L’établissement de politiques environnementales incombe aux gouvernements. Or, les changements climatiques peuvent nuire à la capacité des banques centrales d’atteindre leurs objectifs liés à la stabilité financière et au ciblage de l’inflation. Deux types de risques retiennent particulièrement leur attention :
- Les risques physiques découlant de phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus violents. Ceux-ci peuvent provoquer des perturbations économiques et des pertes au sein du système financier.
- Les risques liés à la transition vers une économie sobre en carbone. Les changements soudains ou inattendus des préférences des consommateurs et des investisseurs ou des politiques publiques qui rendent la pollution plus coûteuse pourraient accroître les risques pour le système financier.
Face à cette situation, les banques centrales intensifient leurs efforts pour évaluer les risques liés au climat. Néanmoins, l’ensemble de modèles économiques qu’elles utilisent actuellement ne tient pas compte des effets des changements climatiques. L’incertitude entourant les évolutions futures liées aux changements climatiques complique aussi l’évaluation des risques. Ces évolutions concernent notamment les politiques, les technologies et l’environnement naturel.
Certaines banques centrales et institutions financières privées travaillent à élaborer des outils pour analyser des scénarios liés au climat. L’analyse de scénarios vise à examiner différents états futurs du monde qui sont plausibles. Elle permet de prévoir un éventail de situations qui pourraient survenir, plutôt que de déterminer ce qui va arriver. Elle peut aider les utilisateurs à évaluer une série de conséquences hypothétiques selon différentes présomptions de ce qui pourrait se produire. L’analyse de scénarios s’avère particulièrement intéressante dans le cas des changements climatiques, du fait que l’évolution de variables clés est incertaine. Les scénarios sont le plus utile quand ils sont extrêmes mais plausibles. Leur analyse donne un aperçu de l’ensemble des risques possibles.
L’analyse de scénarios appliquée à cette étude
La présente étude vise à adapter, pour l’analyse de scénarios liés au climat, des modèles climat-économie ayant servi dans d’autres contextes. Nous étudions des scénarios indicatifs de l’économie mondiale susceptibles d’entraîner des risques économiques et financiers (tableau 1), en faisant varier, de façon plausible, différentes hypothèses concernant des variables clés comme les politiques climatiques. Nous nous servons ensuite d’un modèle d’équilibre général calculable — le modèle EPPA (projections économiques et analyse de politiques) du MIT — pour évaluer les impacts économiques de ces scénarios, ce qui nous fournit également des indications quant aux risques auxquels pourrait être exposé le système financier. Nous utilisons les résultats obtenus à partir d’un modèle dynamique intégré climat-économie (DICE) (un modèle d’évaluation intégré) et d’autres puisés dans les écrits économiques pour préciser les risques physiques.
Tableau 1 : Survol des scénarios
Scénario | Description |
Statu quo | Aucune autre mesure n’est prise pour limiter le réchauffement planétaire. L’accroissement des émissions entraîne une nette augmentation des températures mondiales moyennes. |
Contributions déterminées au niveau national | À compter de 2020, les pays respectent l’engagement qu’ils ont pris dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. Ils prennent des mesures pour réduire le réchauffement planétaire, mais ces mesures ne sont pas suffisantes pour limiter, d’ici 2100, la hausse des températures mondiales moyennes à 2 °C par rapport à la période préindustrielle. |
2 °C (mesures conformes) | Les pays prennent les mesures nécessaires pour limiter la hausse des températures mondiales moyennes à 2 °C d’ici 2100. |
2 °C (mesures tardives) | Les pays prennent les mesures nécessaires pour limiter la hausse des températures mondiales moyennes à 2 °C d’ici 2100, mais la mise en œuvre de ces mesures ne débute pas avant 2030. |
D’après nos résultats, il y aurait des risques économiques importants associés aux changements climatiques et au passage à une économie sobre en carbone. Les risques et impacts varient selon les scénarios considérés (figure 1). Les résultats semblent indiquer que si les risques liés à la transition peuvent être évités par l’inaction, ce n’est pas sans occasionner d’énormes coûts économiques en raison des dommages matériels accrus. Les mesures prises tardivement doivent être plus sévères pour contenir les hausses de température, ce qui augmente les risques liés à la transition. Une intervention plus rapide laisse davantage de temps aux nouvelles technologies de s’implanter dans le marché en réponse aux signaux transmis par les prix. Ces nouvelles technologies entraînent une expansion du secteur de l’énergie verte et une baisse des coûts de transition.
Figure 1 : Classement des scénarios indicatifs selon les risques physiques et les risques liés à la transition
Il convient de noter que la présente étude ne fournit pas d’analyse coûts-avantages de mesures particulières pour contrer les changements climatiques. Les mesures de prévention du réchauffement planétaire (taxes sur le carbone, quotas d’émission, dépenses de développement technologique) ne relèvent pas du mandat des banques centrales. L’évaluation de ces mesures exigerait un cadre de modélisation différent ainsi qu’un plus vaste ensemble de considérations hors du ressort de la Banque du Canada.
Travaux futurs
La Banque du Canada est un membre actif du Réseau pour le verdissement du système financier. Ce réseau regroupe des banques centrales et des organismes de surveillance des institutions financières, qui mettent en commun des pratiques exemplaires et contribuent à faire avancer la gestion des risques climatiques. Dans cet esprit, le Réseau travaille à l’élaboration d’un cadre d’analyse pour l’évaluation des risques climatiques. L’analyse de scénarios jouera un rôle déterminant à cet égard. Le Réseau est en train de mettre au point un ensemble de scénarios standard liés au climat qui seront analysés par les banques centrales et d’autres entités. La Banque du Canada, qui participe activement à ces travaux, les mettra à profit, de même que son propre cadre de modélisation interne, pour développer l’analyse de scénarios propres au Canada, avec pour objectifs d’orienter la politique monétaire et d’évaluer les risques pesant sur le système financier.
DOI : https://doi.org/10.34989/sdp-2020-3