Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. La première sous-gouverneure Wilkins et moi sommes heureux d’être de retour pour présenter le Rapport sur la politique monétaire (RPM) et discuter des perspectives de l’économie canadienne.
Le principal message à retenir est que nous allons nous sortir de cette pandémie, mais ça ne sera pas facile, et la Banque du Canada sera là pour la population à chaque étape.
Permettez-moi de résumer brièvement les perspectives économiques que nous avons exposées dans le RPM.
Notre projection repose fortement sur nos hypothèses à propos du virus. En bref, la santé de l’économie dépend vraiment de l’évolution de la pandémie.
Nous avons postulé que les autorités n’auront pas à réimposer des mesures de confinement aussi vastes et généralisées qu’au printemps. Mais on peut s’attendre à ce que des restrictions localisées soient imposées pour contrer les vagues successives du virus. Nous avons aussi postulé que des vaccins et des traitements efficaces seront offerts à la population générale d’ici le milieu de 2022. Depuis la publication du RPM il y a quatre semaines, les nouvelles concernant les vaccins sont prometteuses. Mais il y a de plus en plus de cas et les mesures de confinement ont été resserrées.
Notre dernier témoignage devant vous était en juin. Entre-temps, l’économie canadienne a nettement rebondi avec la réouverture de nombreux commerces. Elle a regagné près de 80 % des emplois perdus depuis le début de la pandémie, mais plus de 600 000 n’ont toujours pas été retrouvés.
Les pertes d’emplois actuelles sont concentrées dans le secteur des services. Il s’agit surtout d’emplois moins bien payés où l’éloignement physique est difficile à respecter. C’est pourquoi les mesures de soutien au revenu mises en place ont été si importantes pour la reprise.
Nous jugeons que la croissance très rapide observée pendant la phase de réouverture est maintenant terminée et que l’économie est entrée dans la phase de récupération, où la croissance sera plus lente. Nous nous attendons à ce que, sur l’ensemble de 2020, l’économie se soit contractée d’environ 5½ %. D’après nos calculs, la croissance annuelle devrait atteindre près de 4 % en moyenne en 2021 et 2022. Mais selon nos prévisions, cette croissance va être inégale d’un secteur à l’autre et évoluer en dents de scie. Certains secteurs de l’économie ne pourront pas rouvrir complètement avant qu’un vaccin soit accessible à la population générale. Et les difficultés seront plus grandes pour certaines régions du pays qui étaient plus faibles avant la pandémie, comme celles où le secteur de l’énergie est très présent. Les investissements des entreprises devraient rester modérés, tandis que les exportations devraient progresser, mais lentement. Tout compte fait, l’économie devrait continuer de tourner en deçà de son potentiel jusque dans le courant de 2023.
L’inflation est aussi anormalement faible. Selon les plus récentes données, l’inflation mesurée par l’IPC se situait à 0,7 % en octobre, et devrait se maintenir sous notre fourchette cible de 1 à 3 % jusqu’au début de l’année prochaine. Nous prévoyons qu’elle va ensuite augmenter graduellement. Mais avec l’économie qui continue de tourner en deçà de son potentiel, l’inflation devrait rester sous les 2 % jusque dans le courant de 2023.
Nous estimons que les risques entourant notre projection sont assez équilibrés. Mais il ne faut pas oublier que le taux directeur est fixé à sa valeur plancher et que l’inflation est bien en dessous de la cible. Nous portons donc une attention particulière aux risques à la baisse qui pèsent sur notre projection.
Étant donné ces perspectives et la nature historique du choc causé par la COVID-19, des mesures de politique monétaire exceptionnelles devront continuer de soutenir l’économie pendant la phase de récupération. J’aimerais parler brièvement des mesures que nous avons prises.
Nous avons abaissé notre taux directeur – le taux cible du financement à un jour – pour l’établir à 0,25 %, ce que nous jugeons être sa valeur plancher. Et nous avons formulé des indications prospectives exceptionnelles pour signifier qu’il devrait se situer à ce niveau pendant une période prolongée. Plus précisément, nous nous sommes engagés à maintenir le taux directeur à sa valeur plancher jusqu’à ce que les capacités excédentaires se résorbent, de sorte que la cible d’inflation de 2 % soit atteinte de manière durable. Selon nos perspectives actuelles, cela se produira au cours de 2023.
Notre programme d’assouplissement quantitatif s’ajoute à nos indications prospectives et vient les renforcer. Permettez-moi de prendre quelques minutes pour expliquer comment fonctionne l’assouplissement quantitatif et en quoi consistent les modifications que nous avons annoncées le mois dernier.
Normalement, lorsqu’il nous faut accroître la détente monétaire pour atteindre notre cible d’inflation, nous abaissons le taux cible du financement à un jour. Cette mesure a pour effet de réduire les taux d’intérêt à plus long terme, c’est-à-dire à l’horizon que privilégient habituellement les ménages et les entreprises pour leurs emprunts. Cela diminue les coûts d’emprunt et encourage les dépenses et les investissements de manière à stimuler l’économie et à maintenir l’inflation à la cible.
Quand le taux directeur est à sa valeur plancher, l’assouplissement quantitatif offre un moyen supplémentaire de réduire les taux d’intérêt qui comptent pour les ménages et les entreprises. En augmentant la demande d’obligations d’État, l’assouplissement quantitatif a pour effet de réduire les taux de ces titres. Et puisque les ménages et les entreprises empruntent à des taux qui sont fondés sur ceux des obligations d’État, mais auxquels s’ajoute une prime, l’assouplissement quantitatif réduit leurs coûts d’emprunt. Dans ce sens, il s’agit d’un moyen de plus de soutenir les dépenses et les investissements qui sont nécessaires pour créer des emplois et favoriser le retour de l’économie à sa capacité, de sorte que nous puissions atteindre notre cible d’inflation.
Nous achetons ces obligations sur le marché secondaire auprès d’institutions financières. Nous payons les obligations en créant des soldes de règlement, c’est-à-dire des réserves de banque centrale. Cette capacité très particulière de créer des réserves en est une que seules les banques centrales possèdent. C’est pourquoi il est important que les banques centrales soient indépendantes du gouvernement.
Au début de la pandémie en mars et en avril, les principaux marchés du crédit ont été paralysés alors que l’activité économique chutait et que l’incertitude montait en flèche. Si les marchés de financement essentiels ne fonctionnent pas, l’économie elle non plus ne tourne pas, et nous ne pouvons pas mettre en œuvre la politique monétaire. C’est la raison pour laquelle la Banque a mis sur pied plusieurs programmes visant à restaurer le fonctionnement des marchés, dont le Programme d’achat d’obligations du gouvernement du Canada. Celui-ci a été lancé au rythme de 5 milliards de dollars par semaine. Nous avons acheté surtout des obligations à plus court terme, dont les volumes d’émissions étaient plus importants.
Ces achats ont fait augmenter substantiellement la taille de notre bilan. Si nous avons pu intervenir vigoureusement, c’est parce qu’avant la pandémie, le bilan de la Banque était petit comparativement à celui d’autres banques centrales. Le graphique suivant, tiré du RPM, montre que la valeur des actifs que nous détenons par rapport à la taille de l’économie canadienne reste relativement basse, et ce, malgré tous les achats effectués jusqu’ici. (graphique 1)
Par ailleurs, les autres banques centrales ont pris des mesures similaires, et les conditions financières mondiales se sont stabilisées. Ces mesures, conjuguées aux nôtres, ont permis de rétablir le fonctionnement des marchés au Canada. Depuis juillet, nous avons donc réduit l’ampleur de bon nombre des programmes que nous avions instaurés pour aider les marchés à bien fonctionner, ou avons cessé d’y recourir activement. Nous avons mis fin à nos achats d’acceptations bancaires, d’Obligations hypothécaires du Canada et de titres provinciaux sur les marchés monétaires, et notre Programme d’achat d’obligations de sociétés a été très peu utilisé depuis juillet. De plus, nous avons pris une série de mesures pour réduire nos achats de bons du Trésor du gouvernement du Canada sur le marché primaire. Au plus fort de la crise, nous achetions jusqu’à 40 % des bons du Trésor à chaque adjudication. À compter du 24 novembre, nos achats se situeront entre 0 et 10 %. L’objectif premier de nos achats d’obligations est désormais de fournir la détente monétaire nécessaire pour soutenir la reprise et ramener l’inflation à la cible. Comme vous pouvez le constater dans ce deuxième graphique, notre bilan est resté relativement stable depuis juillet. (graphique 2)
C’est ce qui m’amène à l’annonce de notre plus récente décision de politique monétaire. Les marchés continuent de bien fonctionner. Nous fournissons des indications prospectives exceptionnelles, auxquelles nos achats d’obligations s’ajoutent tout en les renforçant. Nos indications prospectives ont ancré les taux d’intérêt dans le segment à court terme de la courbe de rendement. Nous n’avons ainsi plus besoin d’acheter autant d’obligations d’État à court terme qu’au début de la pandémie.
En conséquence, nous avons rééquilibré notre programme d’assouplissement quantitatif. Pour en augmenter l’efficacité, nous achetons moins d’obligations à court terme et plus d’obligations à long terme. Ce changement fait augmenter l’effet expansionniste de chaque dollar investi dans le cadre de ce programme, ce qui nous permet de ramener le montant total minimum de nos achats hebdomadaires à 4 milliards de dollars, tout en fournissant une détente monétaire au moins aussi forte qu’avant.
Voici comment cela est possible : les prêts à taux fixe accordés aux ménages et aux sociétés sont en général surtout liés aux rendements des obligations d’État assorties d’échéances de 3 à 15 ans, même si un certain nombre de sociétés empruntent aussi à plus long terme. En concentrant nos achats sur ces échéances, nous pouvons avoir une plus grande incidence sur les taux d’intérêt les plus importants pour les ménages et les entreprises.
Notre programme d’assouplissement quantitatif va se poursuivre jusqu’à ce que la reprise soit bien amorcée.
J’espère que ces éléments d’information expliquent bien les prévisions de la Banque et les mesures qu’elle a prises. Nous travaillons pour les Canadiens et les Canadiennes, et il est essentiel que nous leur rendions compte de nos actes. Nos témoignages devant les parlementaires jouent un rôle important à cet égard. Mais au-delà de cela, la politique monétaire est plus efficace quand elle est bien comprise. Dans le contexte de la pandémie et des mesures exceptionnelles que nous prenons pour y faire face, il est d’autant plus important pour nous de parler clairement aux Canadiens et de les écouter attentivement.
Soyons très clairs : les Canadiens peuvent avoir l’assurance que les coûts d’emprunt vont rester très bas pendant longtemps. Nos indications prospectives, combinées à notre programme d’assouplissement quantitatif, réduisent l’une des sources d’incertitude. Et ces efforts aideront à soutenir les dépenses et les investissements dont l’économie a besoin pour retrouver les emplois perdus et atteindre notre cible d’inflation.
En terminant, Monsieur le Président et distingués membres du Comité, au risque de mettre ma collègue mal à l’aise, j’espère que vous m’accorderez quelques instants pour rendre hommage à la première sous-gouverneure, Carolyn Wilkins. Comme vous le savez, Mme Wilkins a décidé de ne pas solliciter de second mandat à titre de première sous-gouverneure, et elle a indiqué qu’elle quittera la Banque en décembre, après l’annonce de notre prochaine décision de politique monétaire.
Mme Wilkins s’est consacrée au service de la population canadienne durant toute sa carrière, dont les 20 dernières années à la Banque du Canada. Durant les six années où elle a été première sous-gouverneure, elle a exercé un leadership exceptionnel au chapitre des politiques publiques. En particulier, son expérience a joué un rôle déterminant dans la conception des interventions de la Banque face à la pandémie. Elle a fait la promotion de la recherche et de la diversité à la Banque, et a dirigé les travaux qui sous-tendront le prochain renouvellement de notre entente sur le ciblage de l’inflation. Grâce à elle, la Banque est devenue un chef de file mondial dans les domaines des technologies financières et des monnaies numériques. Mme Wilkins a servi le Canada avec distinction en tant que représentante de la Banque auprès du G7, du G20 et du Conseil de stabilité financière. Et, sur une note plus personnelle, je peux vous dire que sa fine compréhension de l’économie canadienne et ses connaissances dans la formulation des politiques seront très difficiles à remplacer. Son dévouement à l’égard des Canadiens, son leadership intellectuel et son jugement sûr sont inégalés. Au nom de tous les Canadiens, je tiens à la remercier pour les services qu’elle a rendus et je lui souhaite tout le succès possible dans l’avenir.
Merci, Monsieur le Président. Sur ce, la première sous-gouverneure Wilkins et moi serons heureux de répondre à vos questions.