Quand l’économie canadienne a complètement rouvert, elle a commencé à surchauffer. Les consommateurs voulaient toujours acheter des biens et la demande de services a bondi, les ménages voulant profiter des nombreux services qui leur avaient manqué durant la pandémie. Les employeurs n’arrivaient pas à trouver assez de travailleurs pour suivre le rythme de la demande, et les entreprises n’ont pas tardé à répercuter les hausses de coûts sur les consommateurs.

Pour contrer ces pressions inflationnistes, la Banque a répondu avec force en relevant rapidement le taux directeur. Le but était de rééquilibrer l’économie en freinant la demande, de telle sorte que l’offre puisse la rattraper. Cette politique monétaire plus restrictive fonctionne : les taux d’intérêt plus élevés limitent les dépenses des ménages, ce qui fait ralentir la demande de biens. De plus, l’offre de biens se redresse à mesure que les chaînes d’approvisionnement mondiales se désengorgent et que les prix moins élevés de l’énergie font baisser les frais de transport et les coûts de production. En conséquence, l’inflation diminue rapidement. Nous nous attendons à ce qu’elle se situe à 3 % cet été, même si l’économie continue de croître modestement. Ces progrès sont encourageants, mais faire passer l’inflation de 3 % à la cible de 2 % devrait s’avérer plus difficile. Selon notre projection actuelle, cela ne devrait se produire que vers la fin de 2024.

Dans ce contexte, je veux insister sur le fait que notre travail ne sera pas accompli tant que nous n’aurons pas restauré la stabilité des prix, autrement dit, tant que l’inflation ne sera pas centrée sur notre cible de 2 %. La stabilité des prix est importante, car c’est un facteur essentiel d’une économie prospère. Une inflation basse et stable stimule les forces de la concurrence dans l’économie et permet de planifier et d’investir en sachant que l’argent va conserver sa valeur.

Comme nous l’avons souligné en avril, le plus important risque à la hausse pesant sur nos prévisions d’inflation, c’est que l’augmentation des prix des services soit plus persistante que prévu. L’inflation dans ce secteur doit ralentir assez pour permettre le retour de l’inflation globale à la cible de 2 %. Et pour cela, plusieurs choses doivent encore se produire : il faut que le marché du travail se rééquilibre, que les pratiques de fixation des prix des entreprises se normalisent, et que les attentes d’inflation à court terme continuent de diminuer. Laissez-moi approfondir ces points tour à tour.

Marché du travail

Le marché du travail canadien reste tendu. À 5 %, le taux de chômage demeure près de son creux historique, et la croissance de l’emploi au cours des derniers mois a été plus forte que prévu. Mais l’offre de main-d’œuvre a aussi progressé plus vite que nous nous y attendions, car les femmes et les immigrants sont plus nombreux qu’anticipé à intégrer le marché du travail. Les augmentations des subventions pour la garde d’enfants et les modalités de travail plus flexibles ont favorisé la hausse du taux d’activité des femmes, surtout des mères avec de jeunes enfants. L’afflux de nouveaux arrivants au Canada a également contribué à faire grossir les rangs de la population active. La population canadienne a atteint 39,6 millions d’habitants en janvier après un gain record d’un million de nouveaux arrivants en 2022, parmi lesquels des résidents permanents, des travailleurs temporaires et des étudiants. Ils viennent alimenter la demande dans notre économie et bon nombre d’entre eux sont de nouveaux travailleurs qui font croître l’offre de main‑d’œuvre.

L’offre accrue de travailleurs permet de pourvoir des postes, et aide ainsi à atténuer les tensions sur le marché du travail. De plus, des signes montrent que les pénuries de main-d’œuvre commencent à s’estomper. Dans l’enquête sur les perspectives des entreprises du premier trimestre de 2023, les répondants ont mentionné qu’il était maintenant plus facile de trouver les travailleurs dont ils avaient besoin.

Mais la forte demande de main-d’œuvre continue d’absorber rapidement l’offre accrue de travailleurs. Et la progression des salaires ne s’est pas encore modérée. La plupart des mesures de la croissance des salaires demeurent aux alentours de 4 à 5 %. À moins que la croissance de la productivité ne devienne étonnamment forte, il sera difficile d’atteindre la cible d’inflation de 2 % si la croissance des salaires se maintient dans cette fourchette.

Les tensions sur le marché du travail ont d’importantes répercussions sur le secteur des services : les coûts de main-d’œuvre représentent environ un tiers des prix des services hors logement, alors qu’ils ne représentent qu’un cinquième des prix dans les secteurs producteurs de biens.

Pratiques de fixation des prix des entreprises

L’enquête sur les perspectives des entreprises donne aussi des indications sur les pratiques de ces dernières en matière de fixation des prix. Les répondants à cette enquête déclarent qu’ils demeurent préoccupés par leurs coûts et qu’ils continuent de faire face à une forte demande pour de nombreux biens et services. Ils s’attendent encore à changer leurs prix plus souvent qu’en temps normal au cours des 12 prochains mois. Mais cette dynamique commencerait à changer. Les entreprises s’attendent à ce que les prix augmentent plus lentement, à mesure que les prix des produits de base baissent, que les chaînes d’approvisionnement s’améliorent et que la demande faiblit. Les entreprises entrevoient aussi une diminution de l’ampleur et du rythme des modifications de prix, ce qui tend à indiquer que leurs pratiques de fixation des prix se rapprochent graduellement de ce qu’elles étaient avant la pandémie. Il faudra que ces pratiques continuent de se normaliser pour que l’inflation puisse retourner à la cible de 2 %.

Attentes d’inflation

Nous suivons aussi de près les attentes d’inflation.

Si les gens croient que l’inflation va rester forte à long terme, ils seront enclins à payer des prix élevés maintenant pour éviter de payer encore plus cher à l’avenir. Et, cela ne fait que donner aux entreprises le champ libre pour continuer d’augmenter leurs prix.

Des enquêtes récentes ont révélé que les attentes d’inflation des consommateurs et des entreprises ont fléchi. Cependant, notre dernière enquête sur les attentes des consommateurs indique que les inquiétudes des Canadiens au sujet de l’inflation restent élevées, même si elles semblent s’apaiser. De plus, trop de gens pensent encore que l’inflation mesurée par l’IPC dépassera les prévisions de la Banque au cours des deux années à venir.

Les attentes d’inflation à long terme demeurent compatibles avec la cible de 2 %, ce qui est une bonne chose. Mais celles à court terme doivent baisser pour que les entreprises puissent reprendre leurs pratiques normales de fixation des prix et que la croissance des salaires se modère.

Selon notre prévision de référence, le marché du travail perdra de la vigueur à mesure que l’économie ralentira. La progression des salaires fléchira et les entreprises reprendront des pratiques plus normales de fixation des prix. De plus, les attentes d’inflation à court terme s’aligneront sur la cible. Toutefois, il se peut que ces ajustements prennent plus de temps que prévu ou qu’ils stagnent, et que l’inflation reste coincée bien au-dessus de 2 %.

Maintenir la stabilité financière

Le plus grand risque à la baisse entourant nos prévisions est une récession grave à l’échelle du globe, qui pourrait se manifester de plusieurs façons, notamment par des tensions sur la scène financière internationale. L’instabilité pourrait déclencher ou amplifier un ralentissement marqué de l’économie mondiale.

Les tensions observées récemment dans le système bancaire mondial nous ont rappelé que l’instabilité financière peut surgir sans crier gare1. En mars, l’effondrement de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank aux États-Unis, ainsi que les fortes pressions du marché subies par Credit Suisse, ont eu un impact immédiat sur d’autres institutions financières. La volatilité du marché financier est montée en flèche et les conditions de crédit se sont resserrées. Heureusement, les autorités ont pris des mesures rapides et énergiques pour protéger les déposants, maintenir la confiance et soutenir le crédit. Combinées aux mesures de protection mises en place depuis la crise financière mondiale de 2008-2009, qui ont amélioré la résilience des institutions financières et du système en général, ces actions ont limité la contagion financière. Néanmoins, la vente récente de First Republic Bank à JP Morgan par les autorités américaines a montré que les institutions financières vulnérables peuvent encore être la proie de graves tensions sur les marchés.

Ici, au Canada, les effets de débordement modérés observés sont un bon indicateur de la stabilité financière qui fait notre réputation partout dans le monde. Cette stabilité tient à une combinaison d’atouts, notamment la structure de notre système financier, conjuguée aux saines pratiques de gestion des risques de nos institutions financières et à nos cadres de réglementation et de supervision rigoureux.

En revanche, les risques entourant la stabilité financière sont encore bien réels, et nous continuons d’observer des fluctuations de l’humeur du marché. Si les tensions financières mondiales devaient refaire surface et se généraliser, les effets de débordement pourraient être plus importants au Canada. De plus, le stress financier pourrait avoir une incidence sur les vulnérabilités au pays attribuables au niveau élevé d’endettement des ménages et à la possibilité d’une contraction plus prononcée de l’activité sur le marché du logement. Même si, dans notre scénario de référence, les tensions financières restent sous contrôle, je veux quand même vous parler du lien entre la stabilité des prix et la stabilité financière.

Mon premier point est que l’une ne va pas sans l’autre, et nous avons besoin des deux. La stabilité des prix – ou la confiance dans la valeur de la monnaie – est le fondement même d’un système financier solide et fonctionnel, et elle dépend directement de la stabilité financière. En d’autres termes, l’incertitude qu’amène l’inflation élevée, ou l’instabilité des prix, ne fait rien pour améliorer la stabilité financière. Et de graves tensions financières ne font que compliquer davantage l’atteinte de la stabilité des prix.

Mon deuxième point est que nous avons des mandats et des outils distincts qui nous permettent de travailler à l’atteinte de la stabilité des prix et de la stabilité financière en même temps. Le taux directeur est notre principal outil pour équilibrer l’offre et la demande, et rétablir la stabilité des prix dans l’économie. Nous disposons aussi d’une gamme d’instruments pour les situations de graves tensions dans le système financier. Nous les utilisons pour fournir des liquidités contre des garanties de bonne qualité et pour maintenir l’accès au crédit.

Mon troisième point est que la stabilité des prix peut interagir avec la stabilité financière, et nous gardons cela à l’esprit. Les tensions financières ont généralement des conséquences sur la calibration de la politique monétaire en ce sens qu’elles resserrent les conditions financières. Cela veut dire que les prêts deviennent plus coûteux et plus difficiles à obtenir que d’habitude. Dans le contexte actuel, la politique monétaire provoque déjà un resserrement des conditions financières, ce qui est la conséquence voulue des hausses du taux directeur. Mais si le stress financier devait conduire à un resserrement plus important que prévu et persistant, nous devrions en tenir compte dans nos décisions concernant le taux directeur dans le but d’atteindre notre cible d’inflation.

Parallèlement, le système financier doit s’ajuster aux taux d’intérêt plus élevés. Cela met en relief l’importance d’une gestion saine des risques dans les institutions financières et d’une supervision vigilante permettant de cerner et de gérer les risques, à mesure que l’économie ralentit et que les coûts de financement s’ajustent aux taux d’intérêt élevés.

Conclusion

Permettez-moi de conclure pour que vous puissiez prendre la parole à votre tour.

Nous prévoyons une baisse rapide de l’inflation, qui devrait s’établir à environ 3 % cet été, puis revenir à la cible de 2 % vers la fin de 2024. Le recul projeté de 3 à 2 % est à la fois plus lent et plus incertain. Compte tenu de la faible croissance anticipée pour le reste de l’année et de sa reprise graduelle prévue pour l’an prochain, nous nous attendons à ce que l’augmentation des prix des services se modère et à ce que l’inflation globale s’aligne sur notre cible. Mais pour cela, plusieurs choses doivent encore se produire et nous surveillons la situation de près.

Le mois dernier, le Conseil de direction a décidé de maintenir le taux directeur à 4½ % pendant qu’il tente de déterminer si la politique monétaire est assez restrictive pour permettre de ramener l’inflation à la cible. Nous savons qu’il faut un certain temps pour que la politique monétaire fonctionne, et que les effets du resserrement effectué jusqu’à maintenant ne se font pas encore pleinement sentir dans l’économie. Nous sommes prêts à relever de nouveau le taux directeur si nous observons des signes que l’inflation risque de stagner bien au‑dessus de notre cible de 2 %.

Nous sommes aussi prêts à réagir à l’instabilité financière. Les tensions financières récentes à l’échelle mondiale n’ont pas eu d’incidence marquée ici au Canada. Mais si de nouvelles tensions graves font leur apparition, nous avons les outils pour fournir des liquidités pendant que nous poursuivons nos efforts pour restaurer la stabilité des prix.

Il n’a pas été facile de s’ajuster aux hausses des taux d’intérêt, mais l’autre possibilité – une inflation constamment élevée – est pire. Une inflation basse, stable et prévisible améliore le fonctionnement de l’économie et la vie de la population canadienne. La stabilité des prix est le fondement de la prospérité commune. Elle protège les ménages de l’anxiété que causent les grands changements du coût de la vie. De plus, elle permet aux ménages et aux entreprises de prévoir leurs dépenses, d’épargner et d’investir en toute confiance. C’est notre destination : nous sommes sur la bonne voie et nous allons garder le cap.

J’ai hâte de discuter de tout ça avec vous.

Merci.

Je tiens à remercier Gino Cateau et Grahame Johnson de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.

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4 mai 2023

Ramener l’inflation à 2 %

Sommaire du discours Tiff Macklem Chambre de commerce du Grand Toronto Toronto (Ontario)
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  1. 1. Voir T. Gravelle (2023), Les programmes d’octroi de liquidités aux marchés de la Banque du Canada : les leçons de la pandémie, discours prononcé lors de la Conférence sur les services financiers de la Banque Nationale, Montréal, Québec, 29 mars.[]