Allocution pour une table ronde de la 21e Conférence de Montréal
Introduction
Merci de m’avoir invitée à prendre la parole ici aujourd’hui. C’est un honneur pour moi de participer à cette table ronde.
Voilà plus de sept ans que la crise financière mondiale a éclaté, et nous sommes toujours aux prises avec ses retombées. La crise a notamment eu pour conséquence de perturber la mondialisation financière. Les flux de capitaux internationaux – pour n’en donner qu’un exemple – ont chuté de plus de la moitié par rapport à leur sommet d’avant la crise, qui s’établissait à plus de 8 000 milliards de dollars américains1.
J’aimerais prendre quelques minutes pour aborder les causes de cette fragmentation. Je présenterai ensuite mon point de vue sur ce que nous devrions faire pour tirer pleinement parti des avantages de la mondialisation financière et gérer les risques qu’elle comporte.
Les causes de la fragmentation
Le retrait de la mondialisation que l’on observe tient à des forces économiques cycliques, comme le ralentissement du commerce international et des investissements. Il s’explique aussi par des ajustements structurels, dont la réduction du levier d’endettement entreprise par les banques pour assainir leurs bilans et se conformer aux modifications réglementaires. Rien de cela n’est surprenant compte tenu de ce que nous avons traversé.
Sur le plan cyclique, la crise a entraîné une perte de production de pas moins de 10 000 milliards de dollars américains pour l’économie du globe, soit près de 15 % de la production. Le commerce international a ralenti, de même que la demande visant les services financiers internationaux qui le soutiennent. La part du commerce dans le PIB a diminué après la crise, renversant ainsi en partie l’augmentation de 20 points de pourcentage enregistrée au cours des deux décennies qui l’ont précédée2.
Sur le plan structurel, les institutions financières qui avaient subi des pertes durant la crise ont dû assainir leurs bilans en réduisant leurs activités de prêt, non seulement dans leur pays, mais surtout à l’étranger. Le commerce, les produits de base et le financement des infrastructures ont été tout particulièrement touchés.
Depuis la crise, les banques ont plus que doublé le montant du capital-actions ordinaire qu’elles détiennent. Ce faisant, elles ont eu tendance à se concentrer sur le marché intérieur et sur les meilleures façons de répartir les capitaux dans le nouveau contexte. Il se pourrait que des règles telles que les lois contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme soient également en train de changer la donne.
Les institutions financières ont par ailleurs dû se conformer aux modifications apportées à la réglementation. Par exemple, les courtiers en produits dérivés semblent faire davantage affaire avec des contreparties nationales notamment en raison de règles plus strictes, et parfois contradictoires3. Bien que le niveau d’activité transfrontière dans ce domaine reste robuste, les résultats d’une étude indiquent que les modifications réglementaires peuvent expliquer environ la moitié de la baisse des créances transfrontières observée depuis avant la crise4.
Pour mettre les choses en perspective, mentionnons que le total des créances bancaires sur l’étranger, mesuré en proportion du PIB mondial, a reculé du tiers depuis 2008, pour se situer à 39 % à la fin de 20145.
Cette fragmentation est préoccupante pour les gens qui, comme moi, estiment que des marchés financiers mondiaux ouverts sont en général avantageux pour les économies, car ils facilitent la répartition la plus efficiente des capitaux et favorisent la croissance.
En même temps, la crise nous a enseigné que les marchés intégrés comportent des risques qui doivent être gérés correctement. Nous savons que, si rien n’est fait, la mondialisation financière pourrait accentuer la procyclicité et accroître l’ampleur des cycles financiers6. Autrement dit, les phases de surchauffe et de contraction pourraient devenir plus fréquentes et plus déstabilisantes. Et il se peut que les flux financiers internationaux aient été gonflés par une croissance excessive du secteur de la finance par rapport au PIB mondial7.
C’est donc dire que les autorités doivent trouver le juste équilibre entre ce qui encourage la mondialisation et ce qui permet de se prémunir contre ses risques.
Trouver le juste équilibre
Des progrès sont en cours à l’échelle mondiale. Nous avons instauré un cadre pour mieux gérer les risques liés à la mondialisation financière, en application des réformes convenues par les dirigeants du G20. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a établi de nouvelles règles pour les banques. Et le Conseil de stabilité financière a publié ses principaux attributs des régimes de résolution efficaces pour les institutions financières. Ce sont des pas importants dans la bonne direction.
Certaines de ces réformes ont été en grande partie menées à bien. Je parle ici du dispositif de Bâle III, qui impose des normes plus strictes en matière de fonds propres et de liquidité, de même que des exigences supplémentaires aux banques d’importance systémique. Je pense aussi aux Principes pour les infrastructures de marchés financiers, qui fixent des exigences plus élevées pour les contreparties centrales et les autres infrastructures d’importance systémique. Les examens par les pairs que mène le Conseil de stabilité financière pour assurer une mise en œuvre uniforme dans les différents pays contribuent à des règles du jeu équitables à cet égard.
À l’échelle nationale, des régimes de redressement et de résolution sont mis en place pour protéger davantage les contribuables et réduire au minimum les perturbations systémiques au cas où une banque d’importance systémique ferait faillite.
Au Canada, l’application des réformes décidées par le G20 a bien progressé et respecte l’esprit de ces dernières. Le dispositif de Bâle III a été mis en œuvre avant l’échéance prévue, et les travaux liés aux plans de redressement et de résolution concernant les banques d’importance systémique nationale ont été amorcés.
Certains États ont également élaboré une réglementation qui prévoit une séparation délibérée des diverses parties de leur système financier. Par exemple, des pays ont apporté des modifications, comme la règle Vickers au Royaume-Uni et la règle Volcker aux États-Unis, visant à cantonner les activités bancaires de détail intragroupes afin de limiter le financement des activités de banque d’investissement par des dépôts adossés aux filets de sécurité publics.
Chaque pays impose des exigences différentes et, selon nous, il faut éviter que les réformes du système financier finissent par être trop tournées vers le marché intérieur. Dans un monde interdépendant, les actions d’une nation ont une incidence sur les autres. Ainsi, si tous les États agissent dans leur propre intérêt national, au sens étroit du terme, cela peut nuire à l’ensemble des acteurs. La collaboration donne de meilleurs résultats.
Reconnaissance mutuelle
Cela m’amène à parler de la coordination nécessaire des organismes de réglementation. Les réformes du G20 peuvent rendre les flux de capitaux internationaux plus sûrs, mais seulement sous réserve d’une mise en œuvre uniforme des normes internationales et d’une reconnaissance mutuelle des autorités. Si ces deux critères ne sont pas remplis, la réglementation risque d’être incohérente et incomplète, d’entraver les flux de capitaux souhaitables et d’être contournée.
Le Canada s’est gardé d’imposer des réformes structurelles qui sépareraient les activités commerciales des activités de banque d’investissement et a plutôt opté pour une approche fondée sur des principes. Par le passé, les banques canadiennes ont bénéficié de la diversification de leurs secteurs d’activité, et la surveillance centralisée du groupe bancaire par le Bureau du surintendant des institutions financières a été efficace8.
Il reste beaucoup à accomplir à l’échelle internationale. Il n’a pas été facile de convenir de plans permettant de coordonner le redressement et la résolution transfrontières des banques d’importance systémique mondiale, et ce n’est pas en raison du manque d’efforts et de bonne volonté des autorités du pays d’origine et du pays hôte. Un grand pas a été franchi en octobre, lorsque 18 banques d’importance systémique mondiale ont signé un protocole établi par l’International Swaps and Derivatives Association, qui accordera aux autorités davantage de temps pour organiser la résolution ordonnée d’une banque en difficulté. Comme la réussite de ce mécanisme dépend de son adoption généralisée par les participants du marché, le secteur bancaire a aussi une responsabilité à cet égard.
Si des accords multilatéraux s’avèrent impossibles à conclure, des accords bilatéraux pourraient permettre d’atteindre le même objectif, compte tenu du déplacement observé vers les activités bancaires régionales. Éventuellement, des accords bilatéraux couronnés de succès pourraient même servir de modèles à des accords multilatéraux plus ambitieux.
Conclusion
Permettez-moi de conclure. Le système financier international est important pour le Canada. En tant que petite économie ouverte et fortement tributaire du commerce international, nous comptons sur les flux transfrontaliers pour financer les exportations et les investissements. De plus, les banques canadiennes ont continué d’accroître leur présence à l’extérieur du pays dans l’après-crise. Ces cinq dernières années, leurs créances sur l’étranger ont augmenté de 70 %.
Pour ces raisons, le Canada préconise une mise en œuvre uniforme des règles mondiales. Grâce à une réglementation financière plus homogène et à une bonne coopération sur le plan de la surveillance, nous obtiendrons de solides résultats prudentiels, établirons un climat de confiance et réduirons les tensions qui contribuent au cantonnement et à la fragmentation. Bien que des défis subsistent à l’échelle du globe, notamment autour de la résolution des banques internationales, nous continuons de progresser.
Au fil de la mise en œuvre du programme de réformes, nous constaterons une amélioration des flux financiers internationaux. Nous ne retournerons probablement pas au rythme de mondialisation d’avant la crise. Celui-ci était sans doute insoutenable de toute façon. Nous devrions néanmoins nous rapprocher du juste équilibre entre croissance durable et stabilité financière.
Je tiens à remercier Paul Chilcott et Alexandra Lai de l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de cette allocution.