L’évolution des cours des produits de base à court et à long terme

Disponible en format(s) : PDF

Les cours des produits de base font de nouveau les manchettes. Certains, comme ceux du cuivre et des bovins, ont enregistré des niveaux records; d’autres grimpent rapidement et se rapprochent de leurs sommets antérieurs. Les prix à la consommation à l’échelle mondiale sont soumis à des pressions à la hausse toujours plus vives et la flambée des prix des aliments a déclenché des émeutes dans quelques pays en développement. Le prix du pétrole brut fixé par l’OPEP, qui avait atteint un sommet inégalé de 145 dollars É.-U. à l’été 2008, pour ensuite s’effondrer à 34 dollars É.-U. six mois plus tard, oscille maintenant aux alentours de 96 dollars É-U., si bien qu’il est de plus en plus question d’un nouveau super cycle du brut.

Il n’est donc pas étonnant de voir s’intensifier les pressions sur les gouvernements pour qu’ils limitent la hausse des prix de ces produits primaires et en atténuent la volatilité. Les dirigeants des pays du G20, réunis à Séoul, en Corée, à la fin de 2010, ont promis de poursuivre leurs travaux sur la réglementation et la surveillance des marchés des produits dérivés de matières premières et ont indiqué qu’ils déploieraient davantage d’efforts pour réduire la volatilité excessive des prix des énergies fossiles. Nicolas Sarkozy a expressément fait de la volatilité des prix des matières premières l’une des priorités de la présidence française du G20 cette année, tandis que des responsables de la réglementation aux États-Unis ont proposé de nouvelles restrictions à la spéculation concernant plusieurs matières premières.

Le comportement des prix des produits de base et les mesures qui pourraient être prises en réaction aux variations supposément erratiques de ces prix revêtent un intérêt particulier pour le Canada. Notre pays est non seulement un important producteur et exportateur de nombreux produits primaires, mais aussi un grand consommateur de ceux-ci, surtout d’énergie.

Dans mon discours aujourd’hui, je présenterai les caractéristiques distinctives des mouvements de ces prix sur divers horizons temporels, allant du très long terme au très court terme. Je m’attarderai ensuite aux différents facteurs – tant les déterminants fondamentaux que la spéculation – qui pourraient expliquer le comportement inhabituel de ces prix. En conclusion, je commenterai diverses interventions proposées par les autorités publiques pour maîtriser ces mouvements et améliorer le fonctionnement des marchés des produits de base en général.

Pourquoi les prix des produits de base intéressent-ils les Canadiens en particulier

Le Canada est un cas à part parmi les économies avancées. Il est le seul pays membre du G7 qui est un exportateur majeur de produits de base. La part de la production de matières premières dans notre produit intérieur brut est de quelque 11 %, ce qui est bien inférieur à ce qu’elle était il y a 50 ans, mais près de trois fois celle des États-Unis et beaucoup plus élevé que dans la plupart des autres pays industrialisés (Graphique 1). De plus, les produits de base comptent pour environ le tiers de nos exportations.

Au Canada, la Saskatchewan constitue en quelque sorte un microcosme de l’économie nationale, les produits de base y jouant toutefois un rôle bien plus important. Le secteur des ressources naturelles occupe une large place dans les dix provinces et les trois territoires du pays, mais parmi les provinces, la Saskatchewan, l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador se démarquent (Graphique 2).

Le secteur des ressources naturelles est une source substantielle de revenus et d’investissements, et les variations des cours mondiaux des matières premières ont une énorme incidence sur les termes de l’échange du Canada et sur la richesse nationale. L’importance relative des divers produits de base s’est modifiée au fil du temps, l’énergie représentant maintenant une part beaucoup plus grande de la production totale de matières premières, et les denrées alimentaires, une part bien plus petite, mais tout de même importante (Graphique 3).

L’évolution des cours des produits de base à très long terme

J’aurai beaucoup à dire sur la volatilité à court terme exceptionnelle des cours des produits de base dans quelques minutes, mais pour l’instant, j’aimerais me concentrer sur le très long terme. Les prix des produits de base sur de longues périodes, disons de 50 ou de 100 ans, sont en fait plutôt stables 1. Pourtant, quand on suit les nouvelles, on croirait qu’ils atteignent des niveaux records tous les deux ou trois jours. Comment peut-on expliquer cette contradiction apparente? L’une des réponses se trouve dans la distinction importante que font les économistes entre les prix réels et les prix nominaux. Ces derniers sont ceux dont les médias font état quotidiennement; par exemple, le prix actuel du pétrole, comme je l’ai mentionné plus tôt, est approximativement de 96 dollars É.-U. 2. Or, cette information peut donner une impression trompeuse quant au niveau auquel se situent réellement les prix des produits de base. Comme en général le niveau de tous les prix grimpe au fil des ans à cause de l’inflation, il importe de corriger les prix des produits de base en fonction de ces modifications du pouvoir d’achat afin d’avoir une meilleure idée de leur véritable coût relatif. Le Graphique 4 retrace l’évolution d’un indice composite des prix réels et nominaux des produits de base de 1970 à aujourd’hui. Les produits compris dans l’indice sont pondérés selon leur importance relative dans la production canadienne. Comme on peut le constater, la courbe des prix réels est beaucoup plus plate que celle des prix nominaux et est plus stable dans le temps. Les résultats sont essentiellement les mêmes lorsqu’on remonte aussi loin qu’en 1900 ou au milieu des années 1800.

Les graphiques 5 et 6 illustrent une décomposition semblable, mais pour deux composantes de l’indice global qui intéressent plus particulièrement la Saskatchewan, c’est-à-dire les prix du pétrole et des aliments. Un examen attentif permet de voir que les deux séries des prix réels sont relativement stables, contrairement aux séries des prix nominaux, ces derniers ayant vivement augmenté depuis 40 ans, en raison des effets de l’inflation généralisée des prix.

La stabilité à long terme des prix de la plupart des produits de base, sous réserve de subtiles différences quant à la tendance, n’a rien de surprenant. Sur une période suffisamment longue, les consommateurs et les producteurs s’ajustent à l’évolution des conditions du marché. Les hausses persistantes des cours des matières premières incitent les consommateurs à économiser les matières plus onéreuses et à les remplacer par d’autres produits. Parallèlement, les producteurs trouveront qu’il est avantageux d’exploiter de nouvelles sources d’approvisionnement souvent plus chères et de développer de nouvelles technologies à cette fin. L’investissement et l’innovation leur permettent également d’introduire de nouveaux produits sur le marché, ce qui facilite le processus d’économie et de substitution. Cependant, cela prend énormément de temps. Bien que le délai de réaction de l’offre soit plutôt court dans certains secteurs comme l’agriculture, la période de gestation des grands projets dans le secteur énergétique peut aller jusqu’à dix ou quinze ans. La demande et l’offre finissent toutefois par s’ajuster, les prix revenant à leur point de départ dans bien des cas. Les économistes désignent souvent ce phénomène par le terme « stationnarité ».

Qu’en est-il des hausses de prix notables enregistrées depuis 2002?

Même si la stationnarité s’observe fréquemment à très long terme, les prix des produits de base peuvent connaître des fluctuations considérables et persistantes sur des périodes de cinq, dix et même vingt ans. Les hausses de prix sont habituellement suivies de baisses, et les baisses de hausses, mais le moment où ces retournements se produiront est très incertain 3.

C’est bien connu, l’ampleur des mouvements des prix des produits de base et le moment où ils auront lieu sont difficiles à prédire. De fait, certains disent même qu’ils sont un tout petit peu plus faciles à expliquer après coup! Les débats se poursuivent à propos des « véritables » causes du formidable super cycle des prix des matières premières que nous avons observé au cours des huit dernières années. S’il n’y a guère de doute quant à la contribution notable des fluctuations appréciables de la demande et de l’offre mondiales à cet égard, la mesure dans laquelle d’autres forces, issues peut-être d’importants flux financiers, ont pu accélérer le processus reste à déterminer.

À en juger par les données, il est clair que les pays émergents ont joué un rôle crucial. Depuis dix ans, on attribue à ces pays la majeure partie de la croissance économique à l’échelle du globe (Graphique 7). Ce qui est encore plus important ici, c’est que ces pays ont aussi assuré l’essentiel de l’expansion de la demande mondiale de matières premières (Graphique 8) 4. L’augmentation de leurs besoins en matière de ressources naturelles tient à trois évolutions. Premièrement, bon nombre d’économies émergentes ont connu une progression phénoménale de leur PIB. Deuxièmement, elles ont recours actuellement à des processus de production qui consomment beaucoup de ressources naturelles, particulièrement au regard de leurs besoins énergétiques. Troisièmement, la hausse du revenu disponible et l’accroissement de la classe moyenne dans ces économies introduisent une importante composante consommation, liée à une demande accrue de denrées alimentaires et d’un large éventail de produits pour la maison qui consomment de l’énergie. Pour revenir à ce qui nous touche de plus près, la forte demande d’aliments dans les économies émergentes a contribué de manière importante à la demande de potasse.

La progression de la demande dans les économies tant émergentes qu’avancées ainsi que les goulots d’étranglement occasionnels du côté de l’offre peuvent expliquer en très grande partie, mais pas en totalité, la hausse des prix des produits de base observée de 2000 au milieu de 2008. On peut en dire tout autant de la forte correction qui a suivi à la fin de 2008, de même que de la remontée récente de ces prix 5. Ces trois épisodes ont fait écho à la vive accélération, à la décélération abrupte, puis au redressement tout aussi brusque de la croissance mondiale au cours de la période. Le fait que le dernier rebond des prix des matières premières se soit produit aussi rapidement dans le cycle économique, alors que l’activité dans de nombreux pays avancés continuait de marquer le pas, témoigne de l’importance grandissante des économies émergentes et de leur influence considérable sur les marchés des produits de base.

La volatilité extrême à court terme

Outre la remarquable stabilité à long terme des prix des produits de base et leurs fluctuations appréciables au cours du cycle économique, les marchés des produits de base sont également connus pour l’extrême volatilité des prix à court terme. Si les variations à très court terme des prix des produits de base sont normalement plusieurs fois supérieures à celles de l’IPC et de l’indice implicite des prix du PIB, il leur arrive même d’être beaucoup plus fortes (Graphique 9). Le récent pic de volatilité des prix des matières premières en est un très bon exemple, mais il n’est pas sans précédent, loin de là. Des pics semblables, voire plus prononcés, ont été enregistrés durant la Grande Dépression et la période tumultueuse des années 1970 et 1980 6.

Tous ces épisodes de volatilité élevée peuvent être associés à une conjoncture macroéconomique exceptionnelle ou à l’agitation politique, mais de nombreux analystes croient que la dynamique déstabilisatrice des marchés financiers a aussi contribué à la situation. Comme je l’ai indiqué précédemment, un débat est en cours concernant l’importance de la spéculation, quelle que soit la manière dont on la définit, et à savoir si les facteurs économiques fondamentaux peuvent expliquer à eux seuls ce que nous avons observé.

Ceux qui expliquent l’évolution de la situation par les facteurs fondamentaux soulignent la nature très inélastique de la demande et de l’offre de produits de base à court terme, autrement dit l’insensibilité de ces dernières aux mouvements inattendus des prix 7. Même de fortes variations des prix provoquent rarement une baisse marquée de la demande ou une hausse de l’offre à court terme, étant donné les goûts des consommateurs qui ne changent pas, les processus de production établis, les longs délais associés à l’exploitation de nouvelles sources et l’absence de proches substituts. Des chocs relativement modestes touchant l’ensemble de l’économie peuvent donc avoir une incidence démesurée sur les cours des produits de base.

De bas taux d’intérêt peuvent aussi à l’occasion amplifier les pressions à la hausse sur les prix, puisque les utilisateurs de produits de base ont tendance à détenir un volume supérieur de stocks lorsque les coûts de stockage sont faibles. En outre, les producteurs de matières premières peuvent être portés à retarder la production et à « laisser le pétrole dans le sol » jusqu’à ce que les taux d’intérêt augmentent et que le coût d’opportunité du report de la vente de leurs produits de base soit plus élevé 8. Ainsi, la demande s’accroît alors que l’offre est réduite.

Autres interprétations et le rôle du spéculateur

Rares sont les économistes qui contesteraient l’importance de l’offre et de la demande et la nature particulière des marchés des produits de base pour expliquer les mouvements des prix. Certains soutiennent toutefois que d’autres facteurs sont en cause et que le zèle des investisseurs et la dynamique déstabilisatrice des marchés financiers amènent souvent les cours des produits de base à dépasser leurs niveaux jugés appropriés. Cependant, avant de diaboliser les spéculateurs, il importe de préciser ce qu’on entend par cette désignation et de se rappeler que la majeure partie de l’activité sur les marchés financiers contribue à l’amélioration du bien-être. Autrement dit, il existe de bonnes et de mauvaises formes de spéculation.

Pour les besoins de l’exposé, j’entends par spéculateur une personne qui n’a aucun intérêt commercial direct à détenir des produits de base physiques mais qui est disposée à prendre une position ouverte (à effectuer un investissement) sous forme d’un contrat à terme, d’un produit dérivé ou d’un autre instrument financier, en vue d’obtenir un rendement positif en guise de rémunération du risque couru.

Les producteurs de matières premières, et ceux qui s’en servent pour fabriquer d’autres produits, souhaitent habituellement couvrir leurs positions. Ils ont recours aux mêmes instruments financiers pour gérer la volatilité extrême des cours des produits de base en bloquant les prix à terme et en transférant ainsi le risque à ceux qui sont disposés à l’accepter. Les spéculateurs peuvent donc remplir une fonction importante. Leurs actions favorisent le maintien de marchés actifs et liquides aux fins de couverture des risques et contribuent au processus de découverte des prix, ce qui accroît l’efficience et la stabilité du système. Après tout, le principe directeur consistant à revendre à un prix supérieur un actif acquis à un prix donné devrait en réalité aider à réduire la volatilité des prix.

Ceux qui perçoivent les spéculateurs comme des créateurs de risques plutôt que comme des gens qui les prennent en charge soutiennent que l’intensification de la volatilité observée ces dernières années était liée à un accroissement de l’encours des contrats à terme, des produits dérivés, des fonds négociés en bourse et d’autres produits financiers détenus par des personnes n’ayant aucun intérêt commercial dans les produits de base. L’an dernier seulement, les actifs sous gestion liés aux produits de base ont crû de plus de 100 milliards de dollars É.-U., ce qui représente une progression d’environ 40 % (Graphique 10). Selon eux, les bas taux d’intérêt et la quête de rendement, conjugués à l’introduction de produits financiers novateurs et à ce que certains ont qualifié de « financiarisation » des marchés des produits de base, ont donné lieu à une mixture malsaine.

Cependant, s’il y a corrélation il n’y a pas forcément causalité, et ceux qui se rangent de l’autre côté du débat évoquent un certain nombre d’aspects curieux et apparemment contradictoires de la thèse de la déstabilisation financière. Ils avancent qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions sur le soi-disant « côté sombre » du marché.

Premièrement, le ratio de l’encours des contrats commerciaux à l’encours des contrats non commerciaux n’a pratiquement pas changé, même si tous deux ont vivement progressé ces quatre dernières années. Donc, le côté non commercial et non couvert du marché ne peut exercer de tensions indues. Deuxièmement, l’investissement dans les produits de base est concentré dans le marché à terme et son incidence sur les prix au comptant est principalement indirecte (c’est-à-dire qu’elle s’exerce par la voie d’arbitrages) 9. Même si, par conséquent, on pourrait anticiper une hausse des cours du terme à mesure que l’intérêt des investisseurs croît, on a observé le phénomène inverse – les cours du comptant demeurant supérieurs à ceux du terme. Troisièmement, si les spéculateurs poussaient les prix au-dessus de leurs niveaux fondamentaux, on pourrait s’attendre à voir augmenter les niveaux des stocks, ce qui traduirait une production non désirée. Cela n’a toutefois pas été le cas. Pour la plupart des produits de base, les niveaux des stocks reculent à mesure que les prix montent, ce qui peut tenir à une demande réelle excédentaire 10. Enfin, il est intéressant de constater que les prix de nombreux produits de base qui ne sont pas activement négociés en bourse ou compris dans les indices de produits de base ont progressé autant que ceux qui le sont. Il n’apparaît donc pas que l’introduction de nouveaux instruments de placement et de nouvelles formes de spéculation ait eu une influence marquée sur les pressions observées s’exerçant sur les prix. Cette constatation est renforcée par les comparaisons effectuées au fil du temps, qui indiquent que la volatilité n’est pas plus forte maintenant qu’elle ne l’était avant l’introduction de ces instruments.

Malheureusement, les limites inhérentes aux données et la répartition quelque peu arbitraire des investisseurs entre les catégories « commercial » et « non commercial » empêchent une évaluation plus précise. Même si les tenants de la thèse des facteurs fondamentaux et les partisans de la thèse de la spéculation peuvent fournir des éléments de preuve, l’importance de la spéculation déstabilisante et son incidence sur les cours des produits de base restent à déterminer. Il serait surprenant cependant que les flux d’investissements n’aient pas une influence quelconque sur les prix. L’ampleur de cette influence et sa nature stabilisatrice ou déstabilisatrice varient probablement avec le temps, au même titre que les coûts qu’elles entraînent pour l’économie.

Quelles mesures les décideurs publics devraient-ils prendre?

Quelles mesures, s’il en est, les décideurs publics devraient-ils prendre concernant les cours élevés et volatils des produits de base? La réponse dépend fondamentalement du diagnostic. Est-ce qu’une défaillance du marché doit être corrigée? Les fluctuations durent-elles suffisamment longtemps pour causer des dommages importants? Si ces mouvements sont surtout attribuables à des facteurs fondamentaux, les tentatives d’y résister seraient en grande partie futiles et contre-productives. Les efforts déployés pour freiner la spéculation en imposant des limites au nombre de contrats permis ou en resserrant les marges prescrites nuiraient aussi bien à la bonne spéculation qu’à la mauvaise et risqueraient d’entraver le fonctionnement des marchés. Les mesures prises pour plafonner les prix des produits de base compromettraient l’équilibre de ces derniers et réduiraient l’offre. De toute évidence, si de telles mesures sont envisagées, il faudra procéder avec prudence. Le président Sarkozy, qui assumera la présidence des sommets du G20 cette année, a placé la réforme des marchés de produits dérivés de matières premières presque au sommet de ses priorités. Toutefois, il a aussi souligné la nécessité d’un examen plus complet avant qu’une action soit engagée. Divers organismes de surveillance et de réglementation ont aussi réclamé une surveillance accrue des bourses de matières premières, et dans le cadre de la loi sur la réforme du secteur financier adoptée récemment aux États-Unis, il a été proposé d’imposer de nouvelles limites à la négociation spéculative d’un certain nombre de produits de base. Toutefois, ce travail est encore à un stade très préliminaire.

Des mesures moins controversées ont aussi été proposées, que peuvent appuyer tant les tenants de la thèse des facteurs fondamentaux que ceux qui sont sceptiques à propos des marchés. La première est une série de réformes faisant appel à une plus grande transparence et à la mise en commun de l’information en ce qui concerne la demande et l’offre de produits de base. L’absence de données complètes et fournies en temps utile entrave le fonctionnement des marchés des produits de base et des marchés des actifs financiers connexes. Le travail récent lié au marché du pétrole, mené sous les auspices de l’initiative JODI, est un exemple utile de ce genre d’efforts. L’amélioration de l’information devrait aider à stabiliser les marchés et être bénéfique à tous, sauf peut-être à ceux qui tirent profit de l’information asymétrique et de la manipulation possible du présent système. La deuxième série de réformes porte principalement sur la transparence des marchés des produits dérivés de gré à gré et fait partie d’une initiative beaucoup plus vaste lancée par le Conseil de stabilité financière et destinée à améliorer l’infrastructure des marchés financiers. La troisième série de réformes touche les actions menées intentionnellement ou non par plusieurs gouvernements, qui entravent le bon fonctionnement des marchés des produits de base. Celles-ci peuvent prendre la forme de plafonnement des prix ou de subvention aux ménages, qui ont pour effet de faire augmenter la demande de certains produits de base et souvent d’en réduire l’offre. D’autres concernent les subventions aux producteurs, qui peuvent se traduire par le détournement de ressources essentielles pour certains secteurs vers d’autres. Le soutien aux biocombustibles, qui a pour conséquence de réduire la superficie de terres arables servant à la production de denrées alimentaires, constitue un excellent exemple. La quatrième et dernière série de réformes suggérées comprend un certain nombre d’initiatives que les gouvernements devraient prendre par opposition aux diverses choses qu’ils devraient cesser de faire. Dans le premier cas, on pense aux réformes structurelles visant à rendre leurs économies plus flexibles et résilientes aux chocs et, plus généralement, à celles qui ont pour but d’encourager plutôt que d’empêcher les ajustements nécessaires à l’évolution des conditions du marché.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, les cours des produits de base sont remarquables à trois égards : leur stabilité extraordinaire à long terme, leurs variations considérables et persistantes à moyen terme et leur volatilité exceptionnelle à court terme. Ces tendances présentent un défi permanent pour les consommateurs, les producteurs et les décideurs. En longue période, des économistes comme Prebisch et Singer 11 s’inquiétaient à un moment donné du fait que les producteurs de matières premières subissent une détérioration constante de leurs termes de l’échange par rapport à ceux des fabricants. Plus récemment, cette opinion semble avoir été réfutée, certains économistes s’inquiétant maintenant des coûts qu’entraînera pour les consommateurs la hausse persistante des cours des produits de base. À moyen terme, d’autres économistes sont préoccupés par les effets négatifs que les variations importantes et continues des cours des produits de base peuvent avoir sur l’ensemble de l’économie en déstabilisant la production et en poussant l’inflation à la hausse. À court terme, la très grande volatilité des prix, malgré sa nature temporaire, peut imposer des coûts considérables à certains des membres les plus vulnérables de la communauté internationale.

Avant de se précipiter sur une solution, il importe toutefois de comprendre les forces qui déterminent l’évolution de ces prix. Les données disponibles portent à croire que la plupart des grandes variations ainsi qu’une large proportion de la volatilité que nous observons à court terme peuvent s’expliquer par les facteurs fondamentaux du marché. Même si la spéculation et ce qu’on qualifie parfois d’« intérêt excessif de la part des investisseurs » pourraient contribuer à amplifier ces mouvements de prix, les données à l’appui de cet argument sont, au mieux, contrastées. Les décideurs déterminés à apporter des correctifs devraient donc faire preuve de prudence. En l’absence d’un diagnostic clair, il est difficile de parler avec assurance de remèdes et de mesures de politique susceptibles de corriger la situation.

Il existe cependant un certain nombre de mesures qui font l’unanimité chez presque tous les économistes, peu importe où ils se situent dans le continuum des partisans de l’interprétation fondée sur les facteurs fondamentaux et de celle reposant sur la spéculation déstabilisante. Il s’agit de la transparence accrue et des réformes structurelles qui contribueront à faire tomber les barrières nuisibles ainsi qu’à accroître l’efficience des marchés et la résilience des économies.

Je vous remercie de votre attention.

  1. 1. Voir D. Coletti (1992-1993), « L’évolution à long terme des prix de certains produits de base non énergétiques clés du Canada : 1900 à 1991 », Revue de la Banque du Canada, Ottawa, hiver, p. 47-56.[]
  2. 2. Il est d’usage d’exprimer les prix mondiaux des produits de base en dollars É.-U., ce qui signifie que toute variation du taux de change du dollar É.-U. entraîne normalement une modification des prix des produits de base.[]
  3. 3. Selon des estimations du Fonds monétaire international (P. Cashin, C. J. McDermott et A. Scott [1999], The Myth of Comoving Commodity Prices, document de travail no 99/169, Fonds monétaire international), la durée moyenne d’un recul des cours du pétrole est d’environ 50 mois, alors que les phases d’expansion de ces cours ne durent en général qu’un peu plus de 20 semaines. De toute évidence, ces moyennes sont cependant soumises à de grandes variations.[]
  4. 4. Voir D. Coletti, R. Lalonde, P. Masson, D. Muir et S. Snudden (à paraître), Commodities and Monetary Policy: Implications for Inflation and Price Level Targeting, Banque du Canada.[]
  5. 5. Voir O. Gervais et I. Kolet (2009), The Outlook for the Global Supply of Oil: Running on Faith?, document d’analyse no 2009-9, Banque du Canada.[]
  6. 6. Voir O. Calvo-Gonzalez, R. Shankar et R. Trezzi (2010), Are Commodity Prices More Volatile Now? A Long-Run Perspective, Banque mondiale, coll. « Documents de travail consacrés à la recherche sur les politiques », no 5460.[]
  7. 7. Voir D. Gately (2004), « OPEC Incentives for Faster Output Growth », Energy Journal, vol. 25, no 2, p. 75-96. Voir aussi N. Krichene (2002), « World Crude Oil and Natural Gas: A Demand and Supply Model », Energy Economics, vol. 24, no 6, p. 557-576.[]
  8. 8. Voir J. A. Frankel et A. K. Rose (2009), « Determinants of Agricultural and Mineral Commodity Prices », Inflation in an Era of Relative Price Shocks, sous la direction de R. Fry, C. Jones et C. Kent, Banque de réserve d’Australie. []
  9. 9. L’incidence de l’investissement dans les produits de base sur les prix au comptant est plus directe dans le cas des fonds indiciels sur matières premières qui sont adossés aux produits physiques sous-jacents. Ces produits de placement se limitent toutefois aux matières premières qui peuvent être entreposées (les métaux, par exemple).[]
  10. 10. Il faut être prudent dans l’interprétation de ces résultats, cependant, car la relation entre les cours au comptant et les cours à terme, et entre les prix et les stocks, est largement fonction de la manière dont les attentes relatives aux prix sont formées.[]
  11. 11. Voir R. Prebisch (1950), The Economic Development of Latin America and Its Principal Problem, New York, Nations Unies; et H. W. Singer (1950), « The Distribution of Gains between Investing and Borrowing Countries », The American Economic Review, vol. 40, no 4, p. 473-485.[]