Introduction
Merci de m’avoir invité à vous parler en virtuel aujourd’hui.
La Banque du Canada entretient une excellente relation de travail avec la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) depuis de nombreuses années1. Nous valorisons ce que vous faites pour que les Canadiens aient en tout temps accès à un système financier fiable et stable.
Deux fois par année, comme c’est le cas aujourd’hui, la Banque s’adresse au pays pour faire le point sur les principales vulnérabilités et les grands risques touchant le système financier. Elle le fait dans la Revue du système financier au printemps et dans un discours à l’automne2.
Les vulnérabilités financières n’entraînent pas nécessairement de graves problèmes. Parfois, elles se dissipent d’elles-mêmes, sans avoir de répercussions néfastes. Cependant, l’histoire nous enseigne que, laissées à elles-mêmes, les vulnérabilités financières peuvent parfois engendrer des conséquences dommageables ou favoriser leur apparition, soit en amplifiant les chocs négatifs – et donc en aggravant des situations déjà difficiles –, soit en devenant elles-mêmes des sources d’instabilité.
Comme vous le savez très bien, le système financier canadien était en bonne posture au moment où la crise de la COVID-19 a débuté, et il s’est avéré résilient tout au long de celle-ci. Cette résilience tient au solide cadre de réglementation et de surveillance de notre pays. Elle met aussi en évidence que les grandes banques canadiennes étaient bien capitalisées lorsque la pandémie a frappé et le sont encore. Les mesures de soutien économique sans précédent prises par les pouvoirs publics et la Banque ont également joué un rôle crucial.
Grâce à tout cela, l’économie a bien traversé la crise. Le nombre de cas d’insolvabilité des ménages est à son plus bas depuis les dernières années, et la plupart des entreprises ne montrent pas de signes de tensions financières majeures, les faillites étant inférieures à leur moyenne historique.
Cela dit, une grande partie des mesures de soutien gouvernementales ayant permis d’obtenir ces résultats sont en train d’être retirées. Par conséquent, les effets à plus long terme de la pandémie continuent de prendre forme. Et les principales vulnérabilités financières auxquelles le Canada faisait face avant la pandémie – à savoir les déséquilibres sur le marché du logement et l’endettement élevé des ménages – demeurent considérables. De plus, les changements climatiques et la transition vers une économie à faibles émissions de carbone posent de nouveaux risques financiers qui gagneront en importance. L’ampleur du défi auquel la Colombie-Britannique est confrontée actuellement est un rappel brutal que les phénomènes météorologiques extrêmes sont déjà en train de devenir plus courants. L’évaluation des risques liés aux changements climatiques nécessite de nouveaux outils, et la Banque s’emploie activement à les concevoir en collaboration avec d’autres instances.
Comme le système bancaire canadien a été renforcé au fil des ans, les risques pesant sur sa stabilité globale semblent limités à l’heure actuelle. En effet, il faudrait qu’un événement vraiment extrême se produise pour mettre le système bancaire en grand péril3. Toutefois, comme je vais l’expliquer, les risques que nous constatons pourraient causer des tensions ou des pertes financières importantes pour un grand nombre de ménages et d’entreprises. Ce faisant, ils pourraient entraver la reprise post-pandémie ou poser des problèmes pour l’économie plus tard.
Il y a donc lieu de demeurer vigilants, mais d’être également optimistes.
Déséquilibres sur le marché du logement et endettement élevé des ménages
Comme je viens de le mentionner, les déséquilibres sur le marché du logement et les hauts niveaux d’endettement des ménages sont loin d’être de nouvelles vulnérabilités. Mais, à certains égards, elles se sont intensifiées en raison des circonstances inhabituelles causées par la pandémie.
Dans la Revue du système financier de mai, nous avons mis en évidence la demande anormalement élevée de maisons unifamiliales, particulièrement en banlieue et aux abords des grandes villes canadiennes. Cette situation tient à trois principaux facteurs liés à la pandémie.
D’abord, les nombreux Canadiens travaillant ou gardant leurs enfants à la maison voulaient plus d’espace.
Ensuite, comme il y avait peu d’occasions de dépenser pendant les confinements et que la plupart des personnes ayant pu télétravailler ont conservé leur emploi, beaucoup de ménages ont accru leur épargne, ce qui leur a permis d’accumuler une meilleure mise de fonds.
Enfin, les faibles coûts d’emprunt ont soutenu la demande et incité certains gens à devancer leurs plans d’achat d’une maison.
Mais l’offre n’a pas suivi la forte hausse de la demande de logements, faisant bondir les prix dans plusieurs marchés.
Un aspect particulièrement inquiétant de cette situation est que, dans certaines régions, les anticipations pourraient être devenues extrapolatives. C’est ce qui se produit lorsque les gens s’attendent à ce que les prix continuent de monter, cette situation pouvant en amener certains à se précipiter sur le marché pour acheter. Je reviendrai sur ce point.
En ce qui concerne l’endettement, des forces conflictuelles sont à l’œuvre. En mai 2021, un grand nombre de ménages avaient réduit leur dette de consommation, tandis que d’autres avaient augmenté leur dette hypothécaire. Parmi ceux-ci, un nombre grandissant avaient contracté un prêt hypothécaire assorti d’un ratio prêt-revenu élevé.
Les dynamiques du marché du logement et de l’endettement induites par la pandémie continuent d’évoluer et d’interagir. Il existe donc certaines préoccupations financières importantes qui pourraient avoir une incidence sur la reprise économique. Permettez-moi de vous donner quelques précisions.
Vulnérabilités liées aux déséquilibres sur le marché du logement
Comme vous le savez, l’activité sur le marché du logement au Canada a été assez vigoureuse durant la pandémie. Et, après s’être modérée un peu, elle s’est intensifiée de nouveau. On le constate dans le ratio des ventes aux nouvelles inscriptions ainsi que dans la croissance des prix des logements (graphique 1).
Compte tenu des niveaux insoutenables qui ont été atteints au début de la pandémie, il est inévitable que l’activité sur le marché du logement se modère un peu, et nous avons effectivement vu un certain ralentissement.
La principale raison de ce ralentissement est que le stock de logements plus spacieux, notamment aux abords de certaines villes, est limité. La majeure partie des gens qui voulaient acheter plus grand l’ont probablement déjà fait. Les employeurs préparent le retour au bureau, à temps plein ou en mode hybride. Et les enfants sont à nouveau sur les bancs d’école.
De plus, le dernier resserrement des conditions d’admissibilité au crédit hypothécaire à la mi-2021 pourrait avoir incité certains acheteurs à attendre d’avoir une plus grosse mise de fonds et d’autres à acheter une maison moins dispendieuse4.
Toutefois, la modération observée était par rapport à des niveaux historiquement élevés et, comme je l’ai mentionné, l’activité a partiellement repris son recul5.
N’oublions pas qu’un facteur clé de la montée des prix des maisons est que la hausse de la demande dépassait de très loin celle de l’offre. Généralement, l’offre de logements peut difficilement rattraper en peu de temps une augmentation soudaine de la demande. Cela s’explique en partie par des entraves comme les plans d’aménagement du territoire et la réglementation dans le bâtiment ainsi que par le simple fait qu’il faut du temps pour construire une maison. Notons aussi que le bois d’œuvre, d’autres matériaux de construction et la main-d’œuvre se sont tous faits rares à différents moments de la pandémie.
Une récente étude menée par le personnel de la Banque montre que l’ampleur de la réponse de l’offre à une hausse de la demande de logements varie grandement au pays. Toutefois, l’offre est extrêmement plus inélastique dans les trois plus grandes régions urbaines – Toronto, Montréal et Vancouver – que dans le reste du pays (graphique 2). Cela signifie qu’une quelconque augmentation de la demande entraîne généralement une hausse modeste de l’offre et, par conséquent, une augmentation non négligeable des prix.
L’offre inélastique sur les plus grands marchés canadiens a contribué à l’écart entre la demande fondamentale et l’offre à court terme, ce qui a fait monter les prix des maisons. Elle pourrait aussi avoir contribué indirectement à ce que les anticipations deviennent extrapolatives dans certains marchés, comme nous l’avons indiqué en mai. Ce type de dynamique peut se produire lorsque les gens craignent de manquer une occasion ou s’attendent à réaliser un gain en capital plus tard en revendant, ou les deux. Quoi qu’il en soit, les anticipations extrapolatives risquent de créer un décalage entre les prix des logements et leurs niveaux plus fondamentaux.
La bonne nouvelle est que la croissance un peu plus lente des prix des logements observée pendant l’été devrait réduire la probabilité d’une dynamique de prix extrapolative non souhaitable. Certains marchés montrent tout de même encore des signes de telles anticipations (graphique 3).
En même temps, nos analyses montrent que beaucoup de Canadiens achètent des immeubles à titre d’investisseurs, c’est-à-dire en plus de leur résidence principale. Cette approche a d’ailleurs gagné en popularité (graphique 4)6, les gains en capital anticipés pouvant rendre les logements très attrayants pour les investisseurs.
L’arrivée soudaine de nouveaux investisseurs sur le marché du logement a vraisemblablement contribué à la montée rapide des prix plus tôt cette année. Dans un cas comme celui-ci, les anticipations d’une hausse future de prix peuvent devenir autoréalisatrices, du moins pour un certain temps, ce qui peut accroître les chances qu’une correction se produise sur le marché7. Le cas échéant, les conséquences peuvent toucher bien plus que les investisseurs. Il suffit de penser aux ménages, pour qui la richesse et l’accès à du crédit bon marché dépendent bien souvent de la valeur de leur habitation.
Nous allons continuer de surveiller cette dynamique. Par ailleurs, nous déployons beaucoup d’efforts pour évaluer l’incidence des investisseurs immobiliers sur les vulnérabilités liées au logement8.
Laissez-moi vous résumer notre évaluation actuelle du marché du logement. Tout d’abord, les prix des maisons ont considérablement augmenté au cours de la pandémie. Ensuite, la modération constatée jusqu’à récemment était encourageante, mais les prix restent très élevés. Enfin, le risque de correction sur certains marchés est un enjeu que nous devons surveiller.
N’oublions pas non plus que la flambée de la demande de logements s’est produite au moment où l’immigration était essentiellement arrêtée. À mesure que ces services reprendront, l’écart entre l’offre et la demande pourrait s’élargir et rester plus longtemps, ce qui pourrait exercer de nouvelles pressions à la hausse sur les prix des maisons.
Ça ne veut pas dire qu’une calamité se dessine à l’horizon. Globalement, le système financier se porte bien et se montre généralement assez résilient9. Néanmoins, même sans mettre le système financier à risque, une baisse des prix des logements pourrait avoir une grande incidence sur les dépenses des ménages ainsi que des répercussions sur l’emploi.
Vulnérabilités liées à l’endettement élevé
Parlons maintenant de l’endettement élevé. Une préoccupation majeure dans ce dossier est le fait que les ménages surendettés ont peu de marge de manœuvre pour composer avec une quelconque baisse de revenus. La perte d’un emploi pourrait en forcer beaucoup à radicalement réduire leurs dépenses pour continuer à assurer le service de leur dette. Une chute des prix des maisons pourrait aussi réduire la consommation des ménages, car bon nombre utilisent leur maison comme garantie pour obtenir un refinancement ou une marge de crédit hypothécaires. Notons aussi que les effets économiques d’une hausse du chômage ou d’une baisse des prix des maisons seraient pires aujourd’hui que par le passé, car les niveaux d’endettement et la part de richesse concentrée dans les logements ont augmenté au fil du temps.
De plus, comme bon nombre de ménages ont profité de la longue période de taux d’intérêt historiquement bas pour s’endetter lourdement, l’économie est sans doute désormais plus sensible à toute hausse des coûts d’emprunt.
Pour évaluer ces vulnérabilités, il est intéressant de regarder tout d’abord l’évolution de l’endettement pendant la pandémie, puis de se tourner vers certaines forces à plus long terme.
Tendances liées à la pandémie
Depuis la parution de la Revue du système financier de mai, Statistique Canada a publié de nouvelles microdonnées qui nous aident à mieux comprendre quelle était la situation financière des ménages juste avant la pandémie10.
Ces données montrent que de 2016 à 2019, le bilan des ménages avait évolué de façon généralement favorable. En effet, la richesse nette avait augmenté dans quatre quintiles de revenus et quatre des cinq groupes d’âge. De plus, le nombre de ménages considérés comme fortement endettés – dont le ratio de la dette au revenu est de plus de 350 % – a cessé de suivre la tendance à la hausse qui s’observait depuis une vingtaine d’années11. Malgré cela, en 2019, près d’un ménage sur six ayant une dette quelconque se trouvait dans cette catégorie.
Donc, quand la pandémie a frappé, l’endettement élevé était encore un sujet de préoccupation. Plus tard – et j’insiste là-dessus –, la crise a bouleversé la situation financière des ménages à divers degrés et de façons très différentes.
Comme expliqué en mai, de nombreux Canadiens ont pu accumuler plus d’épargne que d’habitude durant la pandémie. En plus d’avoir eu peu d’occasions de dépenser pendant les confinements, certains ménages ont aussi montré une prudence financière accrue ou profité de l’aide au revenu exceptionnelle du gouvernement. En moyenne, les Canadiens ont épargné un montant supplémentaire de 8 300 $ depuis le début de 2020 (graphique 5).
Beaucoup de ménages ont ainsi été en mesure de rembourser des dettes à la consommation, notamment des soldes de cartes et de marges de crédit (graphique 6). Un nombre accru ont également accéléré leurs versements hypothécaires. Enfin, la part des ménages en défaut de paiement ou déclarant une faillite personnelle a atteint un creux historique dans les deux cas.
Ce sont toutes de bonnes nouvelles. Mais il faut regarder plus loin. À mesure que l’épargne augmentait et que le crédit à la consommation baissait, la dette hypothécaire découlant des nouveaux prêts montait – et elle monte encore. En effet, le nombre de prêts hypothécaires consentis aux ménages a atteint un nouveau sommet, et la valeur moyenne de ces prêts s’est également inscrite en hausse. On constate aussi que la proportion de nouveaux prêts hypothécaires assortis d’un ratio prêt-revenu extrêmement élevé a grimpé (graphique 7).
Mais quel est l’effet net de ces tendances sur les vulnérabilités des ménages?
Afin de répondre à cette question, notre personnel a utilisé une version améliorée de notre modèle d’évaluation des risques dans le secteur des ménages pour estimer l’évolution vraisemblable du bilan des ménages depuis 2019, dernière année pour laquelle les données étaient disponibles12.
D’après notre analyse, la proportion générale de ménages fortement endettés a probablement diminué dans la première année de la pandémie. Ce résultat s’explique par le fait que les ménages ayant pu rembourser des dettes et réduire leur ratio dette-revenu étaient devenus plus nombreux que ceux ayant contracté un gros prêt hypothécaire pendant cette période.
Cela dit, nous avons aussi constaté que la détérioration de la qualité des prêts hypothécaires consentis ces derniers trimestres est possiblement le principal facteur de l’endettement des ménages à l’heure actuelle. D’ici la fin de 2021, la part des ménages fortement endettés dépassera probablement son sommet de 2019, défaisant ainsi tous les progrès réalisés au début de la pandémie, et même plus (graphique 8).
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en général, les vulnérabilités liées à l’endettement élevé des ménages semblent s’accroître à nouveau après une légère pause.
Forces à plus long terme
Un autre aspect important de notre évaluation des vulnérabilités et de leur incidence potentielle sur l’économie consiste à regarder leurs liens et possibles interactions avec les forces à plus long terme.
À l’échelle mondiale, l’une des plus importantes tendances financières des vingt dernières années a été la baisse graduelle des taux d’intérêt sur les marchés de la plupart des grandes économies avancées, dont le Canada. Cette tendance est aussi répandue dans certains pays émergents. Elle est le résultat de grandes forces structurelles comme l’épargne accrue liée au vieillissement de la population dans les économies avancées et aux revenus en hausse dans les pays émergents, ainsi que de la baisse des investissements découlant du recul de la croissance de la productivité dans beaucoup de pays. La baisse des taux d’intérêt dans le monde revêt une grande importance pour les économies ouvertes comme la nôtre, car elle a une incidence sur les conditions financières globales du pays. La Banque influe sur les taux d’intérêt, bien entendu, mais elle est tout de même limitée par ce genre de tendance mondiale.
En général, il est possible de gérer même un très lourd endettement lorsque les taux d’emprunt sont bas. Mais, en moyenne, la baisse prolongée des taux d’intérêt au cours des vingt dernières années n’a pas fait baisser le coût du service de la dette des ménages canadiens.
Par exemple, le ratio du service de la dette hypothécaire – soit la portion du revenu disponible consacrée aux versements hypothécaires – a été généralement constant, enregistrant en fait une légère hausse (graphique 9)13. C’est parce que le montant pouvant être emprunté est surtout dicté par le ratio du service de la dette qu’un ménage peut se permettre : quand les taux d’intérêt chutent, beaucoup en profitent simplement pour emprunter plus. Ainsi, les baisses de taux d’intérêt et les hausses de l’emprunt se sont généralement neutralisées.
De plus, l’offre de logements étant relativement inélastique, le crédit supplémentaire contracté en raison des taux réduits s’est en partie traduit par un renchérissement des maisons. On se retrouve ainsi dans une situation où l’endettement et les prix des logements sont élevés, mais où le ratio du service de la dette est plutôt stable.
Entre autres pour cette raison, la proportion de la population étant propriétaire n’a pas vraiment changé non plus14. Le taux de propriétaires-occupants a été relativement constant depuis vingt ans dans différents groupes d’âge (graphique 10).
Quoi qu’il en soit, malgré la constance relative du ratio du service de la dette, il faut insister sur le fait que les moyennes masquent la réalité des nombreux ménages surendettés. Ceux-ci pourraient réussir à s’en tirer sans problème tant que rien ne nuit à leur emploi ou à leur revenu. Mais si l’un ou l’autre devait subir un choc important, ces ménages pourraient avoir de sérieuses difficultés à assurer le service de leur dette.
De même, la dette que les ménages ont accumulée en contexte de bas taux d’intérêt ne sera pas remboursée de sitôt. D’ici là, il faut s’attendre à ce que les taux d’intérêt montent à mesure que les effets de la pandémie vont s’estomper et que les capacités excédentaires au sein de l’économie vont se résorber. De plus, les forces structurelles à plus long terme qui exercent des pressions à la baisse sur les taux d’intérêt partout dans le monde pourraient en partie s’inverser dans les prochaines années. C’est possiblement un risque plus inquiétant encore, car il peut être sous-évalué. S’il fallait qu’une de ces éventualités se matérialise, les ménages très endettés auraient des problèmes.
Il est aussi important de se souvenir que le test de résistance appliqué aux prêts hypothécaires imposé par le gouvernement fédéral – bien que très utile aux prêteurs pour évaluer si un ménage est capable de supporter des taux hypothécaires plus élevés – n’est pas le gage d’une bonne santé financière pour les ménages. La capacité à supporter ou non des taux accrus sans couper radicalement dans d’autres dépenses dépend de la façon dont le ménage gère ses finances avant la montée des taux.
Simplement dit, malgré les protections pour limiter les tensions causées par les vulnérabilités au sein du système financier, il reste d’importants risques. Les niveaux élevés d’endettement impliquent que l’économie pourrait réagir particulièrement mal à certains types de chocs, surtout ceux qui toucheraient les revenus et les prix des maisons ou qui entraîneraient une hausse considérable des taux d’intérêt.
Passons maintenant à une autre raison d’être vigilants : les changements climatiques. C’est évidemment un sujet d’actualité en raison de la 26e Conférence des Parties (COP26), qui s’est tenue à Glasgow, et de la catastrophe naturelle qui s’abat sur la Colombie-Britannique.
Risques liés aux changements climatiques et engagements de la Banque
Les changements climatiques et leurs effets se sont manifestement accélérés, comme nous l’ont démontré sans équivoque les vagues de chaleur et les feux de forêt de cet été, et comme semblent l’indiquer les fortes pluies, les inondations et les coulées de boue de ce mois-ci. Ils sont une préoccupation grandissante pour la population canadienne, tout comme ils le sont pour la Banque.
Compte tenu de l’importance potentielle des changements climatiques pour la stabilité financière, la Banque s’attache à déterminer tous les moyens par lesquels les risques qui y sont liés pourraient toucher le système financier et l’économie au fil du temps.
Les risques liés aux changements climatiques englobent les risques physiques et les risques de transition. Les premiers concernent notamment les dommages causés aux maisons, commerces et autres actifs du fait de phénomènes météorologiques violents plus fréquents. Les seconds incluent les répercussions des mesures prises pour faciliter la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Dans la Revue du système financier de mai, nous avons fait valoir que l’impact potentiel des risques liés aux changements climatiques pourrait être sous-évalué et donc fausser l’évaluation du prix des actifs sur les marchés financiers. Ainsi, la transition pourrait exposer certains investisseurs et institutions financières qui détiennent des actifs à forte intensité de carbone à d’importantes pertes soudaines dans le futur. Les investissements en infrastructures sobres en carbone nécessaires pour atteindre les cibles liées aux changements climatiques pourraient aussi être retardés. Comme vous le savez, mieux les participants au système financier sont informés, mieux ils peuvent évaluer les risques et le prix des actifs, et ainsi, contribuer à soutenir la transition qui s’impose.
Être bien informé vaut aussi pour toute banque centrale qui se soucie de la stabilité financière. C’est pourquoi nous cherchons à en apprendre toujours plus, et pourquoi nous collaborons avec nos partenaires canadiens et étrangers dans ce dossier.
Par exemple, la Banque est un leader mondial en analyse de scénarios appliquée à l’évaluation des risques liés aux changements climatiques et à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Ces risques comprennent ceux qui découlent des mesures convenues dans les accords internationaux pour limiter le réchauffement planétaire15. Ce type d’analyse implique de regarder la façon dont l’économie s’adapterait selon la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre découlant des mesures de contrôle entreprises (graphique 11).
D’après les analyses de scénarios de la Banque et d’autres organismes, le refus d’agir peut certes limiter les risques de transition dans l’immédiat, mais se traduit ultimement par de forts coûts économiques, sous la forme de pires dommages causés aux logements, aux commerces et aux infrastructures (figure 1).
En agissant tôt, par contre, la transition se ferait plus en douceur et encouragerait aussi l’émergence de nouvelles technologies vertes, réduisant ainsi les coûts d’ensemble qui y sont associés. Les mesures tardives devraient pour leur part être encore plus radicales pour atteindre le même objectif. Résultat : une transition plus difficile et une probabilité accrue de réévaluation subite du prix des actifs à forte intensité de carbone.
Notre analyse confirme donc que si nous agissons maintenant pour lutter contre les changements climatiques, le système financier canadien devrait être en bonne posture pour faciliter la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Nous avons collaboré avec le Bureau du surintendant des institutions financières et des acteurs du secteur financier pour la majeure partie de ces analyses de scénarios et prévoyons de publier un rapport en janvier. Sur le plan international, la Banque a contribué à des recommandations exhortant les entreprises à adopter une approche à long terme basée sur des scénarios pour l’évaluation et la communication de leurs risques liés aux changements climatiques16.
La Banque s’est aussi penchée sur les façons dont les changements climatiques pourraient interagir avec les vulnérabilités actuelles. Nous avons appris, par exemple, que les ménages fortement endettés et plus exposés que les autres aux phénomènes météorologiques violents en Ontario et en Colombie-Britannique détiennent une part considérable de la dette totale des ménages. Pour les raisons que j’ai mentionnées, cela pourrait aggraver l’impact économique futur des changements climatiques.
Toutes ces démarches s’inscrivent dans les engagements que nous avons annoncés durant la COP26. Ces engagements, nous les avons pris parce qu’en tant que banque centrale du Canada, nous avons le devoir de promouvoir et de favoriser la stabilité et l’efficience du système financier. Et en faisant preuve de leadership dans cet important dossier, nous espérons encourager les participants au marché financier et les entreprises à, eux aussi, bien gérer les risques liés aux changements climatiques.
Conclusion
C’est maintenant l’heure de conclure. Pour résumer l’éventail de faits et d’analyses dont j’ai parlé aujourd’hui, j’aimerais vous laisser sur les principaux messages à retenir.
D’abord et avant tout, la résilience des Canadiens et du système financier du pays nous a aidés à réduire l’impact économique qu’aurait pu avoir la pandémie. Cette résilience a contribué à ce que les ménages, les entreprises et les institutions financières se sortent de la pandémie en assez bonne santé financière.
Cependant, les principales vulnérabilités financières qui menaçaient le Canada avant la pandémie – et que nous surveillons depuis de nombreuses années – restent importantes.
L’écart entre l’offre et la demande qui a fait monter les prix des maisons durant la pandémie est encore là. En effet, après quelques mois de modération, l’activité et la croissance des prix sur le marché du logement ont recommencé à s’accélérer. De même, les vulnérabilités liées à l’endettement élevé semblent généralement s’accentuer à nouveau, suivant une courte pause. Bien que les banques canadiennes soient résilientes, ces vulnérabilités pourraient exacerber l’incidence économique d’une hausse importante des taux d’intérêt ou d’un grand choc négatif.
À mesure que les restrictions sanitaires continueront d’être allégées, la reprise économique devrait se poursuivre, et donc contribuer à minimiser les tensions financières venant de l’élimination progressive des programmes d’aide gouvernementale. Au fil de ce processus, nous surveillerons encore de très près la santé financière des ménages, des entreprises et des institutions financières.
Nous continuerons aussi de prêter une attention particulière aux autres enjeux qui touchent l’ensemble du système financier et qui pourraient nuire à l’économie canadienne, plus particulièrement les risques liés aux changements climatiques.
Soyez assurés que la Banque continuera de faire ce qu’il faut pour assurer la résistance et le bon fonctionnement du système financier, ainsi qu’une reprise économique complète. Merci.
Je tiens à remercier Louis Morel et Stephen Murchison de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.
Information connexe
Discours : Dialogue 2021 de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO)
Évaluation des risques menaçant la stabilité du système financier canadien — Le sous-gouverneur Paul Beaudry prononce un discours par vidéoconférence (vers 13 h, heure de l’Est).