Déclaration préliminaire devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce

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Monsieur le Président, distingués membres du Comité, bonjour. J’ai le plaisir de vous présenter Carolyn Wilkins, qui assume la fonction de première sous-gouverneure de la Banque du Canada depuis le 2 mai.

Avant que nous répondions à vos questions, j’aimerais vous exposer les points saillants des perspectives économiques. Je m’appuierai principalement sur le Rapport sur la politique monétaire (RPM) d’octobre, que la Banque a publié la semaine dernière, mais je reviendrai aussi un peu plus loin en arrière, étant donné qu’il s’est écoulé un certain temps depuis notre dernière rencontre. Je vous ferai part de l’évolution de nos réflexions, et j’expliquerai comment le contexte est en train de changer la façon dont les dirigeants de banque centrale mènent la politique monétaire.

La Banque s’attend encore à ce que l’économie mondiale se renforce en 2015 et en 2016. Toutefois, le profil de la prévision a été revu à la baisse depuis juillet. La bonne nouvelle pour le Canada, c’est que l’économie américaine prend de la vigueur, surtout les secteurs bénéfiques pour les exportations canadiennes.

Et nos exportations semblent effectivement réagir, à la faveur d’une aide supplémentaire fournie par un dollar canadien plus faible. Lors de nos échanges avec les exportateurs, ceux-ci nous ont dit entrevoir de meilleures perspectives pour les exportations en s’appuyant sur ce qu’ils constatent sur le terrain.

Cependant, il est clair que notre secteur des exportations est moins robuste que dans les cycles précédents. Le printemps dernier, vous vous le rappelez sans doute, nous avions recensé les sous-secteurs hors énergie qui étaient susceptibles d’alimenter la reprise des exportations et ceux qui ne l’étaient pas.

Depuis, nous avons examiné plus en détail les sous-secteurs qui ont affiché une tenue décevante. Après avoir passé au crible plus de 2 000 catégories de produits, nous avons pu établir que, pour environ le quart d’entre elles, la valeur des exportations avait chuté de plus de 75 % depuis l’année 2000. Si les exportations de ces produits avaient progressé au même rythme que la demande étrangère, les chiffres des exportations auraient été de quelque 30 milliards de dollars supérieurs l’an dernier.

En corrélant ces conclusions avec les reportages des médias, nous avons pu constater que beaucoup de ces sous-secteurs avaient été touchés par des fermetures d’usines ou d’autres restructurations. Autrement dit, ces sous-secteurs ont carrément perdu des capacités. Cette analyse nous aide à comprendre une bonne partie de l’écart observé au chapitre de la tenue des exportations.

Toujours selon nos recherches, il y a encore des capacités excédentaires dans la plupart des secteurs qui devraient alimenter la reprise des exportations hors énergie. D’autre part, d’après notre enquête sur les perspectives des entreprises, les firmes envisagent d’investir en machines et matériel. Toutefois, peu d’entre elles prévoient accroître leur capacité de production, du moins jusqu’à présent. Cela permet d’expliquer pourquoi les dépenses d’investissement pourraient être retardées davantage qu’on s’y attendrait dans un cycle normal.

Ces recherches ont d’importantes implications pour la situation de l’emploi au Canada. Nous savons que lorsque des firmes procèdent à des restructurations ou ferment leurs portes, les pertes d’emploi qui en découlent sont habituellement permanentes. Si les firmes peuvent répondre à la demande accrue d’exportations à l’aide de leurs capacités existantes, l’amélioration connexe de la situation de l’emploi peut être assez modeste. L’accroissement de la production s’expliquerait en grande partie par une hausse de la productivité. Les gains les plus notables sur le plan de l’emploi seront réalisés lorsque nous entrerons dans la phase de reconstruction du cycle, à savoir lorsque les entreprises seront suffisamment confiantes quant à la demande future d’exportations pour commencer à investir dans de nouvelles capacités et à créer de nouveaux emplois.

Ces considérations entrent en ligne de compte dans notre estimation de l’écart de production, c’est-à-dire la différence entre le PIB et le PIB potentiel, qui est un déterminant macroéconomique essentiel des perspectives d’évolution de l’inflation sous-jacente. Lorsqu’une offre excédentaire apparaît au sein de l’économie, l’inflation baisse, et lorsqu’une demande excédentaire apparaît, l’inflation augmente.

Il n’y a pas de mesure privilégiée unique des capacités de l’économie. Traditionnellement, nous accordons le plus d’importance aux mesures fondées sur la production, à savoir le PIB. En octobre de chaque année, nous effectuons une analyse complète des déterminants de la production potentielle et de sa tendance future. C’est ce que nous avons fait dans ce RPM. Mais à l’avenir, nous mettrons à jour cette analyse dans chaque RPM. Cette fois-ci, nous avons aussi ajouté une note technique spéciale sur la dynamique de l’offre excédentaire lors des cycles économiques plus longs comme celui-ci.

La raison pour laquelle tout cela est important, c’est que, lors de tels cycles économiques plus longs, la restructuration ou la fermeture d’entreprises réduisent la production potentielle tout en causant des pertes d’emplois permanentes. Autrement dit, l’écart de production peut sembler plus petit que l’écart du marché du travail, ce qui est le cas actuellement. Cette différence persiste jusqu’après la phase de reconstruction de la reprise dont j’ai parlé plus tôt, et c’est alors que les mesures de la marge de capacités excédentaires finissent par converger.

Selon nous, l’économie présente une offre excédentaire considérable, et la détente monétaire doit être maintenue pour que l’écart se résorbe et que l’inflation se situe à la cible de façon durable. Mais nous tenons compte de l’incertitude entourant la marge de capacités excédentaires en examinant toute une gamme d’estimations possibles de celle-ci dans le cadre de nos délibérations.

Une autre composante fondamentale de notre cadre de politique monétaire est le taux d’intérêt neutre. Le taux neutre est le taux d’intérêt qui devrait émerger une fois toute la poussière retombée, c’est-à-dire lorsque l’inflation est à la cible, que l’économie tourne à plein régime et que tous les chocs se sont résorbés. Carolyn en a traité dans un important discours qu’elle a prononcé le mois dernier. Nous avons aussi publié un document d’analyse sur le sujet dans notre site Web et inclus un encadré dans cette livraison du RPM. Le taux d’intérêt neutre est lui aussi entaché d’incertitude. Nous estimons qu’il s’établit actuellement entre 3 et 4 %, ce qui est bien en deçà de son niveau d’avant la crise. Mais comme la différence entre le taux en vigueur et le taux neutre constitue notre meilleure estimation de la détente monétaire, il est également essentiel de comprendre les risques en présence.

Après avoir soupesé ces facteurs, nous jugeons qu’à l’heure actuelle les risques entourant l’atteinte de notre objectif en matière d’inflation dans une période raisonnable sont relativement équilibrés. En conséquence, nous croyons que le degré actuel de détente monétaire reste approprié.

De la même façon que notre analyse des forces économiques a évolué au fil des événements, la manière dont nous menons la politique monétaire s’adapte aujourd’hui en temps réel à l’environnement en pleine mutation. L’accent est maintenant mis en particulier sur l’intégration de l’incertitude dans le processus décisionnel. Nous avons publié un document d’analyse sur le sujet plus tôt ce mois-ci.

Nous avons commencé à présenter nos prévisions de croissance et d’inflation sous forme de fourchettes plutôt que de points. Nous avons aussi accordé une importance encore plus grande à l’incertitude et aux risques dans le RPM. Nous avons affiné notre analyse des risques planant sur la stabilité financière et accru la visibilité de la Revue du système financier. De plus, nous offrons maintenant une description plus détaillée de l’importance de ces risques dans nos discussions sur la politique à mener, notamment dans la déclaration préliminaire qui précède nos conférences de presse. Ces changements ont rendu notre prise de décisions plus transparente, et le message de la Banque ne repose plus sur une mécanique de précision, comme c’était perçu dans le passé, mais plutôt sur ce qu’on appelle maintenant la gestion des risques.

L’un des puissants outils de gestion des risques à la disposition des décideurs publics est la communication d’indications prospectives, qui offre aux marchés une plus grande certitude à propos de la trajectoire future des taux d’intérêt. L’incertitude est ainsi retirée du marché et placée fermement sur les épaules de la banque centrale. L’utilisation de cet outil comporte des coûts en plus de ses avantages, et c’est pourquoi nous avons décidé de le réserver pour les moments où nous pensons qu’il sera clairement avantageux d’en faire usage, c’est-à-dire en périodes de tensions sur les marchés, lorsque le recours aux instruments de politique monétaire traditionnels est limité, et ainsi de suite. Autrement, nous laisserons les marchés faire leur travail, lequel consiste à traiter le flux quotidien de nouvelles données et à en déduire les nouveaux prix, sans indication précise de la Banque quant aux taux d’intérêt, mais en bénéficiant de la transparence accrue au sujet de nos prévisions d’inflation et des risques que nous gérons.

Sur ce, Carolyn et moi serons heureux de répondre à vos questions.