Anticiper les problèmes et déterminer comment les régler est en fait le contraire de l’inquiétude : c’est une attitude productive. »
Chris Hadfield, Guide d’un astronaute pour la vie sur Terre
Introduction
Bonjour à tous et merci d’être là. Merci aussi à l’École Munk pour l’invitation. Étant donné la situation actuelle dans le monde, les discussions constructives sur les affaires internationales et la politique publique sont plus importantes que jamais.
J’ai du mal à croire que la pandémie de COVID-19 a été déclarée il y a presque huit mois jour pour jour. Le quotidien des Canadiennes et des Canadiens a été bouleversé de tellement de manières, que ce soit au travail ou dans leur vie personnelle. Il y a encore plus de 40 000 cas actifs et de nouveaux cas sont signalés chaque jour, mais les récentes annonces concernant les vaccins ont été encourageantes.
Je suis ravie de constater que la reprise économique est amorcée. Cependant, la pandémie sévit toujours, et nous continuons de vivre des difficultés considérables.
Aujourd’hui, je souhaite regarder plus loin que les circonstances actuelles et parler de ce qu’il nous faudra pour prospérer à nouveau dans l’ère post-pandémie. En ce moment, l’avenir peut nous sembler aussi mystérieux que la légendaire face cachée de la lune. En effet, il y a 70 ans, l’essentiel de ce que nous savions à propos de la lune nous venait de ce que nous pouvions voir à partir de la Terre. Comme les explorateurs à l’époque, beaucoup parmi nous veulent découvrir des territoires inconnus et comprendre ce qui se cache au-delà de l’horizon.
En ce moment, de nombreuses inconnues nuisent à notre vision, mais nous sommes tout de même en mesure de concevoir des scénarios économiques qui nous aideront à planifier la voie à suivre. Dans les perspectives les plus récentes de la Banque du Canada, publiées dans le Rapport sur la politique monétaire d’octobre, nous prévoyons que la reprise au Canada et dans le monde se poursuivra. Elle sera toutefois longue et nécessitera des mesures de soutien pendant un certain temps.
À plus long terme, nous nous attendons à ce que la pandémie laisse derrière elle un sombre héritage économique en raison de son incidence sur les investissements, le marché du travail et la productivité. En effet, dans notre plus récente projection, ces conditions, mises ensemble, placent le Canada dans une situation où il risque de sortir de la pandémie avec un profil de production potentielle affaibli. Sa capacité de produire des biens, des services et des revenus sera donc nettement et durablement réduite. Et certaines de ces cicatrices pourraient devenir permanentes sans des actions délibérées de nous tous.
J’aimerais commencer par vous présenter les facteurs déterminants de la révision de nos estimations de la production potentielle. Ensuite, je vais vous parler de la nécessité de faire augmenter la production potentielle afin d’accroître la prospérité du Canada et de faciliter la gestion du fort endettement auquel nous sommes à présent confrontés. Je terminerai en exposant comment la Banque établira des bases solides et stables pour favoriser le rétablissement.
Explorer l’inconnu
Les économistes se servent du concept de production potentielle pour évaluer ce que l’économie peut produire si elle tourne au maximum de sa capacité, c’est-à-dire si toutes les personnes souhaitant travailler ont un emploi ou sont capables de s’en trouver un rapidement et que tout le capital disponible est utilisé de façon optimale. La production potentielle dépend donc du stock de capital, de la main-d’œuvre et de la productivité.
La production potentielle est importante pour les banques centrales puisqu’elle contribue à évaluer les pressions sur l’inflation. C’est un facteur crucial pour la population canadienne étant donné qu’il détermine la capacité de notre économie à générer les revenus nécessaires pour dépenser, épargner, emprunter et rembourser les dettes. Je commence par ce point parce que bon nombre d’entre vous se demandent comment nous parviendrons à assurer le service de la dette engendrée par la pandémie.
Comme c’est le cas pour la face cachée de la lune, il est impossible d’observer directement la production potentielle. Les économistes utilisent des outils spécialisés et une bonne dose de jugement pour en avoir un aperçu, et le portrait n’est pas réjouissant1. Pour ce qui est de l’économie mondiale, nous avons fait passer notre estimation de la croissance de la production potentielle pour les quelques prochaines années d’environ 3 ¼ % à 2 ½ %2. Les révisions à la baisse s’appliquent à toutes les régions de même qu’à des pays importants pour les exportateurs canadiens, comme les États-Unis. La nouvelle estimation de la croissance de la production potentielle chez nos voisins du sud se situe à présent autour de 1 ¼ %, alors qu’elle était près de 2 % avant la pandémie. Au Canada, elle a été abaissée encore plus, passant d’environ 1,8 % à un peu moins de 1 %.
Alors, quels sont les principaux facteurs déterminant ces résultats?
Le premier facteur est lié au capital. Les investissements en capital ont pris un coup dur et la reprise sera longue, ce qui signifiera une croissance plus lente du stock de capital. La demande globale moindre et l’incertitude accrue modéreront les intentions d’investissement de beaucoup d’entreprises et en forceront d’autres à mettre la clé sous la porte. Au Canada, ces effets se combinent à l’effet de la pandémie sur les prix du pétrole et les investissements dans le secteur de l’énergie. De façon générale, l’affaiblissement de l’accumulation du capital est à l’origine d’à peu près les trois quarts de la révision à la baisse de la croissance de la production potentielle au pays au cours des années à venir.
Le quart restant du recul s’explique par deux autres facteurs qui ont une incidence à peu près comparable.
Le premier se rapporte à la main-d’œuvre. Nous prévoyons observer un phénomène que les économistes appellent « les séquelles », c’est-à-dire une situation où un grand nombre de travailleurs pourraient être découragés par des recherches d’emploi particulièrement difficiles ou ne pas posséder les compétences pour les postes offerts. Les secteurs les plus touchés, dont ceux des loisirs et de l’hôtellerie, emploient beaucoup de jeunes, de nouveaux immigrants et de femmes. Ces groupes sont particulièrement susceptibles d’être mis sur la touche pendant plus longtemps. Au Canada, les efforts importants déployés par les gouvernements pour maintenir le lien d’emploi à l’aide de subventions salariales et d’autres programmes contribueront à circonscrire ces désolantes conséquences, sans toutefois les compenser complètement.
L’autre facteur se rapporte à la productivité. On s’attend à des perturbations sur le marché du travail ainsi qu’à des difficultés de redistribution des ressources entre les entreprises et les secteurs. Tous ces phénomènes pèseront sur la croissance de la productivité. Certaines entreprises nous ont dit vouloir rendre leurs chaînes de production et d’approvisionnement plus régionales et résilientes. Ces mesures rehausseront la stabilité, mais se répercuteront probablement légèrement sur la productivité.
Donc, malgré l’estimation à la baisse, on prévoit une progression tendancielle du produit intérieur brut (PIB) supérieure au taux d’intérêt neutre, à savoir le taux directeur auquel la Banque ne stimule ni ne freine la croissance. Nous avons abaissé notre estimation de ce taux de 50 points de base, en termes nominaux, pour l’établir à une plage dont le point central est 2 ¼ %3. En ce moment, ce changement rend plus rassurant le calcul de la viabilité de la dette du gouvernement. Toutefois, il ne faut pas oublier l’histoire, qui montre que ces calculs peuvent se renverser4.
Les enjeux
Tout compte fait, le niveau de la production potentielle canadienne devrait reculer d’environ 3 % d’ici la fin de notre période de projection, en 2022, par rapport aux prévisions de notre plus récente mise à jour (graphique 1). Cette estimation représente environ 70 milliards de dollars, soit en moyenne 2 000 $ par personne en âge de travailler. Et le phénomène ne se limite pas à 2022, mais risque de s’observer chaque année par la suite, à moins que la production potentielle n’augmente à nouveau suffisamment pour éliminer l’écart.
J’aimerais prendre une minute pour expliquer pourquoi nous devrions viser plus haut. Même avant la pandémie, beaucoup proposaient de ralentir, de mettre davantage nos énergies sur notre bonheur et notre santé plutôt que de courir sans cesse pour produire et consommer. Ça semble aller de soi. Tout de même, des emplois et des revenus stables sont des éléments fondamentaux du bien-être, et une croissance plus robuste contribue à assurer ces conditions5.
Une croissance forte et durable nous aiderait aussi à gérer la lourde dette qui s’est accumulée au cours des dix dernières années et qui continuera de grimper en raison de la pandémie. En 2009, au plus fort de la crise financière mondiale, les ménages, les gouvernements et les entreprises non financières du Canada cumulaient des dettes totalisant environ 215 % du PIB. Ce chiffre s’établissait autour de 250 % juste avant le début de la pandémie6. Il aurait atteint 275 % si le PIB avait augmenté d’un point de moins par an durant cette période, un recul correspondant à peu près à notre estimation révisée de la croissance de la production potentielle. Ce calcul montre l’incidence de la croissance sur notre marge de manœuvre collective pour composer avec la pandémie. Il peut aussi changer l’opinion des investisseurs et des agences de notation quant aux risques.
L’endettement est un problème que nous avons en commun avec beaucoup d’autres pays. Les pays qui, comme le Canada, dépendent de capitaux étrangers et présentent un déficit du compte courant sont encore plus vulnérables7.
Cette vulnérabilité est maintenue sous contrôle chez nous grâce à notre gestion prudente des risques financiers et à notre surveillance rigoureuse des institutions financières. Cependant, il va sans dire que le fardeau de la dette serait allégé par une ligne de tendance plus forte de la croissance et de l’assiette fiscale.
Les priorités et les principes pour l’avenir
Quand il est question du bien-être financier de la population, la croissance par habitant et sa distribution importent beaucoup. Au cours des dix années qui ont précédé la pandémie, la croissance du PIB canadien s’établissait à 2 ¼ % en moyenne par an, soit un chiffre parmi les plus élevés des pays du G7. La croissance par habitant, en revanche, se chiffrait en moyenne à environ 1 %, soit parmi les plus faibles du même groupe. Qu’est-ce qui explique ce phénomène? Les gains de productivité ayant été beaucoup plus faibles au Canada, la croissance économique a été alimentée principalement par l’augmentation de la population entraînée par l’immigration. Le Canada réussit bien à attirer des immigrants hautement qualifiés, et le récent plan du gouvernement fédéral pour favoriser l’immigration stimulera au fil du temps la croissance de la production potentielle.
Il reste que nous devons continuer d’attacher de l’importance à la productivité et à la compétitivité. Lorsque nous consultons les entreprises, celles-ci soulèvent souvent les facteurs qui les font hésiter à investir dans la productivité ici même au pays. Elles mentionnent notamment le fardeau réglementaire, l’incertitude entourant les processus d’approbation et les obstacles aux échanges interprovinciaux. Les conséquences de la pandémie ne seront pas nécessairement favorables à cet égard. La portée d’un recul de la productivité ne se limite pas à l’inefficacité des chaînes de production et à une baisse des profits. Elle peut également toucher l’accès à des infrastructures essentielles en régions éloignées et à des diagnostics et des traitements dans le secteur de la santé.
Vous vous demandez peut-être comment nous pouvons améliorer notre productivité en pleine crise. En fait, ce pourrait très bien être le moment idéal. Nous pouvons nous inspirer des innovations qui ont émergé après les grandes guerres. Les analogies entre la COVID-19 et les guerres sont loin d’être parfaites, mais ces événements historiques ont tous deux forcé les gouvernements et les entreprises à s’adapter à une vitesse auparavant jugée impossible. Dans le cas de la Deuxième Guerre, plusieurs de ces innovations ont ouvert la voie à de stupéfiantes avancées, qu’on pense à la production de masse d’antibiotiques ou aux débuts de l’informatique moderne. La croissance qui a suivi la guerre a joué un rôle déterminant dans le rehaussement du niveau de vie et la réduction de l’énorme dette du gouvernement qui s’était accumulée pendant le conflit.
Les changements rapides imposés par la pandémie sont aussi impressionnants. Les entreprises canadiennes ont réinstallé des millions d’employés en télétravail, en améliorant parallèlement leurs services numériques. D’énormes changements ont été apportés aux chaînes de production et d’approvisionnement pour assurer la disponibilité des fournitures médicales. Toutes ces réponses innovantes démontrent ce qu’on peut accomplir si nous poursuivons le même objectif.
Il y a déjà eu beaucoup de discussions fructueuses au sein de forums internationaux et nationaux sur les moyens d’assurer la prospérité économique. Au Canada, on s’entend de plus en plus pour dire qu’il faut régir les domaines qui fournissent un rendement à long terme et y investir : l’éducation, les infrastructures et la technologie sont souvent les premiers exemples cités, de même que le verdissement de l’économie. La forme exacte de ces politiques et investissements fait toutefois l’objet de bien des débats. En tant que représentante de banque centrale, je ne m’aventurerai pas sur ce terrain. Je parlerai plutôt des idées préconçues que nous devrons remettre en question pour mettre au point une stratégie de croissance. Voici trois grandes certitudes qu’il faut selon moi bousculer.
Il y a des laissés pour compte
Premièrement, il faut le dire, les forces du marché feront des laissés pour compte.
Prenons l’exemple des changements technologiques, puisque la numérisation est très susceptible d’améliorer la compétitivité et a été accélérée par la pandémie. Une idée préconçue veut que nous devions adopter les nouvelles technologies parce qu’elles génèrent plus d’emplois qu’elles n’en font disparaître. L’histoire le montre bien. Par exemple, à l’époque de la Confédération, environ la moitié des travailleurs canadiens étaient des employés agricoles. Au cours des décennies qui ont suivi, diverses innovations – dont l’invention toute canadienne du blé Marquis – ont permis de nourrir une population en pleine croissance avec moins de main-d’œuvre. Aujourd’hui, le secteur agricole emploie moins de 2 % des travailleurs. Tous ces emplois n’ont pas juste disparu. La croissance de l’économie a entraîné la création de nouveaux postes dans la fabrication et les services, et les entreprises de ces secteurs emploient maintenant la majorité des travailleurs au pays. L’innovation suit actuellement la même dynamique, c’est-à-dire qu’elle créée un plus grand nombre d’emplois que ceux qu’elle détruit. Une récente étude de Statistique Canada montre que l’emploi a augmenté, dans l’ensemble, au sein des entreprises canadiennes qui ont commencé à utiliser des robots au cours des vingt dernières années8.
Ce dont cette idée préconçue ne tient pas compte, cependant, ce sont les importants coûts de transition assumés inégalement par les ménages. Même si toute l’économie profite des avancées technologiques, des changements sectoriels peuvent laisser certains groupes sans emploi et mal préparés à retrouver du travail. Selon l’étude dont je viens de parler, l’adoption des robots est associée à une augmentation du roulement du personnel et à une baisse nette du nombre de travailleurs de certains groupes. D’autres recherches montrent que le déclin du secteur canadien de la fabrication depuis le début des années 2000 a touché de façon disproportionnée le taux d’emploi et le salaire des hommes9. Nous savons que les travailleurs, leurs familles et toute la collectivité peinent souvent pendant des années durant les transitions provoquées par des changements technologiques.
Les innovations des dernières décennies dans les économies avancées ont aussi contribué à l’ascension d’entreprises « phares » qui possèdent un pouvoir de marché considérable. Cette situation n’a rien d’inédit : pensons à la mainmise des sociétés ferroviaires il y a plus d’une centaine d’années. Ce contexte moderne où le plus fort gagne est amplifié par le fait que les données d’utilisateur sont devenues une source de monopole10. Les actionnaires et les travailleurs qui possèdent les compétences particulières que ces entreprises phares recherchent ont de quoi se réjouir. Toutefois, cela peut signifier qu’une poignée d’entreprises emploient maintenant une proportion démesurée de personnes dans une ville ou un secteur donnés, ce qui réduit le pouvoir de négociation de beaucoup d’autres travailleurs qui voient leur salaire stagner. Cette dynamique explique probablement en partie la faible progression des salaires dans de nombreux pays ces dernières années11.
Je crois qu’il faut numériser l’économie, mais nous devons aussi déterminer quelle est la meilleure façon de soutenir les personnes que ce changement pénalise.
Comme je l’ai dit plus tôt, plusieurs citent les investissements dans l’éducation, y compris l’apprentissage continu, parmi les principales solutions. En effet, de tels investissements favorisent la mobilité sociale en plus d’améliorer les compétences au sein de la population active, ce qui aide par le fait même la croissance de la production potentielle. Ce point revêt une grande importance à mes yeux et je parie qu’il touche aussi beaucoup d’étudiants qui m’écoutent aujourd’hui. Je n’ai jamais cessé d’apprendre depuis ma sortie de l’université, au siècle dernier. Bien des choses sur lesquelles j’ai travaillé durant ma carrière – y compris la chaîne de blocs et les cryptomonnaies – n’existaient même pas à l’époque.
J’aimerais aussi mettre sur le tapis le renforcement de la concurrence et des politiques antitrust, surtout face aux géants mondiaux de la technologie. Les réformes fiscales internationales pilotées par l’Organisation de coopération et de développement économiques et le G20 sont nécessaires pour que les entreprises du numérique présentes sur les marchés mondiaux soient imposées équitablement12. Les statisticiens et les chercheurs peuvent aider à éclairer le débat dans ce domaine en fournissant de meilleures données sur l’économie numérique et en s’intéressant davantage aux effets de la numérisation sur différents groupes de la société13.
Les visées sociales peuvent favoriser l’atteinte des objectifs économiques
Cela m’amène à la deuxième idée préconçue dont je veux parler. Nous devons nous défaire de la notion que les visées sociales et économiques sont forcément incompatibles. Le bien-être des personnes est nécessaire à la croissance économique, et l’inverse est bien souvent tout aussi vrai. On se rend de plus en plus compte que la réduction des inégalités peut rendre l’économie moins vulnérable aux crises financières et aux périodes de stagnation14.
Le système québécois de garderies est un excellent exemple de politique publique qui conjugue bien les visées sociales et économiques : il a aidé les familles tout en augmentant la participation des femmes au marché du travail. En fait, ce réseau a contribué à transformer le Québec. La province, qui affichait un des plus bas taux de participation des travailleuses dans la force de l’âge, est maintenant le chef de file national à cet égard15.
Nous pourrions citer d’autres exemples, notamment la réponse des pouvoirs publics à la pandémie. Les subventions salariales aident à maintenir le lien d’emploi, ce qui protège la croissance future. Le Canada pourrait devenir un pays encore plus résilient grâce à des politiques qui encouragent le recours au financement par actions plutôt qu’au financement par l’emprunt afin d’établir et de faire croître les entreprises, en plus de stimuler le dynamisme des collectivités.
Tout ne repose pas sur le secteur public
La troisième idée préconçue qu’il faut bousculer selon moi, c’est celle voulant que les solutions doivent nécessairement venir du secteur public. Nous avons besoin que le privé investisse dans des projets qui favorisent la croissance, et il faut pour cela des incitatifs adaptés.
Les investissements dans les technologies vertes ne sont qu’un exemple d’apport du privé à la croissance à long terme. Le secteur pétrolier et gazier canadien a fait preuve d’une extraordinaire capacité à innover pour relever les défis, et il fait de grands progrès dans l’élaboration de nouvelles technologies réductrices d’émissions. Pensons entre autres aux investissements dans la cogénération, une innovation qui améliore l’efficience et la compétitivité tout en diminuant l’empreinte carbone16. De plus, les entreprises financières s’efforcent de développer le marché des obligations vertes et de transition, afin d’accroître les possibilités de financement des projets liés au changement climatique.
On a aussi vu de bons exemples de capitalisme participatif en réponse à la pandémie, le secteur privé ayant trouvé des moyens de soutenir la croissance. De nombreuses institutions financières ont offert leur appui en accordant des reports de remboursement de prêts, hypothécaires et autres. Cette initiative s’est ajoutée aux mesures publiques pour aider les familles à tenir le coup malgré les baisses de revenu, et les banques à éviter des pertes sur prêts.
L’enjeu pour la Banque
Nous ne pouvons pas augmenter la croissance de manière durable sans une économie stable, et nous savons que les personnes les plus durement frappées par les récessions sont souvent celles qui ont le moins de moyens d’y faire face. La pandémie de COVID-19 ne fait pas exception.
C’est là que la Banque entre en jeu. Notre mandat consiste à favoriser la prospérité économique et financière du Canada. Pour nous, cela signifie maintenir l’inflation à un niveau bas, stable et prévisible, et soutenir la stabilité financière.
Depuis près de 30 ans, notre capacité à atteindre notre cible d’inflation de 2 % a fourni une solide base pour la croissance, ainsi que l’assurance dont les entreprises et les familles ont besoin pour planifier leur budget et leurs investissements. Cette cible, qui est définie dans une entente conjointe conclue avec le gouvernement fédéral, est revue tous les cinq ans depuis 2001.
Dans le cadre de l’examen en cours, mes collègues et moi avons choisi de remettre en question l’idée préconçue selon laquelle notre régime actuel reste la meilleure approche.
Bien que nous ayons reçu certains des résultats de nos recherches sur les autres cadres de politique monétaire, il nous faut encore étudier les commentaires des experts et les réponses à notre consultation en ligne17. Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives, mais vous pouvez être assurés d’une chose : lorsque nous conclurons l’entente avec le gouvernement l’année prochaine, les raisons pour lesquelles nous estimons qu’elle servira au mieux les intérêts des Canadiens seront claires.
La Banque veille aussi à la stabilité du système financier, entre autres en effectuant des travaux d’analyse sur les risques pour le système financier liés aux changements climatiques. Nous avons élaboré, avec des experts canadiens et internationaux, des scénarios permettant de mieux comprendre quels sont les risques et les occasions découlant des changements climatiques qui pourraient se présenter au secteur financier canadien. Avoir une idée de l’issue de divers scénarios nous aide tous à préparer l’avenir.
Nous soutenons aussi le système financier par nos travaux liés à l’infrastructure des marchés financiers essentiels. Des systèmes de paiement de pointe sont indispensables à la compétitivité des entreprises canadiennes et à la stabilité financière. C’est pourquoi la Banque et Paiements Canada collaborent pour moderniser ces systèmes. Nous avons aussi intensifié nos travaux sur la monnaie numérique de banque centrale, la pandémie ayant accru l’utilisation des paiements numériques. Nous sommes seulement au début de la phase de développement technique de cette monnaie, de concert avec le secteur privé, d’autres banques centrales et la Banque des Règlements Internationaux. Même si aucune décision n’a encore été prise quant à l’émission d’une monnaie numérique, deux de ses grands objectifs sont l’accès universel et la stabilité financière.
Conclusion
Le moment est venu de conclure.
Je suis bien consciente que je propose, en quelque sorte, d’explorer la face cachée de la lune – soit la vie après la pandémie – alors que les choses restent difficiles ici sur Terre. La COVID-19 demeure un obstacle redoutable à notre santé et à la prospérité économique. Or, l’une ne va pas sans l’autre. Les gouvernements agissent avec fermeté, et la politique monétaire complète les autres mesures publiques en créant des conditions financières qui soutiennent la croissance.
Il n’est pas trop tôt pour parler ouvertement de la vie après la COVID-19. La pandémie a compromis la capacité du Canada, et d’autres pays partout dans le monde, à générer une activité économique durable. Nous devons viser plus haut pour aider les entreprises à créer de bons emplois et faciliter la gestion du lourd fardeau de la dette. Nous devons reconnaître que les objectifs sociaux et économiques sont souvent complémentaires, et non opposés. C’est le cas pour de nombreuses initiatives publiques et privées, qu’elles aient pour but de verdir l’économie, de promouvoir les investissements dans les infrastructures et la technologie essentielles, ou d’aider les gens à réussir sur le marché du travail.
Il est réconfortant de constater que la pandémie a rapproché, de plusieurs façons, des Canadiens d’horizons très différents. Nous avons dû changer rapidement beaucoup de nos habitudes. Utilisons cet élan pour nous propulser vers un avenir meilleur, en favorisant des investissements qui stimuleront une croissance durable et inclusive à long terme.
Comme les explorateurs d’une autre époque, nous trouverons de la lumière sur la face cachée de la lune. Cette fois-ci, par contre, l’intensité de cette lumière dépend de nous.
Je tiens à remercier Thomas Carter et José Dorich de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de ce discours.
Information connexe
École Munk des affaires internationales et politiques publiques - Discours (Diffusions)
La vie après la COVID-19 – La première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn A. Wilkins, prononce un discours virtuel devant l’École Munk des affaires internationales et politiques publiques (vers 13 h 30, heure de l’Est).