Introduction
Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invité à ouvrir cette discussion.
Et merci à l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) de tenir cet événement. Je suis heureux de me retrouver aux côtés de panélistes exceptionnels pour parler de certains changements importants qui pourraient être apportés aux taux d’intérêt de référence du Canada.
En fait, une réforme des taux de référence est en cours à l’échelle mondiale. Depuis 2013, l’Official Sector Steering Group du Conseil de stabilité financière oriente les efforts pour établir des fondements plus solides pour les produits financiers partout dans le monde.
La Banque du Canada est membre de ce groupe d’orientation. Une des grandes fonctions de la Banque consiste à favoriser la stabilité et l’efficience du système financier. C’est pourquoi il est important que nous soutenions les efforts déployés pour veiller à ce que l’architecture qui sous-tend le système financier canadien soit robuste et résiliente.
Et bien sûr, la Banque joue un rôle central au sein du Groupe de travail sur le taux de référence complémentaire pour le marché canadien (TARCOM), qui s’intéresse à la réforme des taux de référence. Ce groupe créé en mars 2018 réunit de nombreux acteurs clés du système financier canadien1.
En 2020, le Groupe de travail a été chargé d’étudier de plus près le taux CDOR (Canadian Dollar Offered Rate), qui est actuellement le principal taux d’intérêt de référence au Canada. Le groupe a ainsi exploré des manières de rendre le régime canadien de taux de référence plus robuste et résilient. Il a notamment analysé l’efficacité du CDOR et fait des recommandations pour l’avenir en se basant sur cette analyse.
Évaluer l’efficacité du CDOR
En guise de mise en contexte, je vous dirai que le CDOR existe depuis environ 40 ans. Il a d’abord été conçu comme taux de référence pour l’octroi de prêts fondés sur des acceptations bancaires (AB). Il s’agit d’un taux à terme prospectif qui intègre le risque de crédit bancaire et qui nous a bien servis depuis sa conception dans les années 1980.
Aujourd’hui administré par Refinitiv Benchmark Services (UK) Limited, le CDOR est utilisé pour des opérations totalisant plus de 20 000 milliards de dollars, ce qu’on appelle l’exposition notionnelle brute. Les produits dérivés représentent 97 % de cette exposition, même si une partie de celle-ci est aussi liée à des obligations et des prêts à taux variable.
Comme je l’ai dit, le CDOR nous a bien servis. Cependant, durant la première phase de l’examen mené par le Groupe de travail – l’analyse de l’efficacité du CDOR –, il est apparu clairement que certains aspects de l’architecture du taux pourraient poser des risques pour sa robustesse et sa résilience à l’avenir.
Un de ces risques concerne les nouvelles normes plus strictes qui régissent les taux d’intérêt de référence essentiels à l’échelle mondiale. Ces normes élaborées par l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) établissent les cibles à atteindre pour assurer la robustesse des taux de référence.
Selon les recommandations de l’OICV, les taux de référence devraient être fondés sur de grands volumes d’opérations sous-jacentes réalisées dans des conditions normales de concurrence. Ce concept est enchâssé dans le règlement sur les indices de référence publié récemment par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Or, le CDOR est surtout établi sur la base du jugement d’experts plutôt que de transactions.
Il y a aussi le risque que les banques commencent à délaisser le modèle d’octroi de prêts fondés sur des AB, qui est la raison fondamentale pour laquelle le CDOR a été conçu. Nous voyons davantage de prêts fondés sur le CDOR qui ne donnent pas lieu à la création d’AB. Lorsque cela se produit, les AB émises sont de plus en plus conservées au bilan au lieu d’être vendues sur le marché. La diminution de l’offre d’AB mine les fondements de la structure du CDOR.
Songer à l’avenir
Avec ces enjeux à l’esprit, le Groupe de travail s’est interrogé sur la possibilité de réformer ou d’améliorer le CDOR.
Il a déterminé que cette option n’était pas viable – surtout parce que le CDOR, par sa nature, ne pourrait pas être lié directement à des opérations sur titres conclues dans des conditions de pleine concurrence sans qu’on doive le transformer en un nouveau taux.
En fin de compte, le Groupe de travail a recommandé à Refinitiv de cesser de calculer et de publier le CDOR après le 30 juin 2024. Je précise que ce n’est qu’une recommandation; il reviendra à Refinitiv de l’étudier et de prendre une décision de manière indépendante.
Le Groupe de travail prône aussi une approche en deux étapes pour l’abandon du CDOR.
Durant la première étape qui se déroulerait jusqu’au 30 juin 2023, presque tous les nouveaux contrats relatifs à des produits dérivés et à des titres seraient basés sur le taux CORRA (taux des opérations de pension à un jour) plutôt que sur le CDOR.
Le CORRA est l’autre grand taux d’intérêt de référence canadien. Il sert de mesure du coût du financement à un jour en dollars canadiens sur le marché général des pensions pour les opérations garanties au moyen de bons du Trésor et d’obligations du gouvernement du Canada. Il est donc considéré comme un taux sans risque à un jour, conformément aux pratiques exemplaires internationales. La Banque administre le CORRA depuis juin 2020.
Durant la deuxième étape – de juin 2023 à la date du possible abandon du CDOR, en juin 2024 –, les prêts ne seraient plus fondés sur ce taux. Cette étape donnerait plus de temps aux entreprises pour adopter d’autres taux de référence pour leurs contrats de prêt et pour régler d’éventuels problèmes liés à la modification des contrats sur titres existants.
Je veux souligner que ces recommandations ont été approuvées à l’unanimité par les membres du Groupe de travail et du Forum canadien des titres à revenu fixe. Elles reflètent donc l’opinion d’un vaste éventail de parties prenantes concernées par le CDOR. Mais, en définitive, la décision de cesser la publication de ce taux appartient uniquement à Refinitiv. Je reviendrai là-dessus dans un instant.
Prochaines étapes
Faisons maintenant un petit survol de ce qui pourrait changer si Refinitiv décide de suivre les étapes qui mèneront à l’abandon du CDOR.
Comme je l’ai dit, les incidences de cet abandon se feraient surtout sentir sur le marché des produits dérivés. Heureusement, à la fin de 2020, l’ISDA a renforcé les règles qui s’appliqueraient aux dérivés dans le cas où un taux de référence relevant de l’ISDA cesserait d’être publié2.
Comme on l’a vu dans d’autres pays qui changent d’indices financiers de référence, la transition serait plus complexe pour le marché du crédit. L’abandon progressif du CDOR aurait certainement des implications opérationnelles pour les institutions financières et les sociétés qui contractent actuellement des prêts basés sur ce taux.
Nous ne savons pas encore exactement à quoi pourrait ressembler le système financier après juin 2024. Par exemple, qu’est-ce qui arriverait au modèle d’octroi de prêts fondés sur des AB qui sous-tend le CDOR?
L’abandon du CDOR exigerait sans doute des efforts de la part de tous les participants au système financier. Il sera donc important d’écouter le point de vue de ceux qui pourraient être touchés par ce changement.
À cette fin, Refinitiv vient de lancer un processus de consultation pour mieux comprendre les ramifications possibles de la transition. Je vous encourage tous à y participer. C’est une excellente façon de faire en sorte que la réforme des taux de référence menée au Canada soit adaptée aux réalités canadiennes.
Et bien sûr, nous pouvons observer les réformes mises en place ailleurs – comme celle du London Interbank Offered Rate (LIBOR) – et en tirer des leçons.
Conclusion
Je vais maintenant conclure pour que nous ayons le temps de discuter plus en détail des recommandations du Groupe de travail et de leurs implications pour l’avenir.
J’ai hâte d’entendre le point de vue de Barbara, Axel, Karl et Tom, ainsi que l’avis et les réflexions de toutes les personnes présentes aujourd’hui.
Merci.
Je tiens à remercier Harri Vikstedt et Thomas Thorn de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.