Introduction
On a souvent regroupé sous l’étiquette « secteur bancaire parallèle » les activités et les entités de type bancaire qui ne sont pas soumises à la réglementation des banques. Il serait toutefois plus juste de parler d’intermédiation financière non bancaire (IFNB). La Banque du Canada surveille l’IFNB, notamment les activités et les entités qui se caractérisent par un important degré de transformation des échéances, de la liquidité et du crédit1, 2. Ces transformations sont souvent associées au levier financier et sont d’importants canaux de propagation des risques au sein du système financier canadien.
L’IFNB constitue une solution de rechange utile au système bancaire traditionnel, car elle favorise l’innovation, encourage la concurrence, permet de répondre aux besoins mal satisfaits de certains segments de marché et contribue ainsi à l’efficience du système financier. Cependant, les intermédiaires financiers non bancaires ne font pas l’objet d’une surveillance prudentielle et d’exigences de fonds propres comme les institutions de dépôt traditionnelles3.
Les données du plus récent rapport de la Banque sur l’IFNB (Bédard-Pagé, 2019) s’arrêtaient à la fin de l’année 2017. La section 1 du présent rapport fait le point sur le secteur de l’IFNB en 2018 et 2019 et place sa croissance dans le contexte du système financier canadien.
La Banque du Canada et Statistique Canada ont continué d’améliorer la qualité des données relatives aux sous-secteurs de l’IFNB. La section 2 porte sur les entités et les canaux ayant bénéficié de ces améliorations, à savoir les sociétés de financement et les sociétés de placement hypothécaire, et sur les interconnexions entre ces entités et le secteur bancaire canadien.
La pandémie de COVID‑19 a eu de vastes répercussions sur le système financier canadien, et le secteur de l’IFNB n’a pas été épargné. Un examen approfondi des effets de la pandémie sur l’ensemble du secteur canadien de l’IFNB ne sera disponible qu’en 2022, en raison des délais de publication des données. Nous disposons cependant de données préliminaires sur les maisons de courtage non affiliées à une banque et les fonds d’investissement pour le premier semestre de 2020. La section 3 décrit les effets de la pandémie sur ces deux sous-secteurs, qui comptent pour plus la moitié de tous les actifs d’IFNB au Canada.
Observations importantes tirées des données
- Le secteur canadien de l’IFNB a affiché une expansion robuste en 2018 et 2019 (soit un taux de croissance annuel moyen de 8 %), qui cadrait avec le rythme de croissance du reste du système financier.
- o Les maisons de courtage non affiliées à une banque sont le sous-secteur de l’IFNB qui a connu la croissance la plus rapide (avec un taux de croissance annuel moyen de 20 %), tandis que les fonds d’investissement sont demeurés le principal sous-secteur de l’IFNB (avec 45 % des actifs d’IFNB)4.
- Les données sur les actifs financiers des sociétés de placement hypothécaire ont fait l’objet d’une importante révision : ceux-ci ont doublé par rapport à l’estimation de 2017, mais leur part du marché de l’encours des prêts hypothécaires reste petite, à 1,4 %.
- o De nouvelles données montrent que les sociétés de financement ont affiché une expansion vigoureuse depuis 2008 (taux de croissance annuel moyen de 5 %).
- La pandémie a grandement influé, au premier semestre de 2020, sur la croissance des actifs dans le sous-secteur des maisons de courtage non affiliées à une banque et dans celui des fonds d’investissement :
- Les actifs des maisons de courtage non affiliées à une banque ont crû à un rythme beaucoup plus lent que ceux de leurs homologues sous réglementation prudentielle, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) ayant assoupli les restrictions en matière de levier afin d’aider ces dernières à intervenir comme intermédiaires sur les marchés financiers.
- Les actifs des fonds communs de placement à revenu fixe ont diminué de plus de 6 % au début de la pandémie et ne se sont redressés que lentement par la suite. En revanche, les fonds négociés en bourse à revenu fixe ont continué de bénéficier d’une croissance soutenue.
1. Vue d’ensemble du secteur canadien de l’intermédiation financière non bancaire
À la fin de 2019, le secteur canadien de l’IFNB représentait 1 710 milliards de dollars, une hausse de 17 % par rapport à la fin de 2017. Ce secteur a connu une vive croissance depuis la crise financière mondiale. Toutefois, sa part dans les actifs du système financier est demeurée stable au fil du temps, comparativement à celle des institutions de dépôt (graphique 1). Le secteur canadien de l’IFNB suit des tendances semblables à celles qu’on a pu observer dans d’autres économies avancées5.
La croissance des actifs d’IFNB au Canada a été alimentée en grande partie par les maisons de courtage non affiliées à une banque : leurs actifs ont en effet augmenté de 43 % depuis 2017 (graphique 2). Les fonds d’investissement demeurent le principal sous-secteur de l’IFNB. Ils comptent pour près de la moitié de tous les actifs d’IFNB et sont composés à 63 % de fonds à revenu fixe (graphique 3).
Graphique 1 : La part relative des actifs détenue par les intermédiaires financiers non bancaires est restée stable
Sources : Statistique Canada, Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, Morningstar, IHS Markit, DBRS, Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières et calculs de la Banque du Canada Dernière observation : 2019
Graphique 2 : La croissance du secteur de l’IFNB a été alimentée par les maisons de courtage
Sources : Statistique Canada, Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, Morningstar, IHS Markit, DBRS, Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2019
Graphique 3 : Les fonds d’investissement demeurent le principal sous-secteur de l’IFNB
Graphique 3 : Les fonds d’investissement demeurent le principal sous-secteur de l’IFNB
Sources : Statistique Canada, Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, Morningstar, IHS Markit, DBRS, Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2019
Encadré 1 : Le secteur de l’IFNB est-il devenu une source plus importante de crédit?
Les intermédiaires financiers non bancaires constituent une source additionnelle de crédit précieuse pour l’économie canadienne. Toutefois, comme ils ne sont pas assujettis à la réglementation prudentielle, ils sont plus vulnérables à une accumulation de risques. Si les entreprises et les ménages canadiens recourent de plus en plus au financement par IFNB, cela pourrait susciter des inquiétudes quant à leur capacité d’obtenir du crédit en période de tensions. Dans cet encadré, nous examinons si la part du crédit octroyé par le secteur de l’IFNB dans l’économie a augmenté.
Les intermédiaires financiers non bancaires répondent à la demande de crédit des ménages et des entreprises du pays de deux façons :
- de façon directe, par les prêts privés, c’est-à-dire l’octroi de prêts et l’achat de titres négociables par des sociétés financières et des fonds d’investissement qui financent eux-mêmes ces opérations;
- de façon indirecte, par la titrisation privée, c’est-à-dire l’émission par des sociétés financières de titres adossés à des actifs négociables qui regroupent des prêts aux ménages et aux entreprises (soldes de cartes de crédit, prêts sur la valeur nette de propriétés, créances clients et prêts hypothécaires commerciaux), qui a pour effet d’accélérer la circulation du crédit émis par les intermédiaires financiers non bancaires.
Les intermédiaires financiers non bancaires sont une importante source de financement pour les ménages et les entreprises. À la fin de 2019, le secteur de l’IFNB :
- a contribué à hauteur de 113 milliards de dollars à la dette hypothécaire des ménages et de 102 milliards de dollars à la dette de consommation;
- a émis 183 milliards de dollars en prêts aux entreprises et 209 milliards de dollars en titres négociables6.
Cela dit, la part du secteur dans l’encours du crédit s’est soit resserrée, soit maintenue, depuis la crise financière mondiale (graphique 1‑A). Cette observation donne à penser que d’autres acteurs, tels que les institutions de dépôt traditionnelles et les investisseurs institutionnels à long terme, ont accordé des crédits à un rythme encore plus rapide. En ce qui concerne les titres négociables canadiens, la stagnation de la part du financement par IFNB pourrait s’expliquer par un recours accru aux prêteurs étrangers. Notre estimation du secteur de l’IFNB ne tient pas compte des titres de dette en devises émis par le secteur privé non financier, car ce type de crédit pourrait être en grande partie octroyé par des intermédiaires financiers non bancaires étrangers.
Graphique 1‑A : Malgré une forte croissance des actifs après la crise, la part du secteur de l’IFNB dans l'encours de la dette s'est soit resserrée, soit maintenue
Données annuelles
Graphique 1‑A : Malgré une forte croissance des actifs après la crise, la part du secteur de l’IFNB dans l'encours de la dette s'est soit resserrée, soit maintenue
Sources : Morningstar, Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, DBRS, Statistique Canada et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2019
2. Les sociétés financières accordant des prêts : meilleures données, meilleures perspectives
Les sociétés financières accordant des prêts sont un sous-secteur du compte économique de l’IFNB représentant 427 milliards de dollars et près de 25 % des actifs d’IFNB (graphique 3). Ce sous-secteur regroupe diverses entités, telles que les sociétés de financement hypothécaire, les sociétés de placement hypothécaire et les sociétés de financement (figure 1)7. Depuis quelques années, Statistique Canada publie des mises à jour du compte économique de l’IFNB afin de fournir de meilleures données sur le bilan de ces entités.
Figure 1 : Structure du compte de l’IFNB en usage à Statistique Canada
Source : Statistique Canada
Le rapport de la Banque sur l’IFNB présente pour la première fois des observations sur les sociétés de financement (section 2.1). Nous y actualisons en outre notre analyse des sociétés de placement hypothécaire afin de refléter les estimations plus précises obtenues grâce à l’amélioration du cadre de données de Statistique Canada (section 2.2). Enfin, nous examinons les interconnexions entre le secteur bancaire traditionnel et les entités faisant partie du sous-secteur des sociétés financières accordant des prêts (section 2.3).
2.1 Les sociétés de financement – un nouvel ensemble de données pour des entités de longue date
Les sociétés de financement accordent des prêts non hypothécaires aux particuliers et aux entreprises. En voici quelques exemples : les commerces de prêt sur gage, les plateformes de sociofinancement par prêts, les fournisseurs d’articles ménagers coûteux qui offrent des prêts et les institutions autres que les institutions de dépôt qui offrent des cartes de crédit. L’encadré 2 décrit la méthode qu’utilise Statistique Canada pour déterminer si une société de financement est un intermédiaire financier non bancaire.
Encadré 2 : Quels sont les aspects liés aux sociétés de financement qui entrent dans le champ de l’intermédiation financière non bancaire?
Il peut être difficile de déterminer les entités et activités d’une société de financement qui entrent dans le champ de l’IFNB. Comme le montre la figure 2‑A, il faut tenir compte de la réglementation et des caractéristiques prudentielles, telles que la transformation du levier financier, de la liquidité et du crédit.
Figure 2‑A : Sociétés de financement – arbre décisionnel
La figure 2‑A aide à expliquer pourquoi un prêt est exclu s’il est consenti par un fonds de pension dont la clientèle est captive, mais pas forcément s’il est consenti par l’intermédiaire d’un fonds d’investissement privé ou d’une société privée, selon le modèle d’affaires de cette entité (en fonction du levier financier, du financement à court terme ou des deux).
Les actifs des sociétés de financement s’élevaient à 26 milliards de dollars à la fin de 2019, soit 73 % de plus qu’en 2008 et 14 % de plus qu’en 2017 (graphique 4). Leur levier financier est limité à 4 fois, ce qui est bien inférieur au niveau de 2008 (graphique 5). Dans l’ensemble, ce secteur est responsable d’une part relativement petite du crédit à la consommation au Canada.
Bien que l’incidence de la pandémie de COVID‑19 sur les sociétés de financement n’ait pas encore été pleinement mesurée, les données actuelles semblent indiquer qu’elles ont été touchées de deux façons. Tout d’abord, les sociétés de financement telles que les sociétés de prêt sur salaire et les institutions autres que les institutions de dépôt qui offrent des cartes de crédit ont enregistré une hausse des prêts improductifs. Ensuite, la capacité de ces sociétés de financement à générer des revenus a été réduite, les organismes de réglementation de plusieurs provinces ayant plafonné le taux d’intérêt maximal qu’elles pouvaient appliquer aux prêts déjà accordés ou à venir. Cela pourrait influer sur la capacité de ces sociétés à fournir du crédit à court terme.
Graphique 4 : Depuis 2008, les actifs des sociétés de financement ont augementé de 73 %
Nota : Les autres actifs comprennent le numéraire et les dépôts, les titres de dette, les prêts hypothécaires, les autres actifs financiers et les actifs non financiers Dernière observation : 2019
Graphique 5 : Depuis 2008, le levier financier a diminué, mais la liquidité est restée stable
Nota : Le levier financier est calculé en divisant le total des actifs par les capitaux propres. La liquidité est mesurée en additionnant le numéraire, les dépôts et les effets à court terme, et en divisant cette somme par le total des actifs.
Sources : Statistique Canada et calculs de la Banque du CanadaDernière observation : 2019
2.2 Réévaluer la taille des sociétés de placement hypothécaire
Le rapport sur l’IFNB de 2019 traitait des modèles d’affaires et de l’empreinte relative des sociétés de financement hypothécaire (SFH) et des sociétés de placement hypothécaire (SPH)8. Comme les données sur les SPH ont fait l’objet de révisions importantes, nous faisons le point sur celles-ci9.
Les données révisées indiquent que le montant total des actifs financiers détenus par les SPH est d’à peu près 95 % plus élevé que l’estimation présentée dans le rapport sur l’IFNB de 2019. Toutefois, la part du marché de l’encours des prêts hypothécaires accordés par les SPH reste petite, à 1,4 % (graphique 6). À la fin de 2019, les actifs financiers des SPH avaient augmenté de 8 % en moyenne au cours des années 2018 et 2019 (graphique 7).
Graphique 6 : La part de l’encours des prêts hypothécaires détenue par les SPH reste petite
Nota : Les chiffres sont fondés sur les prêts hypothécaires résidentiels et commerciaux figurant au bilan. Les quasi-banques regroupent les coopératives de crédit, les caisses populaires et les sociétés de fiducie et de prêt.
Source : Statistique Canada
Dernière observation : 2019
Graphique 7 : Les actifs financiers totaux des SPH ont augmenté rapidement depuis la crise financière mondiale
Source : Statistique CanadaDernière observation : 2019
Bien que les SPH détiennent une petite part du marché à l’échelle nationale, leurs activités sont très concentrées dans les grands centres urbains et les produits hypothécaires plus risqués10. La forte croissance des SPH s’est accompagnée d’une légère hausse du levier financier, surtout depuis 2015 (graphique 8). Quoiqu’il en soit, le levier financier des SPH est beaucoup moins élevé que celui des institutions de dépôt, c’est-à-dire les sources de financement hypothécaire traditionnelles.
Graphique 8 : Le levier financier des SPH a augmenté, alors que la liquidité a baissé de façon continue
Nota : Le levier financier est calculé comme suit : (actifs - demandes de remboursement des sociétés) / capitaux propres. La liquidité est mesurée comme suit : actifs liquides / passifs financiers.
Sources : Statistique Canada et Banque du Canada
Dernière observation : 2019
On n’a pas encore toutes les données nécessaires pour évaluer l’incidence de la COVID‑19 sur les SPH mais, d’après les renseignements recueillis sur les marchés, les SPH semblent avoir été résilientes dans l’ensemble. Même si elles accordent généralement des prêts à des emprunteurs plus à risque, la plupart des emprunteurs qui avaient reporté le remboursement de leurs prêts ont maintenant commencé à le reprendre (Gravelle, 2020). Cette situation témoigne de l’efficacité des programmes mis en place par le gouvernement pour soutenir les revenus des ménages durant la pandémie.
Certaines SPH ont d’abord bloqué les rachats au printemps, alors que des investisseurs demandaient un remboursement de leur capital. Toutefois, d’après l’information obtenue auprès de SPH et d’organismes de réglementation provinciaux, il semble que cette mesure ait été prise de manière préventive pour empêcher que les investisseurs se ruent vers la sortie. Presque toutes les SPH ont maintenant recommencé à accepter les rachats, et certaines font même état d’une augmentation de l’apport des investisseurs.
2.3 Les prêteurs privés et le secteur bancaire canadien – une question d’interconnexion
Parmi l’ensemble des prêts octroyés au sein du système financier canadien, la part attribuable au sous-secteur des sociétés financières accordant des prêts ne représente que 427 milliards de dollars. Cela porte à croire que ce sous-secteur présente un faible risque systémique en soi. Toutefois, il peut poser indirectement un risque systémique par son interconnexion avec d’autres entités du secteur de l’IFNB et du système bancaire traditionnel. Selon le cadre d’évaluation des risques et des vulnérabilités de la Banque du Canada, l’interconnexion constitue une vulnérabilité structurelle (Christensen et autres, 2015). Il est donc important d’évaluer également ce lien indirect.
Dans cette sous-section, nous présentons les données que la Banque a commencé à recueillir en vue de mesurer le degré d’interconnexion entre le secteur de l’IFNB et les banques d’importance systémique intérieure. Ces dernières constituent une petite source de financement pour les prêteurs privés. Au quatrième trimestre de 2019, les prêts directs qu’ont octroyés ces banques à des prêteurs privés se chiffraient à 12 milliards de dollars, ce qui représente moins de 1 % de la totalité des actifs qu’elles détiennent (graphique 9). Il peut cependant y avoir des différences importantes entre les banques, la plus forte variabilité observée étant le crédit accordé aux sociétés de financement automobile. Compte tenu de la taille de ces expositions, il est peu probable que la défaillance d’une entité du sous-secteur des sociétés financières accordant des prêts pourrait déclencher un incident porteur de risque systémique pour le secteur bancaire canadien. Par contre, cette défaillance aurait vraisemblablement une incidence indirecte sur l’offre et le prix des prêts dans le secteur. Nous continuerons à surveiller comment l’interconnexion évolue au fil du temps face aux variations des conditions économiques et aux modifications du cadre réglementaire.
Graphique 9 : Les expositions des banques d’importance systémique intérieure aux prêteurs privés sont faibles, mais il y a des différences entre les banques
Graphique 9 : Les expositions des banques d’importance systémique intérieure aux prêteurs privés sont faibles, mais il y a des différences entre les banques
Nota : Exclut les accords de prise en pension et les titres empruntés.
Sources : Bureau du surintendant des institutions financières et calculs de la Banque du Canada
Dernière observation : 2019
3. Un aperçu des répercussions de la pandémie sur le secteur de l’intermédiation financière non bancaire
L‘apparition de la pandémie de COVID‑19 puis les confinements qui ont été imposés aux quatre coins du globe ont soumis le système financier mondial à de fortes tensions, et le secteur de l’IFNB n’a pas fait exception (Conseil de stabilité financière, 2020b). Nous ne disposons pas encore de données nous permettant de saisir pleinement l’incidence de la pandémie sur l’ensemble du secteur de l’IFNB. Cependant, nous avons accès à des données préliminaires pour le premier semestre de 2020 grâce auxquelles nous pouvons examiner les effets de la pandémie sur deux grands sous-secteurs de l’IFNB :
- les maisons de courtage non affiliées à une banque;
- les fonds d’investissement.
Le choc causé par la COVID‑19 a fourni des preuves supplémentaires du rôle que jouent les interconnexions au sein du système financier dans la propagation et l’amplification des chocs.
3.1 L’incidence de la pandémie sur les maisons de courtage
Les maisons de courtage non affiliées à une banque font partie du secteur de l’IFNB parce qu’elles ont recours au levier et à la transformation des échéances, de la liquidité et du crédit, en finançant leurs activités avec des titres de dette à court terme alors qu’elles détiennent des actifs illiquides à long terme dans leur bilan. Les maisons de courtage non affiliées à une banque se divisent en trois sous-secteurs :
- les sociétés de courtage institutionnel, qui offrent des services tels que l’exécution d’opérations, la recherche sur les actions et des activités de placement. Ces sociétés détiennent 53 % de tous les actifs des maisons de courtage non affiliées à une banque;
- les sociétés de courtage de détail, qui offrent des services semblables à ceux des sociétés de courtage institutionnel mais pour de plus petits clients, comme des particuliers ou de petites ou moyennes entreprises. Ces sociétés détiennent 39 % de l’ensemble des actifs des maisons de courtage non affiliées à une banque;
- les places et plateformes de négociation, qui facilitent les échanges de titres, détiennent les 8 % restants.
Au cours du premier semestre de 2020, les maisons de courtage non affiliées à une banque ont vu le montant total de leurs actifs passer de 167 à 179 milliards de dollars. Cependant, la part de leurs actifs a diminué, passant de 22 à 19 %, car les actifs des maisons de courtage affiliées à une banque se sont accrus davantage proportionnellement (graphique 10).
Graphique 10 : La part des actifs détenus par les maisons de courtage non affiliées à une banque a baissé
Sources : OCRCVM et calculs de la Banque du Canada Dernière observation : juin 2020
Le levier des maisons de courtage non affiliées à une banque est passé de 4,6 fois en décembre 2009 à 16,4 fois en février 2020. Cette progression était principalement attribuable aux comptes sur marge et aux portefeuilles de pensions équilibrés, en hausse dans les sociétés de courtage institutionnel11. Toutefois, en réaction à la pandémie, ces maisons de courtage ont réduit leur levier, celui-ci s’établissant à 13,4 fois à la fin de juin. Par opposition, les maisons de courtage affiliées à une banque ont augmenté leur levier, qui est passé de 19,2 fois à 21,6 fois de février à juin 2020, en partie sous l’impulsion des modifications provisoires apportées à la mesure du levier autorisé (BSIF, 2020).
3.2 L’incidence de la pandémie sur les fonds d’investissement
La pandémie a eu des répercussions différentes sur les fonds d’investissement, selon le type de fonds et d’actifs détenus. Les actifs des fonds du marché monétaire ont augmenté considérablement pendant la crise. Cette situation reflète la perception selon laquelle, durant les périodes de tensions sur les marchés, les fonds du marché monétaire seraient plus sûrs que les fonds négociés en bourse (FNB) ou que les fonds communs de placement.
Les actifs des FNB de titres à revenu fixe, des FNB de produits de base et des FNB mixtes ont progressé de 13 % au cours du premier semestre de 2020, ces fonds ayant attiré de nouveaux capitaux d’un montant record de 9 milliards de dollars pendant cette période difficile (graphique 11). Comme ils se négocient en bourse, ces fonds sont intéressants pour les investisseurs institutionnels comme outils de découverte des prix et comme instruments de remplacement pour leurs actifs sous-jacents12. Les opérations sur les FNB de titres à revenu fixe ont aussi atteint des niveaux sans précédent à l’échelle mondiale, les investisseurs voulant rééquilibrer leurs actifs, couvrir leurs portefeuilles et gérer leurs risques.
Graphique 11 : La croissance des fonds du marché monétaire et des FNB a dépassé celle des fonds communs de placement durant la crise
Sources : Morningstar Direct et calculs de la Banque du Canada Dernière observation : 30 juin 2020
En revanche, les actifs des fonds communs de placement à capital variable et à revenu fixe ont enregistré une baisse cumulative de plus de 6 % au sommet de la crise, et les investisseurs n’ont pas complètement inversé leurs sorties de trésorerie cumulatives avant la mi‑juin. Les fonds de placement à capital variable placent l’argent des investisseurs dans des actifs moins liquides tout en leur offrant des possibilités de remboursement quotidien. C’est parce qu’ils permettent cette transformation de la liquidité que les fonds de placement à capital variable sont considérés comme des intermédiaires financiers non bancaires. La transformation de la liquidité les rend vulnérables aux demandes de remboursement soudaines de leurs investisseurs, comme on l’a vu au printemps 2020.
La Banque a lancé des programmes exceptionnels de soutien à la liquidité et d’achats d’actifs en réaction au choc causé par la COVID‑19. Ces mesures ont permis d’éviter l’atteinte de niveaux de remboursement qui auraient pu être difficiles à soutenir pour les gestionnaires de portefeuille. D’autres organisations ont pris également des mesures qui ont facilité la gestion des grands besoins de liquidités attribuables aux demandes de remboursement des investisseurs. En particulier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont augmenté temporairement la limite des emprunts autorisés à court terme pour procurer aux gestionnaires de fonds davantage de souplesse dans la gestion des demandes de remboursement. Cette limite est passée de 5 à 10 % de la valeur liquidative (Ouellet, Leblanc et Shotlander, 2020).
3.3 Les liens entre les intermédiaires financiers non bancaires et les autres participants au système financier ont contribué aux tensions sur la liquidité des marchés en mars 2020
Le secteur de l’IFNB représente une petite fraction (10,9 %) du système financier canadien, mais il peut avoir de vastes répercussions sur la stabilité financière. C’est parce que les mesures que prennent les intermédiaires financiers non bancaires peuvent interagir avec celles d’autres participants au système financier. À titre d’exemple, quand les gestionnaires des fonds communs de placement ont vendu des titres à revenu fixe en réaction au gros volume des rachats à la fin mars, d’autres entités, comme des compagnies d’assurance, ont aussi vendu ce type de titres. Parallèlement, les banques d’importance systémique intérieure, qui injectent généralement des liquidités dans les marchés des titres à revenu fixe, n’ont pas pu ou pas voulu acheter le montant d’obligations nécessaire pour soutenir les opérations de vente simultanées de multiples acteurs du marché, parce qu’elles devaient répondre à d’autres demandes de liquidité, comme celles d’entreprises qui puisaient dans leurs marges de crédit. Ces actions conjuguées ont créé de graves tensions sur les marchés des titres à revenu fixe, comme en témoigne le creusement radical et généralisé des écarts de rendement concernant les titres à revenu fixe (Fontaine et autres, 2021). L’incidence de la pandémie sur la liquidité des marchés, au printemps 2020, fait clairement ressortir l’importance de surveiller l’évolution du secteur de l’IFNB mais aussi de comprendre les interconnexions entre les participants au système financier (à la fois les intermédiaires financiers non bancaires et les banques) pour mieux déterminer comment les vulnérabilités et les chocs peuvent engendrer de l’instabilité.
Notes
- 1. Pour en savoir plus, voir Gravelle, Grieder et Lavoie (2013).[←]
- 2. Pour obtenir des précisions sur les activités et les entités qui entrent dans le champ de l’IFNB, se reporter à l’annexe.[←]
- 3. La plupart des intermédiaires financiers non bancaires sont assujettis à la réglementation des valeurs mobilières ou à des formes d’autoréglementation sectorielle couvrant les exigences en matière de conduite sur les marchés, de licences et de transparence. Ces règles et normes ne sont toutefois pas jugées équivalentes à la surveillance prudentielle axée sur les risques, comme celle que prévoit le dispositif de Bâle III.[←]
- 4. Les maisons de courtage non affiliées à une banque peuvent acheter et vendre des titres pour leur propre compte ou exécuter des transactions pour le compte de clients. Elles peuvent aussi offrir des services tels que la recherche sur les actions et des activités de placement. Ces entités ne constituent pas un conglomérat financier assujetti à une surveillance prudentielle équivalente à celle que prévoit le dispositif de Bâle III.[←]
- 5. Pour en savoir plus, voir Conseil de stabilité financière (2020a).[←]
- 6. Les prêts aux entreprises comprennent les prêts hypothécaires non résidentiels. Les titres négociables regroupent les obligations, le papier commercial et d’autres instruments d’emprunt émis par des sociétés non financières canadiennes.[←]
- 7. Pour en savoir plus, voir Statistique Canada (2021).[←]
- 8. Pour une analyse comparative complète des SPH et des SFH, voir Bédard-Pagé (2019), ainsi que Coletti, Gosselin et MacDonald (2016).[←]
- 9. Pour en savoir plus, voir Statistique Canada (2019).[←]
- 10. Comme il est indiqué dans la livraison de 2019 de la Revue du système financier de la Banque du Canada, les prêteurs privés sont responsables d’une part non négligeable des nouveaux prêts hypothécaires résidentiels accordés dans la région du Grand Toronto.[←]
- 11. On parle de « portefeuille de pensions équilibré » lorsqu’un courtier avance à ses clients des sommes d’argent garanties par des titres sur le marché des pensions (c’est-à-dire des cessions en pension). Cette approche permet d’apparier les actifs et les passifs.[←]
- 12. Voir Arora et autres (2020) pour de plus amples renseignements sur les écarts observés entre les FNB de titres à revenu fixe et leurs actifs sous-jacents pendant la pandémie.[←]
Annexe
Catégorie | Entités ou activités | Caractéristiques |
---|---|---|
Fonds d’investissement |
|
Ces fonds participent à la transformation de la liquidité et des échéances en achetant des actifs moins liquides assortis d’échéances éloignées, tout en permettant un encaissement par anticipation moyennant un court préavis. |
Sociétés financières accordant des prêts |
|
Aussi appelées prêteurs privés, ces entités accordent des prêts sans être assujetties à la réglementation prudentielle. Elles disposent en général de leurs propres services de souscription et se financent au moyen de la titrisation et d’autres instruments à court terme. Elles ont recours au levier financier à divers degrés. |
Conventions de rachat et opérations de prêt de titres |
|
Les opérations de pension et de prêt de titres sont exposées à un risque de retraits massifs, particulièrement dans les cas qui se caractérisent par un important degré de transformation des garanties. Ces opérations peuvent aussi contribuer à une augmentation du levier financier, qui peut mener, si elles se dénouent de manière inattendue, à des ventes en catastrophe des actifs. |
Titrisation privée |
|
La titrisation favorise une chaîne d’intermédiation du crédit et peut inclure un important degré de transformation de la liquidité et des échéances. |
Maisons de courtage non affiliées à une banque |
|
Les maisons de courtage de valeurs mobilières appartenant à des établissements non bancaires financent en général leurs activités sur le marché de gros. Elles ont recours à un levier financier important. |
Remerciements
Nous tenons à remercier Virginie Traclet, Don Coletti et Stephen Murchison pour leurs commentaires et suggestions des plus utiles, ainsi que nos collègues du Service de traduction pour la version française. Nous remercions également Statistique Canada et la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario pour leur expertise et leur collaboration. Le présent rapport constitue le cinquième document d’une série sur l’intermédiation financière non bancaire publiée par le personnel de la Banque du Canada. Les documents précédents sont les suivants :
- Le financement de marché au Canada sort de l’ombre, par James Chapman, Stéphane Lavoie et Lawrence Schembri, Revue du système financier, Banque du Canada, juin 2011
- Surveillance et évaluation des risques émanant du secteur bancaire parallèle au Canada, par Toni Gravelle, Timothy Grieder et Stéphane Lavoie, Revue du système financier, Banque du Canada, juin 2013.
- La surveillance du secteur bancaire parallèle au Canada : une approche hybride, par Bo Young Chang, Michael Januska, Gitanjali Kumar et André Usche, Revue du système financier, Banque du Canada, décembre 2016.
- Non-Bank Financial Intermediation in Canada: An Update, par Guillaume Bédard-Pagé, document d’analyse du personnel no 2019-2, Banque du Canada.
Bibliographie
- Arora, R., S. Betermier, G. Ouellet Leblanc, A. Palumbo et R. Shotlander (2020). Concentration in the Market of Authorized Participants of US Fixed-Income Exchange-Traded Funds, note analytique du personnel no 2020-27, Banque du Canada.
- Banque du Canada (2019). Revue du système financier.
- Bédard-Pagé, G. (2019). Non-Bank Financial Intermediation in Canada: An Update, document d’analyse du personnel no 2019-2, Banque du Canada.
- Bureau du surintendant des institutions financières (2020). Mesures prises par le BSIF en réaction aux difficultés opérationnelles causées par la propagation de la COVID‑19.
- Coletti, D., M.-A. Gosselin et C. MacDonald (2016). « La montée des sociétés de financement hypothécaire au Canada : avantages et vulnérabilités », Revue du système financier, Banque du Canada, décembre, p. 45-61.
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Avis d’exonération de responsabilité
Les notes analytiques du personnel de la Banque du Canada sont de brefs articles qui portent sur des sujets liés à la situation économique et financière du moment. Rédigées en toute indépendance du Conseil de direction, elles peuvent étayer ou remettre en question les orientations et idées établies. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs uniquement. Par conséquent, elles ne traduisent pas forcément le point de vue officiel de la Banque du Canada et n’engagent aucunement cette dernière.
DOI : https://doi.org/10.34989/san-2021-2