Introduction
Les prix des cryptoactifs, comme le bitcoin, sont très volatils (graphique 1), ce qui les rend généralement inadéquats pour agir à titre de réserves de valeur, de moyens d’échange ou d’unités de compte, qui sont les rôles traditionnels de la monnaie. Pour remédier à cette difficulté, des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire nationale ou à d’autres actifs ont fait leur apparition1. Ces types de cryptoactifs sont communément perçus comme « stables » parce qu’ils visent à maintenir un arrimage complet à l’actif de référence, soit un ancrage à valeur égale. Cependant, le terme n’est pas entièrement exact puisque la valeur de ces types de cryptoactifs peut s’écarter largement de la parité avec la monnaie de référence ou la perdre complètement, ce qui les rend instables, comme nous l’avons constaté au printemps de 2022 (graphique 2). La plupart des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire (comme Tether, USD Coin et Binance USD) maintiennent leur arrimage grâce à une réserve d’actifs financiers traditionnels (p. ex., des espèces ou des obligations d’État, dans la monnaie nationale de référence). Cette réserve équivaut à la valeur des cryptoactifs en circulation2.
Graphique 1 : Les prix des cryptoactifs sont beaucoup plus volatils que ceux des monnaies fiduciaires et des actifs traditionnels, comme les actions
Graphique 2 : En mai 2022, TerraUSD, le cryptoactif algorithmique se référant à une monnaie fiduciaire, a fortement dévié de son arrimage après que les investisseurs ont perdu confiance dans leur capacité d’encaisser leurs fonds
À l’heure actuelle, les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire sont principalement utilisés comme méthode de paiement sur les plateformes d’échange de cryptoactifs et jouent donc un rôle similaire à celui d’une monnaie fiduciaire. Étant donné la montée de l’intérêt pour les cryptoactifs, la valeur du marché mondial des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire a été multipliée par plus de 30 entre le début de 2020 et la mi-2022, pour s’établir à 161 milliards de dollars américains (graphique 3).
Puisque les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire sont susceptibles de jouer bon nombre des mêmes rôles que l’argent, leur usage comme méthodes de paiement pour des biens et des services pourrait se généraliser parmi les ménages et les entreprises3. S’ils sont bien conçus et réglementés de façon appropriée, ces cryptoactifs pourraient susciter des gains d’efficience et favoriser la concurrence en matière de services de paiement, en particulier dans une économie toujours plus numérique. Or, sans mesures de protection, ils pourraient poser des risques importants pour la stabilité du système financier. Nous faisons un survol des principales entités et activités liées à la création, à la distribution et à l’utilisation de ces cryptoactifs, puis nous explorons certains de leurs avantages potentiels ainsi que les risques clés qu’ils présentent pour la stabilité financière.
Graphique 3 : La capitalisation du marché mondial des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire est égale à plus d’un quart des dépôts à vue au Canada
Création et distribution
Un réseau d’entités, d’activités et de technologies soutiennent la création, la distribution et l’utilisation de chaque cryptoactif se référant à une monnaie fiduciaire. Ce réseau est mis sur pied par l’émetteur et s’appelle communément un dispositif. Selon la façon dont il est conçu, un dispositif peut inclure une ou plusieurs entités, affiliées ou non, grâce à la technologie du grand livre distribué (TGLD), qui permet de créer et de faire circuler les cryptoactifs. Les plateformes de TGLD sont des systèmes de tenue de dossiers par ordre chronologique des opérations. Les dossiers et opérations sont accessibles à plusieurs participants (c. à d. des bases de données décentralisées) plutôt qu’à une seule autorité centrale (c. à d. des bases de données centralisées). Les systèmes de chaînes de blocs sont un type commun de TGLD et certains d’entre eux — comme Ethereum, à partir duquel Tether et d’autres cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire sont créés — sont publics, c’est à dire que tout le monde y a accès sans devoir demander la permission des autres participants ni même avoir besoin de les connaître. Grâce à ces caractéristiques et à d’autres, les chaînes de blocs sont capables d’effectuer ou d’enregistrer un transfert de propriété et pourraient donc être utilisées comme un système de paiement.
Toutefois, puisque la valeur des cryptoactifs de ce type est liée à celle de la monnaie de référence et qu’une réserve d’actifs financiers traditionnels est utilisée pour la soutenir, le dispositif implique des entités et des activités dans la chaîne et hors de la chaîne de blocs.
Création
Pour créer un cryptoactif se référant à une monnaie fiduciaire, l’émetteur effectue des activités dans la chaîne et hors de la chaîne de blocs (figure 1). Dans la chaîne, l’émetteur sélectionne la ou les chaînes de blocs qui seront utilisées, rédige le code qui crée les unités de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire (c. à d. les jetons) et gère la quantité de jetons en circulation. Hors de la chaîne, l’émetteur établit la politique de placement des actifs de réserve et fait généralement appel à des tiers, comme un gestionnaire d’actifs pour gérer la réserve et un dépositaire pour la garder4. L’émetteur sert ainsi d’intermédiaire entre l’écosystème des cryptoactifs et le système financier traditionnel.
Une fois que l’émetteur a créé le cryptoactif se référant à une monnaie fiduciaire, il peut le distribuer aux fins d’activités de négociation ou de paiement par l’intermédiaire de la chaîne de blocs ou d’un autre système. Le rôle continu de l’émetteur est limité jusqu’au moment du rachat, qui est l’inverse du processus de création et de distribution.
Figure 1 : La création de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire nécessite des activités dans la chaîne et hors de la chaîne de blocs
Figure 1 : La création de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire nécessite des activités dans la chaîne et hors de la chaîne de blocs
Distribution
Les émetteurs mettent rarement leurs cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire directement à la disposition du public. Normalement, ils travaillent plutôt avec des intermédiaires, comme des plateformes de négociation de cryptoactifs et des tiers spécialisés dans la gestion de cryptoportefeuilles. Ces intermédiaires achètent des sommes importantes de cryptoactifs, qu’ils distribuent (figure 2)5. Par conséquent, les utilisateurs finaux font habituellement appel à ces intermédiaires pour acheter, entreposer et transférer les jetons de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire. Les intermédiaires offrent également des services de dépôt et des transactions hors chaîne, dont le règlement figure dans leur propre grand livre plutôt que dans la chaîne de blocs, par souci d’économie6.
Si les utilisateurs finaux souhaitent garder eux-mêmes leurs jetons et effectuer des transactions dans la chaîne, ils peuvent présenter une demande de transfert à leur intermédiaire. Celui-ci procède alors au transfert des jetons vers le portefeuille numérique personnel de l’utilisateur par l’entremise de la chaîne de blocs. Les participants de la chaîne de blocs traitent le transfert moyennant des frais.
Avantages potentiels
À l’heure actuelle, les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire jouent un rôle de premier plan comme moyen d’échange et réserve de valeur sur de nombreuses grandes plateformes centralisées de négociation de cryptoactifs, de même que sur des plateformes de finance décentralisée7. L’utilisation de ces actifs au lieu d’une monnaie fiduciaire dans l’écosystème des cryptoactifs présente quelques avantages potentiels, notamment l’offre de services financiers fondés sur la TGLD.
Il est aussi vraisemblablement moins cher et plus efficace pour les plateformes d’échange de gérer leurs liquidités en cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire plutôt qu’en monnaie fiduciaire puisque :
- les transactions dans la chaîne de blocs peuvent être réglées plus rapidement que les transactions en monnaie fiduciaire;
- les chaînes de blocs fonctionnent en continu, tandis que de nombreux systèmes de paiement en monnaie fiduciaire ne sont accessibles que durant les heures d’ouverture des banques;
- certaines plateformes pourraient ne pas avoir les relations bancaires nécessaires pour prendre en charge des opérations liées à certaines monnaies fiduciaires8.
Par conséquent, il y a plus de paires d’échange cryptoactif contre cryptoactif que de paires d’échange cryptoactif contre monnaie fiduciaire. Cela entraîne une plus grande profondeur du marché et de plus petits écarts acheteur-vendeur pour les paires d’échange cryptoactif contre monnaie fiduciaire, particulièrement pour ce qui est des paires plus populaires impliquant Tether et Bitcoin. De plus, garder de l’argent dans des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire peut offrir aux investisseurs une plus grande flexibilité puisque les transferts entre les plateformes centralisées et les portefeuilles numériques peuvent être effectués sans quitter l’environnement des cryptoactifs.
En plus de leur rôle actuel dans l’écosystème des cryptoactifs, les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire pourraient être adoptés plus largement comme mode de paiement pour des produits et services courants et lors des transactions entre pairs. Ces cryptoactifs pourraient ainsi jouer un rôle important dans le système financier de l’avenir (Catalini et Massari, 2021). Ils peuvent aussi être utilisés dans le cadre de « contrats intelligents », permettant la réalisation de paiements automatiques sous certaines conditions particulières et prédéfinies, ce qui étaye la notion d’« argent programmable » (Lipton et Levi, 2018; Lee, 2021). Parmi les exemples les plus cités de cas d’utilisation, mentionnons le transfert de fonds pour l’achat d’une maison seulement une fois que le rapport d’inspection a été reçu et confirmé, ou des fonds qui ne peuvent être débloqués que pour des achats précis ou qui ne peuvent plus être utilisés après un certain temps (Arner, Auer et Frost, 2020). Les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire peuvent également servir dans le cadre de contrats intelligents pour des micropaiements, y compris des paiements autonomes entre machines (Milkau, 2018). Par exemple, des ordinateurs pourraient se payer l’un l’autre pour la puissance de traitement ou l’espace de stockage de documents. Un autre avantage souvent cité est la possibilité de favoriser l’inclusion financière. En théorie, tout le monde a accès aux réseaux utilisés pour ces cryptoactifs, quoique les coûts actuels puissent être prohibitifs.
Le Conseil de stabilité financière (CSF) a également noté que la décentralisation des services financiers peut éliminer le besoin d’intermédiaires traditionnels, notamment pour la tenue de dossiers. Cela pourrait accroître l’efficacité de plusieurs types de transactions, notamment en ce qui concerne les opérations de crédit commercial et les marchés de capitaux (CSF, 2019). Le CSF, de concert avec le Comité sur les paiements et les infrastructures de marché et d’autres intervenants, tente de déterminer si un dispositif mondial de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire bien conçu est susceptible d’améliorer les paiements transfrontières (FSB, 2021) et, le cas échéant, de quelle façon. Les travaux sur la question devraient être terminés d’ici la fin de 2022.
Les partisans des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire prétendent que les avantages potentiels de ceux-ci découlent de la technologie sous-jacente qui rend les actifs disponibles en tout temps, faciles à diviser et sans frontière, ce qui pourrait se traduire par des méthodes de paiement plus pratiques et efficaces. Toutefois, jusqu’à présent, ces avantages ont été presque entièrement théoriques.
Risques clés pour la stabilité financière
Les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire présentent des risques pour les détenteurs, le système financier et l’économie. Nous présentons ici quelques uns des risques, courants ou émergents, qui sont particulièrement importants pour la stabilité financière.
Risque de retraits massifs
Des retraits massifs peuvent se produire si des détenteurs de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire ont perdu confiance dans leur capacité de se faire racheter leurs jetons à la valeur nominale de la monnaie de référence. Des mouvements de retraits massifs de cryptoactifs ont déjà eu lieu cette année9. Une fois qu’un épisode est déclenché, les détenteurs se bousculent pour encaisser leur argent, ce qui force l’émetteur à vendre la réserve d’actifs sous-jacents en catastrophe et, par conséquent, au rabais. Les bas prix amènent à leur tour les détenteurs à faire encore plus de demandes de rachat, ce qui déclenche une spirale descendante des prix. De nombreux facteurs peuvent contribuer à des épisodes de retraits massifs, par exemple :
- Si le prix des actifs de réserve baisse ou que ces actifs deviennent illiquides durant une période de tensions, l’émetteur pourrait ne pas être en mesure de racheter les jetons promptement ou à leur valeur nominale.
- Un manque de transparence, notamment en ce qui concerne la composition de la réserve, les mesures de protection de la réserve d’actifs et l’imposition de mécanismes de plafonnement des rachats ou bien de frais lorsque les actifs descendent sous un seuil de liquidité donné, risque d’aggraver les mouvements de retraits massifs.
Les retraits massifs pourraient constituer une menace pour la stabilité du système financier, y compris l’écosystème de paiements, si les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire s’y intègrent suffisamment et que leur adoption se généralise.
Risque de contagion
La part que représentent les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire par rapport au volume total d’opérations sur cryptoactifs ne cesse d’augmenter depuis 2016, et elle se situe maintenant aux environs de 50 % (graphique 4). Ce type de cryptoactifs joue un rôle important sur les marchés de cryptoactifs, tant sur les plateformes d’échange centralisé (p. ex., Coinbase, Binance) que sur les plateformes de finance décentralisée. Pour cette raison, des retraits massifs sont susceptibles de perturber l’ensemble des marchés de cryptoactifs et des services connexes.
Des interrelations sont créées entre les marchés de cryptoactifs et les marchés financiers traditionnels du fait de l’utilisation de réserves d’actifs financiers traditionnels pour maintenir l’arrimage et de la participation des investisseurs institutionnels et des banques aux deux types de marchés. Ainsi, il est possible que des ventes en catastrophe de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire se répercutent sur le système financier traditionnel, particulièrement en cas de liquidation des actifs maintenus dans des réserves dont la taille tend à s’accroître. Il peut s’ensuivre des liquidations de papier commercial et de certificats de dépôt qui, à leur tour, pourraient générer des tensions sur les marchés de financement, et donc des problèmes de liquidité potentiels pour les institutions financières qui dépendent de ces marchés pour leurs besoins de financement à court terme. Lorsque les banques sont soumises à des contraintes de financement, c’est l’ensemble du système financier et de l’économie réelle qui risquent de s’en ressentir.
La tourmente dans laquelle ont été plongés les marchés de cryptoactifs en 2022 illustre l’interconnexion au sein de l’écosystème et les effets de contagion qui peuvent en résulter. Certains fournisseurs ont été contraints de suspendre les opérations et les retraits des clients après la faillite d’autres fournisseurs. Par chance, les interrelations avec le système financier traditionnel demeuraient très limitées, mais il n’est pas exclu qu’elles augmentent à l’avenir.
Graphique 4 : Les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire comptent pour environ la moitié des opérations sur cryptoactifs
Risque de concentration
Un autre risque associé au système financier est le risque de concentration. En l’occurrence, il se traduit par la prédominance d’un petit nombre de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire sur le marché et la concentration de grandes quantités de ces cryptoactifs aux mains d’une poignée d’entités. Actuellement, les trois principaux cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire, Tether, USD Coin et Binance USD, comptent pour 90 % du marché (44 %, 33 % et 13 %, respectivement10). De même, les 1 % des investisseurs les plus importants possèdent au moins 90 % des principaux cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire en circulation (graphique 5)11. Vu la forte concentration des marchés et des détenteurs de ces cryptoactifs, une cyberattaque ou une perte de confiance qui toucherait des acteurs importants risquerait d’avoir des effets démesurés.
Graphique 5 : Les 1 % des investisseurs les plus importants possèdent environ 90 % des principaux cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire
Risque lié à la protection des consommateurs et des investisseurs
Étant donné l’absence de réglementation et d’exigences de divulgation adéquates, les consommateurs et les investisseurs sur les marchés des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire courent un risque accru d’être victimes de fraude ou d’escroquerie. Puisqu’il n’existe pas de mécanismes de protection des consommateurs et de règles de conduite sur les marchés, les détenteurs de ces cryptoactifs ne sont pas toujours au courant de leurs droits et responsabilités. Qui plus est, les consommateurs et les investisseurs peuvent être amenés à croire que ces cryptoactifs sont exempts de risques. En effet, le terme « cryptomonnaie stable » donne l’impression, erronée, que la valeur d’un cryptoactif donné ne s’écartera pas de celle de son actif de référence, en temps normal comme en période de tensions. Il se peut aussi que les affirmations voulant que ces cryptoactifs soient adossés à des réserves d’actifs laissent croire aux détenteurs qu’ils ont des droits garantis sur les actifs de réserve, sans restriction des possibilités de rachat. Si l’adoption des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire venait à se généraliser, tous ces risques pourraient influer sur la stabilité financière.
Autres risques
En plus de ceux évoqués ci-dessus, de nombreux risques sont associés aux cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire, semblables à ceux que posent les autres types de cryptoactifs, par exemple :
- de nouveaux risques opérationnels et de gouvernance, y compris ceux liés à l’utilisation de nouvelles technologies comme la TGLD
- les risques de responsabilité associés à l’absence d’une entité ou d’une personne en charge de la gestion complète des risques dans le contexte d’un dispositif décentralisé basé sur une chaîne de blocs publique
- risques d’atteinte à la sécurité nationale et de crimes financiers
L’adoption à grande échelle de ces actifs pourrait aussi provoquer des changements structurels dans le secteur financier canadien, dans le sens où les fonds liés aux dépôts bancaires des particuliers – une source traditionnelle de stabilité – seraient réaffectés à des dépôts de gros, ce qui pourrait se traduire par une augmentation du coût des prêts. La question de savoir si ces risques se concrétiseraient ou non dans les faits dépend de nombreux facteurs et demanderait des recherches plus poussées.
Réponse réglementaire
Au vu des avantages potentiels et des risques associés aux cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire, les autorités des grandes économies s’emploient à élaborer et à adopter des approches réglementaires dont le double objectif est de favoriser l’innovation tout en atténuant les risques. Le CSF et certaines instances de normalisation internationales ont aussi publié des lignes directrices précises, par exemple :
- recommandations pour la réglementation, la supervision et la surveillance des dispositifs de cryptomonnaies stables internationales, des cryptoactifs et des marchés (CSF, 2020 et 2022)
- application des Principes pour les infrastructures de marchés financiers aux cryptomonnaies stables (Comité sur les paiements et les infrastructures de marché et Organisation internationale des commissions de valeurs, 2021)
- contrôle prudentiel de l’exposition des institutions financières aux cryptoactifs et aux cryptomonnaies stables (Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, 2022)
- mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes (Groupe d’action financière, 2021 et 2022)
Pour assurer une gestion adéquate des risques, un cryptoactif se référant à une monnaie fiduciaire bien conçu devrait être adossé à une réserve d’actifs liquides et de haute qualité libellés dans la monnaie de référence et séparés des fonds propres de l’émetteur (CSF, 2022). De plus, les détenteurs de ce type de cryptoactifs devraient avoir le droit légalde se les faire racheter en tout temps, sous réserve de restrictions clairement communiquées12.
La principale recommandation du CSF, soit d’appliquer le principe de « mêmes activités, mêmes risques, mêmes réglementations », guide l’élaboration des approches réglementaires nationales. En pratique, cela signifie que les émetteurs de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire doivent être assujettis à une réglementation prudentielle et à des exigences de fonds propres et de liquidité, puisque leur exposition au risque de retraits massifs est équivalente à celle des banques commerciales (CSF, 2022). Certains pays appliquent ou envisagent d’appliquer ces exigences prudentielles par l’intermédiaire de leurs systèmes bancaire ou de paiement existants, tandis que d’autres élaborent de nouveaux régimes réglementaires sur mesure. La plupart ont décidé ou proposé d’assujettir les plateformes d’échange de cryptoactifs à la réglementation applicable aux valeurs mobilières, et les fournisseurs de portefeuilles de cryptoactifs, à celle applicable à la monnaie électronique ou aux paiements de détail. Ces régimes réglementaires conféreront aux consommateurs et aux investisseurs de la sphère des cryptoactifs une protection équivalente à celle dont ils jouissent dans le système financier traditionnel.
Les autorités nationales n’en sont pas toutes au même stade dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs approches réglementaires. Il s’agit d’un travail nécessaire, car la plupart des régimes réglementaires, au Canada et à l’étranger, sont actuellement inadéquats. Ils n’ont pas été conçus pour prendre en compte les caractéristiques uniques des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire et les réseaux d’entités et d’activités associées à leur création, à leur distribution et à leur utilisation. Par exemple, le fait que ces cryptoactifs et les activités connexes soient transfrontaliers et en ligne peut générer des incertitudes juridiques quant à l’application de la réglementation existante et rendre difficile la prise de mesures propres à assurer son respect. L’utilisation de la TGLD peut aussi compliquer l’application de la réglementation, car il est difficile dans ce cas de déterminer qui sont les personnes responsables de certaines activités. Étant donné ces caractéristiques uniques, les régimes réglementaires fondés sur l’activité (applicables à l’activité, peu importe le type d’entité) sont les mieux adaptés. Cependant, certains cadres réglementaires existants au Canada et ailleurs sont fondés sur l’entité (applicables à des types spécifiques d’entités, comme les banques), ce qui pose des défis.
Au moment de la rédaction de la présente note analytique, le Japon et l’Union européenne mettent la dernière main à leurs cadres réglementaires, qui devraient entrer en vigueur en 2023 et en 2024, respectivement (Amaya, 2022; Conseil de l’Union européenne, 2022). À Singapour, un cadre est déjà en place (Autorité monétaire de Singapour, 2022). Le Royaume-Uni, les États-Unis et Hong Kong ont aussi proposé des cadres réglementaires (Trésor britannique, 2021; Trésor américain, 2021; Autorité monétaire de Hong Kong, 2022).
Au Canada, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un cadre pour réglementer et surveiller les plateformes d’échange de cryptoactifs (ACVM, 2020). Les cryptoactifs sont considérés comme des monnaies virtuelles aux termes du régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes (Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes). Les entreprises qui font des transactions en monnaies virtuelles – celles qui offrent, par exemple, des services de change ou de transfert de valeurs – sont considérées comme des entreprises de services monétaires au titre de ce régime et sont assujetties à des exigences de conformité et de reddition de comptes. Plus tôt cette année, dans son budget 2022, le gouvernement fédéral a annoncé un examen législatif du secteur financier axé sur la numérisation de l’argent (ministère des Finances du Canada, 2022), dont la première étape visera les monnaies numériques, y compris les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire. Plus récemment, en conformité avec les lignes directrices du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a annoncé une approche provisoire visant l’exposition des banques et des sociétés d’assurance aux cryptoactifs (BSIF, 2022a), qui définit les exigences réglementaires auxquelles celles-ci doivent se conformer pour détenir des cryptoactifs. L’approche classe les cryptoactifs en deux groupes et établit les normes de fonds propres et de liquidité et les limites d’exposition pour chaque groupe. Le BSIF a aussi proposé une feuille de route sur l’innovation numérique qui définit son plan de travail, notamment en ce qui a trait à l’élaboration de la réglementation prudentielle pour les dispositifs de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire (BSIF, 2022b).
Conclusion
Les cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire ont connu une énorme croissance dans les dernières années. Comme ils ont le potentiel de remplir plusieurs des fonctions de la monnaie, leur utilisation pour payer des biens et services de la vie courante pourrait se généraliser. Ils pourraient aussi rendre les paiements plus rapides et plus efficaces grâce aux caractéristiques des nouvelles technologies sur lesquelles ils reposent. Toutefois, ces cryptoactifs font aussi peser des risques sur la stabilité financière, comme en témoignent les perturbations des marchés survenues en mai et en novembre 2022, d’où la nécessité d’une réglementation et d’une surveillance adéquates. Au Canada comme à l’étranger, les autorités s’emploient à élaborer un cadre réglementaire solide pour atténuer les risques que peuvent poser ces cryptoactifs pour les détenteurs, le système financier et l’économie. La capacité du Canada à se doter rapidement d’une approche réglementaire complète lui permettra de profiter des avantages potentiels des cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire sans causer de risques inutiles.
Notes
- 1. La vaste majorité de ces cryptoactifs se réfèrent à une monnaie nationale. Cependant, une petite proportion est adossée à d’autres actifs traditionnels, comme les produits de base, y compris l’or. Actuellement, plus de 99 % de ces cryptoactifs se réfèrent au dollar américain. [←]
- 2. Certains cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire maintiennent leur arrimage grâce à une réserve d’autres cryptoactifs (p. ex., Dai) ou des algorithmes préprogrammés (p. ex., TerraUSD et AMPL). Voir l’étude de MacDonald et Zhao (2022) pour plus de détails. [←]
- 3. Voir le rapport du President’s Working Group on Financial Markets Releases, the Federal Deposit Insurance Corporation and the Office of the Comptroller of the Currency (Trésor américain, 2021).[←]
- 4. Si l’émetteur est lui même une institution financière, il peut remplir le rôle de gestionnaire d’actifs ou celui de dépositaire, ou les deux à la fois.[←]
- 5. Les intermédiaires qui hébergent ces cryptoportefeuilles agissent comme des tiers de confiance, en gérant la propriété (c’est-à-dire les clés privées) au nom du détenteur de jetons. La propriété effective des actifs, ou d’autres droits connexes, n’est pas enregistrée dans la chaîne de blocs, mais dans un grand livre distinct tenu par le fournisseur de portefeuilles.[←]
- 6. Les émetteurs doivent aussi souvent effectuer une quantité minimale de transactions et se soumettre à des processus d’inscription et de vérification laborieux, en plus de payer des frais élevés pour les transactions d’un petit montant effectuées dans la chaîne de blocs. Cela réduit l’attrait pour les investisseurs particuliers d’acheter directement auprès d’un émetteur.[←]
- 7. La finance décentralisée est un ensemble de produits et de services financiers non traditionnels s’appuyant sur la technologie du grand livre distribué. Elle imite les services financiers traditionnels en offrant des services comme des prêts et de l’assurance. [←]
- 8. Par exemple, la plus grande plateforme mondiale d’échange, Binance, ne prend pas en charge les opérations en dollars américains.[←]
- 9. En mai, le prix de TerraUSD, un cryptoactif se référant à une monnaie fiduciaire algorithmique qui reposait sur des activités d’arbitrage entre lui et son jeton créé dans la chaîne de blocs pour maintenir son ancrage, s’est effondré après un épisode de retraits massifs déclenchés par une perte de confiance. En novembre, FTX, la deuxième plateforme d’échange de cryptoactifs au monde, a déclaré faillite à la suite de révélations d’activités suspectes entre lui et son fonds d’investissement Alameda Research. Les deux incidents ont entraîné des liquidations étendues sur le marché des cryptoactifs, de multiples fournisseurs de services déclarant faillite, et le plus grand cryptoactif se référant à une monnaie fiduciaire, Tether, perdant brièvement son arrimage.[←]
- 10. Au 13 septembre 2022, selon CoinMarketCap.[←]
- 11. Ces statistiques sont basées sur les soldes non-nuls et excluent les intermédiaires comme les plateformes d’échange de cryptoactifs.[←]
- 12. Les détenteurs de cryptoactifs se référant à une monnaie fiduciaire de premier plan, comme Tether et USD Coin, sont censés pouvoir se faire racheter leurs jetons directement et « immédiatement » à parité en dollars américains, sous réserve de certaines restrictions. Toutefois, ces droits, y compris les restrictions applicables, ne sont pas toujours bien définis ou consignés, et l’entité responsable du rachat n’est pas toujours clairement précisée.[←]
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Avis d’exonération de responsabilité
Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.
DOI : https://doi.org/10.34989/san-2022-20