Déclaration préliminaire devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce
Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. La première sous-gouverneure Wilkins et moi sommes heureux d’être de retour devant vous pour présenter le Rapport sur la politique monétaire (RPM) que la Banque du Canada a publié la semaine dernière.
Lors de notre dernier témoignage en avril, nous célébrions le fait que nous avions revu nos prévisions économiques à la hausse, au terme d’une longue période de déceptions successives. Je suis heureux de pouvoir dire que bon nombre des tendances positives que nous observions alors se sont maintenues. Les sources de croissance économique se sont généralisées dans l’ensemble des secteurs et des régions, et le processus d’ajustement au choc des prix du pétrole est essentiellement terminé.
La Banque a relevé son taux directeur deux fois depuis notre dernière rencontre, soit en juillet et en septembre. Ces décisions ont été prises dans le contexte d’une très vive croissance économique au premier semestre de l’année et d’une nette progression du marché du travail. Durant l’été, nous avons noté des signes d’un raffermissement de l’inflation et d’une résorption rapide de l’écart de production au sein de l’économie. Avec ces deux hausses de taux, nous avons inversé les baisses opérées en 2015, qui étaient indispensables pour aider l’économie à s’ajuster au choc pétrolier.
La croissance au premier semestre de l’année a légèrement dépassé en moyenne les 4 % en rythme annuel. Ce résultat tient à la vigueur des dépenses de consommation, renforcée par une hausse de l’emploi et des revenus, ainsi que par une augmentation des investissements des entreprises et un bond des exportations d’énergie. On commence à déceler des signes de modération au second semestre, comme nous l’avions prévu en juillet. L’expansion de la consommation et des investissements devrait diminuer, et la croissance du secteur du logement ralentir davantage, en raison notamment des mesures instaurées par le gouvernement ontarien en avril.
Tout compte fait, nous prévoyons que l’expansion de l’économie s’établira à 3,1 % cette année, avant de redescendre à 2,1 % en 2018. Ce dernier chiffre reste néanmoins supérieur au taux de croissance de la production potentielle. Nous estimons que l’économie fonctionne désormais près des limites de sa capacité. L’inflation devrait atteindre notre cible de 2 % au deuxième semestre de l’an prochain, soit un peu plus tard que nous l’avions d’abord escompté, en raison de l’incidence passagère de l’appréciation qu’a connue le dollar cette année.
Nous nous trouvons à un moment crucial du cycle économique, et d’importantes incertitudes viennent embrouiller les perspectives. Dans notre RPM, nous avons mis en exergue les quatre principales sources d’incertitude. Les voici en bref.
Le premier enjeu a trait à l’inflation elle-même. Plusieurs hypothèses ont été formulées au sujet de la faiblesse apparente de l’inflation au Canada et dans de nombreuses autres économies avancées. Certains ont soutenu que la mondialisation bride l’inflation. Ce phénomène pourrait être dû à la hausse des importations en provenance de pays où les coûts sont plus bas, par exemple, ou à l’effet de la participation d’entreprises canadiennes aux chaînes d’approvisionnement mondiales. D’autres mettent en avant l’incidence de la numérisation sur l’économie. Ils sont d’avis que les technologies numériques pourraient réduire les barrières à l’entrée dans certains secteurs et ouvrir la voie à une concurrence accrue. Il se peut que l’essor du commerce électronique soit en train de modifier les pratiques en matière d’établissement des prix. Et les technologies numériques pourraient favoriser l’innovation et une augmentation de la productivité, ce qui pourrait provoquer des pressions désinflationnistes.
Le deuxième enjeu porte sur la marge de capacités excédentaires au sein de l’économie. Plusieurs signes donnent à penser qu’il subsiste des ressources inutilisées sur le marché du travail. Par exemple, le taux d’activité des jeunes reste en deçà du taux tendanciel et le nombre moyen d’heures travaillées est inférieur à ce à quoi on pourrait s’attendre. Comme l’économie tourne presque à plein régime en ce moment, nous nous attendons à des investissements de la part des entreprises ainsi qu’à la création d’emplois par les nouvelles entreprises et les entreprises existantes et à une hausse de la productivité. Cette évolution devrait contribuer à faire augmenter la production potentielle de l’économie, et ainsi à accroître le niveau de croissance non inflationniste possible. Ce processus est toutefois empreint d’une grande incertitude et n’est pas du tout mécanique, et c’est pourquoi nous l’avons incorporé dans notre projection avec prudence.
Le troisième enjeu est la faiblesse continue de la croissance des salaires. L’emploi a connu une croissance vigoureuse au Canada, mais les salaires n’ont pas affiché le même rythme. Cet effet est dû, certainement en partie, aux ressources inutilisées sur le marché du travail. Et il y a un décalage entre le moment où ces ressources inutilisées sont résorbées et celui où on constate une plus forte croissance des salaires. Il se peut toutefois que d’autres facteurs, dont la mondialisation, agissent sur la dynamique des salaires.
Enfin, le quatrième enjeu concerne le niveau élevé d’endettement des ménages et la façon dont il est susceptible d’influer sur la sensibilité de l’économie à une augmentation des taux d’intérêt. Le personnel de la Banque a recalibré le principal modèle économique servant à établir les projections de l’institution, afin de rendre compte de renseignements importants au sujet du marché de l’habitation et de l’endettement. Il ressort de ces travaux que l’économie est susceptible de réagir plus fortement à une hausse de taux d’intérêt que par le passé. Nous allons toutefois examiner de près les nouvelles données économiques à la recherche d’indications qui confortent cette idée. Nous allons aussi surveiller la réaction du secteur des ménages aux nouvelles règles de souscription de prêts hypothécaires.
Nous mettons également en lumière plusieurs autres risques dans le RPM. Pris dans leur ensemble, ceux-ci offrent des perspectives d’évolution de l’inflation équilibrées. Nous n’avons pas incorporé dans notre projection la possibilité d’une montée notable du protectionnisme aux États-Unis, compte tenu de l’éventail des résultats potentiels et de l’incertitude quant au moment où ce risque pourrait se matérialiser. Nous reconnaissons toutefois que l’incertitude entourant la politique de commerce extérieur des États-Unis a un certain effet sur la confiance et les investissements des entreprises, et nous en avons tenu compte dans les perspectives.
Dans ce contexte, le Conseil de direction a jugé que la politique monétaire actuelle est appropriée. Nous avons convenu qu’un degré moindre de détente monétaire sera probablement nécessaire avec le temps, mais nous ferons preuve de circonspection au moment de procéder à de futurs ajustements de notre taux directeur. En particulier, la Banque sera guidée par les nouvelles données sur lesquelles elle se fonde pour évaluer la sensibilité de l’économie aux taux d’intérêt, l’évolution des capacités économiques et la dynamique de la croissance des salaires et de l’inflation.
Sur ce, Monsieur le Président, la première sous-gouverneure Wilkins et moi nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.