Vers une compréhension raffinée des prix du pétrole et de leur incidence sur l’économie

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Introduction

Bonjour. Je remercie la Madison International Trade Association de m’avoir invité à sa conférence annuelle sur les perspectives. Je suis heureux d’être de retour dans le Midwest américain, une région qui entretient de nombreux liens importants avec le Canada. Votre économie et la nôtre ont beaucoup de points en commun et sont soumises à bon nombre des mêmes forces agissant à l’échelle mondiale.

La baisse marquée des prix du pétrole ces derniers mois est certainement une nouvelle force d’envergure influant aujourd’hui sur l’économie mondiale (Graphique 1). Les prix du pétrole font sentir leurs effets - positifs ou négatifs - sur presque tout le monde. Les produits pétroliers représentent une large part du budget familial et une composante notable des coûts de production pour d’innombrables industries.

Le pétrole est particulièrement important pour nos deux pays. Au Canada, l’extraction de pétrole compte maintenant pour environ 3 % du PIB, et le pétrole brut représente 14 % de nos exportations. Les États-Unis sont toujours le plus grand consommateur de pétrole au monde et, compte tenu de l’avènement de la production de pétrole de schiste, ils sont désormais le plus gros producteur aussi.

Le pétrole est aussi au cœur des relations économiques entre nos deux pays. Le marché américain reçoit la presque totalité du pétrole exporté par le Canada. Nos exportations de pétrole vers les États-Unis ont progressé fortement même si ces derniers ont réduit globalement leur dépendance à l’égard du pétrole importé. Le pétrole canadien constitue ainsi quelque 40 % des importations américaines de pétrole brut, et cette proportion devrait s’accroître dans les années à venir (Graphique 2). Ces échanges commerciaux sont manifestes ici même au Wisconsin, comme en témoignent notamment le terminal du pipeline Alberta Clipper situé à Superior ainsi que la grappe d’industries aux alentours.

Comme je vais l’expliquer, l’expansion rapide de la production de pétrole dans nos deux pays a vraiment changé la donne pour l’industrie pétrolière mondiale.

Les marchés internationaux du pétrole ont été agités ces derniers mois. Dans les prochaines minutes, je décrirai les forces économiques fondamentales en jeu. Je présenterai aussi les incertitudes entourant ces forces et les autres facteurs qui agissent sur les prix du pétrole. Je parlerai ensuite des répercussions des bas prix de l’or noir sur les économies canadienne, américaine et mondiale - qui sont les gagnants et qui sont les perdants?

Le supercycle des produits de base

Ces quinze dernières années, les cours mondiaux du pétrole, et des produits de base en général, ont connu une évolution soutenue à la hausse, que l’on qualifie souvent de « supercycle » (Graphique 3). Cette tendance à long terme s’explique d’abord et avant tout par l’augmentation de la demande de ces produits découlant de la croissance économique rapide en Chine et dans d’autres marchés émergents1.

Difficile d’exagérer l’importance de l’intégration de la Chine, de l’Inde et des autres pays émergents dans l’économie du globe. La Chine à elle seule a vu la taille de son économie doubler entre 2007 et 2013, une expansion alimentée par la production de biens exigeant de l’énergie pour leur fabrication. Grâce à l’amélioration de leur niveau de vie, les ménages chinois ont pu se procurer des voitures et d’autres biens qui consomment de l’énergie. La consommation de pétrole en Chine a également doublé depuis dix ans, pour atteindre quelque dix millions de barils par jour. Le pays se classe ainsi au deuxième rang des consommateurs de pétrole brut au monde.

Cette demande grandissante d’énergie a sans cesse exercé des pressions à la hausse sur les prix du pétrole. Au bout d’un certain temps, l’industrie pétrolière a réagi en intensifiant les activités d’exploration, en exploitant des sources plus coûteuses et en effectuant des percées technologiques notables.

Devant la récente baisse des prix du pétrole, certains commentateurs se sont empressés d’annoncer la fin du supercycle, mais ces forces sous-jacentes ont encore beaucoup de chemin à parcourir (Graphique 4). L’urbanisation et l’industrialisation des économies émergentes ainsi que l’expansion de leur classe moyenne sont loin d’être terminées.

La population urbaine en Chine a augmenté d’environ 300 millions de personnes depuis 2000, mais, même à l’heure actuelle, seulement 55 % des gens vivent dans des régions urbaines, contre plus de 80 % en Amérique du Nord et dans les pays asiatiques avancés comme le Japon et la Corée. Selon certaines estimations, les villes chinoises et indiennes vont accueillir à elles seules dans les vingt prochaines années un demi-milliard de personnes de plus, qui devraient grossir les rangs d’une classe moyenne en pleine croissance. Tant que ces tendances se poursuivront, la demande mondiale de pétrole augmentera.

L’économie mondiale décevante

Même si les forces qui sous-tendent le supercycle des produits de base sont toujours à l’œuvre, la demande de pétrole devrait progresser plus lentement qu’auparavant2. La croissance de l’économie du globe a souvent déçu au lendemain de la crise financière de 2007-2008 (Graphique 5).

Cette évolution décevante s’explique par deux ensembles de facteurs.

Examinons le premier. Les répercussions de la crise financière mondiale ont duré beaucoup plus longtemps et ont été bien plus graves que ne le prévoyaient la plupart des économistes. Même encore maintenant - sept ans plus tard -, la croissance économique mondiale se heurte à d’importants vents contraires. L’endettement des secteurs public et privé dans le monde est à un sommet historique, et il reste encore l’incertitude engendrée par l’amère expérience vécue ces dernières années (Graphique 6).

Or, la croissance économique se redresse à l’échelle du globe, à mesure que la réduction du levier d’endettement progresse et que la confiance revient. Selon les plus récentes projections établies par la Banque du Canada, le taux d’expansion de l’économie mondiale sera de 3 1/2 % cette année et l’an prochain, contre 3 % l’an dernier. La reprise est particulièrement vigoureuse aux États-Unis, où la réaction des pouvoirs publics à la crise financière a été plus rapide, énergique et soutenue que dans les autres grandes économies avancées.

Le deuxième ensemble, constitué de facteurs structurels importants, laisse entrevoir qu’à long terme, la croissance économique mondiale sera plus lente que dans le passé. Ce ralentissement tient notamment aux évolutions démographiques, comme le vieillissement de la population dans les économies avancées et certaines économies émergentes. Un autre facteur déterminant est l’arrivée à maturité de la croissance des pays émergents comme la Chine : il est probablement impossible pour cette dernière de maintenir un taux d’expansion économique à deux chiffres comme ceux observés dans les années 2000. Cependant, on s’attend encore à ce que la croissance de l’économie chinoise se stabilise à un taux enviable de 7 % par année dans un avenir prévisible.

Ces deux ensembles de facteurs donnent à penser que l’expansion de l’économie mondiale sera plus faible qu’avant la crise.

La croissance mondiale décevante et le ralentissement consécutif de la progression de la demande d’énergie expliquent de manière notable les variations récentes des prix du pétrole. Toutefois, à notre avis, l’offre accrue a vraisemblablement joué un rôle bien plus marquant.

Le cycle des prix du porc

On exagère à peine quand on dit qu’avec un baril à cent dollars, le pétrole est partout.

L’industrie pétrolière américaine en est un bon exemple (Graphique 7). La « révolution du pétrole de schiste », en marche depuis six ans, a été absolument phénoménale. En 2008, la production de pétrole de schiste était presque inexistante. Aujourd’hui, ce secteur produit environ 4 millions de barils par jour et, avant la récente baisse des cours, on prévoyait que la production atteindrait près de 4,8 millions de barils par jour en 2020.

On a également observé une forte réaction de l’offre aux prix élevés au Canada. L’exploitation des sables bitumineux a quintuplé entre 1993 et 2014, passant à 2,3 millions de barils par jour; elle représente maintenant plus de 60 % de la production canadienne de pétrole brut. De 2006 à 2013, les investissements dans les sables bitumineux ont plus que doublé pour dépasser 30 milliards de dollars (Graphique 8).

Deux particularités du pétrole non classique influent sur la dynamique du marché. En premier lieu, le coût d’extraction de la majeure partie du nouveau pétrole est relativement élevé.

Le coût d’extraction du pétrole de schiste se situe entre 40 et 80 dollars le baril (selon le site) et celui du pétrole des sables bitumineux davantage entre 60 et 100 dollars le baril (Graphique 9). Bien souvent, il s’agit principalement du coût initial d’investissement et d’exploration et non du coût récurrent de production à partir d’installations existantes. Bien sûr, ces coûts peuvent aussi varier avec le temps, en raison de l’évolution des technologies et des forces de la concurrence.

En second lieu, il faut du temps et, dans certains cas, des investissements considérables pour qu’une nouvelle source d’approvisionnement en pétrole soit exploitable. Lorsque la demande s’est accrue ces dernières années, l’offre n’a pas pu suivre d’emblée. Au lieu de cela, les prix ont grimpé, ce qui a encouragé l’exploration, l’innovation en matière de technologies d’extraction et les investissements dans de nouvelles installations. Au fil du temps, ces activités ont donné lieu à une réponse démesurée de l’offre, ce qui a poussé les prix à la baisse.

Qu’arrive-t-il lorsque les prix chutent? Le recul des prix en deçà du coût de production tout compris, surtout si l’on prévoit leur maintien à ce niveau, décourage la poursuite de l’exploration et des investissements. De fait, au cours des dernières semaines, un certain nombre de pétrolières ont annoncé qu’elles réduisaient leurs investissements. Ce point est important, puisqu’il faut de nouveaux investissements pour contrebalancer le déclin naturel de la production des champs pétroliers existants.

Mais avant de mettre fin réellement à la production existante, le prix devrait avoir baissé beaucoup plus - sous le coût marginal à court terme (Graphique 10). À l’exception de quelques petites entreprises qui pourraient cesser la production plus vite, faute de financement, les producteurs vont vraisemblablement prendre le temps de s’adapter, en particulier s’ils se sont protégés contre les fluctuations de prix. Somme toute, le retour de l’équilibre entre l’offre et la demande peut se faire attendre longtemps, même si les changements technologiques permettraient peut-être à certains fournisseurs d’adapter leur production plus rapidement qu’avant.

Rien de surprenant donc si les prix du pétrole s’établissent au-dessus ou au-dessous de la tendance. Les cycles comme celui-ci sont caractéristiques des marchés où l’offre et la demande sont inélastiques à court terme et où la réponse de l’offre se fait attendre.

De fait, le cycle du pétrole obéit aux mêmes forces fondamentales que celui des prix du porc - cycle que les économistes ont appris à analyser il y a 80 ans environ3. Lorsque les prix du porc sont élevés, les producteurs s’empressent d’accroître leur cheptel. Une fois les porcs parvenus à maturité, les producteurs proposent simultanément cette offre accrue sur le marché, qui arrive alors à saturation. Les prix tombent et les producteurs réduisent leur production. Cette diminution provoque une pénurie. Les prix repartent à la hausse et le cycle recommence.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette analogie? À quel niveau les prix du pétrole se retrouveront-ils et jusqu’où descendront-ils entre-temps?

Premièrement, d’après les perspectives actuelles de croissance économique dans le monde, la demande de pétrole continuera de croître - il faudra vraisemblablement du pétrole coûteux pour y répondre. À moins d’évolutions technologiques majeures ou d’un profond bouleversement des perspectives mondiales, il est peu probable que le niveau actuel des prix du pétrole soit assez élevé pour assurer un équilibre entre l’offre et la demande. Ces orientations concordent avec ce qu’indiquent la courbe des cours à terme et le modèle de la Banque du Canada en matière de prévision des prix du pétrole4.

Certes, il y a une très grande part d’incertitude quant au niveau d’équilibre - parce que non seulement tous les risques pour la croissance mondiale se répercutent sur la demande de pétrole, mais que les nouvelles technologies font baisser sans cesse les coûts (Graphique 11).

Deuxièmement, de forts surajustements des prix, dans l’une ou l’autre direction, peuvent se produire à court terme. Le seul véritable plancher des prix à courte échéance est le coût marginal à court terme, soit le point auquel les producteurs perdraient davantage à continuer d’exploiter les installations existantes qu’à les fermer.

OPEP, géopolitique et financiarisation

Jusqu’à présent, j’ai surtout parlé des facteurs fondamentaux de l’offre et de la demande, qui, selon moi, contribuent grandement à expliquer la récente dégringolade des prix. Cela dit, on retrouve plusieurs autres facteurs d’influence à court terme, qu’il est plus difficile de prévoir. J’aimerais présenter brièvement trois autres aspects de la situation.

Le premier concerne l’évolution de la situation géopolitique. Elle a souvent de fortes répercussions sur les prix du pétrole, parce qu’elle peut influer directement sur l’offre et que la menace de ruptures d’approvisionnement peut également se traduire par une prime de risque sur les prix du pétrole. Citons notamment l’exemple des conflits en Libye et en Iraq dans les premiers mois de 2014. Ils ont entraîné des interruptions temporaires de la production pétrolière libyenne et iraquienne, ce qui a maintenu les prix mondiaux à un niveau élevé malgré la progression de l’offre ailleurs dans le monde. La reprise de la production dans ces deux pays a contribué fortement à l’effondrement des prix au cours de la même année. De toute évidence, ces conflits et d’autres tensions géopolitiques peuvent évoluer radicalement du jour au lendemain et continuent d’être une importante source de risque.

Le deuxième aspect a trait à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui a eu une importante influence sur la dynamique des marchés pétroliers mondiaux. Cette influence pourrait bien changer avec le temps. La chute des prix du pétrole s’est accélérée au début de décembre, du fait de la décision de l’OPEP de garder sa cible de production inchangée malgré le fléchissement des cours. Au lieu de continuer d’agir à titre de « producteurs d’appoint » comme à diverses reprises auparavant, les membres de l’Organisation ont en effet laissé les prix fluctuer, de sorte que la correction de l’offre proviendrait davantage d’autres producteurs. Ce changement de rôle pourrait rendre compte, en partie, de la part déclinante de l’OPEP dans l’ensemble de la production mondiale, part qui se situe à 40 % environ, soit 10 points de pourcentage de moins que dans les années fastes (Graphique 12). Il est trop tôt pour dire si et de quelle manière l’OPEP changera de comportement au fil de la réduction de sa part de marché.

Le troisième aspect est relatif aux liens financiers. En raison de la montée des prix des produits de base au cours des vingt dernières années, la financiarisation des marchés des produits de base a beaucoup attiré l’attention - mentionnons à ce titre la hausse des investissements dans les fonds communs de placement et fonds négociés en bourse axés sur les produits de base, la participation accrue des banques d’investissement mondiales au crédit adossé à des produits de base et à la négociation sur les marchés physiques de matières premières, ainsi que le rôle de premier plan de grands négociants en produits de base5. Ces dernières années, la financiarisation a connu un recul, qui s’explique à la fois par la tendance à la modération des prix des produits de base et par les changements de réglementation. D’après les recherches menées à la Banque du Canada sur leur rôle, les flux d’investissement dans les marchés des produits de base peuvent intensifier ou accélérer la fluctuation des prix, mais ne sont pas eux-mêmes générateurs de tendances6.

Il y a tout de même lieu de se demander si les flux financiers auraient pu accélérer certaines des fluctuations de prix observées. Par exemple, les investisseurs attirés vers le marché pétrolier en raison de la hausse des prix ont-ils été soumis à des appels de marge et finalement décidé de se retirer du marché après avoir essuyé des pertes? À ce stade, les données sur les positions spéculatives dans les marchés pétroliers ne permettent pas de penser que ces incidences expliquent les récentes variations du marché, mais nous ne pouvons exclure qu’elles aient pu soit y contribuer, soit les atténuer. Par ailleurs, nous n’écartons pas la possibilité que les liens financiers puissent transférer au système financier les tensions à l’œuvre sur les marchés pétroliers.

Si l’on rassemble les pièces du puzzle, on peut conclure que des risques pèsent sur les prix courants du pétrole, tant à la hausse qu’à la baisse : des variations non négligeables à court terme, dans l’une ou l’autre direction, sont tout à fait envisageables. Malgré des recherches prometteuses à la Banque sur les prévisions des prix du pétrole, le degré d’incertitude entourant les prévisions, même les plus fiables, est très élevé7. Compte tenu de cette incertitude, les projections économiques de référence de la Banque du Canada partent de l’hypothèse que les prix du pétrole resteront constants tout au long de la période de projection8. Nous mettons à profit les informations tirées de nos modèles et d’autres sources pour comprendre et dégager les risques associés à ces projections de référence.

Répercussions sur l’économie mondiale

Qu’impliquerait une chute des prix du pétrole pour l’économie mondiale? Nous mettons encore la dernière main à nos prévisions pour les économies mondiale et canadienne, que la Banque du Canada rendra publiques la semaine prochaine dans le Rapport sur la politique monétaire. Voici cependant comment nous envisageons la question.

À l’échelle mondiale, le repli des prix du pétrole est avantageux. S’il découle de nouvelles sources d’approvisionnement, il répand les bienfaits d’un choc favorable; s’il résulte en partie d’une croissance à la baisse de la demande, il atténue l’effet d’un choc négatif.

Sans surprise, la baisse des prix du pétrole profite aux consommateurs et nuit aux producteurs. Aux yeux des premiers, une diminution de prix s’apparente à une réduction d’impôt. Les effets positifs se répercuteront sur l’économie de deux manières : premièrement, les consommateurs disposeront d’un revenu disponible accru, qu’ils pourront dépenser en biens et services; deuxièmement, l’abaissement des cours réduira les coûts des intrants et favorisera la production dans des secteurs hors pétrole, surtout les secteurs énergivores.

En tant qu’importateur net, les États-Unis retireront un avantage de la diminution des prix du pétrole. D’après nos prévisions d’octobre, la croissance moyenne de l’économie américaine s’établira à environ 3 % dans les deux prochaines années, et le choc pétrolier positif fait peser sur notre projection un risque supplémentaire à la hausse.

D’autres économies, grandes importatrices nettes de pétrole, comme la Chine, le Japon et l’Europe, verront aussi leur croissance économique s’accélérer.

Toutefois, le fléchissement des prix du pétrole nuit clairement aux économies émergentes exportatrices de pétrole. Certains de ces pays, qui ont tablé sur des prix élevés du pétrole pour équilibrer leur budget, pourraient subir des tensions financières (Graphique 13).

Le recul des prix du pétrole exercera sans nul doute un effet modérateur sur l’inflation globale, mais il s’agira d’un effet temporaire dont les banques centrales devront faire abstraction au moment d’établir leur politique monétaire. Pour autant que les consommateurs et les entreprises comprennent que la diminution des cours du pétrole est une variation ponctuelle, cette baisse ne devrait pas ralentir le rythme de l’inflation sous-jacente.

En Europe et au Japon, qui sont aux prises avec une croissance économique au ralenti et de bas taux d’inflation tendanciels, la situation pourrait poser plus de problèmes. Il existe un risque que la baisse des prix du pétrole puisse amplifier les pressions déflationnistes, voire déclencher une spirale descendante généralisée des prix, mais notre scénario de référence n’en tient pas compte.

Implications pour le Canada

Le Canada, comme d’autres pays, essaie de retrouver son assise économique depuis la crise financière mondiale. Dès le début de la Grande Récession, la Banque du Canada a adopté des mesures importantes de relance monétaire. Pourtant, nous n’avons pas encore une croissance autosuffisante. Pour que celle-ci se matérialise, elle doit être tirée, non plus par la consommation, mais par une hausse des exportations, qui agissent traditionnellement comme le moteur économique du pays.

Des signes d’une généralisation de la reprise se sont manifestés l’an passé. Le renforcement de la croissance de l’économie américaine et l’affaiblissement du dollar canadien ont stimulé les exportations hors énergie. Les dépenses d’investissement et la création d’emplois ont également entamé leur redressement, bien que le marché du travail affiche toujours une marge notable de capacités excédentaires.

Dans ce contexte, nous envisageons des risques importants pour les perspectives économiques du Canada par suite de la chute récente des prix du pétrole et d’autres produits de base. En tant qu’exportateur net de pétrole, le Canada se ressentira de la baisse des cours, qui agira par divers canaux.

L’effet le plus immédiat sera positif, à savoir l’accroissement du revenu disponible et des dépenses des consommateurs. Bien des secteurs, comme celui de la fabrication, retireront aussi un avantage de la baisse des prix du pétrole, en ce qu’elle diminuera leurs coûts de production. Selon les résultats, publiés hier, de notre dernière enquête sur les perspectives des entreprises, un plus grand nombre de firmes, comparativement aux enquêtes précédentes, escomptent un recul des prix de leurs intrants, attribuable en grande partie à la baisse des prix du pétrole et d’autres produits de base en général.

L’incidence positive sur l’économie du globe et le raffermissement consécutif de la croissance seraient en outre avantageux pour le Canada. Une économie mondiale dynamique encouragerait les exportations canadiennes hors énergie, stimulerait la confiance et favoriserait les investissements des entreprises.

Toutefois, ces avantages seront plus que contrebalancés à la longue, car la baisse des revenus dans le secteur pétrolier et la chaîne d’approvisionnement se diffusera par contagion au reste de l’économie. La détérioration des termes de l’échange du Canada entraînera également une perte de richesse pour le pays.

Si elle est appelée à se poursuivre, la réduction des prix découragera fortement les investissements et l’exploration dans le secteur pétrolier. Comme je l’ai fait remarquer précédemment, on en observe déjà les signes.

La baisse des prix du pétrole s’accompagne généralement d’un affaiblissement du huard, ce qui est le cas aujourd’hui. La dépréciation de plus de 10 % du dollar canadien par rapport au dollar américain au cours des six derniers mois permettra de protéger l’économie contre les effets du fléchissement des prix du pétrole.

Malgré les facteurs atténuants déjà évoqués, les bas prix du pétrole risquent, dans l’ensemble, d’être néfastes pour le Canada. Pour évaluer l’ampleur de leur influence globale, il faut analyser avec soin l’interaction entre les différents effets à l’œuvre dans l’économie. C’est ce que nous faisons dans le cadre de la préparation de nos prévisions, qui seront rendues publiques la semaine prochaine.

Du repli des prix du pétrole, la Banque du Canada retire principalement deux choses. Premièrement, nous ferons abstraction des retombées négatives immédiates et transitoires sur l’inflation mesurée par l’IPC global. Deuxièmement, nous porterons une attention particulière aux répercussions d’ensemble de ce repli sur la croissance et au retard avec lequel l’économie pourrait, dans ces conditions, retrouver son niveau de production potentielle. Nous surveillerons de près les conséquences sur le déplacement de la demande, que nous avons commencé à observer.

Conclusion

Permettez-moi de conclure.

Les prix du pétrole ont connu récemment d’impressionnantes fluctuations, mais celles-ci ne sont pas dues au hasard. Grâce à l’examen des différentes forces économiques à l’œuvre, nous comprenons que derrière la récente chute des cours du pétrole se cache un accroissement de l’offre de pétrole non classique sur fond de ralentissement de la croissance de la demande mondiale. Il faudra probablement encore du pétrole plus coûteux pour répondre à la demande mondiale en progression. Cela dit, les prix pourraient diminuer encore ou rester bas pendant longtemps, jusqu’à ce que ces forces à moyen terme agissent effectivement.

Ces évolutions comptent parmi les dynamiques les plus importantes que la Banque du Canada prend en compte lors de l’établissement de la politique monétaire. Nous poursuivrons notre travail pour favoriser le retour de l’économie canadienne à son potentiel et ramener l’inflation à la cible de 2 % de façon durable. Quelle que soit la suite des choses, nous disposons des outils pour intervenir comme il se doit.

  1. 1. D’après les estimations des chercheurs Kilian et Lee, les chocs de demande ont contribué pour environ 60 % à l’augmentation des cours du pétrole durant la période de hausse des prix du baril de 30 à 140 dollars É.-U. Voir L. Kilian et T. K. Lee (2014), « Quantifying the Speculative Component in the Real Price of Oil: The Role of Global Oil Inventories », Journal of International Money and Finance, vol. 42, avril, p. 71-87.[]
  2. 2. Ainsi, depuis juillet 2014, l’Agence internationale de l’énergie a révisé à la baisse, de 0,3 et de 0,8 million de barils par jour, ses estimations concernant la demande mondiale de pétrole pour 2014 et 2015, respectivement.[]
  3. 3. N. Kaldor (1934), « A Classificatory Note on the Determinateness of Equilibrium », The Review of Economic Studies, vol. 1, no 2, p. 122-136.[]
  4. 4. C. Baumeister (2014), « L’art et la science de la prévision du prix réel du pétrole », Revue de la Banque du Canada, printemps, p. 25-34.[]
  5. 5. T. Lane (2012), Le financement des marchés des produits de base, discours prononcé devant la Calgary CFA Society, Calgary (Alberta), 25 septembre.[]
  6. 6. R. Alquist et O. Gervais (2011), The Role of Financial Speculation in Driving the Price of Crude Oil, document d’analyse no 2011-6 de la Banque du Canada.[]
  7. 7. C. Baumeister (2014), op. cit. D’après cet article également, l’hypothèse que les prix resteront inchangés apparaît plus fiable que celle reposant sur la courbe des cours à terme.[]
  8. 8. Banque du Canada (2014), Rapport sur la politique monétaire, avril.[]