Le financement des marchés des produits de base

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Introduction

Bonjour. Je tiens tout d’abord à remercier la Calgary CFA Society de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. J’aimerais profiter de cette occasion pour vous présenter quelques réflexions sur le rôle du système financier dans le secteur primaire de notre économie, autrement dit le secteur des ressources naturelles. J’insisterai particulièrement sur l’évolution des relations entre le système financier et les marchés des produits de base.

Les ressources naturelles revêtent une importance capitale pour l’économie et le système financier du Canada, ce dont nous avons la preuve la plus éclatante ici même, à Calgary. La croissance économique récente de cette ville - et du pays - tient en effet dans une grande mesure à l’exploitation de ces ressources. Les industries du secteur primaire, entre autres l’agriculture, la foresterie et l’extraction minière, pétrolière et gazière, ainsi que les industries connexes, représentent un pan essentiel de l’économie canadienne, soit environ un cinquième du produit intérieur brut du pays 1. Cette part est à peu près deux fois supérieure à ce qu’elle est aux États-Unis et elle est plus élevée comparativement à la plupart des autres économies avancées 2. Les ressources naturelles jouent un rôle encore plus important dans les échanges internationaux au Canada, puisqu’elles constituent grosso modo la moitié de ses exportations.

Nous avons donc tout intérêt à veiller à ce que ces ressources soient exploitées de manière judicieuse et durable, afin que tous les Canadiens puissent en profiter. Or, cela nécessite plusieurs éléments : un environnement de politiques publiques approprié, des marchés du travail flexibles et un réseau de transport fiable. Cela demande aussi un système financier solide et efficient, qui réponde aux besoins d’une économie axée sur le secteur primaire.

Le système financier est lié essentiellement de deux façons à l’exploitation des ressources naturelles.

Premièrement, il canalise le financement nécessaire à cette exploitation. En l’occurrence, les ressources naturelles sont très fortement représentées sur les marchés canadiens des actions : les entreprises d’exploitation de ressources naturelles du monde entier choisissent souvent comme place de cotation primaire la Bourse de croissance TSX, et la Bourse de Toronto est même parfois surnommée la bourse minière mondiale. Les prêts bancaires et d’autres flux de financement jouent aussi un rôle important, et, d’une manière ou d’une autre, cela concerne directement beaucoup d’entre vous.

Deuxièmement, le système financier est lié aux marchés des produits de base. J’entends par là le réseau complexe de marchés mondiaux dans lesquels les produits de base sont échangés, les prix sont établis, et les producteurs et utilisateurs finaux cherchent à se protéger contre la fluctuation de ces prix. Ces marchés sont essentiels pour les producteurs canadiens, car ils déterminent la rentabilité de leur production, tout comme les risques qui pèsent sur eux.

Dans mon discours aujourd’hui, je m’intéresserai surtout à ce second aspect, soit les marchés des produits de base et leurs interactions avec le système financier, en ayant pour fil conducteur les principales tendances liées à l’innovation financière, à la réduction des leviers d’endettement et à la réglementation.

Des marchés des produits de base complexes et d’envergure mondiale

Les marchés des produits de base sont complexes, et ce, sur plusieurs plans. Il y a des opérations au comptant et des opérations à terme, ainsi que d’autres opérations sur produits dérivés, telles les options. Il y a des bourses organisées et des marchés de gré à gré. Il y a des aspects financiers et des aspects physiques. Les transactions ont lieu à de multiples endroits différents et concernent un grand nombre de produits de base et de qualités de ces produits. En outre, il y a une multitude d’acteurs : les producteurs, les utilisateurs finaux, les grands négociants en produits de base, les unités de négoce de produits de base des grandes banques d’investissement mondiales, des fonds négociés en bourse (FNB), divers investisseurs institutionnels et individuels, et, dans certains cas, des organismes gouvernementaux.

En quoi ces marchés sont-ils mondiaux? L’arbitrage est le ciment qui unit des marchés séparés par la distance et le temps, de même que les marchés de produits différents mais apparentés. Les arbitragistes tirent profit des écarts de prix, en achetant au plus bas et en revendant à un prix supérieur, et font donc converger ces prix. Ils peuvent aussi profiter des écarts entre les marchés (physiques) de produits de base et les marchés de produits financiers connexes, ce qui a également tendance à rapprocher ces prix d’un marché à l’autre. Différent teneurs de marché possèdent des stocks et sont prêts à acheter ou vendre des produits de base, en mettant en relation les fournisseurs et les utilisateurs finaux. Ces activités d’arbitrage et de tenue de marché sont souvent le fait des mêmes entreprises et sont difficiles à distinguer.

Naturellement, il y a des limites à la convergence des prix des produits de base sur les marchés mondiaux. L’évolution récente des prix du pétrole en est un exemple particulièrement éloquent. Le brut de l’Ouest canadien s’est vu affecter une décote aussi forte que fluctuante comparativement au cours mondial du brut de référence 3. Cette décote tient à la fois aux insuffisances de notre réseau de transport et à des différences de qualité du brut. Dernièrement, les producteurs de brut lourd de l’Ouest canadien ont ainsi été forcés de vendre leur production jusqu’à 54 $ de moins le baril que le cours mondial, tandis que les consommateurs de l’Est du pays, eux, continuaient de payer le prix de référence. Cette situation illustre bien le fait que lorsque les prix divergent d’un segment à l’autre du marché mondial des produits de base, les Canadiens ne profitent pas forcément de tous les avantages que pourraient leur offrir leurs ressources naturelles.

Les prix des produits de base

J’ai souligné à quel point l’arbitrage et la tenue de marché sont essentiels pour relier entre eux les marchés mondiaux des produits de base. Ces activités contribuent de manière importante à la liquidité de ces marchés et, lorsque tout se passe comme il se doit, elles aident aussi à faire concorder les prix des produits de base avec les facteurs fondamentaux de l’offre et de la demande - et je n’entends pas simplement par là l’offre et la demande actuelles mais aussi les attentes des différents acteurs quant à leur évolution future. Il y a des signes manifestes que les variations générales des prix des produits de base sur de longues périodes reflètent bien ces facteurs fondamentaux à l’échelle mondiale.

À partir des années 1990, la croissance robuste et gourmande en ressources naturelles des économies de marché émergentes a créé un supercycle des produits de base. La population des villes en Chine et en Inde a augmenté de quelque 500 millions d’habitants depuis 1990. Parallèlement, la classe moyenne dans le monde s’est renforcée tous les ans de 70 millions de nouveaux membres. On estime généralement que ces tendances vont se poursuivre et qu’elles auront de profondes conséquences sur une vaste gamme de produits de base 4.

Il y a eu bien sûr des variations importantes de cette tendance à la hausse des cours des produits de base. En fait, ces prix ont en moyenne reculé au cours de la dernière année, sous l’effet du ralentissement de la croissance des économies de marché émergentes. Néanmoins, les prix des produits de base restent globalement encore supérieurs d’environ 25 % à leurs moyennes historiques, en termes réels. En particulier, les prix réels de l’énergie et des métaux dépassent nettement leurs moyennes de long terme depuis plus de sept ans, et le niveau des prix réels des aliments n’a jamais été aussi élevé en 35 ans (Graphique 1).

Le financement du commerce des produits de base

J’ai souligné le rôle que jouent les marchés des produits de base - en particulier les activités de tenue de marché et d’arbitrage - en reliant les marchés mondiaux entre eux et en faisant concorder les prix avec les facteurs fondamentaux. Or, ces activités nécessitent inévitablement un financement, dont la forme a changé considérablement au cours des deux dernières décennies.

Je voudrais discuter à présent de la façon dont ce financement a évolué et des conséquences pour les marchés des produits de base et le système financier. Deux tendances se sont dessinées, qui se compensent mutuellement : d’une part, on a assisté à un renforcement des liens entre le système financier et les marchés des produits de base pendant la dizaine d’années qui a précédé la crise financière mondiale de 2008, et, d’autre part, il y a eu depuis cette crise un mouvement de repli et de restructuration. J’aborderai maintenant chacune de ces tendances.

Parmi les éléments centraux concernant le financement des marchés des produits de base dans la période précédant la crise de 2008, on relève la participation croissante des grandes banques d’investissement mondiales. Grâce à leur accès aux marchés de financement de gros, qui leur procurait un financement moins coûteux que celui offert aux autres participants des marchés des produits de base, les grandes banques se sont taillé une place de plus en plus importante dans de nombreuses activités liées à ces produits. On leur doit notamment une grande part des prêts octroyés aux courtiers en produits de base. Ces banques en sont aussi venues à assumer elles-mêmes un rôle essentiel à titre de courtiers sur les marchés de produits dérivés de gré à gré visant les produits de base. Depuis récemment, elles s’engagent même de plus en plus dans le commerce des produits de base proprement dits, en détenant des stocks de ces produits, en tenant des marchés de ce secteur, voire en créant des chaînes d’approvisionnement, services de transport et d’entreposage compris.

Parallèlement, les négociants en produits de base actifs sur les marchés mondiaux ont aussi pris une place de plus en plus importante. Ces sociétés détiennent des stocks de ces produits, les entreposent pendant un certain temps, les acheminent aux quatre coins du globe, et assurent la tenue des marchés tant des produits de base eux-mêmes que des produits dérivés connexes. En grandissant, ces sociétés ont joué un rôle majeur en facilitant le commerce des produits de base. Même si ce ne sont pas des institutions financières, elles doivent aussi mobiliser des fonds conséquents. Traditionnellement, ce financement prenait surtout la forme de crédits bancaires consortiaux garantis par les stocks de produits de base des négociants emprunteurs, mais depuis peu, ce mode de financement a changé pour un autre, que je décrirai bientôt.

En sus du rôle croissant assumé par ces grandes sociétés, il convient d’évoquer la tendance à la financiarisation des marchés des produits de base. Les investisseurs - aussi bien particuliers qu’institutionnels, comme les fonds de pension et les fonds spéculatifs - ont redoublé d’intérêt pour les produits de base (Graphique 2). Cette tendance peut s’expliquer par une combinaison de facteurs. Dans une certaine mesure, les investisseurs ont pu aspirer à des rendements plus élevés, associés au supercycle des produits de base. Ils ont aussi pu chercher à diversifier leurs portefeuilles en y intégrant une catégorie d’actifs distincte.

Quelle qu’en soit la raison, ce nouveau penchant des investisseurs pour les produits de base a été soutenu par des innovations financières - en particulier, par l’avènement des fonds indiciels et, ensuite, par celui de tout un éventail de fonds négociés en bourse (Graphique 3). Plus récemment, la négociation à haute fréquence a été adoptée par les marchés des produits de base, comme auparavant par les marchés financiers. Ensemble, ces changements ont contribué à faire des produits de base des actifs financiers de plus en plus liquides, et accessibles à un plus grand nombre d’investisseurs. Et l’engouement nouveau des fonds d’investissement pour ces produits a, à son tour, favorisé un regain d’innovations.

Il n’y a aucune preuve concluante que cette tendance à une plus grande financiarisation constitue un déterminant notable du niveau global des cours des produits de base au Canada. Comme je l’ai mentionné, on dispose plutôt d’un faisceau d’indices tendant à démontrer que les prix des produits de base continuent d’être dictés par les facteurs fondamentaux, en particulier la hausse de la demande en provenance des économies de marché émergentes. Les études - y compris des recherches entreprises par la Banque du Canada - qui se sont intéressées au lien éventuel entre les prix pratiqués et le volume des activités financières sur les marchés des produits de base ont montré qu’il est difficile d’établir un tel lien 5.

Il est possible que, dans des circonstances particulières, les forces financières aient pu amplifier des mouvements des prix qui tenaient principalement à d’autres facteurs et aient ainsi contribué à leur volatilité, par exemple, en exacerbant les bonds des cours du pétrole. À l’inverse, certains affirment que la financiarisation a accru l’efficience des marchés des produits de base. En fait, il n’y a pas de lien évident qui se dégagerait dans un sens comme dans l’autre, et on se demande toujours si les forces financières ont, dans l’ensemble, accentué ou tempéré la volatilité des prix des produits de base 6.

Il semble cependant que la financiarisation se soit accompagnée d’un resserrement des liens entre les marchés financiers et ceux des produits de base. C’est ce que donne à penser notamment la corrélation accrue observée entre les variations à court terme des prix de ces produits et de ceux d’autres actifs risqués, comme les indices des cours des actions et les devises (Graphique 4). Il ne fait aucun doute que cela tient pour une part aux facteurs macroéconomiques qui déterminent généralement les prix de nombre de ces actifs - en particulier, les changements de perspectives des marchés à l’égard de la croissance mondiale. Mais il est également plausible que ces variations soient en partie causées par l’évolution des perceptions des investisseurs à l’égard des risques et, dans certains cas, par des changements dans la disponibilité de financement liquide pour leurs positions. (On notera l’ironie de voir la corrélation grandissante entre les prix des produits de base et ceux d’autres actifs, comme les actions, réduire les avantages que recherchaient au départ les investisseurs en diversifiant leurs placements dans ces produits.)

Faits nouveaux au lendemain de la crise

J’ai décrit comment les liens entre le système financier et les marchés des produits de base se sont renforcés au cours des deux dernières décennies précédant la crise financière mondiale qui a culminé en 2008. Cependant, dans la foulée de la crise, le système financier mondial a subi une profonde transformation, qui a entraîné d’autres mutations importantes dans le financement des transactions sur produits de base.

La réduction des leviers d’endettement est la tendance la plus marquante au sein du système financier mondial depuis la crise - tendance qui devrait se poursuivre encore un certain temps 7. Particulièrement prononcée aux États-Unis et en Europe, elle est en partie motivée par la nécessité pour les institutions financières de redresser leur bilan à la suite des pertes qu’elles ont essuyées durant la crise et la récession planétaire qui l’a accompagnée. Cette tendance a également pour cause le resserrement de la réglementation financière, qui vise à rendre le système plus résilient afin de prévenir une nouvelle crise. Ainsi, conformément au dispositif de Bâle III, le niveau minimal de fonds propres que doivent détenir les banques a approximativement quintuplé, et des niveaux encore plus élevés sont prévus pour les établissements les plus gros et les plus complexes 8. Enfin, la réduction des leviers d’endettement reflète la contraction du système bancaire parallèle, soit un réseau complexe mettant en jeu des produits titrisés, des institutions financières non bancaires, des marchés de financement et d’autres marchés qui ont favorisé un fort effet de levier dans certains pays au cours des années qui ont précédé la crise.

Globalement, cette diminution des leviers d’endettement apporte une correction bien accueillie - par les institutions financières comme par les autorités de réglementation - à la dette excessive qui s’était accumulée au sein du système financier mondial avant la crise. Une fois achevée, la réduction devrait donner naissance à un système financier mondial plus résilient. Toutefois, le processus est lent et pénible, et il a des répercussions généralisées sur le système financier et l’économie partout dans le monde. En effet, la réduction des leviers d’endettement des institutions financières ainsi que des ménages et des gouvernements est la principale force qui maintient l’économie mondiale sur sa trajectoire actuelle d’une croissance graduelle et déséquilibrée.

En quoi les transactions sur produits de base ont-elles été touchées?

Les banques ont amorcé un retrait de la sphère des produits de base, tant pour ce qui est des prêts accordés aux négociants du secteur que pour leurs propres activités de tenue de marché et leurs opérations pour compte propre. Il y a encore peu de temps, les banques européennes finançaient jusqu’à 80 % des transactions sur produits de base effectuées à l’échelle mondiale. Mais, forcées d’assainir leur bilan, ces institutions ont réduit leurs activités de prêt, ramenant leur part à environ 50 %. Des banques américaines et asiatiques (mais aussi du Moyen-Orient) ont dans une certaine mesure colmaté la brèche, en élargissant leur part du financement destiné aux négociants en produits de base. Toutefois, dans le climat actuel, ce financement est plus restreint et son coût a augmenté. Pour les banques qui font affaire aux États-Unis, l’incidence anticipée de l’application de la loi Dodd-Frank sur leurs opérations de négociation sur les produits de base constitue une autre raison importante de limiter ces opérations.

Les banques ne participent plus autant aux opérations sur produits de base (y compris les produits dérivés), et certaines d’entre elles ont même complètement quitté le secteur. On note par ailleurs un recul marqué des actifs liés aux produits de base gérés par les banques. Celles-ci ayant restreint leurs activités de prêt dans le secteur, elles ont aussi réduit leurs unités de négoce de produits de base, par exemple, en diminuant les primes et la rémunération de leurs spécialistes dans le domaine. Certaines banques ont cependant maintenu ou même élargi leurs activités dans le volet physique, augmentant leurs stocks de produits et leurs investissements dans la chaîne d’approvisionnement - activités qui, traditionnellement, relèvent plutôt des négociants eux-mêmes.

Récemment, les investisseurs sont aussi devenus plus circonspects et ont réduit leur exposition aux produits de base. Les actifs sous gestion liés à ces produits ont connu un déclin, ce qui a restreint un autre flux de financement destiné aux transactions sur ces produits (Graphique 5).

Alors que les banques limitaient leur participation aux marchés des produits de base, les négociants ont pris de l’importance et modifié leurs modèles de financement. Certains ont commencé à faire appel aux marchés de capitaux. Les ventes d’obligations de catégorie investissement par ces sociétés ont augmenté de 90 % par rapport à l’an dernier, et on estime que les ventes d’obligations à haut risque liées aux produits de base ont crû de 40 % depuis le début de l’année.

Comme, de plus en plus, les négociants en produits de base s’autofinancent directement à même les marchés de capitaux, ils ont plus souvent recours à des outils de financement novateurs. Certains utilisent des structures hybrides ou convertibles et, comme c’est le cas particulièrement en Asie, s’appuient plus largement sur le financement garanti. En Europe, certaines banques se servent de l’assurance crédit commercial structuré comme moyen de réduire leur levier d’endettement tout en poursuivant leurs activités de négoce sur les produits de base dans les marchés émergents 9.

Une autre évolution qui reflète en partie ces changements des conditions de financement est la vague de fusions et acquisitions qui a déferlé dans le secteur du commerce des produits de base. La logique de ces opérations consiste dans bien des cas à réunir les négociants et les producteurs. Ce modèle économique n’est certes pas nouveau (les grandes compagnies pétrolières mènent leurs propres opérations de négoce depuis de nombreuses années), mais il représente une option de plus en plus intéressante dans le climat actuel de diminution du financement bancaire dans le secteur.

Quelles sont les conséquences possibles?

Je vous ai donné un bref aperçu de l’évolution des tendances qui caractérisent le financement des marchés des produits de base. Mais en quoi cette évolution est-elle importante pour l’économie mondiale, en particulier pour le Canada? J’aimerais à présent aborder rapidement trois séries de problèmes.

Premièrement, cette situation pourrait avoir des répercussions sur la formation des prix. Comme je l’ai souligné, les tendances générales des prix des produits de base sont déterminées par les facteurs fondamentaux de l’offre et de la demande - notamment la croissance à long terme de la demande dans les économies émergentes d’Asie. Mais le fonctionnement des marchés où se négocient ces produits peut influer sur leurs prix de plusieurs manières. Tout d’abord, les flux de financement nécessaires aux activités de négociation des produits de base peuvent avoir une incidence sur la liquidité et l’efficience de ces marchés et, par conséquent, sur la mesure dans laquelle les prix sont fonction de ces facteurs fondamentaux. La financiarisation des marchés des produits de base peut également agir sur le degré de volatilité à court terme des marchés. Bien qu’il soit trop tôt pour mesurer les répercussions des récents changements que je viens de décrire, nous devons surveiller la suite des choses.

Un second groupe de problèmes a trait au risque systémique. Ainsi, les grands négociants ainsi que les unités de négoce de produits de base de certaines grandes banques prennent une place de plus en plus prépondérante sur plusieurs marchés des produits de base. Certaines de ces institutions pourraient de ce fait acquérir une importance systémique. La crise financière de 2008 a fait ressortir la nécessité d’établir l’importance à l’échelle du système des institutions qui jouent un rôle central sur certains marchés financiers; nous devons aujourd’hui nous poser les mêmes questions au sujet des établissements qui ont des liens d’interdépendance avec divers marchés des produits de base. Je pense à deux questions d’ordre général : la défaillance d’un des grands négociants du secteur pourrait-elle entraîner de graves perturbations au sein des marchés des produits de base pour lesquels il assumerait une fonction de tenue de marché? Par ailleurs, les pertes essuyées par un négociant en raison de positions qu’il aurait prises sur des produits de base pourraient-elles avoir des effets négatifs marqués sur le système financier? Nous sommes loin de pouvoir répondre à ces questions, mais elles doivent être examinées.

Troisièmement, les activités de négoce sur produits de base pourraient éventuellement constituer un lien important entre le système financier et l’économie réelle. Compte tenu de la financiarisation du secteur primaire, il est possible que les tensions au sein du système financier se répercutent sur les marchés des produits de base. Ces marchés pourraient à leur tour exercer une influence considérable sur les perspectives économiques d’un pays riche en ressources naturelles, comme le Canada. De plus, les fluctuations des prix des produits de base pourraient être une source de risque pour les institutions financières qui canalisent des fonds vers les activités de négociation de ces produits. Il se peut que la récente tendance à la réduction des leviers d’endettement restreigne en fait les liens entre le système financier et les marchés des produits de base, mais il nous faudra du temps pour mesurer cette évolution.

Conclusion

Permettez-moi de conclure.

Un système financier solide et efficient, au Canada comme dans le reste du monde, est essentiel pour que les ressources naturelles soient exploitées de manière à ce que tous les Canadiens puissent en profiter.

Comme je l’ai indiqué, les liens entre le système financier et les marchés des produits de base se sont resserrés au cours des deux dernières décennies. Cependant, au lendemain de la crise financière mondiale, on observe de nouvelles tendances, qui sont associées au mouvement général de réduction des leviers d’endettement parmi les institutions financières. Le niveau global des prix des produits de base est tributaire de l’offre et de la demande, et en particulier de la demande croissante en provenance des économies de marché émergentes. Mais la financiarisation pourrait avoir d’importantes incidences sur la volatilité à court terme des cours des produits de base et sur leur évolution parallèle à celle des prix d’autres actifs financiers; sur le risque systémique; sur les canaux par lesquels des tensions au sein du système financier peuvent se transmettre à l’économie réelle et vice versa.

Étant donné l’importance des produits de base pour l’économie canadienne, la Banque du Canada suit de près ces évolutions, dans le but de préserver le bien-être économique de tous les Canadiens.

  1. 1. Le secteur primaire comprend notamment : l’agriculture, la foresterie, la pêche et la chasse; l’extraction minière et l’extraction de pétrole et de gaz; les produits du bois; la fabrication du papier; l’impression et les activités connexes de soutien; les produits du pétrole et du charbon; les produits chimiques non pharmaceutiques; les produits minéraux non métalliques; la première transformation des métaux et la fabrication des produits métalliques; les services d’utilité publique.[]
  2. 2. J. Murray, L’évolution des cours des produits de base à court et à long terme. Discours prononcé devant la Johnson-Shoyama Graduate School of Public Policy, à Regina (Saskatchewan), le 10 février 2011.[]
  3. 3. Le cours mondial du pétrole correspond au prix du Brent.[]
  4. 4. M. Carney, Le mal hollandais. Discours prononcé à la Table ronde de Spruce Meadows à Calgary (Alberta), le 7 septembre 2012.[]
  5. 5. R. Alquist et O. Gervais (2011). The Role of Financial Speculation in Driving the Price of Crude Oil, document d’analyse no 2011-6, Banque du Canada. Voir aussi le Rapport du groupe de travail du G20 sur les produits de base présidé par M. Hiroshi Nakaso. Groupes d’experts sur le financement du commerce (novembre 2011).[]
  6. 6. Un rapport de l’OICV appelait également à accroître la transparence des marchés des produits de base, notamment dans le but de réduire le risque de manipulation de marché. Voir le rapport du groupe de travail sur les marchés des contrats à terme sur les produits de base (Task Force on Commodity Futures Markets - Report to the G-20), publié par le Comité technique de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (mars 2009).[]
  7. 7. M. Carney, La croissance en période de réduction des leviers d’endettement. Discours prononcé devant l’Empire Club of Canada et le Canadian Club of Toronto, à Toronto (Ontario), le 12 décembre 2011.[]
  8. 8. T. Macklem, Bâtir l’infrastructure de la réforme. Discours prononcé devant le Rotman Institute for International Business à Toronto (Ontario), le 7 février 2012.[]
  9. 9. De nombreux pays européens autorisent les banques à inclure ce type d’assurance dans leurs fonds propres réglementaires selon les règles de Bâle III.[]