Renforcer l’infrastructure financière : la nouvelle contrepartie centrale canadienne
Je suis très heureuse de prendre la parole devant l’Association des femmes en finance du Québec.
Tout le monde ici est bien conscient que nous traversons à nouveau une période de grande turbulence financière. L’actuel épisode vient rappeler – si besoin était – pourquoi il est si important d’avoir un système financier résilient.
Aujourd’hui, je vais vous parler brièvement des risques qui pèsent à l’heure actuelle sur le système financier canadien. Mais surtout, je veux vous parler d’un progrès très important accompli récemment afin de rendre notre système financier plus apte à résister aux chocs.
Il s’agit du nouveau service de contrepartie centrale pour les opérations de pension (ou les « repos ») qui a vu le jour le 21 février dernier. Ce service, qui est exploité par la Corporation canadienne de compensation de produits dérivés (la CDCC) ici à Montréal, est une initiative clé visant à améliorer l’infrastructure des marchés de financement essentiels canadiens.
On se rappellera qu’en 2008, nos marchés de financement à court terme, comme ceux de plusieurs autres pays, ont été durement secoués. Ces marchés ne sont pas à l’abri de nouvelles turbulences, d’où l’importance des mesures prises pour accroître leur résilience.
La CDCC a travaillé étroitement avec l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières, les participants du milieu financier, la Banque du Canada et les autres autorités de réglementation à la mise en place de cette nouvelle contrepartie centrale.
Le travail n’est cependant pas terminé. J’espère qu’à la fin de mes remarques vous comprendrez pourquoi il est crucial de poursuivre nos efforts et de passer aux prochaines étapes de mise en œuvre, qui consistent à augmenter le volume des transactions qui sont réglées par la chambre de compensation et le nombre de participants qui y ont accès.
Les risques présentés dans la Revue du système financier
Mais parlons tout d’abord des risques. La Banque du Canada publie aujourd’hui la dernière livraison de la Revue du système financier, dans laquelle elle analyse les principaux risques entourant le système financier du pays.
Je ne vous apprendrai probablement rien en vous disant que les risques demeurent élevés.
Après une période d’accalmie plus tôt cette année, les conditions financières à l’échelle mondiale se sont nettement détériorées, alors que la crise de la dette en Europe s’est intensifiée. Les marchés doutent de la capacité et de la volonté des responsables politiques de s’attaquer au rétablissement des finances publiques, à l’insuffisance des fonds propres de certaines banques de la zone euro et aux déséquilibres sous-jacents des balances des paiements entre pays de la région. Si ces problèmes ne sont pas résolus de manière ordonnée, les effets de contagion qu’ils auront sur les conditions financières mondiales pourraient être considérables.
Bien qu’ils soient moins aigus qu’en Europe, les risques associés aux dettes souveraines touchent aussi d’autres régions. Aux États-Unis notamment, le spectre du précipice budgétaire plane sur les perspectives de croissance.
De façon plus générale, l’insuffisance de la demande mondiale, qui tient en partie aux déséquilibres internationaux des comptes courants, continue de représenter une importante source de risque.
Par ailleurs, le maintien de bas taux d’intérêt sur une période prolongée dans plusieurs économies avancées peut encourager une prise de risque excessive.
Ici, au Canada, l’endettement élevé des ménages et une correction possible du marché du logement sont les principaux risques internes qui pèsent sur le système financier. Le contexte extérieur fragile accroît d’ailleurs la probabilité d’un choc négatif sur le revenu ou la richesse des ménages canadiens.
Jusqu’à présent, la crise en Europe a eu un effet limité sur notre système financier. Ainsi, les marchés canadiens sont demeurés relativement stables et nos banques continuent d’avoir un bon accès aux marchés de financement de gros. Néanmoins, une dégradation de la situation pourrait avoir un impact considérable au Canada, par la voie des échanges commerciaux, de la confiance et des liens financiers.
Bien que notre système financier soit solide, il est important de prendre des mesures pour accroître encore davantage sa capacité d’absorber les chocs. La création de la contrepartie centrale pour le marché des pensions constitue un de nos moyens de défense.
Permettez-moi maintenant de traiter du rôle crucial du marché des pensions au Canada.
Le marché des pensions
Une opération de pension consiste à céder un titre tout en s’engageant à le racheter à une date ultérieure au prix original majoré de l’intérêt. En termes économiques, c’est l’équivalent d’un prêt garanti.
Les courtiers en valeurs mobilières et les banques trouvent dans le marché des pensions à la fois une source peu coûteuse de financement garanti et un moyen de financer des positions longues et de couvrir des positions courtes sur des titres découlant des ventes. Ces activités permettent aux teneurs de marché de produire de la liquidité pour l’ensemble du système financier et de préserver la liquidité des marchés secondaires. D’autres institutions, comme les compagnies d’assurance et les caisses de retraite, utilisent le marché des pensions pour gérer leurs encaisses.
Par ailleurs, le taux de roulement sur ce marché est important, étant donné la très grande proportion des opérations de pension effectuées à court terme. Ces opérations constituent une marge immédiate d’ajustement de la structure de financement des institutions financières.
Pour vous donner un ordre de grandeur, au 30 mars 2012, les banques canadiennes avaient pris en pension des titres d’un montant global de 90 milliards de dollars canadiens (soit 5 % de leurs actifs en dollars canadiens). Les titres du gouvernement du Canada servaient de garanties sous-jacentes dans presque 70 % des transactions. Ainsi, le marché des pensions vient appuyer le fonctionnement de très importants marchés au comptant.
En somme, le marché des pensions est un marché de financement essentiel au Canada parce qu’il représente une source de financement majeure pour les institutions financières. De plus, il n’existe aucun substitut immédiat pour ce marché. Donc, s’il cesse de fonctionner, il est probable que l’on assiste à un phénomène de contagion 1. De là l’importance de tout mettre en œuvre pour s’assurer qu’il demeure constamment ouvert.
Les risques mis en lumière par la crise
Pendant la crise financière de 2007-2008, la faiblesse des infrastructures dans certains marchés financiers – bien que n’étant pas à l’origine de la crise – a accru l’incertitude et, par le fait même, intensifié le risque systémique.
Ce fut notamment le cas du marché des pensions. En effet, l’incertitude des participants quant à l’évaluation des garanties et au réseau d’expositions bilatérales entre les institutions financières a exacerbé leur aversion pour le risque de contrepartie, au point d’en pousser un grand nombre à réduire les montants négociés et même dans certains cas à se retirer des opérations.
On se rappellera que l’illiquidité du marché des pensions a été un facteur déterminant dans l’effondrement de Bear Stearns en mars 2008.
Au Canada, le marché des pensions a connu une grave pénurie de liquidité à l’automne de la même année. Les préoccupations à l’égard des contreparties avaient pris de l’ampleur à la suite de la faillite d’importantes institutions financières à l’étranger, et les bilans étaient soumis à des tensions. En l’absence d’une contrepartie centrale qui permet à ses membres de soulager leur bilan grâce à l’établissement du solde net des transactions, les banques ont réduit considérablement leur activité sur ce marché.
La crise a clairement fait ressortir la nécessité d’agir pour renforcer la résilience de ce marché.
Au Canada, l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières a déposé, avec l’appui de la Banque du Canada, une demande de propositions en vue de la création de services de contrepartie centrale pour les opérations de pension. C’est la CDCC qui a été retenue, en décembre 2009, pour fournir ces services.
La contrepartie centrale pour les opérations de pension et la gestion des risques
Comment fonctionne cette contrepartie centrale?
En termes simples, une contrepartie centrale sert d’intermédiaire dans les transactions financières. Elle devient l’acheteur de chaque vendeur et le vendeur de chaque acheteur, dans le cadre d’un processus juridique appelé « novation » 2.
Autrement dit, on remplace un réseau très complexe d’expositions bilatérales par des expositions liées à un noyau, qui est la contrepartie centrale. Ce processus n’élimine pas les risques. En fait, les risques se trouvent ainsi concentrés dans une seule institution. En conséquence, pour que la présence d’une contrepartie centrale contribue à réduire le risque systémique, elle doit être dotée de solides mécanismes de contrôle des risques et faire l’objet d’une surveillance rigoureuse.
La CDCC a mis en place ces mécanismes afin de gérer les divers risques auxquels elle est confrontée, notamment les risques juridiques, opérationnels et financiers. Parmi ces derniers, le contrôle des risques de crédit et de liquidité est un élément clé de la maîtrise globale du risque de contrepartie au sein du système 3.
Les règles juridiques qui gouvernent la gestion des défaillances par la CDCC et les ressources financières dont celle-ci dispose pour parer aux risques de crédit et de liquidité renforcent la stabilité du marché des pensions, en assurant une liquidation ordonnée en cas de défaillance d’une institution importante et en rendant possible le règlement de toutes les opérations compensées par novation.
Les avantages d’un service de contrepartie centrale sont ressortis pendant la crise, avec la faillite de Lehman Brothers. Grâce à la participation de Lehman dans une contrepartie centrale de dérivés, ses positions sur les swaps de taux d’intérêt – qui étaient énormes : 9 000 milliards de dollars É.‑U. et plus de 66 000 transactions – ont été dénouées de façon ordonnée et à point nommé. Ainsi, le marché des dérivés de taux d’intérêt, un autre marché essentiel, a continué à bien fonctionner malgré la faillite de Lehman.
Le rôle de la Banque du Canada
Compte tenu du rôle crucial que jouera le service de contrepartie centrale dans le bon fonctionnement du marché des pensions au Canada, la Banque du Canada a estimé que le Canadian Derivatives Clearing Service (CDCS) pouvait poser un risque systémique et, par conséquent, l’a désigné en vertu de la Loi sur la compensation et le règlement des paiements. Depuis le 30 avril, le CDCS est donc assujetti à la surveillance de la Banque.
Le processus de surveillance de la Banque comprend l’examen des changements importants apportés au système ou à ses règles de fonctionnement, l’examen des résultats de vérifications et l’établissement des normes.
La Banque exerce son mandat de surveillance en étroite collaboration avec les autorités de réglementation des marchés financiers concernés, soit l’Autorité des marchés financiers et la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.
Cette surveillance sera bientôt basée sur des nouvelles normes internationales élaborées avec la participation de la Banque. Fait à souligner, les leçons tirées de la mise sur pied au Canada de la contrepartie centrale pour les opérations de pension ont été très utiles dans l’élaboration de ces nouvelles normes.
La mise en œuvre de la contrepartie centrale
La métaphore souvent utilisée par le milieu de la finance pour décrire l’infrastructure financière est simple et appropriée. On l’appelle « la plomberie ». Pourquoi? Parce qu’elle est essentielle à la viabilité et au bon fonctionnement des marchés.
En ce qui concerne notre système financier, la plomberie est assez compliquée.
L’élaboration de cette nouvelle infrastructure a pris beaucoup de temps. Il s’agit d’un processus complexe, non seulement pour établir les mécanismes adéquats et robustes de contrôle des risques, mais aussi pour être capable de les mettre en œuvre. Par ailleurs, il faut du temps pour régler les questions d’ordre opérationnel, telles que le développement et la mise à l’essai des logiciels nécessaires – tant pour la contrepartie centrale que pour les participants – et celles liées à l’interaction entre ces logiciels et les systèmes existants.
Le lancement de la première phase du service représente donc une avancée considérable. Mais il reste encore du pain sur la planche. La mise en œuvre comporte trois étapes. La première concernait les opérations bilatérales de pension portant sur un titre unique du gouvernement canadien, lesquelles ne représentent toutefois qu’une fraction du marché.
La deuxième étape, prévue pour la fin de cette année, concerne l’ajout des opérations au comptant sur titres à revenu fixe et des opérations de pension négociées par des courtiers intermédiaires, y compris celles à contrepartie anonyme.
Enfin, la troisième étape, prévue pour 2013-2014, vise l’introduction d’opérations générales de pension dans lesquelles tout titre figurant dans un panier prédéterminé d’instruments peut être donné en garantie. On s’attend à ce que le lancement de cette dernière phase accroisse sensiblement le volume des opérations réglées par la chambre de compensation et la liquidité et l’efficience du marché des pensions.
Les efforts internationaux pour atténuer les risques dans les marchés de financement à court terme
Au Canada, l’établissement d’une contrepartie centrale va contribuer de façon importante à limiter les risques d’instabilité émanant du marché des pensions.
À l’échelle internationale, le Conseil de stabilité financière examine présentement les réformes possibles du marché des pensions et des prêts de titres dans le cadre de ses travaux sur le secteur bancaire parallèle 4.
Le marché des pensions fait partie de ce secteur parce qu’il s’agit d’une forme d’intermédiation de crédit, qui, comme l’intermédiation bancaire, s’appuie sur une transformation des échéances et peut comporter des effets de levier.
Il y a plusieurs réformes potentielles sur la table.
Une des mesures examinées est justement l’utilisation accrue de contreparties centrales. Une autre avenue prometteuse porte sur la réglementation des marges en vue de réduire les problèmes de procyclicité. L’adoption de marges minimales ou contracycliques pourrait aider à éviter un effet de levier excessif durant les périodes d’exubérance et à diminuer l’ampleur d’une réduction perturbatrice du levier pendant les périodes difficiles.
Le recours accru à des contreparties centrales pour le marché des pensions pourrait d’ailleurs faciliter la mise en œuvre d’une telle réglementation.
Conclusion
Permettez-moi maintenant de conclure. Mon intention aujourd’hui était de vous parler des risques auxquels est confronté le système financier canadien, mais surtout de mettre en lumière les progrès importants accomplis au Canada pour accroître la résilience de notre système financier. Un exemple tangible, et local, de ce progrès est l’établissement ici, à Montréal, de la contrepartie centrale pour les opérations de pension.
Les transactions dans lesquelles cette contrepartie intervient sont complètement transparentes et bien dotées en capital. Il y a des règles et des procédures en place en cas de défaillance. Aujourd’hui, l’expérience du Canada profite à d’autres pays et autorités.
Mais ce qu’il convient de souligner aussi, c’est la collaboration et la volonté dont ont fait preuve les secteurs public et privé pour créer cette contrepartie. Il faut que cet esprit de collaboration se maintienne parce qu’il reste beaucoup à faire. Le succès de cette contrepartie dépend des prochaines étapes, qui étendront sa sphère d’influence.
Nous n’aurons jamais un système financier sans risques. Voilà pourquoi nous devons prendre des mesures pour le rendre plus résilient aux chocs qui peuvent survenir tant à partir de l’extérieur que de l’intérieur.
Employons-nous à rendre le système financier plus fort pour favoriser un avenir plus stable.
Je vous remercie de votre attention.