Introduction
Bonjour et merci à Jeunes Canadiens en finance de m’avoir invitée. Je suis heureuse de vous voir si nombreux ici aujourd’hui. Je souhaite la bienvenue aux membres des autres sections du Canada qui se joignent à nous virtuellement.
Peu importe où vous êtes, je suis certaine que vous avez beaucoup entendu parler de la Banque du Canada ces derniers mois. En effet, les banques centrales du monde entier se sont retrouvées sous les feux des projecteurs parce qu’elles ont rapidement augmenté les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation.
On n’avait pas vu de forte inflation au Canada depuis plus de 30 ans. Nombre d’entre vous sont ainsi confrontés à cette réalité – et aux tensions qui l’accompagnent – pour la toute première fois. Il est sans aucun doute frustrant de subir l’incertitude liée à l’inflation et les effets des taux d’intérêt plus élevés à une période de sa vie où l’on est en train de se fixer : bâtir sa carrière, acheter une maison, fonder une famille.
Et en tant que membres de cette organisation, vous avez peut-être aussi un travail qui vous amène à composer avec les répercussions plus larges sur les marchés financiers du resserrement budgétaire et monétaire. Je suis donc particulièrement contente d’avoir la chance de vous rencontrer aujourd’hui pour faire le point sur la stabilité du système financier.
Je vous donnerai un aperçu très général – le pourquoi et le comment – de la surveillance de la stabilité du système financier effectuée par la Banque. Je discuterai ensuite de certaines tendances mondiales qui influent sur la stabilité financière un peu partout, y compris au Canada. Et enfin, je m’intéresserai de plus près à un volet de la stabilité qui préoccupe beaucoup de nos concitoyens à l’heure actuelle : le logement.
Mon discours sera toutefois bref – environ 10 minutes –, car je souhaite avoir beaucoup de temps pour répondre à vos questions.
L’importance d’un système financier fort
La plupart des banques centrales, dont la Banque du Canada, ont pour responsabilité, dans le cadre de leur mandat, de surveiller la solidité et la stabilité du système financier de leur pays.
La stabilité du système financier, tout comme la stabilité des prix, est cruciale pour la bonne santé de notre économie. Une inflation basse, stable et prévisible contribue à la croissance et à la prospérité durables de l’économie. Et un système financier fort – des institutions solides, des systèmes de paiement robustes et des marchés efficaces – aide à préserver l’épargne, à canaliser l’investissement et à faciliter les paiements. Mais un système fragile peut amplifier ou propager les chocs qu’il subit. De plus, des périodes d’incertitude peuvent mettre à l’épreuve non seulement la stabilité des prix, mais aussi la stabilité financière.
La Banque adopte une vue d’ensemble pour surveiller la stabilité financière. Le système financier canadien est constitué d’un réseau complexe d’institutions qui comprend des banques et des coopératives de crédit, des caisses de retraite et d’autres gestionnaires de fonds. Bon nombre de nos plus grandes institutions exercent leurs activités à l’échelle mondiale1.
Nous surveillons le système financier pour déceler les risques et les vulnérabilités auxquels il est exposé. Les vulnérabilités sont des faiblesses qui, souvent, s’accumulent au fil du temps et peuvent rendre le système plus sensible aux tensions. On en trouve dans presque tous les systèmes. Et, individuellement, elles ne causent pas nécessairement de tensions ou d’instabilité financières. Pour que cela se produise, il faut généralement un déclencheur – un événement ou un choc – dont les effets peuvent être amplifiés par la présence de vulnérabilités.
C’est la combinaison de ces deux choses qui peut entraîner des périodes d’instabilité ou, dans des cas extrêmes, une crise financière.
Nous utilisons l’information tirée de notre surveillance pour mener des recherches, éclairer nos décisions de politique monétaire et communiquer avec la population. Tous les ans, nous publions une revue du système financier au printemps et faisons une mise à jour à l’automne. Ces deux communications font le tour des conditions mondiales et nationales, ainsi que de l’état du système financier canadien, sous l’angle des risques et vulnérabilités que je viens d’évoquer.
Je suis d’ailleurs heureuse d’annoncer que nous avons lancé aujourd’hui un tableau de bord interactif des indicateurs de vulnérabilité financière, accessible sur notre site Web2. Nous donnons de l’information sur ce que nous suivons, pour aider les gens à mieux comprendre les vulnérabilités auxquelles nous sommes tous exposés.
Un monde empreint d’incertitude
Faisons maintenant le point sur les conditions financières mondiales et l’environnement actuel.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’économie mondiale et le système financier ont beaucoup changé ces dernières années.
Premièrement, nous sortons de deux années de pandémie mondiale, et ses effets sur la santé et l’économie se résorbent à peine. La réouverture complète de l’économie canadienne remonte à moins d’un an et dans certaines parties du monde – la Chine, en particulier – des confinements persistent. Cela a eu des conséquences dramatiques et durables sur l’offre et la demande, qui ont fait monter l’inflation dans la plupart des pays.
Les banques centrales ont réagi en resserrant rapidement leur politique monétaire afin de faire baisser l’inflation. Au fil du relèvement des taux d’intérêt, les conditions financières se resserrent, les liquidités se font plus rares et les prix des actifs à risque sont réévalués.
Deuxièmement, les tensions géopolitiques ont augmenté, surtout en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cela a créé beaucoup de volatilité et d’incertitude sur les marchés mondiaux des produits de base, notamment l’énergie.
Troisièmement, il y a eu un endettement durant la crise de la COVID-19. Partout dans le monde, les gouvernements ont pris des mesures exceptionnelles pour soutenir les particuliers et les entreprises pendant les fermetures de l’économie. Les dernières années ont été éprouvantes pour les entreprises – en particulier celles des secteurs où la distanciation est difficile – et certaines se sont endettées davantage pour passer au travers de cette période. Même si des particuliers et des ménages ont pu épargner davantage au cours de la pandémie, d’autres ont contracté des dettes supplémentaires.
Ces trois phénomènes – inflation, volatilité des marchés des produits de base et des marchés financiers, et hausse de l’endettement – ne sont pas propres au Canada. La plupart des pays y sont actuellement confrontés. Cependant, l’incidence de ces défis sur un pays dépendra, au moins en partie, de la résilience de son système financier, qui elle dépend des vulnérabilités préexistantes que je viens de décrire.
Compte tenu du degré d’interconnexion du système financier mondial et du fait que le Canada est une économie ouverte de taille moyenne, les répercussions chez nous dépendront aussi de la façon dont les autres pays résisteront à la tempête.
Le logement et la stabilité financière
Laissez-moi maintenant parler un peu plus de deux vulnérabilités que nous surveillons de près – l’endettement des ménages et le logement – et de leur relation avec la stabilité financière. Le logement est sans doute au cœur des préoccupations de nombreux Canadiens ces temps-ci.
Si vous allez consulter les revues de la Banque que je viens de mentionner, vous verrez qu’elles analysent depuis 2006 les hausses de prix des logements et de l’endettement des ménages. Autrement dit, ces deux vulnérabilités planent sur le système financier canadien depuis longtemps.
L’accroissement de ces vulnérabilités s’est poursuivi après la crise financière mondiale de 2008-2009. Le système financier du Canada a surmonté ce choc assez sereinement et notre économie s’est redressée plus rapidement que celles de la plupart des autres pays. Une décennie de bas taux d’intérêt, une population en croissance et une offre restreinte de logements : tous ces facteurs conjugués ont alimenté une progression constante des prix des logements.
Sous l’effet de la hausse des prix des logements, les Canadiens se sont endettés davantage pour acheter des maisons. Et, les prix continuant d’augmenter rapidement, certains y ont vu une bonne occasion de placement et se sont encore plus endettés pour investir dans le logement.
Bien avant la pandémie de COVID-19, les Canadiens s’inquiétaient de voir que les coûts des habitations se mettaient à progresser plus vite que les revenus – en particulier pour les accédants à la propriété. De plus, le rôle des investisseurs dans la flambée des prix des logements, surtout dans les grands centres urbains, était pour eux préoccupant.
Quand la pandémie a frappé, l’activité sur le marché du logement est encore passée à la vitesse supérieure, et pas seulement dans les grandes villes comme Toronto ou Vancouver. Tout le monde passait plus de temps à la maison et les citadins voulaient plus d’espace, ce qui a exercé une pression sur la demande de propriétés dans les plus petites villes et les villages3. En outre, les bas taux d’intérêt instaurés pour soutenir l’économie durant la pandémie ont fait baisser les charges hypothécaires, alimentant ainsi les prix élevés des logements. En moins de deux ans, les prix des habitations ont augmenté de plus de 50 % dans la plupart des marchés. Et l’activité dans le secteur – c’est-à-dire le nombre de maisons achetées et vendues – était d’environ 30 % supérieure à ses niveaux prépandémie.
Au printemps 2022, alors que nous sortions des restrictions sanitaires et que la Banque amorçait un resserrement rapide de la politique monétaire pour faire face à la forte inflation, le marché du logement a commencé à réagir. Il fallait s’y attendre. Les augmentations de prix et les ventes étaient toutes deux à des niveaux insoutenables. Et, puisque la plupart des gens empruntent pour acheter une maison, le logement est un des secteurs de l’économie qui réagit le plus rapidement au resserrement de la politique monétaire.
Ce cycle de resserrement a toutefois été particulièrement intense. Nous avons augmenté les taux d’intérêt rapidement, car l’histoire montre que procéder sans attendre à des hausses rapides nous donne les meilleures chances de refroidir promptement l’économie et de garder les attentes d’inflation bien ancrées. Nous évitons ainsi la possibilité d’avoir à recourir à des augmentations plus importantes dans l’avenir.
Les taux d’intérêt plus élevés commencent à ralentir l’économie et à freiner l’inflation. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour ramener l’inflation à la cible, mais nous observons des premiers signes de l’efficacité de la politique monétaire. Malheureusement, cet ajustement ne se fera pas sans peine, et nous en avons bien conscience.
Les implications pour les Canadiens
Les Canadiens qui trouveront cet ajustement pénible sont ceux qui ont récemment acheté une propriété – peut-être à la limite de leurs moyens –, et qui ont choisi un prêt hypothécaire à taux variable.
Ils ne représentent pas une grande proportion des ménages, mais elle est plus importante que ce à quoi on aurait pu s’attendre en se basant sur les tendances historiques. Cela tient au fait que plus de Canadiens ont choisi un prêt hypothécaire à taux variable au cours de la dernière année que par le passé, à un moment où les prix des maisons étaient élevés4.
Les souscripteurs de prêt hypothécaire à taux variable qui effectuent des versements variables ont déjà vu leurs mensualités augmenter de façon significative. Pour leur part, les détenteurs de prêt à taux variable avec versements fixes pourraient voir leurs versements augmenter s’ils atteignent leur « taux limite », c’est-à-dire le taux auquel les mensualités servent uniquement au paiement des intérêts, et non au remboursement du principal. La Banque a publié sur son site Web une analyse qui estime la proportion des ménages ayant atteint leur taux limite5.
Pour les propriétaires ayant un prêt hypothécaire à taux fixe, les versements risquent aussi d’être plus élevés au moment du renouvellement, selon la date à laquelle ils ont contracté leur prêt et selon qu’ils ont la possibilité ou non de prolonger leur période d’amortissement.
En somme, les coûts hypothécaires se sont déjà accrus pour certains Canadiens, et ils finiront probablement par augmenter pour d’autres, rendant l’accession à la propriété plus coûteuse.
Les prix des logements diminuent également – quoique modestement jusqu’à présent – comparativement à leur récente augmentation. Nous avons besoin que ces prix baissent pour rétablir l’équilibre sur le marché canadien du logement et rendre l’accession à la propriété plus abordable pour un plus grand nombre de Canadiens. Un recul des prix pourrait toutefois être une source de tensions supplémentaires pour ceux qui ont acheté une propriété récemment. Leur avoir propre diminuera, ce qui pourrait limiter leurs options de refinancement.
Revenons-en maintenant à notre cadre de surveillance de la stabilité financière. L’économie du Canada est exposée à des vulnérabilités de longue date, soit la montée des prix des logements et l’endettement élevé des ménages, qui ont été exacerbées durant la pandémie. Et le risque qu’un événement déclencheur puisse porter atteinte à la stabilité financière s’est accru, à cause de la forte inflation et des hausses de taux d’intérêt effectuées pour la contrer.
Mais nous avons de bonnes raisons de croire que le système dans son ensemble pourra résister à cette période de tensions et demeurer résilient.
Depuis la crise financière mondiale de 2008-2009, de nombreux pays ont mis en place des réformes – y compris en imposant aux banques des niveaux plus élevés de fonds propres et de liquidités – pour renforcer la résilience du système financier et le protéger contre de futurs chocs. Le Canada a notamment instauré un test de résistance appliqué aux souscripteurs de prêts hypothécaires pour s’assurer que les Canadiens auront toujours les moyens de payer leur maison si les taux d’intérêt venaient à augmenter. Et, surtout, nous ne nous attendons pas à une grave récession entraînant des pertes d’emplois aussi importantes que lors des récessions antérieures.
Je ne dis pas ça pour minimiser les difficultés bien réelles que certains éprouvent. Des versements hypothécaires plus élevés sont difficiles à gérer pour bien des gens, et c’est d’autant plus difficile quand les autres prix montent aussi.
Regard sur l’avenir
Dans un tel contexte, la Banque du Canada apporte deux contributions importantes.
Tout d’abord, nous continuerons de surveiller les effets des taux d’intérêt plus élevés sur les Canadiens et la stabilité du système financier.
Ensuite, nous allons ramener l’inflation à la cible. Nous savons que les hausses de taux d’intérêt sont difficiles pour de nombreux Canadiens, surtout les jeunes, qui viennent bien souvent d’acheter un logement et sont donc plus endettés.
Nous ne voulons pas que cette transition soit plus difficile que nécessaire. Mais des taux plus élevés à court terme feront descendre l’inflation sur le long terme. Les Canadiens cherchent à se protéger contre l’augmentation des prix, et nous cherchons à les protéger contre une inflation durable.
Revenir à une forte croissance et à un bas niveau d’inflation prendra un certain temps, mais nous allons y arriver. Il faut traverser cette phase difficile pour revenir à la stabilité des prix et à une croissance économique soutenue, qui sont dans l’intérêt de tous.
Je vous remercie de votre attention et me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Je tiens à remercier Stephen Murchison et Louis Morel de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.
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