Introduction
Bonjour. Merci de m’avoir invitée à cette discussion.
J’aime toujours venir à Montréal. Parler de l’état de l’économie dans un des grands moteurs économiques du pays, ça va de soi. Et le faire à l’Institut de développement urbain semble spécialement approprié – surtout quand on connaît votre contribution à cette ville dynamique.
Je suis ici pour faire le point sur la situation économique.
On a pris des initiatives au fil des ans pour mieux informer les Canadiens – notamment au sujet de nos décisions de taux d’intérêt. On fait aussi des discours comme celui d’aujourd’hui pour expliquer ce que la Banque du Canada fait.
Je vais commencer comme d’habitude, en parlant de l’annonce de taux d’hier et de la façon dont la décision a été prise.
Ensuite, je vais faire le point sur l’évolution de l’économie depuis le Rapport sur la politique monétaire d’octobre, et les tendances que la Banque surveille.
Enfin, dans un esprit d’ouverture qui est au cœur de ce discours, je veux expliquer comment la Banque rend des comptes à la population qu’elle sert. Je vais entre autres parler d’une nouvelle initiative qui sera mise en place en janvier pour accroître notre transparence.
La décision d’hier
Entrons donc dans le vif du sujet.
Hier, le Conseil de direction de la Banque a décidé de relever le taux directeur de 50 points de base, pour l’établir à 4¼ %. Nos délibérations ont porté sur trois facteurs qu’on a surveillés de près, comme on l’avait annoncé : la résolution des problèmes d’approvisionnement, l’efficacité des hausses de taux pour ralentir la demande, et l’évolution de l’inflation et des attentes d’inflation.
Commençons avec les problèmes d’approvisionnement. Même si on continue de voir des signes d’amélioration, les progrès sont lents et des événements géopolitiques pourraient encore les entraver. On a évalué dans quelle mesure les tensions continues sur le marché du travail, ici au Canada, font obstacle à la relance de l’offre intérieure de biens et de services.
Passons maintenant à l’impact de nos mesures de politique monétaire. On voit plus de signes que le resserrement monétaire freine la demande intérieure. Cela dit, la croissance du produit intérieur brut (PIB) a été plus forte que prévu au troisième trimestre, et l’économie a continué d’afficher une demande excédentaire. De plus, le marché du travail demeure tendu et les entreprises ont encore de la facilité à augmenter leurs prix. Le Conseil de direction est donc d’avis que l’économie a encore besoin que la demande se modère de façon plus soutenue.
Enfin, en ce qui concerne l’inflation et les attentes d’inflation, le Conseil de direction continue de dresser un bilan contrasté. D’un côté, l’inflation reste trop forte, et de nombreux biens et services de consommation courante affichent des augmentations de taille. D’un autre côté, les mesures de l’inflation fondamentale sur trois mois ont baissé. C’est là un signe précoce que les pressions sur les prix sont peut-être en train de s’alléger.
Avec la décision d’hier, on a indiqué qu’à l’avenir, on va évaluer si de nouvelles hausses du taux directeur sont nécessaires. Autrement dit, on s’attend à ce que nos décisions reposent plus sur des données. Et si les chiffres sont plus élevés que prévu, on est prêts à agir avec force. Mais on est conscients d’avoir relevé les taux d’intérêt rapidement, et que les effets sont en train de se propager dans l’économie. Donc, au lieu de regarder de combien on devrait augmenter les taux, on va regarder si une hausse est nécessaire.
Notre prochaine décision de politique monétaire sera en janvier. Et cette décision va s’appuyer sur sept autres semaines de données, et une nouvelle projection économique.
Mesurer les effets de la politique monétaire
Ça vous donne un peu de contexte sur notre décision d’hier. Maintenant, regardons de plus près la façon dont on étudie ce qui se passe dans l’économie et ce qu’on y voit. La Banque recueille et interprète les données d’un large éventail de sources pour évaluer les changements à la conjoncture, et leurs implications pour l’inflation.
On est encore dans un contexte économique sans précédent. On a donc recours à des données à haute fréquence non traditionnelles sur différents sujets – comme les transactions de détail, les réservations d’hôtel et de restaurant, et l’utilisation du transport en commun1. Et grâce à nos enquêtes auprès des gens d’affaires – l’enquête sur les perspectives des entreprises et Le Pouls des entrepreneurs – on obtient beaucoup de renseignements utiles. Certains d’entre vous y ont peut-être participé et nous vous en remercions. Car ces nouvelles sources de données fournissent de l’information précieuse sur l’évolution à court terme de l’économie. On peut ainsi voir plus vite les tendances qui émergent.
Pour ce qui est de l’interprétation des données, on en examine une grande variété pour avoir une idée de l’activité globale dans l’économie. Mais on ne regarde pas juste les chiffres séparément. On les interprète dans un contexte plus général, puis on les combine pour alimenter des modèles qui proposent différents scénarios pour nos perspectives.
Par exemple, notre modèle qui produit des prévisions par densité pour la période en cours fournit divers résultats pour le taux de croissance courant de l’économie canadienne. Il montre aussi la probabilité que chaque scénario se réalise2.
On sait que des points de données uniques peuvent sembler volatils d’un mois à l’autre. En regroupant les données de différentes façons, on écarte celles qui ne sont pas pertinentes et on évite de trop se focaliser sur un élément d’information en particulier.
L’économie ralentit, mais la demande excessive persiste
Depuis mars dernier, la Banque a pris des mesures de politique monétaire vigoureuses. Ces hausses de taux d’intérêt ont eu des effets sur l’économie. Comme je l’ai dit plus tôt, les données montrent un repli de la demande dans les secteurs sensibles aux taux d’intérêt. Ce repli a débuté au deuxième trimestre, quand les reventes de logements se sont beaucoup contractées.
Au troisième trimestre, la croissance du PIB est restée solide. Par contre, on a vu une autre forte contraction de l’activité sur le marché du logement et une baisse de la consommation de biens. Ce ralentissement reflète en partie les changements de comportement des consommateurs, qui se remettent à dépenser plus normalement depuis la levée des restrictions sanitaires. Mais, les dépenses les plus sensibles aux taux d’intérêt sont celles qui ont le plus changé. On pense donc que les mesures de politique monétaire qu’on a prises pour rééquilibrer l’offre et la demande fonctionnent.
La croissance des secteurs où la distanciation est difficile – comme la restauration et l’hôtellerie – a aussi commencé à ralentir un peu. Et il est probable que ce ralentissement se poursuive. En effet, le boom de croissance dans ce secteur après la réouverture de l’économie est maintenant pratiquement derrière nous.
Dans l’ensemble, des signes montrent que la demande ralentit, mais reste excédentaire. On a tous vu comment cette demande excédentaire se manifeste. Par de longs délais de livraison, des files d’attente au restaurant, des produits en rupture de stock ou des entrepreneurs qui ne craignent pas de perdre des clients s’ils montent leurs prix. Et bien sûr, par de l’inflation.
Et c’est le prochain sujet que je vais aborder.
L’inflation est encore trop élevée
Depuis son sommet de 8,1 % atteint en juin, l’inflation est descendue à 6,9 %. Supposons qu’on enlève les changements des prix volatils de l’équation. On voit alors que l’inflation fondamentale sur douze mois a aussi arrêté de monter ces derniers mois, et qu’elle se maintient à environ 5 %. Certains signes laissent également entrevoir que l’inflation ralentit. En effet, l’inflation fondamentale sur trois mois a baissé et avoisine 3½ %.
On voit ce ralentissement dans diverses sous-composantes de l’indice des prix à la consommation (IPC). Par exemple, la hausse des prix de différents biens durables commence à ralentir, parce que les dépenses de consommation et les problèmes mondiaux d’approvisionnement diminuent. Et nos hausses de taux ont aidé à modérer le niveau d’activité insoutenable sur le marché de l’habitation. La baisse des prix des maisons a fait reculer l’inflation liée au logement, et ce malgré la montée des coûts d’intérêt et des loyers. Tout ça est encourageant, mais comme je l’ai dit plus tôt il y a encore quelques points qui nous préoccupent.
Comme le fait que la surchauffe de la demande intérieure continue de pousser les prix à la hausse dans les secteurs où la distanciation est difficile, comme l’hôtellerie et la restauration. Il pourrait s’écouler pas mal de temps avant qu’un meilleur équilibre entre l’offre et la demande fasse effet dans ces secteurs.
Il faut aussi noter l’inflation des aliments, qui n’a pas baissé autant que celle d’autres biens. L’épicerie continue d’augmenter, même si la plupart des prix des produits agricoles sont bien en dessous des sommets atteints au plus fort de la pandémie.
Pour se rapprocher de notre cible, il faut que l’inflation sur trois mois baisse encore plus, et que cette baisse soit durable. En gros, l’inflation – et les attentes d’inflation à court terme – restent quelque peu fermes ou rigides.
Les attentes d’inflation restent préoccupantes
J’aimerais maintenant prendre quelques instants pour expliquer pourquoi la Banque surveille de près l’évolution des attentes d’inflation. C’est parce que l’histoire nous a montré que des attentes élevées peuvent faire monter l’inflation et la rendre plus persistante.
C’est l’expérience malheureuse qu’on a eue dans les années 1970. Pendant cette décennie, le taux de chômage et l’inflation étaient tous les deux élevés. Un des grands défis était que les attentes d’inflation continuaient de monter. Il faut se rappeler qu’à cette époque les banques centrales n’avaient pas encore adopté le ciblage de l’inflation. Donc, les attentes d’inflation n’avaient pas de point d’ancrage. Par conséquent, les ménages et les entreprises étaient convaincus que les prix continueraient simplement de grimper rapidement. Et ils ont basé leurs décisions et leur planification sur cette hypothèse. Résultat : même quand l’économie s’est modérée, l’inflation est restée obstinément élevée.
Dans le graphique 13, on voit ce qui peut se passer quand les attentes d’inflation ne sont pas maîtrisées. Il montre ce que les économistes appellent la courbe de Phillips, un principe de théorie économique qui décrit la relation inverse à court terme entre l’inflation et le taux de chômage. Quand une de ces deux variables monte, l’autre descend. Les points bleus correspondent à des données mensuelles.
Mais comme les années 1970 l’ont démontré, la courbe de Phillips n’est pas toujours stable. Dans la figure a du graphique 1, on voit que la courbe s’est déplacée. Les attentes d’inflation n’étaient pas ancrées pendant cette période, et la diminution de la demande n’a pas entraîné de baisse de l’inflation. En fait, le taux de chômage et l’inflation ont tous les deux augmenté, puisque la courbe de Phillips s’est déplacée vers le haut et la droite.
Dans la figure b, on voit la courbe depuis l’adoption d’une cible d’inflation de 2 % en 1995. Comme dans la première moitié des années 1970, on a vu une baisse du taux de chômage et une hausse de l’inflation. Mais contrairement aux années 1970, les attentes d’inflation à long terme sont présentement bien ancrées à notre cible de 2 %. Notre travail, c’est d’utiliser nos outils de politique monétaire pour maintenir cet ancrage.
Ça nous permettrait de redescendre doucement sur la pente abrupte de la courbe de Phillips. On pourrait aussi atteindre notre cible d’inflation sans l’importante hausse du chômage subie lors des dernières récessions. C’est pour ça qu’on relève notre taux directeur avec vigueur depuis mars : pour garder les attentes d’inflation ancrées.
Les années 1970 nous ont appris à la dure que le désarrimage des attentes n’annonce rien de bon. Il en coûte alors beaucoup plus pour rétablir la stabilité des prix.
Transparence
Avec tout ce qui se passe dans l’économie, on doit plus que jamais communiquer ouvertement avec la population.
On a commencé à le faire avec la mise en place du ciblage de l’inflation au début des années 1990. Une plus grande transparence nous a permis d’ancrer les attentes d’inflation et de renforcer la crédibilité de notre cadre de politique monétaire.
Au cours des quelque 30 dernières années, on a beaucoup fait pour que les Canadiens comprennent mieux nos décisions et les enjeux qui nous préoccupent. Par exemple, on a commencé :
- à publier le Rapport sur la politique monétaire;
- à émettre des communiqués pour expliquer nos décisions;
- à allonger les déclarations préliminaires du gouverneur pendant les conférences de presse, pour donner un meilleur aperçu des questions abordées durant nos délibérations sur la politique monétaire.
On publie aussi plus de données et d’analyses que dans le passé. Et on offre beaucoup plus de documents d’information en ligne ainsi que par le biais de notre musée.
Et on est aussi plus à l’écoute :
- Le personnel de nos bureaux régionaux sonde régulièrement les participants du secteur privé et des marchés financiers pour connaître leurs points de vue et rester au fait des développements économiques locaux.
- Le gouverneur et les sous-gouverneurs sont aussi en contact avec des parties prenantes plus diversifiées du monde des affaires, du milieu syndical et de la société civile.
On cherche aussi activement de nouvelles façons d’améliorer notre transparence, surtout en ce qui concerne nos décisions de politique monétaire4.
Plus tôt cette année, la Banque s’est portée volontaire pour participer à un examen pilote de ses pratiques générales de transparence. Cet exercice était lié au nouveau code pour la transparence des banques centrales du Fonds monétaire international (FMI)5.
Dans son rapport, le FMI indique que la Banque est une référence en matière de transparence globale. Il décrit aussi notre cadre de politique monétaire comme complet, transparent et compréhensible.
Le rapport comprend également des recommandations. L’une d’elles est de publier un résumé des délibérations après chaque décision de politique monétaire – chose qu’on envisageait déjà de faire.
Et on va le faire dès janvier. Environ deux semaines après nos décisions, on va publier le sommaire de nos délibérations dans notre site Web.
En tant qu’institution publique, la Banque doit mener ses activités en toute transparence. Notre nouveau résumé va fournir des détails sur les questions abordées pendant les délibérations, et sur la façon dont le Conseil de direction est arrivé à un consensus.
En donnant plus d’informations sur nos décisions de politique monétaire, on aide les gens à mieux comprendre ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Ça améliore aussi la façon dont on rend des comptes. Mais surtout, on sait que plus les gens comprennent notre travail, plus ils nous font confiance. Et en fin de compte, ça rend la politique monétaire plus efficace.
L’ouverture est toujours de mise. Mais elle devient capitale en période d’incertitude, et aussi quand on met tout en œuvre pour ramener l’inflation à notre cible de 2 %.
Conclusion
C’est maintenant le moment de conclure. L’inflation mesurée par l’IPC est restée à 6,9 % en octobre. Les prix de nombreux biens et services que les gens consomment régulièrement ont beaucoup augmenté. Les mesures de l’inflation fondamentale avoisinent 5 %. Et les taux de variation sur trois mois ont baissé. Certains signes précurseurs indiquent donc que la demande ralentit et que les pressions sur les prix s’atténuent.
Mais la demande reste excédentaire, l’inflation est encore trop forte et généralisée, et les attentes d’inflation à court terme demeurent élevées. C’est ce qui explique notre décision d’hier.
À l’avenir, le Conseil de direction va évaluer s’il est nécessaire de relever encore le taux directeur pour ramener l’offre et la demande en équilibre, et l’inflation à la cible. On va continuer d’analyser l’efficacité du resserrement de la politique monétaire pour ralentir la demande, la résolution des problèmes d’approvisionnement, et la réaction de l’inflation et des attentes d’inflation.
On sait que cette période est très difficile pour les Canadiens. La hausse des coûts d’emprunt à court terme va faire baisser l’inflation, mais seulement avec un décalage.
Ça va prendre un peu de temps, mais on va y arriver. C’est ce que les Canadiens veulent, et ce à quoi ils s’attendent de nous.
Une inflation basse et prévisible aide à préserver la valeur de la monnaie et permet à tout le monde de mieux planifier ses dépenses. De cette façon, l’économie peut croître de façon soutenable, ce qui fait augmenter les salaires et crée des emplois.
On est déterminés à ramener l’inflation à sa cible de 2 % et à rétablir la stabilité des prix pour les Canadiens.
Grâce à notre décision d’hier, on est encore plus près de cet objectif.
Je tiens à remercier Mikael Khan et Daniel de Munnik de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.
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