Introduction
Merci Sylvain de cette aimable présentation.
J’ai une quantité de bons souvenirs du temps que j’ai passé au Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine et à la Banque fédérale de réserve de Kansas City. Et comme certains d’entre vous le savent, j’ai prononcé des discours et assisté aux colloques de la Banque fédérale de réserve de San Francisco à plusieurs reprises. C’est un honneur pour moi de prononcer le discours principal aujourd’hui, et j’ai hâte de participer de nouveau à ce colloque en personne.
Avant de poursuivre, j’aimerais préciser que la terre où je prononce ce discours fait partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin Anishnaabeg.
Je tiens aussi à souligner l’immense souffrance causée par l’invasion non provoquée de l’Ukraine par la Russie, et le contexte particulièrement angoissant de ceux qui ont de la famille et des amis en Ukraine. La situation continue de changer, et mes collègues du Conseil de direction et moi suivons les développements de près et évaluons leurs conséquences économiques et financières.
Comme les autres banques centrales, la Banque du Canada établit la politique monétaire pour l’ensemble de l’économie. Mais ça ne veut pas dire que nos décisions touchent tout le monde de la même façon. Et ça ne veut pas dire non plus que nos décisions se répercutent de la même façon dans l’économie, sans égard aux caractéristiques et à la situation des gens qui en font partie.
Je vais donc parler aujourd’hui de l’importance que les différences de revenu, de richesse et d’endettement entre les ménages revêtent pour l’économie, ainsi que des grands effets inégaux que les chocs peuvent produire d’un ménage à l’autre. Ensuite, j’expliquerai pourquoi tout ça compte pour la politique monétaire. Je vais aussi discuter des effets inégaux que la pandémie a eus sur les ménages, notamment sur l’évolution de leur situation financière au cours des deux dernières années, ainsi que des défis supplémentaires que pose l’inflation élevée. Par ailleurs, j’évoquerai brièvement la façon dont notre cadre de politique monétaire récemment renouvelé tient compte de ces différences entre les ménages.
Avant de conclure, je discuterai de l’orientation actuelle de la politique monétaire, car pour ramener l’inflation à la cible de 2 %, il faudra relever les taux d’intérêt.
Des différences d’une grande importance
Avant de commencer, je veux définir clairement deux concepts que j’aborderai et qui sont liés, tout en étant différents l’un de l’autre.
Le premier, l’hétérogénéité, fait référence aux différentes caractéristiques qui distinguent les personnes ou les ménages, comme l’âge, le genre, la race, la profession, le secteur d’activité, le revenu et la richesse.
Le second, l’inégalité, renvoie au fait que les effets des chocs économiques seront ressentis différemment d’un ménage à l’autre, souvent pour des raisons liées aux caractéristiques que je viens de mentionner.
Cela étant dit, permettez-moi de commencer.
La politique monétaire influe sur l’activité économique en grande partie par l’entremise de ses effets sur les dépenses des ménages. Dans le passé, cela a conduit les dirigeants de banque centrale et d’autres chercheurs à porter leur attention sur la consommation, le revenu disponible et d’autres macrodonnées. Certains modèles économiques répartissent les ménages en deux groupes de taille fixe. Dans l’un d’eux, les dépenses sont limitées par le revenu, tandis que dans l’autre, elles ne le sont pas. Autrement dit, les gens qui font partie du second groupe peuvent prendre des décisions concernant leur épargne et leurs dépenses en fonction de ce dont ils auront besoin et de ce qu’ils désireront dans l’avenir. Souvent, la plupart des autres facteurs n’étaient pas considérés comme importants pour la politique monétaire.
La recherche a beaucoup progressé au fil des ans. Aujourd’hui, les économistes sont de plus en plus capables d’exploiter des microdonnées sur les ménages et de tirer parti d’un arsenal toujours grandissant de techniques et de modèles analytiques. Ce faisant, ils ont constaté que les différences de revenu, d’actifs et d’endettement entre les ménages revêtent une assez grande importance pour l’économie et la santé du système financier, et qu’elles évoluent. Et ces différences sont non seulement importantes pour l’économie et le système financier, mais aussi pour la politique monétaire.
Sachant cela, la Banque a déployé beaucoup d’efforts pour mieux comprendre les diverses réalités des ménages canadiens1. Nous avons mis sur pied le laboratoire sur l’hétérogénéité, où des économistes, des experts en science des données et d’autres chercheurs collaborent à des projets, comme dans un laboratoire scientifique. Et nous avons beaucoup réfléchi à la façon dont certaines des principales différences entre les ménages devraient être prises en compte dans nos décisions de politique monétaire.
Les leçons que nous avons tirées de ces analyses des microdonnées ont été cruciales pour notre compréhension d’une panoplie de problèmes entourant le marché du travail, les dépenses des ménages et la dette2. Cette compréhension éclaire tant la formulation de la politique monétaire que notre évaluation des vulnérabilités des ménages et des risques qui pèsent sur le système financier.
Comment l’hétérogénéité des ménages peut amplifier les chocs
Avant que j’aborde les effets inégaux de la pandémie, permettez-moi de préciser en quoi l’hétérogénéité des ménages est importante, surtout quand un choc frappe l’économie.
Son importance découle principalement du fait que les récessions touchent les gens de différentes façons et à divers degrés – à cause du type d’emploi qu’ils occupent ou du secteur dans lequel ils travaillent, par exemple. Et les différences dans la façon dont les gens subissent un choc peuvent amplifier ses effets ainsi que l’incidence des mesures budgétaires et monétaires mises en place pour le contrer3.
Prenons le cas des travailleurs à faible revenu. Lors d’un ralentissement économique, ils sont plus susceptibles de perdre leur emploi que les travailleurs qui ont un revenu élevé. Par conséquent, on voit habituellement l’inégalité des revenus augmenter pendant les récessions. Les travailleurs à faible revenu ont aussi tendance à allouer en moyenne une plus grande part de leur revenu à la consommation. Donc, quand un choc négatif frappe l’économie, la consommation de ces travailleurs est plus susceptible de baisser et de baisser davantage, proportionnellement. La chute de la demande globale pousse les entreprises à réduire leur production, ce qui entraîne des pertes d’emploi supplémentaires et accentue le ralentissement. On appelle couramment ce genre d’amplification du choc initial l’effet multiplicateur.
De plus, quand les gens sont moins confiants à l’égard de leurs perspectives, ils tendent à augmenter leur épargne de précaution, s’ils le peuvent. La baisse de la demande découlant de ce comportement vient renforcer l’effet multiplicateur.
Les mesures budgétaires et monétaires peuvent briser ce cercle vicieux et réduire la durée et l’ampleur des récessions. La politique budgétaire peut contribuer à stabiliser les dépenses des ménages lors d’un ralentissement grâce à la mise en place de mesures (assurance-emploi, subventions salariales, etc.) qui permettent aux gens de maintenir un certain niveau de revenu4. Comme cela limite la baisse globale de la demande, il est plus facile pour les entreprises de garder leurs employés, et la récession s’en trouve moins prononcée. De la même façon, en faisant baisser le coût des emprunts, la politique monétaire encourage certains ménages à dépenser plus tôt qu’ils ne le prévoyaient.
À la Banque, nous avons développé pendant des années notre capacité à étudier de façon détaillée les différences entre les ménages et l’évolution de l’économie, et nous avons intensifié ces efforts en raison de la pandémie. Tout ça a été bénéfique pour l’orientation de nos mesures de politique monétaire.
Les inégalités et la pandémie
On sait déjà que la pandémie a eu des effets inégaux sur l’emploi, donc je n’en parlerai pas trop en détail. La plupart des gens qui pouvaient télétravailler ont conservé leur emploi et ont connu peu d’interruptions de revenu, voire aucune. En même temps, les mesures instaurées pour contenir le virus ont été particulièrement dures pour certains secteurs, comme ceux de la restauration, de l’hébergement, des voyages et du divertissement (graphique 1, figure a), où beaucoup de travailleurs ont perdu leurs sources habituelles de revenu. Les employés faiblement rémunérés ont été les plus touchés (graphique 1, figure b), surtout les jeunes et les femmes – un grand nombre d’entre elles ayant en plus été aux prises avec des problèmes liés à la garde de leurs enfants.
L’extrême ampleur et l’inégalité des effets, ainsi que la grande incertitude qui entourait leur durée, ont entraîné la mise en place de mesures vigoureuses. Je n’entrerai pas dans les détails ici non plus, mais au Canada, comme aux États-Unis et dans d’autres grandes économies, les interventions ont été rapides et intentionnellement massives.
Au Canada, le gouvernement fédéral a mis en place un éventail de mesures d’urgence pour soutenir les ménages et les entreprises.
La politique monétaire a aussi joué un rôle crucial. La Banque a réduit son taux directeur pour l’établir à 0,25 %, sa valeur plancher, en précisant qu’elle l’y maintiendrait tant que les capacités excédentaires de l’économie ne se seraient pas entièrement résorbées. De plus, pour la première fois de son histoire, elle a mis en place des mesures d’assouplissement quantitatif : elle a acheté de grandes quantités d’obligations du gouvernement du Canada afin d’accentuer la pression à la baisse sur les coûts d’emprunt des ménages et des entreprises.
Qui plus est, reconnaissant l’importance de l’hétérogénéité des ménages ainsi que les effets inégaux de la pandémie, nous avons élargi l’ensemble des indicateurs du marché du travail que nous surveillons. Nous pouvons ainsi suivre les résultats des différents groupes démographiques et de revenu, ce qui nous donne un meilleur portrait de l’économie5. Nous avons constaté que le marché de l’emploi s’est remis des répercussions de la pandémie, et que les effets inégaux se sont largement dissipés. Par exemple, les écarts que la pandémie avait causés entre l’emploi des femmes et des jeunes et celui d’autres groupes ont disparu.
Je dois préciser ici que, peu importe l’ampleur des efforts déployés pour suivre l’évolution de différents groupes de travailleurs ou de ménages, on ne pourra jamais saisir la situation de tout un chacun.
Malgré toutes les mesures de soutien, la pandémie a été dure à surmonter pour de nombreux ménages, et certains d’entre eux éprouvent encore des difficultés. Les prestations financières offertes aux personnes touchées étaient d’un montant fixe. Pour certains ménages à faible revenu, ce montant a plus que remplacé le salaire perdu. Mais pour d’autres au salaire plus élevé, il n’était pas suffisant. Il faut aussi noter que les prestations de soutien du revenu ne remplacent pas l’expérience qu’on acquiert en travaillant ni les avantages à long terme qu’on obtient en demeurant dans le marché du travail. J’ajouterais aussi que les reports de remboursement de prêts pendant la pandémie ont été utiles et qu’ils ont pris fin sans engendrer de hausse des défauts de paiement6. Par contre, ces reports n’ont pas fait baisser l’endettement, ils n’ont servi qu’à retarder les remboursements.
Les effets de la pandémie sur les ménages
Cela dit, même si la pandémie a eu des effets sur l’emploi, plusieurs facteurs ont amorti son incidence sur le bilan des ménages.
Un de ces facteurs, important d’ailleurs, a été les transferts budgétaires, qui ont favorisé une hausse marquée de l’épargne des ménages. Un autre a été les dépenses de consommation moins élevées, qui sont principalement dues aux mesures sanitaires ainsi qu’à l’incertitude et à la prudence, à cause desquelles beaucoup de gens continuent de se priver. Une grande partie de l’épargne se trouve encore dans des comptes bancaires personnels (graphique 2). Le solde des dépôts bancaires des ménages est d’environ 12 000 $ plus élevé en moyenne qu’avant la pandémie.
Un autre facteur important soutenant les bilans est le fait que beaucoup de ménages au pays ont profité de la situation pour rembourser leurs dettes à taux d’intérêt élevé, comme leurs soldes de cartes de crédit. En fait, les gens dont la cote de crédit est basse – qui, souvent, sont plus jeunes et ont des revenus moins élevés – ont davantage remboursé ces dettes (graphique 3).
Le nombre de ménages ayant procédé à un refinancement hypothécaire a aussi baissé, ce qui donne à penser que beaucoup d’entre eux sont réticents à s’endetter davantage pour financer des achats. Par ailleurs, cette baisse est inhabituelle quand le prix des logements monte rapidement, comme ce fut le cas pendant la pandémie. Certains ménages ont aussi choisi de rembourser leur prêt hypothécaire plus rapidement.
Au début de la pandémie, une épargne plus élevée et des taux hypothécaires bas rendaient l’achat de logements plus facile pour certains. Les propriétaires, nouveaux et existants, ont ensuite vu la valeur de leur actif grimper en flèche, alors que la demande en forte hausse dans ce secteur surpassait l’offre. Au printemps 2021, les prix avaient augmenté de façon assez importante, au point où l’abordabilité des logements est devenue un enjeu national de premier plan – et elle l’est toujours. Même avec des taux hypothécaires plus bas qu’avant la pandémie, de nombreux accédants à la propriété ont eu beaucoup de difficulté à acheter.
Un autre facteur important ayant influé sur le bilan des ménages a été la hausse substantielle de nombreux marchés boursiers en 2020 et en 2021.
Globalement, malgré le choc inégal et de grande envergure qui les a frappés il y a deux ans, les ménages compris dans les cinq groupes de revenu paraissent, en moyenne, en meilleure posture financière qu’avant la pandémie (graphique 4)7.
En effet, la proportion de Canadiens accusant du retard dans le remboursement de leur dette à la consommation est près de son creux historique, et les cotes de crédit ont généralement augmenté (graphique 5). On voit aussi que moins de ménages vivent d’une paie à l’autre8.
Néanmoins, la pandémie et l’incertitude connexe qui subsiste, ainsi que les problèmes que posent l’inflation élevée et l’invasion russe de l’Ukraine, sont des sources d’angoisse pour beaucoup de gens.
Les implications pour la politique monétaire
La Banque a clairement indiqué que des taux d’intérêt plus élevés sont nécessaires pour ramener durablement l’inflation à la cible de 2 %.
Permettez-moi d’évoquer quelques facteurs liés surtout aux ménages qui vont être importants dans cette phase de resserrement de la politique monétaire.
Pour commencer, les effets de la hausse des taux d’intérêt vont être immédiats pour les nouveaux acheteurs de logements, mais ils seront plus progressifs parmi les personnes qui sont déjà propriétaires.
Au Canada, près des trois quarts des prêts hypothécaires octroyés sont à taux fixe. Comme la majorité d’entre eux ont un terme de cinq ans, au cours d’une année typique, seulement 20 % environ des emprunteurs hypothécaires doivent renouveler leur prêt. Et ceux qui le feront au cours des deux prochaines années obtiendront probablement des taux similaires à ceux qu’ils ont en ce moment. Cela tient au fait que les hausses du taux directeur auxquelles nous avions procédé il y a environ cinq ans ont été compensées par les baisses opérées en 2020, après le début de la pandémie. Il faut aussi savoir que la plupart des prêts hypothécaires à taux variable sont remboursés sous forme de versements fixes.
Par ailleurs, comme je l’ai déjà indiqué, de nombreux ménages ont remboursé leur capital durant la pandémie. Lorsque les taux ont baissé, les ménages ayant des prêts hypothécaires à taux variable et à versements fixes ont remboursé davantage de capital. Dans le même temps, certains de ceux qui détenaient des prêts hypothécaires à taux fixe ont décidé d’accélérer leur remboursement en augmentant le montant de leurs versements réguliers ou en procédant à des paiements supplémentaires. Il se peut donc que de nombreux ménages disposent maintenant d’une plus grande souplesse financière.
Cela dit, certains développements sont préoccupants.
Si l’endettement des ménages s’est initialement amélioré au début de la pandémie, il a depuis dépassé les niveaux d’avant la pandémie, et son niveau élevé demeure une vulnérabilité importante au pays.
Un endettement élevé pourrait non seulement amplifier les effets des hausses de taux d’intérêt, mais aussi aggraver les conséquences d’un choc futur. Par exemple, la flambée des prix des logements pendant la pandémie a amené une part croissante des ménages à contracter de nouveaux prêts hypothécaires d’un montant important par rapport à leur revenu (graphique 6). Et une proportion de plus en plus grande de ces prêts est à taux variable.
En outre, les ménages auxquels ont été octroyés des prêts hypothécaires assortis d’un ratio de prêt au revenu élevé ne sont probablement pas ceux qui ont encore beaucoup de liquidités dans leurs comptes bancaires. Certains de ces emprunteurs s’attendent peut-être à ce que leurs revenus futurs augmentent. Mais il est aussi possible que la hausse des taux hypothécaires pèse sur leurs dépenses9. Et si un nombre suffisant d’entre eux devaient réduire leurs dépenses de façon significative, cela pourrait nuire à l’ensemble de l’économie, par exemple en freinant la croissance ou en augmentant le chômage. Une chute des prix des logements pourrait aggraver ces effets.
Toutefois, si on fait le bilan de tous ces éléments, on constate que les ménages semblent, en moyenne, être en meilleure santé financière aujourd’hui qu’au début du cycle de resserrement monétaire de 2017-2018. Et à mesure que nous allons resserrer la politique monétaire, nos riches capacités en matière d’exploitation des données vont continuer à porter fruit10, car elles nous donnent une idée plus précise de la façon dont les ménages réagissent à notre politique monétaire11.
Le cadre de politique monétaire renouvelé de la Banque
Voyons maintenant comment le récent renouvellement de notre cadre de politique monétaire permet de traiter l’hétérogénéité et l’inégalité.
L’entente que nous avons conclue avec le gouvernement du Canada est renouvelée tous les cinq ans12. Cet exercice nous est très précieux, tout comme son équivalent l’est pour la Banque fédérale de réserve, en particulier parce qu’il nous donne l’occasion de consulter un large éventail de parties prenantes13.
Contrairement à la Réserve fédérale, qui a un double mandat consistant à cibler à la fois l’inflation et l’emploi, la Banque du Canada a comme principal objectif de maintenir l’inflation à un niveau bas et stable. C’est ce qui a été réaffirmé dans l’entente renouvelée en décembre dernier. Celle-ci établit aussi plus clairement le rôle que joue le marché du travail dans notre cadre. On y insiste en particulier sur le fait qu’une inflation faible et stable et un niveau d’emploi durable maximal vont main dans la main. On y reconnaît également que lorsque les retombées de la croissance et les possibilités qu’elles amènent sont réparties plus équitablement, la prospérité s’accroît globalement. En pratique, l’entente nous engage à surveiller un large éventail d’indicateurs du marché du travail et à expliquer aux Canadiens comment nous tenons compte de l’évolution de l’emploi dans nos décisions de politique monétaire.
Il importe de suivre un éventail de données sur le marché du travail, car il est difficile de savoir quand le niveau d’emploi maximal a été atteint, en partie parce que nos estimations de ce niveau sont très incertaines. Et quand l’inflation est inférieure à notre cible de 2 % – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – nous voulons éviter tout resserrement monétaire prématuré pour pouvoir atteindre le plein emploi et ramener durablement l’inflation à la cible.
Les études nous ont montré que lorsqu’on tient compte de l’hétérogénéité, les gains et les pertes résultant d’un resserrement trop précoce ne s’équilibrent pas comme dans le cas d’un resserrement trop tardif14. Les gens qui sont souvent les plus touchés par les récessions sont aussi souvent plus lents à bénéficier des reprises. Un resserrement trop prématuré ne risque pas seulement de retarder leur retour au travail quand l’économie se redresse. Il risque également de réduire leur taux d’activité pendant longtemps et, par conséquent, de creuser durablement les inégalités.
La Réserve fédérale a pris ce risque en considération pendant son cycle de resserrement monétaire de 2015 à 2018 en adoptant une approche prudente qui a favorisé une reprise plus inclusive du marché du travail. Les commentaires recueillis en 2019 dans le cadre de son programme Fed Listens ont réaffirmé l’importance de soutenir l’expansion économique. De nombreuses personnes qui avaient eu du mal à trouver du travail ont fini par profiter de la vigueur du marché de l’emploi.
Pour aujourd’hui, je voudrais simplement réitérer que notre entente renouvelée nous engage à utiliser une grande variété de données pour évaluer ce qui se passe dans l’économie. Et il convient également de rappeler que l’inflation est élevée actuellement.
L’orientation de la politique monétaire de la Banque
Permettez-moi maintenant de dire quelques mots au sujet de l’orientation de notre politique monétaire.
Comme les capacités excédentaires dans l’économie se sont résorbées, nous avons relevé à 0,5 % notre taux directeur début mars, en précisant que nous nous attendions à ce qu’il doive encore augmenter. Nous avons ajouté que nous évaluerions à quel moment nous laisserons notre portefeuille d’obligations du gouvernement du Canada commencer à décroître, un processus qu’on appelle le resserrement quantitatif.
Nous avons clairement indiqué que le moment et le rythme des hausses subséquentes du taux directeur, et le début du resserrement quantitatif, seraient guidés par l’évaluation continue que fait la Banque de l’économie et par son engagement à atteindre la cible d’inflation de 2 %.
Je m’attends à ce que le rythme et l’ampleur des hausses des taux d’intérêt ainsi que le démarrage du resserrement quantitatif fassent partie intégrante de nos délibérations concernant notre prochaine décision, en avril. Les raisons en sont simples : l’inflation est trop élevée au pays, les conditions sont tendues sur les marchés du travail et la demande est en vif essor. Comme les produits de consommation courante tels que l’essence et les aliments enregistrent les hausses de prix les plus rapides, tous les ménages sont touchés par la forte inflation. Mais mes collègues et moi-même sommes conscients que cette situation est particulièrement pénible pour les ménages à faible revenu, car ils ont tendance à consacrer une plus grande part de leur revenu à ces articles. L’impact pourrait être considérable : pour un ménage dépensant 2 000 $ par mois, une augmentation de 3 à 4 points de pourcentage de l’inflation globale pourrait représenter un montant supplémentaire de dépenses de 60 à 80 $ par mois, ou de 720 à 960 $ par an.
L’invasion russe de l’Ukraine accentue les pressions inflationnistes dans le monde et dans notre pays. Cela tient surtout au fait qu’elle a fait bondir les cours mondiaux du pétrole et d’autres produits de base. En conséquence, l’inflation à court terme devrait être plus élevée que ce que nous avions prévu en janvier, lorsque nous avons publié nos projections les plus récentes. La généralisation des pressions sur les prix est une préoccupation majeure pour nous : environ deux tiers des composantes de l’indice des prix à la consommation affichent désormais une inflation supérieure à 3 %. Or, une inflation qui demeure élevée accroît le risque que les attentes d’inflation à plus long terme se mettent à augmenter.
Évidemment, nous allons suivre de près l’évolution de la situation en ce qui concerne les ménages, mais il est important d’indiquer clairement que notre objectif principal et notre résolution inébranlable sont de ramener l’inflation à la cible de 2 %. Nous avons pris des mesures en ce sens et continuerons à le faire. Et nous sommes prêts à agir avec fermeté.
Conclusion
Pour conclure, j’aimerais réitérer mes principaux messages d’aujourd’hui.
La pandémie a eu des conséquences importantes et inégales sur l’emploi. Il a donc été d’autant plus urgent de savoir comment les différentes réalités des ménages influent sur les résultats économiques, la santé du système financier et la transmission de la politique monétaire.
Nous avons intensifié nos efforts à ce sujet en utilisant de nouvelles façons de recueillir et d’analyser les données, en explorant les réalités d’un vaste éventail de ménages et d’entreprises et en tenant compte des chiffres à l’échelle nationale. Ces outils ont été très utiles pour suivre l’évolution de la situation pendant la pandémie.
Aujourd’hui, l’emploi s’est redressé et les conditions du marché du travail sont de plus en plus tendues. Et bien que le niveau d’endettement des ménages soit encore élevé, les mesures de soutien qui ont été prises et l’augmentation de l’épargne ont contribué à améliorer la situation financière des ménages dans toutes les catégories de revenus.
Actuellement, notre principale préoccupation est l’inflation élevée. La Banque utilisera ses outils de politique monétaire pour la ramener à la cible de 2 % et garder les attentes d’inflation bien ancrées. Elle suivra de près les nouvelles données et communiquera clairement aux Canadiens tout au long de ce cheminement.
Merci de votre attention.
Je tiens à remercier Sushant Acharya, Katsiaryna (Katya) Kartashova, Mikael Khan et Thomas Michael Pugh de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours. Cesaire Meh et Stephen Murchison ont aussi donné des commentaires précieux sur les ébauches.
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