Déclaration préliminaire devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes
Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. La première sous-gouverneure Wilkins et moi-même sommes ravis d’être de retour pour présenter le Rapport sur la politique monétaire (RPM) que la Banque du Canada a publié la semaine dernière. Je tiens à saluer tout particulièrement les nouveaux membres du Comité. Je me réjouis à la perspective de vous rencontrer deux fois par an pour discuter de l’économie canadienne et de notre politique monétaire.
Douze mois se sont écoulés depuis notre dernière rencontre, et les économies canadienne et mondiale ont vraiment connu une année très mouvementée. Permettez-moi de faire rapidement le point sur la situation. Comme vous le savez, l’économie canadienne fait face à un choc majeur des termes de l’échange, provoqué par une chute marquée des prix du pétrole et d’autres produits de base qui s’est amorcé à la fin de 2014.
Comme le Canada est un important producteur de ressources – de pétrole surtout –, ce choc a été un énorme coup dur. Il a déclenché un processus d’ajustement difficile qui a fortement perturbé beaucoup de Canadiens. Les investissements et la production dans le secteur des ressources se sont effondrés, la diminution du revenu national a provoqué une réduction des dépenses des ménages, et le secteur des ressources a subi d’importantes pertes d’emploi. Ces facteurs négatifs l’ont emporté nettement sur les avantages découlant de la baisse des coûts de l’énergie pour les ménages et les entreprises.
Du point de vue de la politique monétaire, le choc a fait peser une double menace sur notre économie l’an dernier. Tout d’abord, il représentait clairement un risque à la baisse liée à notre capacité d’atteindre la cible d’inflation. Ensuite, en réduisant le revenu national, il a aggravé la vulnérabilité liée aux déséquilibres dans le secteur des ménages, comme le montre le ratio élevé de la dette au revenu. Pour faire face à ces deux menaces et faciliter les ajustements économiques nécessaires, nous avons abaissé le taux directeur à deux reprises l’an passé, pour le porter à 0,5 %.
Nous avions bien conscience que cet abaissement pouvait accentuer légèrement la vulnérabilité liée aux déséquilibres dans le secteur des ménages, mais les baisses du taux directeur l’an dernier avaient principalement pour objectif d’amortir la chute des revenus et de l’emploi causée par le fléchissement des prix des ressources.
Une autre conséquence naturelle du choc touchant les termes de l’échange a été la baisse du taux de change du dollar canadien. Notons que cette situation n’est pas propre au Canada. Un grand nombre de pays tributaires des ressources ont en effet enregistré une dépréciation semblable de leur monnaie.
Tant les modifications du taux directeur que la dépréciation de la monnaie ont contribué à favoriser les ajustements économiques, qui ont évolué selon deux axes. Tandis que la faiblesse de l’activité s’est concentrée dans le secteur des ressources, l’économie hors ressources a continué de progresser à un rythme modéré. Dans ces conditions, les exportations hors ressources gagnent clairement en vigueur.
À l’approche de la nouvelle année, l’anxiété était vraiment palpable chez de nombreux participants aux marchés financiers. Les perspectives de croissance de l’économie mondiale subissaient une autre révision à la baisse, et les prix des produits de base touchaient de nouveaux creux. À la Banque, de nouvelles données indiquaient que les entreprises du secteur canadien de l’énergie réduiraient leurs investissements encore plus qu’on le croyait précédemment. Dans ce contexte, nous avons dit qu’au début de nos délibérations entourant la décision relative au taux directeur en janvier, nous penchions pour un nouvel assouplissement monétaire, mais que nous devions attendre de connaître les détails du plan budgétaire du gouvernement.
Depuis janvier, plusieurs évolutions négatives se sont produites. Premièrement, les perspectives de croissance de l’économie mondiale pour 2016 et 2017 ont encore une fois été revues à la baisse. Elles englobent l’économie américaine, où les nouveaux profils d’évolution de l’investissement et du logement se traduisent par une composition de la demande moins favorable aux exportations canadiennes.
Deuxièmement, les intentions d’investissement dans le secteur canadien de l’énergie ont de nouveau fait l’objet d’une révision à la baisse. Il est vrai que les prix du pétrole ont nettement remonté par rapport aux creux extrêmes qu’ils avaient touchés. Toutefois, les entreprises canadiennes nous ont signalé que même si les prix continuaient d’avoisiner leurs niveaux actuels, elles procéderaient à de nouvelles réductions importantes supérieures à celles que nous avions prévues en janvier. Par convention, lors de l’établissement de notre projection, nous tenons compte du prix moyen du pétrole affiché quelques semaines auparavant, ce qui nous permet de faire abstraction de la variabilité des marchés. C’est pourquoi nos hypothèses relatives aux prix du baril de pétrole dépassent seulement de 2 à 3 dollars celles de janvier.
Troisièmement, le dollar canadien a aussi remonté par rapport aux creux qu’il avait enregistrés. Dans sa projection actuelle, la Banque postule que le dollar canadien se situera à 76 cents américains, soit 4 cents de plus qu’en janvier. Même si de nombreux facteurs sont à l’œuvre, dont les prix du pétrole, l’essentiel de la hausse semble attribuable à l’évolution des attentes à l’égard de la politique monétaire aux États-Unis et au Canada. Le niveau plus élevé postulé pour le dollar canadien dans notre projection se traduit par un abaissement du profil d’évolution des exportations hors ressources, tout comme l’affaiblissement de la demande émanant des États-Unis et d’ailleurs.
Lorsque le Conseil de direction de la Banque a entamé ses délibérations entourant l’annonce du taux directeur ce mois-ci, nous avons constaté que ces trois évolutions auraient dû donner lieu à un profil de croissance prévu pour l’économie canadienne plus bas qu’en janvier. Ce constat peut sembler paradoxal compte tenu de la série d’indicateurs économiques mensuels qui ont démarré l’année en force. Cela dit, une partie de cette vigueur s’explique par un effet de rattrapage qui fait suite à la faiblesse temporaire dans certains domaines au quatrième trimestre; une autre partie est liée aux facteurs temporaires qui se dissiperont au deuxième trimestre.
Le budget fédéral est un autre nouveau facteur que nous avons dû prendre en considération. Pour les besoins du RPM et de l’annonce du taux directeur, nous avons examiné minutieusement les projections du ministère des Finances sur l’effet multiplicateur du choc budgétaire. D’après notre analyse, ces projections sont raisonnables dans la mesure où elles s’inscrivent dans la fourchette des estimations que l’on retrouve dans la littérature économique et dans les travaux de recherches du personnel de la Banque. Une grande incertitude entoure évidemment les effets des mesures budgétaires sur la croissance à long terme, surtout parce qu’ils devront se répercuter sur le secteur des ménages. Dans notre rapport, nous avons rendu compte du risque que les ménages puissent être plus portés à faire des économies que le laisserait supposer l’expérience passée.
Compte tenu de tous ces changements, le profil de croissance projeté est généralement plus élevé qu’en janvier. Nous prévoyons maintenant que la croissance du PIB réel sera de 1,7 % cette année, de 2,3 % l’an prochain et de 2 % en 2018. Selon nos prévisions, les capacités excédentaires devraient se résorber un peu plus tôt qu’envisagé en janvier, c’est-à-dire au second semestre de 2017. Cela dit, le moment exact est encore plus incertain que d’habitude. Il est toujours difficile d’estimer la croissance potentielle d’une économie, et cette difficulté s’aggrave quand l’économie passe par un ajustement structurel majeur, comme c’est le cas aujourd’hui au Canada. Nous savons que la chute des investissements dans le secteur des produits de base ralentira le taux d’augmentation de la production potentielle de l’économie. Nous avons abaissé notre estimation de la croissance de la production potentielle à court terme de 1,8 % à 1,5 %.
Pour ce qui est du mandat principal de la Banque, l’inflation mesurée par l’IPC global se situe actuellement en deçà de la cible de 2 %. Les pressions à la hausse sur les prix des importations découlant de la dépréciation de la monnaie sont plus que compensées par l’effet des prix plus bas des produits énergétiques de consommation et les pressions à la baisse engendrées par les capacités excédentaires au sein de l’économie. Au fil de la diminution de ces facteurs, l’inflation mesurée par l’IPC global devrait rattraper l’inflation mesurée par l’indice de référence et rester de façon durable à la cible au cours du second semestre de l’année.
En résumé, la situation actuelle est la suivante : les données économiques récentes ont été encourageantes dans l’ensemble, mais ont varié aussi passablement. Il est toujours possible que l’économie mondiale déçoive encore, l’ajustement complexe face à la détérioration des termes de l’échange bridera la croissance au Canada pendant une bonne partie de notre période de prévision, et la réaction des ménages devant les mesures budgétaires du gouvernement fédéral exigera une surveillance étroite. Nous n’avons pas encore de preuve tangible de la hausse des investissements ni de la création soutenue d’entreprises, quelques-uns des ingrédients nécessaires au retour à la croissance naturelle et autosuffisante, assortie d’une inflation qui se maintient à la cible de façon durable.
Monsieur le Président, Carolyn et moi-même nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.