Riposte de la Banque pour traverser la crise de la COVID-19

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Je suis heureuse de participer à ce webinaire de l’Institut C.D. Howe aujourd’hui, bien que j’aurais aimé le faire dans de meilleures circonstances.

Tant de choses se sont produites si rapidement. Au début du mois de mars – il y a à peine huit semaines –, on comptait moins de 30 cas de COVID‑19 et aucun cas de transmission communautaire au Canada. Aujourd’hui, le nombre de cas s’élève à près de 60 000.

Je n’oublierai pas de sitôt où je me trouvais quand tout a commencé : j’étais à Baltimore, à une réunion des représentants délégués par les ministères des Finances et les banques centrales du G7. Nous y discutions de nos préoccupations grandissantes sur ce qui allait attendre bien des gens, ainsi que des mesures concrètes – et complémentaires – que nous pouvions mettre en place rapidement pour amortir le choc. Les prix du pétrole avaient déjà chuté de 35 % depuis le début de janvier et les marchés financiers montraient de plus en plus de signes de tensions. Le sentiment d’urgence était palpable et nous savions qu’il était crucial de prendre des mesures décisives afin de bien préparer le terrain pour la reprise économique.

Voici ce qui s’est passé dans le monde depuis :

  • Les autorités budgétaires ont pris les devants, car elles sont les mieux placées pour atténuer les effets économiques des mesures sans précédent prises contre la propagation du virus.
  • Les organismes de réglementation ont assoupli leurs exigences relatives aux réserves de fonds propres pour que le bilan des banques puisse soutenir la demande accrue de crédit.
  • Les banques centrales ont baissé leurs taux directeurs et mis en place des programmes visant à atténuer les séquelles économiques et à ouvrir la voie à la reprise économique.

Au Canada, ces mesures ont été hautement complémentaires.

Aujourd’hui, je veux vous parler des principaux moyens d’action que la Banque du Canada a adoptés ­– de leur objectif, des effets positifs constatés jusqu’à présent et de la façon dont nous gérons les risques. Je vais aussi vous parler brièvement des facteurs qui façonneront la reprise.

Jeter des bases solides pour la reprise économique

J’aimerais commencer par aborder le contexte. La pandémie de COVID‑19 menace gravement la santé de la population, et des mesures de santé publique sont nécessaires pour contenir la propagation du virus. Celles-ci ont des répercussions économiques à l’échelle mondiale. Au Canada, tous les secteurs de l’économie en ressentent les effets – l’énergie, le tourisme, l’hôtellerie et les services sont particulièrement touchés.

Nous croyons que cette situation fera chuter de jusqu’à 15 à 30 % le produit intérieur brut canadien au deuxième trimestre par rapport à la fin de 2019. Nous n’avons pas encore publié de prévisions complètes, car beaucoup de facteurs restent inconnus. Même dans le meilleur des cas, la perte de production ne sera compensée que graduellement avec la levée des mesures contre la propagation du virus, le retour des gens au travail et l’augmentation de la production.

Au Canada, toutes les administrations publiques ont pris des mesures exceptionnelles pour poser des bases aussi solides que possible en vue de la reprise économique. On a limité les difficultés de la population et réduit au minimum les effets néfastes à long terme qui pourraient entraver le retour à la croissance. Beaucoup de ces mesures ont été conçues afin d’aider les entreprises à traverser la crise et de favoriser le maintien du rapport employeurs-employés et ainsi faire que les activités reprennent leur cours rapidement le moment venu. Notons entre autres les subventions salariales, l’aide pour les loyers commerciaux, et les importants programmes de crédit d’Exportation et développement Canada et de la Banque de développement du Canada.

Les mesures de la Banque renforcent ces bases. Celles qu’elle a mises en place jusqu’à présent peuvent être classées en deux catégories.

Il y a d’abord les interventions de politique monétaire :

  • Depuis le début mars, nous avons baissé le taux cible du financement à un jour à la valeur plancher de 0,25 %, soit une baisse cumulative de 150 points de base.
  • La rapidité et l’ampleur de ces baisses révèlent le point de vue du Conseil de direction sur la gravité de la situation et ses effets sur les pressions inflationnistes. L’effondrement des prix du pétrole depuis le début de l’année – le prix du WTI a chuté d’environ 70 % ­– justifie en grande partie ce point de vue; les effets du choc seront surtout ressentis dans les régions où le secteur de l’énergie est très présent, mais ils se propageront dans tout le pays.
  • Les baisses de taux d’intérêt pourraient ne pas stimuler la demande en ce moment, mais elles jettent les bases de la reprise, qui aura lieu lorsque les mesures mises en place pendant la crise seront levées.

Viennent ensuite les mesures visant à rétablir le fonctionnement des marchés pour que les canaux du crédit restent ouverts.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déclaré que la flambée de COVID‑19 constituait une pandémie le 11 mars. On commençait alors à comprendre la gravité de la situation. Les tensions se faisaient sentir sur tous les principaux marchés de financement canadiens, et le marché boursier américain avait enregistré les trois plus fortes baisses de son histoire.

Et là, les appels n’ont pas arrêté : représentants d’institutions financières, homologues d’autres banques centrales, et collègues du ministère des Finances, du Bureau du surintendant des institutions financières et de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Ces conversations nous ont permis d’établir une stratégie pouvant être déployée rapidement pour nous attaquer aux problèmes les plus pressants.

Notre priorité était de rétablir le fonctionnement des principaux marchés de financement à court terme, devenus d’autant plus essentiels pour les entreprises et les particuliers dont les revenus ont temporairement chuté. En parlant avec les représentants de banques, nous avons compris que l’utilisation des lignes de crédit explosait et que les reports de remboursement de prêts auxquels ils s’attendaient feraient gonfler leurs besoins de financement. Une des leçons que j’ai tirées de la crise financière mondiale de 2007-2009 est que les banques réduisent les lignes de crédit accordées quand leurs sources de financement ne sont plus assez sûres.

C’est pourquoi nos programmes ciblent directement trois types de marchés :

  • Les marchés de financement à court terme. Notre but ici est de permettre aux banques de continuer d’offrir leurs services aux entreprises et aux particuliers. Pour cela, nous effectuons des opérations de pension à plus d’un jour en échange de garanties données à partir d’un large éventail de sûretés de grande qualité. L’échéance est fixée à deux ans ou moins. Mentionnons aussi le mécanisme permanent d’octroi de liquidités à plus d’un jour que nous avons mis à la disposition d’un plus grand nombre d’institutions financières. C’est rassurant de voir les établissements s’en servir pour prêter aux ménages et aux entreprises.
  • Les marchés sur lesquels les entreprises et les administrations publiques canadiennes financent leur fonds de roulement. Par exemple, nous achetons des acceptations bancaires, du papier commercial et des titres d’emprunt à court terme émis par les gouvernements provinciaux. Ces marchés sont indispensables à l’exploitation, que ce soit pour faire face à des dépenses imprévues ou à une interruption des rentrées de fonds, ou encore pour payer les employés.
  • Le marché des bons du Trésor du gouvernement du Canada. La Banque a temporairement fait passer de 25 à 40 % la quantité maximale de bons du Trésor qu’elle achète aux adjudications du gouvernement du Canada. L’objectif : répondre à la demande accrue de liquidités découlant des mesures budgétaires mises en place pour soutenir l’économie en cette période difficile. Parmi ces mesures, notons la subvention offerte aux entreprises pour couvrir 75 % de leur masse salariale et le report à la fin août de la date de paiement des impôts, qui retarde les rentrées de fonds.

Il est encore tôt pour se prononcer, mais ces programmes commencent déjà à porter fruit : l’activité a repris et les écarts se sont resserrés dans l’ensemble des marchés où nous menons des opérations. Par exemple, sur celui des acceptations bancaires, les écarts par rapport au taux des swaps indexés sur le taux à un jour sont passés d’un sommet de 120 points de base à environ 20 points de base. Nous recevons donc moins de soumissions pour nos opérations d’achat d’acceptations bancaires et certaines autres opérations, ce qui est une bonne chose.

Il reste tout de même beaucoup d’incertitude. Les teneurs de marchés pour les titres à revenu fixe et d’autres actifs financiers se sont effacés. Ça se comprend : la tenue de marché devient incroyablement risquée lorsque les cours fluctuent énormément. Qui plus est, les négociations entre acheteurs et vendeurs deviennent difficiles quand tout le monde cherche à rééquilibrer son portefeuille.

Cette dynamique pose surtout problème sur le marché des obligations du gouvernement du Canada. Ces obligations sont considérées comme les actifs en dollars canadiens les plus sûrs et servent de référence pour le prix d’autres actifs. Si ce marché fonctionne mal, aucun autre marché de produits libellés en dollars canadiens ne peut bien fonctionner.

C’est pour remédier aux tensions sur ce marché que nous avons lancé le Programme d’achat d’obligations du gouvernement du Canada. Nous nous sommes engagés à acheter pour au moins 5 milliards de dollars de titres du gouvernement du Canada par semaine sur le marché secondaire, et ce, jusqu’à ce que la reprise soit bien engagée.

Des tensions se manifestent aussi sur d’autres marchés de financement à long terme, ce qui pourrait nuire à la stabilité des plans financiers à long terme d’autres pouvoirs publics et des entreprises. Même si la situation actuelle est temporaire, les gens d’affaires savent qu’on ne peut pas s’en remettre uniquement au financement à court terme pour bien gérer les risques. C’est là qu’entrent en jeu nos programmes d’achat d’une gamme élargie d’obligations sur le marché secondaire. Ceux-ci nous engagent à acheter pour jusqu’à 50 milliards de dollars de titres provinciaux à l’échelle du pays, et pour jusqu’à 10 milliards de dollars d’obligations de sociétés de qualité libellées en dollars canadiens. À cela s’ajoutent les achats que nous effectuons sur le marché des Obligations hypothécaires du Canada pour soutenir le fonctionnement de cette importante source de financement de prêts hypothécaires résidentiels au pays. Ces achats viennent également compléter le Programme d’achat de prêts hypothécaires assurés de la SCHL.

Garder les yeux rivés sur notre mandat

Chacun de ces programmes vise à régler un problème particulier sur les marchés du crédit, mais tous viennent accroître la taille du bilan de la Banque parce qu’ils impliquent l’acquisition d’actifs financiers. Puisque nous les avons financés au moyen de soldes de règlement, leurs coûts sont comptabilisés au bilan comme des dépôts de banques.

  • Notre bilan, qui avoisinait 120 milliards de dollars au début mars, se chiffrait à près de 385 milliards de dollars la semaine dernière.

Ce n’est pas la première fois qu’une banque centrale augmente la taille de son bilan pour répondre à un besoin accru de liquidités. Cette mesure traditionnelle cadre avec notre objectif de maîtrise de l’inflation, car la reprise économique ne pourra pas durer si le système financier est défaillant.

Certains se demandent ce que nous allons faire pour que cette augmentation n’entraîne pas une inflation galopante lorsque l’activité économique reprendra. Étant une admiratrice des travaux du professeur David Laidler, de l’Université Western, je m’en voudrais d’écarter cette préoccupation d’emblée.

Il y a toutefois plusieurs facteurs qui me rassurent :

  • Le premier – et le plus important – est que nos objectifs de maîtrise de l’inflation continueront d’orienter nos actions.
  • Le deuxième est qu’une bonne partie de l’expansion de notre bilan se résorbera d’elle-même lorsque les mesures d’injection de liquidités et les achats d’actifs à court terme prendront fin, un peu comme ce qu’on a vu après la crise financière mondiale. En ce moment, près de 90 % des actifs récemment acquis arriveront à échéance d’ici un an. Ce pourcentage va certes baisser à mesure que nous achèterons plus d’obligations, mais la plupart des titres à long terme dont nous ferons l’acquisition seront négociables.
  • Le troisième est que nous pouvons contrôler le degré de détente monétaire dans l’économie même si la taille de notre bilan demeure plus grande qu’avant. Nous pouvons relever le taux du financement à un jour et, par conséquent, le taux de rémunération des dépôts. Nous pouvons effectuer des cessions en pension ou vendre des actifs s’il faut drainer des liquidités ou relever la cible du taux du financement à un jour.

Ce sont ces facteurs qui distinguent notre approche de ce qu’on appelle « l’hélicoptère monétaire ».

D’autres craignent le risque opposé, soit la déflation. Vu le niveau élevé d’endettement, il est certain qu’une telle situation aurait un effet déstabilisant pour beaucoup, car les revenus baisseraient mais pas la valeur de la dette. Toutefois, comme l’a fait valoir le gouverneur, rien ne sert de comparer notre situation à la Grande Dépression. D’une part, le secteur bancaire est beaucoup plus sain qu’alors. D’autre part, nous avons appris des erreurs de politique commises à l’époque.

Qu’il y ait risque d’inflation ou de déflation, la crédibilité de la banque centrale est cruciale. Nous devons donc garder les yeux rivés sur notre mandat et conserver notre indépendance d’action pour le réaliser.

L’entente relative à la cible de maîtrise de l’inflation qui lie la Banque et le gouvernement du Canada garantit notre indépendance d’action depuis près de 30 ans. Nos nouveaux programmes s’y conforment parce qu’ils contribuent à réduire les difficultés financières dans l’immédiat et qu’ils préparent le terrain pour une reprise durable.

La Banque a pris grand soin de concevoir ces programmes de façon à gérer les risques avec prudence.

  • Nous y avons intégré des mesures d’atténuation des risques (fixation de limites d’échéance, de notes minimales, de limites applicables aux contreparties et de limites de concentration) pour que le risque financier des contribuables soit faible.
  • Nous avons réduit les risques opérationnels en répartissant l’équipe qui exécute les opérations dans trois sites, dont l’un est à Calgary. Nous faisons aussi appel aux services de gestionnaires d’actifs reconnus pour trois des programmes d’achat. Ces gestionnaires sont assujettis à des exigences strictes relatives aux conflits d’intérêts, leurs mandats bien définis leur laissent peu de latitude, et nous les surveillons de près.
  • Nous avons collaboré étroitement avec le gouvernement fédéral pour conclure des conventions d’indemnisation à l’égard des principaux programmes d’achat.
    • Cela fournit une garantie supplémentaire que nous utiliserons ces programmes selon notre objectif de maîtrise de l’inflation.
    • À l’étranger, ces types de programmes de banque centrale prévoient souvent une forme d’indemnisation publique des pertes.

Nous ferons preuve de transparence à l’égard de nos activités : notamment, nous préciserons les paramètres des programmes et rendrons régulièrement compte des titres détenus. Il est important d’établir un juste équilibre entre transparence et excès de détails sur les opérations afin d’optimiser les résultats pour les contribuables.

Voir loin pour rester sur la bonne voie

L’OMS a déclaré l’état de pandémie il y a presque huit semaines. Depuis, des progrès ont été réalisés à de nombreux égards, mais il reste encore du chemin à parcourir. Permettez-moi donc de conclure avec quelques brèves observations à ce sujet.

Dans le Rapport sur la politique monétaire d’avril, la Banque a présenté deux scénarios possibles de l’évolution de l’économie canadienne :

  • Le scénario favorable suppose une levée progressive en mai et juin des mesures visant à ralentir la propagation du virus. Cela laisserait présager un raffermissement de la demande étrangère et intérieure et, ce faisant, de la confiance des consommateurs et des entreprises. Ce scénario est encore possible, mais en aucun cas assuré.
  • L’autre scénario suppose que la reprise pourrait prendre plus de temps. Les mesures de confinement pourraient rester en place plus longtemps, les effets de la baisse de confiance pourraient persister, et la production pourrait reprendre plus lentement en cas de détérioration marquée des chaînes d’approvisionnement.

Nous serons mieux en mesure d’étudier des scénarios précis à mesure que les plans de redémarrage se concrétiseront.

  • Comme nous l’avons souligné dans le Rapport d’avril, nous pouvons au besoin rajuster nos programmes d’achat d’actifs en fonction des objectifs de la politique monétaire, au lieu de ne les fonder que sur le fonctionnement des marchés.

Nous savons tous que la dette du pays – publique et privée – aura gonflé à la fin de la crise. D’autres vents contraires vont sans doute s’ajouter, comme les bas prix de l’énergie. Pour sortir de cette situation, il faudra une planification minutieuse, des politiques macroprudentielles judicieuses et une croissance économique durable.

N’oublions pas les possibilités d’assurer une croissance forte et durable à long terme, qui restent malgré la COVID-19. J’en ai présenté quelques-unes dans un discours en février, il y a ce qui me semble une éternité.

  • Certaines, comme la transformation numérique et le passage à une économie à faibles émissions de carbone, pourraient même devenir plus prometteuses qu’avant.
  • La relocalisation et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement deviendront des facteurs importants : une raison de plus de réduire les obstacles à l’exercice d’activités à l’échelle nationale.
  • Beaucoup de ces possibilités nécessiteront la collaboration des secteurs privé et public, de même que l’apport de capitaux.

La Banque sera là pour aider les Canadiens à traverser cette période et pour favoriser une reprise durable.

Le Canada se sortira de cette crise.