Contexte et motivation

Les prix des logements ont augmenté rapidement dans bien des régions du Canada ces dernières années, ce qui a soulevé des inquiétudes chez les décideurs en ce qui concerne la stabilité financière et l’accessibilité à la propriété. Mais nous en savons peu sur la contribution des différents types d’acheteurs à la dynamique des marchés du logement au pays.

Cette note analytique présente une méthode novatrice pour étudier les achats de logements au Canada. En combinant diverses sources de microdonnées, nous calculons la part des achats financés au moyen d’un prêt hypothécaire pour trois types d’acheteurs :

  • les accédants à la propriété;
  • les acheteurs déjà propriétaires;
  • les investisseurs.

Nous examinons ensuite les caractéristiques démographiques et financières de ces groupes pour en tirer des informations préliminaires sur les vulnérabilités financières associées à différents types d’acheteurs.

Données

Nous combinons deux ensembles de données anonymisées sur les prêts individuels recueillies à partir de 2014 :

  • données sur les émissions de prêts hypothécaires : ensemble de données obtenu à partir des relevés réglementaires soumis par les banques, qui comporte l’information relative à la souscription des prêts hypothécaires émis par une institution financière fédérale au Canada;
  • données d’un bureau de crédit : ensemble de données de TransUnion comprenant les antécédents de crédit de plus de 30 millions de résidents canadiens1.

Nous élaborons un algorithme d’appariement permettant de repérer les mêmes emprunteurs dans les deux ensembles de données. L’algorithme contient des variables telles que le montant et la date d’émission du prêt hypothécaire, le nom du prêteur et la région de tri d’acheminement de l’emprunteur (les trois premiers caractères de son code postal). Nous obtenons un taux d’appariement atteignant près de 90 % pour la plupart des grandes banques.

Afin de vérifier si les achats de logements dégagés de l’ensemble regroupé de données sont représentatifs des achats effectués à l’échelle du pays, nous comparons nos données avec celles de L’Association canadienne de l’immeuble (ACI). Comme l’illustre le graphique 1, les taux de croissance des ventes et des prix sur un an dans notre ensemble de données sont très semblables à ceux obtenus par l’ACI, avec un léger décalage. Un tel décalage n’est pas étonnant puisque les fonds hypothécaires sont habituellement versés lors du transfert du titre de propriété, donc après la signature du contrat de vente. Il est toutefois important de noter que la définition des achats dans notre ensemble de données n’est pas la même que celle utilisée par l’ACI. C’est parce que nous incluons les prêts hypothécaires émis pour l’achat de logements neufs en plus de ceux consentis pour l’achat de logements existants. Par contre, nous ne tenons pas compte des achats au comptant ni de ceux effectués par des entreprises.

Graphique 1 : Les données appariées montrent une dynamique de croissance semblable à celle qui se dégage des statistiques habituelles sur les reventes

Graphique 1 : Les données appariées montrent une dynamique de croissance semblable à celle qui se dégage des statistiques habituelles sur les reventes

Sources : TransUnion, relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes, L’Association canadienne de l’immeuble et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2021T2

Catégorisation des acheteurs de logements

À partir des données appariées, nous répartissons les achats de logements financés au moyen d’un prêt hypothécaire en trois groupes distincts, soit ceux effectués par des accédants à la propriété, par des acheteurs déjà propriétaires et par des investisseurs.

Accédants à la propriété

Un achat est catégorisé comme étant fait par un accédant à la propriété quand le dossier de crédit de l’emprunteur indique qu’un tout premier prêt hypothécaire lui a été consenti. Nous constatons que ce groupe d’acheteurs est le plus important, comptant pour la moitié des achats de logements depuis 2014 (graphique 2).

Graphique 2 : Les accédants à la propriété comptent généralement pour environ la moitié des achats de logements au Canada

Sources : TransUnion, relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes et calculs de la Banque du Canada

Acheteurs déjà propriétaires

Pour qu’un achat soit considéré comme étant effectué par un acheteur déjà propriétaire, l’émission du nouveau prêt hypothécaire doit être associée à la quittance d’une hypothèque précédente. Depuis 2014, 31 % des achats de logements ont été faits par des acheteurs appartenant à ce groupe.

Investisseurs

Cette catégorie comprend les acheteurs qui possèdent plusieurs propriétés hypothéquées. Il y a donc deux situations possibles pour qu’un acheteur soit considéré comme un investisseur :

  • il acquiert un immeuble à titre de placement et conserve sa résidence principale;
  • il acquiert une nouvelle résidence qu’il habitera et convertit sa résidence actuelle en immeuble de placement2, 3.

Puisque cet ensemble de données ne comprend que les prêts hypothécaires consentis par des institutions financières canadiennes, nous relevons essentiellement les transactions d’acheteurs nationaux. Les achats effectués par des étrangers ne seraient inclus que s’ils ont obtenu un prêt hypothécaire au Canada. Selon ces paramètres, les investisseurs comptent pour 19 % des achats de logements financés au moyen d’un prêt hypothécaire depuis 2014.

Dans nos données, les investissements dans le logement peuvent comprendre l’achat d’une propriété récréative, comme un chalet. Cela n’affecte toutefois pas nos résultats de façon notable. Pour creuser cette question, nous examinons la part des achats à des fins d’investissement qui sont effectués dans des régions non urbaines4. Plus précisément, nous nous penchons sur les achats faits par des investisseurs habitant 11 grandes villes canadiennes (les mêmes que dans le graphique 5) et constatons que depuis 2014, seulement 4 % des immeubles de placement qu’ils ont acquis se trouvent dans des régions non urbaines. Bien qu’elle soit petite, cette part a augmenté avec le temps, passant d’environ 3 % en 2014-2015 à autour de 5,5 % en 2020-2021.

Tendances concernant les achats de logements au fil du temps et dans les grandes villes

Nous examinons ensuite comment les achats de logements effectués par les trois différents groupes ont évolué avec le temps. Le graphique 3 montre un degré élevé de covariation entre les taux de croissance des achats de logements réalisés par ces groupes. Il est intéressant de noter que les achats parmi les trois groupes ont rapidement augmenté durant la pandémie de COVID‑19, mais que cette hausse est plus prononcée chez les investisseurs. La dernière fois que la croissance dans la catégorie des investisseurs avait dépassé celle observée pour les accédants à la propriété ou les acheteurs déjà propriétaires remontait à 2017, durant une période de renchérissement des logements exceptionnellement forte à Toronto et dans les régions avoisinantes.

Graphique 3 : Les achats de logements par des accédants à la propriété, des acheteurs déjà propriétaires et des investisseurs ont historiquement évolué de façon parallèle

Sources : TransUnion, relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2021T2

En raison de cette dynamique, la part des achats par des investisseurs a augmenté en 2017 et de nouveau en 2021 (graphique 4)5 . Actuellement, un peu plus du cinquième des achats de logements au Canada est effectué par des investisseurs. Nous avons aussi observé une légère hausse de la part des transactions réalisées par des acheteurs déjà propriétaires au fil des années. Par contre, la part des achats par des accédants à la propriété a diminué depuis 2015 et a touché un nouveau creux en 2021, les prix des logements ayant crû beaucoup plus rapidement que le revenu disponible au cours de ces six années.

Graphique 4 : La part des achats de logements par des accédants à la propriété a diminué depuis 2015

Sources : TransUnion, relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2021T2


L’activité des investisseurs varie également d’une grande ville canadienne à l’autre (graphique 5). Depuis 2014, c’est à Winnipeg que la part des achats de logements effectués par des investisseurs a été la plus petite, soit 14 %, et à Toronto qu’elle a été la plus grande, soit 21 %. Nous constatons aussi une tendance à la hausse, au fil des années, de la part des achats de logements par des investisseurs dans presque toutes les grandes villes du Canada.

Graphique 5 : L’activité des investisseurs s’est accrue au fil du temps dans les grandes villes du Canada

Sources : TransUnion, relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2021T2

Caractéristiques des acheteurs

Afin de mieux comprendre les vulnérabilités liées aux différents types d’acheteurs détenant un prêt hypothécaire, nous analysons leurs caractéristiques démographiques et financières.

En commençant par l’âge, nous remarquons que les accédants à la propriété ont tendance à être beaucoup plus jeunes que les autres types d’acheteurs (graphique 6, figure a). L’âge médian est de 36 ans, comparativement à environ 50 ans pour les autres types d’acheteurs. La distribution du revenu des divers types d’acheteurs reflète aussi les différences liées à ces étapes de la vie (graphique 6, figure b).

Concernant les mesures de la vulnérabilité financière, nous constatons que pour les accédants à la propriété, le ratio de prêt au revenu de leur prêt hypothécaire tend à être plus élevé que celui des autres groupes au moment de l’octroi (graphique 6, figure c). Par conséquent, ils ont une grande incidence sur la part totale des nouveaux prêts hypothécaires dont le ratio de prêt au revenu est supérieur à 450 % – un indicateur clé que la Banque du Canada utilise pour surveiller la vulnérabilité liée à l’endettement des ménages.

Cependant, ne tenir compte que de la dette associée au dernier prêt hypothécaire consenti peut avoir pour effet de sous-estimer la vulnérabilité financière des investisseurs détenant de nombreux prêts hypothécaires. Un des avantages de notre ensemble de données appariées est que nous avons les antécédents de crédit complets de chaque acheteur. Nous pouvons ainsi voir le solde de tous les prêts hypothécaires détenus par les investisseurs. Lorsque nous recalculons les ratios de prêt au revenu en fonction de l’ensemble des dettes hypothécaires, les investisseurs sont de toute évidence beaucoup plus lourdement endettés que d’autres types d’acheteurs (graphique 6, figure d).

L’endettement plus élevé des investisseurs se reflète aussi probablement sur le ratio global du service de la dette calculé à l’émission du dernier prêt hypothécaire. Cette mesure devrait en principe tenir compte des paiements affectés au remboursement de toutes les dettes, y compris les prêts hypothécaires contractés précédemment et les dettes non hypothécaires6. La figure e du graphique 6 montre que les investisseurs ont tendance à avoir un ratio global du service de la dette plus élevé que les non-investisseurs. Plus précisément, une part beaucoup plus importante d’investisseurs affiche un ratio global du service de la dette supérieur à 44 %7. Les investisseurs qui sont lourdement endettés pourraient avoir de la difficulté à rembourser leurs dettes à la suite d’une perte de revenu (d’emploi ou de location) ou d’une hausse des taux d’intérêt.

Notre analyse présente une lacune importante : nous ne pouvons pas savoir exactement quelles sources de revenus les investisseurs incluent dans leur demande de prêt hypothécaire. Les relevés réglementaires ne comprennent qu’un champ pour le revenu, et celui-ci ne fait pas de distinction entre le revenu d’emploi et le revenu de location. De plus, les pratiques de souscription peuvent varier d’un prêteur à l’autre en ce qui concerne le revenu locatif. Par exemple, certains prêteurs permettent aux demandeurs d’utiliser seulement 50 % de leur revenu locatif pour déterminer leur admissibilité au prêt hypothécaire.

Il est également difficile de savoir si les investisseurs déclarent la totalité de leurs revenus lorsqu’ils demandent un nouveau prêt hypothécaire ou s’ils n’indiquent que le montant nécessaire pour y être admissibles. Dans le cas où les investisseurs détenant de nombreux immeubles de placement sous-déclarent leurs revenus, les figures d et e du graphique 6 pourraient surestimer la vulnérabilité de ces derniers. Sans autres informations sur la manière dont le revenu locatif est pris en compte, nous pouvons difficilement évaluer les vulnérabilités et les risques auxquels les investisseurs exposent le marché du logement.

Graphique 6 : Les investisseurs tendent à être plus âgés, à gagner un revenu plus élevé et à être plus endettés

Graphique 6 : Les investisseurs tendent à être plus âgés, à gagner un revenu plus élevé et à être plus endettés

Répartition des acheteurs en fonction de différentes mesures, de 2014 jusqu’au 2021S1

Sources : TransUnion, relevés réglementaires soumis par les banques canadiennes et calculs de la Banque du Canada

Conclusion

Dans cette note, nous présentons la création d’un nouvel ensemble de données permettant de suivre les achats de logements financés au moyen d’un prêt hypothécaire contracté au Canada. Le principal avantage de cet ensemble est qu’il permet de ventiler les achats de logements en fonction de la contribution respective de différents types d’acheteurs. Il ressort de notre analyse initiale de ces données que les achats de logements s’effectuent de plus en plus par des personnes déjà propriétaires. Parmi elles, ce sont les investisseurs dont la part des achats de logements a le plus augmenté durant la pandémie de COVID‑19.

La présence accrue des investisseurs sur le marché du logement a contribué à une forte demande et pourrait s’expliquer par la croyance que les prix des maisons continueront d’augmenter – un concept parfois appelé « anticipations extrapolatives »8. La demande de logements par des investisseurs pourrait aussi être plus sensible aux changements d’humeur du marché que celle par d’autres acheteurs9. En exacerbant les cycles dits d’expansion et de contraction abruptes sur les marchés du logement, les investisseurs pourraient être une source d’instabilité pour le système financier et l’économie dans son ensemble. En même temps, les investisseurs constituent une source importante d’offre de logements locatifs. D’autres recherches sont nécessaires pour examiner l’équilibre délicat entre, d’une part, l’augmentation de l’offre locative et, d’autre part, la réduction de l’offre de nouvelles constructions et de logements existants, dans le contexte d’un marché du logement qui comporte déjà des contraintes d’offre.

De façon plus générale, l’ensemble de données peut nous aider à répondre à de nombreuses questions concernant l’endettement des ménages et les déséquilibres sur le marché du logement, y compris le rôle des investisseurs sur ce marché. C’est un domaine qui fait l’objet de recherches actives à la Banque.

  1. 1. Afin de protéger la vie privée des Canadiens, TransUnion n’a fourni aucun renseignement personnel à la Banque. L’ensemble de données de TransUnion a été anonymisé, c’est-à-dire qu’il ne comprend aucun renseignement permettant d’identifier une personne en particulier (nom, numéro d’assurance sociale, adresse).[]
  2. 2. Dans cette analyse, nous ne disposons d’aucune information sur l’utilisation finale des immeubles acquis à titre de placement. Ceux-ci peuvent être loués à long terme, loués à court terme sur une plateforme en ligne de location de résidences à des fins touristiques ou laissés vacants.[]
  3. 3. Les opérations d’achat-revente, effectuées par des investisseurs qui achètent des propriétés pour les revendre rapidement, peuvent aussi être incluses. Mais d’après les données de Teranet, les logements achetés et revendus dans les six mois suivants n’ont représenté qu’environ 1 % des transactions à l’échelle nationale au cours des dernières années. Cette part se situe autour de 2 % pour les logements achetés et revendus dans les 12 mois suivant l’achat.[]
  4. 4. Nous définissons les régions non urbaines comme des zones situées à l’extérieur des régions métropolitaines de recensement ou des agglomérations de recensement.[]
  5. 5. Compte tenu des ajustements apportés à l’algorithme, les données présentées ici diffèrent légèrement de celles figurant dans la Revue du système financier de 2021.[]
  6. 6. Le ratio global du service de la dette compare les paiements exigés pour tous les prêts hypothécaires (principal et intérêts) et les autres produits (tels que les prêts remboursables par versements, les lignes de crédit et les cartes de crédit), ainsi que l’impôt foncier et les coûts de chauffage, avec le revenu brut utilisé pour déterminer l’admissibilité de l’emprunteur.[]
  7. 7. Pour les prêts hypothécaires assurés, le ratio global du service de la dette ne peut dépasser 44 %. Pour les prêts hypothécaires non assurés, la limite maximale est laissée à la discrétion de chaque prêteur.[]
  8. 8. Voir U. Emenogu, C. Hommes et M. Khan (2021), Détecter l’exubérance des prix des logements dans des villes canadiennes, note analytique du personnel no 2021-9, Banque du Canada.[]
  9. 9. Voir par exemple, A. Haughwout, D. Lee, J. Tracy et W. van der Klaauw (2011), Real Estate Investors, the Leverage Cycle, and the Housing Market Crisis, Banque fédérale de réserve de New York, coll. « Staff Reports », no 514.[]

Avis d’exonération de responsabilité

Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.

DOI : https://doi.org/10.34989/san-2022-1

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